dimanche 31 mars 2024

Le dormeur du Val

 

Un poème pour viatique




Tout débuta de manière tragique en 1870.Dany venait de naître quand son père fut embrigadé dans l'armée de Loire de monsieur Gambetta pour porter secours aux parisiens. Elle ne revit jamais son géniteur qui avait tout juste eu le temps de poser un baiser sur le front du bébé à sa venue au monde. Le malheureux acheva sa route à Baule le 7 décembre en bord de Loire. Son escadron avait malgré tout repoussé des éléments de l’armée du Grand-Duc de Mecklembourg, une victoire pour rien comme deux jours plus tard à Coulmiers.


Pour Dany, ce drame se matérialisa par une enfance difficile auprès d'une mère qui trimait du matin au soir pour gagner de quoi manger tout juste à leur faim. Elle grandit accompagnée chaque soir, dès qu'elle eut cinq ans et l'âge de comprendre, par le récit du poème d'Arthur Rimbaud. Un rituel entre sa mère, veuve inconsolée et la fillette, orpheline éplorée.



C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.


Toutes les deux, paradoxalement trouvaient du réconfort dans ce merveilleux texte. Elles s'étaient persuadées que Rimbaud évoquait leur mort à elles, tombé au bord des Mauves, ce beau petit affluent de la Loire. Chacun trouve le réconfort et la paix de l'âme comme il peut, pour elles deux, ce poème contribua toujours à accepter l'inacceptable, la barbarie guerrière qui ne faisait pourtant qu'ouvrir le bal de la modernité.


Vingt-cinq ans plus tard, Dany rencontra un charmant garçon avec lequel elle fonda une famille, bien décidée à ne pas suivre la triste destinée de sa mère. Le couple se souda avec l'aversion de la guerre dans le désir de vivre paisiblement dans le charmant petit village de Combleux. Son homme travaillait à la fonderie Bollée qui depuis 1715 fabrique de magnifiques cloches tandis qu'elle était serveuse à l'Auberge de la Christiane.


Quand elle donna naissance à son premier enfant : Christian, un adorable petit garçon, elle fit comme sa mère, tout naturellement, pour l'élever dans ce rejet de la guerre. Elle sentait bien autour d'elle que la volonté de revanche contre les prussiens était particulièrement présente dans les esprits. Les enfants à l'école apprenaient à tirer à la carabine : une folie pour cette jeune femme éprise de paix.


Tous les soirs, Dany récitait le dormeur du Val à son fils, lui racontant inlassablement la mort de ce grand-père qu'il ne connaîtrait jamais. Elle choisissait ensuite des récits, des contes où jamais il n'était question de combats, de batailles, de défis ou de querelles. Le petit Christian fut tout naturellement influencé par cette éducation tournée vers l'amour du prochain.


Quand Christian s'approcha de l'âge d'être appelé sous les drapeaux, la folie avait gagné les esprits. Les roulements de tambour avaient remplacé les propos acerbes, les envies de donner la fessée aux méchants teutons, de retrouver l'Alsace et la Lorraine. Le jeune homme se sentait à mille lieux de cet état d'esprit belliqueux presque général. Il était moqué de tous quand il évoquait la nécessité de vivre en paix, montré du doigt et mis à l'écart.


Christian pris l'habitude de se réfugier sur l'eau, de fuir ses camarades aux propos toujours plus virulents et haineux. Il avait acquis un petit canoë avec lequel il trouvait la paix intérieure au contact d'une nature qui était devenue sa seule amie. Il ne fait pas bon penser à rebours de la majorité, il avait fait le choix de la fuite.


Quand l'avis de mobilisation arriva, il n'hésita pas un seul instant. Il préférait la clandestinité, la désertion à l'horreur d'une guerre qui chaque jour apportait son lot de drames et de larmes. En dépit de l'hécatombe sur le front, les gens n'avaient nullement changé d'état d'esprit. Christian savait qu'il ne pouvait compter sur personne pour l'aider dans sa décision. Il savait que seule la rivière pouvait lui offrir des cachettes qu'il espérait inexpugnables.


Sa mère, bien évidemment fut sa chère complice tandis que son père, avait bien envie de lui sonner les cloches. Il n'en fit rien, trop soucieux de ne pas braquer une épouse intransigeante sur ce sujet. Il préféra fermer les yeux, feindre de ne rien savoir de ce qui se tramait. Pourtant, les préparatifs de son fils ne laissaient aucun doute sur ses intentions.


Christian regroupa dans son canoë de quoi pêcher, chasser, s'abriter, se vêtir et se préserver des intempéries. Il se chargea également de quelques outils afin de se lancer dans une aventure de survie en pleine nature. Son choix était clair, il allait vivre sur la Loire, plus en amont, dans le réseau protecteur des nombreuses îles entre Pouilly-sur-Loire et Sancerre.


Le gamin avait recueilli des informations auprès des anciens Christianiers, des gars que la vapeur avait jetés à terre. Il n'y avait pas plus grands connaisseurs de la Loire que ces gars-là. Bien sûr, il n'avait pas évoqué son dessein et ses questions étaient suffisamment générales pour ne pas leur mettre la puce à l'oreille.


Quand il fut prêt, au lieu de se rendre à la caserne, il débuta sa lente escapade ligérienne. Se cachant le jour dans une île ou des bosquets touffus, naviguant la nuit. Il comprit rapidement que sa connaissance de la rivière, de la faune et de la flore, allait lui permettre de subvenir à ses besoins. Il devint aisément un homme de la rivière, un fuyard, évitant soigneusement les humains.


Il atteignit son but, établit plusieurs camps de base dans ces grandes îles discrètes de la Nièvre et du Cher. Il était toujours à l'affut, sur le qui-vive. Seule la nuit lui apportait un peu de sérénité. Il vivait comme un Robinson fuyant l'effroi des tranchées. Il était totalement coupé du monde et désirait plus que tout la présence d'une compagnie pour l'aider dans sa mission sacrée : fuir la guerre.


Sa bonne fortune se matérialisa par un accident de la vie. Un jeune héron, lors de sa première sortie du nid, manqua le grand saut. Par chance, sa chute fut largement amortie par la végétation tandis que Christian qui avait assisté de loin à la scène se porta aussitôt à son secours lui épargnant le coup de grâce des charognards.


Christian soigna celui qu'il appela Patapon. Une amitié s'établit entre l'oiseau et le déserteur. Le héron, revenu de son échec initial, nourri par Christian de petits poissons, choyé et protégé finit par voler de ses propres ailes. Il comprit intuitivement ce dont avait besoin son sauveur, il lui servit de guet, le prévenant d'une éventuelle présence humaine.


L'un l'autre se donnaient la main s'il est possible de s'exprimer ainsi. Grâce à Patapon, Christian échappa au carnage, parvint à rester caché jusqu'à la fin de la guerre. Il devina aisément qu'elle venait de s''achever quand toutes les cloches des villages voisins sonnèrent à la volée. Il eut une pensée pour son père, le fondeur tandis que jamais sa chère mère n'avait quitté son esprit, car chaque jour, pour renforcer sa détermination, il se récitait le dormeur du Val.


Il lui fallut beaucoup de patience pour revenir à la vie civile. Il avait déserté, il ne pouvait revenir comme une fleur dans son joli Combleux. Il lui fallut trouver une nouvelle identité, chose qui fut possible dans le désordre de l'après-guerre avec tous ces disparus et ces êtres ayant perdu la raison. Il ne revint à Combleux que quelques années plus tard, sans se faire connaître, simplement pour rendre une visite discrète à sa mère. Ce fut pour Dany, le plus beau jour de sa vie. Puis à nouveau, il se perdit dans les îles de Loire, vécut de la pêche comme il l'avait fait durant sa longue disparition.


Vous pouvez mettre en doute ce récit, je ne peux vous en tenir rigueur. Il est né d'une requête : écrire un conte à partir du poème d'Arthur Rimbaud. J'aime à satisfaire les demandes même si la forme tient plus d'une nouvelle que d'un conte. Voilà qui est fait.

.


samedi 30 mars 2024

À écouter la bouche en cul de poule ...

 Bon dimanche Pascal


Le poulailler flottant



Le coq et l'horloge

 


 

Le coq de nos églises

 



L'œuf à la coque
 




Sacrée nom d'une coque en bois

 


Bon dimanche à tous

vendredi 29 mars 2024

De la cloche au plateau !

 

Le calvaire des tyrophes




Si certains ne peuvent le sentir

D'autres s'en délectent à chaque repas

Hélas, pour les premiers sans mentir

C'est une belle vacherie en tous cas


Quand ils le voient passer sous leur nez

Ils deviennent chèvre dans l'instant

Loin d'être en odeur de sainteté

Il leur provoque nombre de tourments


On exige qu'ils se montrent coulants

Quand on leur apporte sur un plateau

Pas de quartier pour ces pauvres gens

Avant la cerise sur le gâteau


Si chacun peut manger son pain blanc

Pour eux, nul besoin de prétexte

Pour finir leur Pessac Léognan

Et le reste de la baguette


Nonobstant les autres convives

Lorsqu'ils vantent la diversité

D'une production qui avive

La fierté de notre francité


C'est notre belle France affinée

Que rejettent ces mauvais citoyens

Puisque leur aigreur sent le caillé

Avec des fragrances de crottin


Pour cette paille dans la bûche

Cette pyramide de mépris

Ils endurent bien des embûches

En Normandie mais aussi en Brie


Le Penicillium à son tour

Accroît leur terrible calvaire

À Roquefort ou Rocamadour

En Bresse ou à Saint Nectaire


Du petit lait jusqu'au lactose

Quand ils en font tout un fromage

Bien plus qu'une petite névrose

Leur tyrophobie fait outrage


Me traiteront alors de mufle

Pour ces pauvres vers indolores

La Mozzarella et ses buffles

Et nos vins ne seront pas d'accord

•••




 

jeudi 28 mars 2024

Les « tailleux de douzils »

 

Les « tailleux de douzils »






Notre Vardiaux, beau et fier bateau

Oh grand jamais ne transportait de l'eau

Rien que des tonneaux et des barriques

Qui embarqueront pour l'Amérique


De Roanne jusqu'à Nantes nous descendions

Sans mettre en perce le moindre muids

Tous ces nectars dont nous nous régalions

Du soleil levant jusqu'à la minuit


Avalant la Loire et ses vins à boire

Par une astuce qu'il vous faudra croire

Nous grugions les marchands et les clients

Grâce à un astucieux faux-fuyant


D'un très vigoureux coup de son poinçon

Le toutier creusait un orifice

Laissant couler agréable boisson

Dont nous faisons notre délice


Pour effacer ce très vilain forfait

Fallait colmater c'que nous avions fait

C'était facile sur un bateau de bois

Un tenon bouchait la mortaise, ma foi


Les « Tailleux de douzis » pour vous servir

Rien qu'un petit pourboire prit sans façon

Un doux plaisir sans jamais en pâtir

En vidant toujours le même cruchon


Pour nos tonneaux, une meurtrissure

Tout juste une discrète blessure

Que les aléas d'la navigation

Servaient facilement d'explication


Conscience professionnelle

Ou bien alors coupable addiction

Personne ne nous traita de criminels

Pour n'avoir jamais payé l'addition


Dans toutes les tavernes du pays

Nous nous constituions un alibi

Pour disculper notre appétence

La chopine prouvait notre innocence


Dur labeur que celui de marinier

En succombant à la tentation

Sans débourser le moindre denier

Pour vérifier notre cargaison

•••

 
https://blogs.mediapart.fr/c-est-nabum/blog/140914/les-tailleurs-de-douzilles


 

mercredi 27 mars 2024

Versons une petit lame

 

Pauvres couteaux





Versons une petit lame

Pour tous que nous avons perdus

À chaque fois ce fut un drame

Ô pauvres compagnons disparus !


Ils ne pouvaient être plus proches

Ne nous quittant pas d'une semelle

Toujours dans l'une de nos poches

Prêts à déployer leurs paumelles


Bien sûr il y eut des blessures

Et des mouvements incontrôlés

Payés en petites coupures

Quand ils désiraient nous épauler


Sans leur imputer nos maladresses

Nous prenions parfois nos distances

Leur donnant un nouvelle jeunesse

Parce qu'ils manquaient de constance


D'un bon coup de fusil bien placé

Sans nous y prendre comme un manche

Ils se retrouvaient bien affûtés

Ceux qu'on déclare armes blanches


Et s'il fallait briser la glace

Ou trancher finement dans le vif

Pour qu'ils ne laissent pas de traces

Rien de mieux que nos petits canifs


Si jamais nous prenions la mouche

Espérant retrousser le bouchon

Afin de satisfaire la bouche

Nous proposaient un tour de cochon


Ils s'autorisaient un blocage

S'immobilisant d'un coup d'arrêt

Se mettant à cran sans partage

Nous tombions sous leurs couperets


Depuis qu'ils se retrouvent hors la loi

Ils ne passent plus la douane

Ce qui n'est pas commode ma foi

Pour qui entend chercher chicane


Je coupe enfin le fil du récit

Dédié à mes pauvres couteaux

Lorsque d'un mouvement indécis

Ils perçaient la poche d'un paletot

•••



mardi 26 mars 2024

Les filles de LOIRE

 Extrait sonore

Les filles de Loire

Michel Gastine

 


Quatrième de couverture du deuxième tome.

Au début du siècle dernier, quatre jeunes femmes, des prostituées, s'embarquent au péril de la Loire. Au cours de multiples péripéties, elles entrent par la porte dérobée dans la grande histoire : carbonarisme dans le Val de Loire, les quatre sergents de la Rochelle, assassinat du duc de Berry.

 

Premier tome 

Ces dames du bord de Loire 


Bibliothèque du Liger Club de l'Orléanais





lundi 25 mars 2024

Ma vieille mère est en couture

 

En couture





Ma vieille mère est en couture

L’aiguille court autour du métier

Pour une magnifique parure

Elle confectionne un couvre-pied


C'est au milieu de sa boutique

Que sans le savoir, elle tient salon

Elle coud, elle coupe et elle pique

Tandis que des dames sont en rond

Autour d'elle se sont rassemblées

Les commères de mon petit village

Elles sont venues ici discuter

Quand la couturière est en ouvrage



Toujours concentrée à sa tâche

Ma mère refait une aiguillée

Elle coud ainsi sans relâche

Tout en se plaisant à écouter

Les langues vont au fil de l'aiguille

Quelques-unes se font si lestes

Qu'un méchant venin se distille

Au milieu de ces charmantes pestes


Refrain



Soudain dans la boutique s'envole

D'une oie vive le fin duvet

C'est une bavarde qui s'affole

Elle finira par éternuer

Les autres éclatent de rire

Elles s'amusent de sa réaction

Ma mère esquisse un p'tit sourire

Elle qui reste toujours en action


Refrain



Quand les dames ont mieux à faire

Elles quittent la salle de conférence

Ma mère poursuit sans manière

Son ouvrage qui toujours avance

Puis des clients entrent à leur tour

C'est mon père qui viendra vers eux

À son travail elle met tant d'amour

Qu'elle ne le quitte jamais des yeux


Ma vieille mère est en couture

L’aiguille court autour du métier

Pour une magnifique parure

Elle confectionne un couvre-pied





dimanche 24 mars 2024

Madame je vous en conjure Oh ne me faites pas l'injure De refuser cette chanson ...

 

La chanson offerte







Madame je vous en conjure

Oh ne me faites pas l'injure

De refuser cette chanson

Que j'ai écrite sans façon


Par un matin très ordinaire

Un de ces jours sans manière

Moi qui voyageais sur la toile

Sans avoir sorti la grand voile

J'allais au hasard du destin

Il m'est apparu en chemin

Prenant la forme d'un message

Quelques pauvres mots sans ambages



Madame je vous le demande

Faites-vous donc un peu gourmande

Accordez-lui sa mélodie

Pour enchanter ma poésie


Oui c'était un presque inconnu

Que j'avais à peine entrevu

Juste un bateleur de passage

Un baladin pas vraiment sage

Qui me fit ce joli cadeau

Qui me confia tous ses mots

Certes une offrande magnifique

Ne manque plus que la musique


Madame je vous en conjure

Oh ne me faites pas l'injure

De refuser cette chanson

Que j'ai écrite sans façon



Je me suis demandé pourquoi

Il s'adressait ainsi à moi

Je n'ai pas cherché à comprendre

Ce bonheur, il fallait le prendre

Sans repousser sa quémande

M'emparant de son offrande

Sans plus tarder je lui consens

Ce qu'il espère intensément


Madame je vous le demande

Faites-vous donc un peu gourmande

Accordez-lui sa mélodie

Pour enchanter ma poésie


La mélodie s'est imposée

Des notes que j'aime chanter,

Fredonnées souvent en silence

Pour combler mon impatience

C'est vrai qu'il me fallait bien vite

Répondre à sa touchante invite

En lui envoyant par la toile

Quelques poussières d'étoile


Madame je vous en conjure

Oh ne me faites pas l'injure

De refuser cette chanson

Que j'ai écrite sans façon

Madame je vous le demande

Faites-vous donc un peu gourmande

Accordez-lui sa mélodie

Pour enchanter ma poésie

•••

Photographies de Christian Beaudin

 




samedi 23 mars 2024

Prenez et buvez !

 

Quand Loire entre en cène







Soucieux de rétablir la vérité, désireux de remonter aux sources de toutes choses, je me dois de vous révéler la vérité vraie sur un événement qui a changé la face du monde. Tout commença, il y a fort longtemps, sur les bords de la Loire, comment pourrait-il en être autrement ? Nous sommes dans les années cinquante avant celui qui se fit pasticheur, bien malgré lui. Les Romains viennent de mettre le pied et le glaive le long de notre rivière ….


Mais avant d'aller plus loin, il me faut dévoiler ce que furent mes archives. J'ai découvert, dans une « boire » de Loire : un bras mort, depuis bien longtemps vide d'eau, des manuscrits abandonnés dans un vieux coffre marinier. Depuis, ces textes sont connus sous le nom de manuscrit de la « boire » morte. C'est d'eux que je tire cet épisode d'une histoire volontairement laissée dans l'oubli pour des raisons que vous comprendrez facilement. Je vous en laisse juges !


Depuis de longues années, chaque solstice d'été, les représentants des mariniers de Loire se réunissaient en un lieu tenu secret, pour un grand banquet au cours duquel ils édictaient des règles de bonne navigation, des principes de solidarité et d'entraide pour tous les bateliers de la rivière. Ils venaient de l'amont et de l'aval, de Condevincum (Nantes) à Rodumna (Roanne) en passant par Nevirnum (Nevers) et Cenabum naturellement.

 

Chaque année ils désignaient celui qui parlerait en leur nom devant tous les chefs des peuples vivant en bord de Loire. Leur confrérie réunissait des pêcheurs (déjà) et des mariniers en nombre égal. Ils étaient traditionnellement douze, regroupés en un grand chapitre autour de la table, afin d'édicter les règles de navigation, les obligations d'entraide, le code d'honneur de tous ceux qui circulaient et travaillaient alors sur la Loire. Ils se faisaient fort d'imposer leur volonté tout du long de la rivière et de ses affluents.


Cette année-là, pourtant, rien se se passa comme à l'accoutumée. Les Romains avaient envahi les différentes tribus celtes. Le pouvoir avait imposé, par la ruse et le mensonge, la présence d'un treizième homme : un certain Lucas, homme à la botte du pouvoir, venu de Lugdunum, une ville qui n'a rien à voir avec notre Loire.


Le nonce Nilate, chef romain couard et calculateur, l'avait mandaté secrètement pour briser la force de cette confrérie dangereuse qui divulguait des idées de solidarité et de charité qui débordaient bien vite le cadre de la rivière. Il fallait mettre un terme à cette philosophie du partage et de la compassion qui pouvait s'avérer néfaste au pouvoir en place : brutal et égoïste.


Comment Lucas parvint-il à se faire admettre dans cette assemblée secrète ? Les manuscrits ne le disent pas. Toujours est-il qu'en ce repas sacré, ils étaient treize à table et qu'une étrange ambiance régnait parmi les convives. Quand il fallut désigner le maître de cérémonie, c'est un certain « Marius », fils d'un charpentier de marine qui avait proposé tant d'innovations aux bateaux d'alors, qui fut élu en souvenir de son glorieux père.



Marius était le plus doux des hommes. Il aurait donné sa chemise à plus malheureux que lui et aurait partagé son manteau en deux s'il avait croisé un mendiant grelottant de froid. Il était pêcheur, d'une rare adresse et avec lui, on avait le sentiment qu'il était capable de multiplier les prises. Jamais son filet ne revenait à vide et il y avait toujours une part pour les pauvres et les malades.


Un jour, il avait réalisé un prodige. Un marinier s'était noyé et, par un étrange baiser, il l'avait ramené à la vie. Son nom était désormais connu tout du long de la Loire. Il était vénéré des humbles et craint des puissants. Nilate voyait en lui un dangereux subversif, un homme capable de reprendre le flambeau que venait d'abandonner, bien malgré lui, un certain Vercingétorix. Il était plus redoutable encore, car il prônait la paix et la concorde entre les hommes.


En ce repas annuel, un étrange sentiment animait les convives. Quand Marius partagea la miche de pain noir et offrit à chacun une coupe de ce fameux breuvage qui leur venait de Rome (seul bienfait de l'envahisseur) , il leur tint un discours d'une rare puissance.


« Mes amis, mes frères de la rivière. Nous vivons une époque trouble où des forces étrangères veulent imposer leurs conceptions cupides. Sachez rester soudés et solidaires. Que rien ni personne ne vienne jamais entraver l'amitié qui unit le peuple ligérien. Notre Confrérie des gens de Loire doit perdurer au-delà de ces temps obscurs. Elle fédérera les hommes de bonne volonté. Chaque fois que vous vous retrouverez, vous ferez un grand et beau repas en mémoire de moi et en souvenir de cette promesse éternelle ! »


C'est le moment que choisit le traître Lucas, l'affreux vendu à l'envahisseur, qui, pour quelques pièces en or, dénonça « Marius » et sa troupe marinière. Une cohorte instruite par l'infâme, arriva et s'empara du meneur qui fut conduit à Nilate qui faisait ses ablutions. Il avait horreur d'être dérangé en ce doux moment et excédé, le nonce envoya notre pêcheur de Loire se faire pendre ailleurs.


Lucas fut accroché en haut d'une vergue, les bras en croix. Il y souffrit un long martyre sans un soupir. Voilà la triste fin du premier grand personnage de la Loire qui voulut fédérer les énergies et développer un idéal de fraternité pour tous les gens de Loire, leurs femmes et leurs enfants. La confrérie des marchands serait, bien plus tard ,l'expression de la résurrection des valeurs de ce glorieux aîné.


Pourtant ce message étrange fit son chemin. En empruntant la route de l'étain, il arriva bien vite jusqu'en Palestine. Quelques années plus tard, un autre fils de charpentier reprit une grande partie de ce discours et s'adressa, lui aussi, à des pêcheurs ou des moutons égarés. On sait ce que devinrent ces belles idées qui étaient nées, quelques années plus tôt, sur le bord de la Loire... mais vous n'êtes pas obligés de me croire ….


 



vendredi 22 mars 2024

J'ai le bourdon !

 

Bourdon




S'il y a quelque chose qui cloche

C'est bien sa mauvaise réputation

Lui qui lutine sans anicroche

Pour polliniser la végétation


On le juge sur son apparence

Et sa grande taille sème l'effroi

Quand les humains avec assurance

Médisent méchamment à son endroit


Qu'on veuille le marier de force

À l'abeille, sa petite cousine

Préfigure déjà le divorce

Entre ces insectes qui butinent


Parce qu'on le découvre hirsute

Passe immédiatement pour un méchant

Une analogie des plus abruptes :

Qu'il soit poilu fait de lui un piquant


Si le mâle demeure inoffensif

Sa femelle pique très rarement

Il faut se montrer trop agressif

Pour la pousser à ce désagrément


Si le bourdons fonde une colonie

À proximité de votre jardin

N'en faites surtout pas une maladie

Il agira toujours pour votre bien


Il aime à travailler sous serre

Pour les tomates et les fraisiers

Ce comportement hélas le dessert

Son bourdonnement est amplifié


Prenez donc la peine de le respecter

Repoussez votre jugement hâtif

Pour vous ne constitue aucun danger

Ce merveilleux hôte de vos massifs


Lorsque vous aurez du vague à l'âme

Il vous régalera de son pardon

Si renonçant à faire l'amalgame

Ne direz plus jamais « j'ai le bourdon !'


À Pâques, en regardant les cieux

Qui se plait à croire, apercevra

Le vol d'un très gros bourdon gracieux

Pour que vous butiniez du chocolat




jeudi 21 mars 2024

Une légende passée sous silence

 

Et le tonnerre fut !





Bien des légendes celtes furent mises au goût du jour pour les besoins de la foi catholique. Nombreux sont les personnages mythologiques qui sont devenus des saints pour rassembler le grand troupeau des fidèles. Curieusement, celle que je vais vous livrer ici a échappé à cette appropriation fort commode par les pères de l'église. À bien y regarder de près, elle ne devait pas être en odeur de sainteté …


Pourtant, je n'ai rien inventé : on retrouve le scénario de ce récit sur les rives de nos rivières mais aussi bien plus loin, en Grèce et en Mésopotamie, sans qu'il n'ait subi de grandes modifications. Pour plus de clarté, je vais m'émanciper des sources et des noms pour vous livrer cette histoire qui n'est pas à mettre dans toutes les oreilles. Je sais que certains se pinceront le nez, je ne puis leur en vouloir : notre éducation a depuis longtemps mis dans l'ombre certains aspects de notre vie quotidienne.


Il était une fois un brave homme que nous appellerons Suculos Il avait pris Bellissama pour femme. La dame était volage ; ce qui passe pour un titre de gloire quand c'est un homme qui pratique cette fantaisie et devient un monstrueux défaut quand c'est une femme qui s'accorde quelques entorses au contrat initial. Ainsi va la ségrégation de tous temps ; celui-ci ne faisait pas exception.


Suculos ignorait tout des frasques de Bellissama même si parfois quelques sourires en coin accompagnaient son passage. Les mauvaises langues sont toujours mieux informées que le principal intéressé ; c'est un fait à ne pas discuter. Le ragot va bon train dès qu'il y a coucherie malhonnête ; c'est plus la jalousie que la morale qui alimente les langues de vipère.

 



Bellissama aimait à retrouver un galant : un certain Esus, homme séduisant s'il en était et toujours prompt à caresser les dames d'un compliment enjôleur. Bellissama avait trouvé en lui un compagnon idéal pour assouvir ce que Suculos ne parvenait guère à lui offrir. Comment pourrait-on le lui reprocher ? Hélas, ce n'est pas ainsi que l'opinion publique voyait la chose …


Les frasques de Bellissama et Esus finirent pas échauffer les oreilles de Suculos. Le doute, ce terrible mal qui ronge l'esprit, s'était installé en lui. Il en avait perdu le sommeil et l'appétit ; il échafaudait bien des stratagèmes pour surprendre sa femme, même si, en ce temps lointain, le constat d'adultère n'était pas reconnu. Bellissama et son Esus étaient désormais sur leurs gardes : ils usaient de subterfuges de plus en plus adroits pour pouvoir se retrouver et Suculos faisait toujours chou blanc.


N'y tenant plus, Suculos décida d'employer des moyens que je réprouve. Il utilisa la force, prenant sa femme pour cible. Les hommes ont souvent profité de leur supériorité physique pour tirer les vers du nez de leurs épouses. Bellissama passa ce qu'on appelle pudiquement  « un sale quart d'heure » ; le lendemain elle aurait porté des lunettes de soleil si cet objet avait été inventé …


La volée de bois vert qu'elle reçut ne lui délia pas la langue. Bellissama aimait son Esus et ne voulait pas trahir leur secret. Suculos, au comble de la fureur, faisait pleuvoir les coups sur la pauvre femme ; la lâcheté s'exprime ainsi de tous temps. N'y pouvant plus, il lui demanda de jurer sa fidélité. Bellissama qui n'accordait pas assez d'importance au parjure s'exécuta. Elle leva la main droite et proclama sa bonne foi à son homme !



Pour sceller la déclaration, Suculos lui demanda de mettre cette main tendue dans une fontaine. Bellissama obéit pour son malheur. L'eau y sortait de la terre aussi bouillante que si elle venait des enfers. Elle hurla de douleur ; les dieux avaient dénoncé son mensonge ! Suculos prit un poignard et trancha la main scélérate qu'il enveloppa dans une peau de vache pour la jeter à la rivière voisine.


Bellissama, ainsi privé d'une main, goûtait désormais un peu moins aux charmes des tendresses partagées. Pourtant, elle retourna, après le temps nécessaire à la cicatrisation, auprès de son Esus. Le plaisir était pour elle supérieur au risque ; il n'était pas question pour elle de passer la main. C'est son amant qui, cette fois, craignant pour sa vie, franchit le Rubicon.


Le poignard avait mutilé celle qu'il chérissait, c'est par lui que Suculos expierait et leur laisserait place nette. Le meurtre était la seule issue en un temps où le divorce n'était pas toléré. Le crime passionnel a toujours obtenu la mansuétude des juges. L'enjeu en valait la chandelle. Esus fourbit son arme, il allait planter son braquemart dans le dos du pauvre cocu.


Une nuit, le futur criminel s'introduisit dans le domicile conjugal. Bellissama était prévenue, elle se leva pour ne pas être présente lors de ce terrible forfait. Suculos dormait, Esus s'avançait l'arme au poing. Il avait décidé d'égorger le gêneur pour masquer en crime rituel son geste. C'est juste au moment où il allait porter le coup fatal que, dans son sommeil, Suculos s'agita, alerté par un cauchemar prémonitoire.



La lame manqua sa cible mais se ficha quand même dans le dos de la victime qui hurla de douleur sous cette odieuse traîtrise. Le sang coulait à flot ; les deux amants, effrayés, s'échappèrent bien vite, désertant le lieu du drame et laissant le malheureux Suculos agonisant sur sa couche. Ils fuirent précipitamment la région ; ceux qui les virent passer se demandaient pourquoi ils avaient ainsi la courante !

 

Ils ne pensaient pas si bien dire. Les remords tortillaient l'ignominieux Esus. Ses entailles étaient en feu; se précipitant dans des latrines, il les y vida tant et si bien qu'il déféqua tripes et boyaux, laissant échapper aussi sa vie. C'est ainsi qu'il expira dans la plus honteuse des postures et que ses malheurs édifièrent longtemps les hommes de cette époque. Il fut jeté dans la fosse commune tandis que Suculos, martyr, devint un dieu et fut honoré très longtemps.


Quant à dame Bellisssama, elle resta fidèle à son Esus dans les effroyables tourments qui lui furent accordés par la colère des dieux. Elle qui avait parjuré, fut privée de la parole et hérita en contrepartie d'une expression que nul ne supporterait. Désormais la pauvre femme lâchait des pets tonitruants. Elle disparut sous les moqueries de ses contemporains, cherchant à s'isoler dans le secret des berges. Plus personne ne revit la dame aux flatulences célestes.


Depuis ce jour, il se dit que lorsque les dieux se mettent en colère, que Zeus illumine la terre de ses éclairs, Bellissama n'est jamais très loin pour accompagner la zébrure du ciel d'un grondement intime. Le Tonnerre était né : signal bruyant pour rappeler à tous qu'il ne fait pas bon trahir. Il punissait sans doute les deux amants qui avaient fauté en empruntant une voie qui se dit contre-nature pour éviter l'enfantement. L'affaire avait fait grand bruit mais la légende ne plut guère aux pères de l'Eglise qui la passèrent sous silence.


 

 


 

Un écureuil s'éprit d'une taupe

  Amours énantiotropes Un écureuil s'éprit d'une taupe Comble d'un amour énantiotrope Lui perché sur son gra...