samedi 30 octobre 2021

La fin des temps …

 

L’heure endettée





Dans la nuit de samedi à dimanche, sur le coup de deux heures, ma sonnette résonna dans le silence d’une ville anesthésiée. Que se passait-il donc de si grave pour que quelqu’un enfreigne les règles du confinement ? Malgré la crainte et le danger, j’allai ouvrir à ce mystérieux visiteur…


C’était un huissier de justice, débordé par le labeur, qui ne respectait nullement les horaires officiels pour sa charge. Il me présenta un papier bleu : « Je viens saisir toutes vos horloges, pendules et montres, tous les objets qui s’imaginent vous imposer leur rythme ! » déclara-t-il, péremptoire. J’avoue que je tombais des nues. Je n’avais jamais connu les affres des difficultés financières majeures.


« Mais je suis en règle mon ami. Je ne dois rien à personne, du moins en terme financier ! » L’autre de rire et de me répondre : « Mais ce n’est pas vous qui êtes sur la sellette. C’est l’heure qui est endettée à partir de cette minute même ! » Je fus contraint de le laisser remplir sa sinistre mission. Je sentais ma dernière heure arrivée quand l’autre, dans le feu de l’action déclara « Faites-vite, nous n’avons pas une minute à perdre ! ». Au lieu de me rassurer sa remarque aggrava mon angoisse.


Elle arriva à son comble quand l’individu, d’un geste violent, brisa les trotteuses. « Mais pourquoi agissez-vous de la sorte, ça n’a pas de sens ! » L’huissier me fixa d’un air méprisant : « Il y a toujours un sens à ce que je fais, c’est d’ailleurs le sens chronologique et même celui de l’Histoire. Mon pauvre ami, vous ne comprenez décidément rien. En cette période de confinement, les trotteuses sont un danger potentiel qu’il convient de réduire au silence ! »


J’étais totalement sidéré. Le temps lui aussi était mis aux arrêts, contraint de se figer, d’arrêter sa course pour un petit grain de sable venu bloquer les rouages que l’on croyait bien huilés d’une société devenue folle. J’osai pourtant une remarque : «  La trotteuse dispose elle aussi de la possibilité de courir dans un rayon de 1 km ! »


Que n’avais-je pas dit là ? Le visiteur du petit matin me fixa : « C’est précisément ce mariage contre nature qui a enclenché le terrible processus que nous subissons aujourd’hui ! » Que pouvais-je comprendre à ce message énigmatique. Il se rendit compte qu’il n’avait pas affaire à un esprit éclairé.


Il s’expliqua : « Il est venu le jugement dernier, celui où nous devons rendre des comptes. L’union du temps et des distances a engendré un enfant terrible, un monstre qui a englouti la planète dans son délire ! » J’avais besoin d’une explication supplémentaire, ne percevant pas la portée de son message apocalyptique.


Il reprit pour me mettre enfin les pendules à l’heure : «  La VITESSE mon ami, c’est la vitesse qui nous a plongés dans ce gouffre. Elle a aboli les distances, elle a rendu fous les individus qui ne prennent plus le temps de vivre. Ma traque est impérieuse, c’est la seule susceptible d’inverser le cours des choses ! »


J’étais éberlué. Cet homme avait raison. L’heure avait abusé du crédit que lui accordait de manière démesurée la vitesse. Il convenait de payer l’ardoise, de retrouver la raison et le temps de vivre. L’Ankou usait désormais du TGV, de l’avion et d’autres véhicules motorisés pour faucher son lot quotidien d’humains. La mort a accéléré le pas, le temps est devenu son complice, le Charon a accéléré le mouvement


Puissions-nous tous retrouver la raison et nous recentrer sur le rythme naturel. Cette heure endettée qui s’émancipait abusivement du cycle solaire était l’incarnation du diable. Il est temps de prendre le temps, pas celui qui court à notre perte, mais celui qui prend le temps de vivre au rythme universel.


Solairement vôtre.


 Le temps de remettre les pendules à l'heure

Une pause s'impose


Rendez-vous le dimanche 7 novembre




vendredi 29 octobre 2021

La banque des rêves …

 

La banque des rêves …





Il sera un temps prochain où nos dirigeants, au plus profond de leurs délires de puissance souhaiteront que les enfants tout comme les adultes soient privés de rêves. Pour réaliser ce grand dessein, ils créeront les conditions de cette ambition ultime afin de manipuler tout à leur aise, ce troupeau bêlant qu'ils entendent mener au fouet et par le truchement de la grande manipulation des esprits. Tout débuta la volonté d'une femme, maire de Poitiers, qui entendait de briser le rêve d'Icare, brûler les ailes de toute la jeunesse. Acceptez de vous projeter dans les temps futurs à moins qu'ils ne soient déjà en place, afin que je puisse vous narrer le déroulement de cette effroyable histoire.


Les humains d’alors s’étaient à ce point connectés avec tout un environnement virtuel, numérique, qu’ils en avaient perdu petit à petit la capacité de peupler leurs nuits de songes, de cauchemars ou de jolis moments oniriques de leur propre conception. Leurs cerveaux, totalement habités désormais par des puces, des capteurs, des écrans cérébraux, avaient perdu de vue la nécessité de forger eux-mêmes des images, de nourrir l’imaginaire de fictions concoctées dans le plus secret de leur conscience ou dans les allées obscures d’un inconscient sans tabou.


Oh, bien sûr, les tenants de la psychanalyse continuaient de vendre l’idée de la survie de l’inconscient pour poursuivre leur lucrative exploration. Personne ne pouvant certifier la véracité de leur théorie, les gains étaient aussi substantiels que les certitudes étaient réduites à presque rien. Le divan continuait d’accoucher de jolis parleurs et de futurs grands créateurs. Ceux-là faisaient des rêves sans doute, de gloire et de fortune mais, eux aussi, avaient abandonné l’activité cérébrale nocturne et incontrôlée en état de sommeil.


Le rêve, le vrai, celui dont on a perdu l’essentiel à son réveil mais qui peuple la nuit de douces sensations, d’inquiétantes angoisses, de miraculeuses réminiscences, était donc passé de l’autre côté de la fiction, avait franchi le miroir à la poursuite du lapin d'Alice. Il habitait encore les livres ; Le Petit Prince en tête de liste, les films d'animation et les autres, les récits d’antan et les mythes de jadis mais plus personne ne disposait désormais de cette merveilleuse liberté de la pensée vagabonde incontrôlée. Penser d'ailleurs par soi même relevait du délit d'opinion.



La fiction n’était plus que du seul ressort des puces, des connexions, des capteurs, des microprocesseurs ou que sais-je encore. Je ne suis pas assez spécialiste en ce domaine pour vous expliquer les processus techniques qui furent mis en jeu pour abolir l'immémoriale faculté de rêver. Ce qui est certain c’est que les hommes avaient perdu cette fonction, cette fabuleuse aptitude, tout comme ils s’étaient laissé déposséder presque simultanément de l’écriture manuelle, de la lecture, de la solitude et de l’ennui.


Ces compétences ancestrales, ces comportements ataviques étaient rapidement devenus dangereux, subversifs, délictueux tout autant que contre-productifs avant qu’un pouvoir absolu ne se charge, non plus seulement de les interdire mais de les rendre parfaitement archaïques, obsolètes, désuets et inutiles. Les écrans miniatures les avaient supplantés, gouvernant dorénavant l’imaginaire et les loisirs. La lecture, uniquement oralisée grâce à des logiciels, devint ainsi parfaitement contrôlable et l’écriture s’était progressivement dissoute par le truchement des enregistreurs vocaux.


On ne rêvait plus et bien vite, des symptômes alarmants accompagnèrent ce que les maîtres de ce monde avaient considéré être un progrès décisif pour l’humanité transgénique. Des insomnies, des crises d’angoisse, des suicides en nombre considérable touchèrent la population. L’idée germa alors qu’il fallait mettre en place un ersatz de ce qui avait disparu à jamais ; des rêves, certes, mais parfaitement contrôlés, estampillés, vérifiés et validés par le pouvoir mondial en place.


La banque des rêves vit le jour. Le catalogue prit bien vite de l’importance. Il y avait une infinité de rubriques, une immensité de possibles. Le rêve artificiel relevait à la fois du cinéma d’aventures, du parcours initiatique, des grands contes d’autrefois mais tout cela, passé au crible, au prisme d’une censure sévère qui expurgeait tout ce qui pouvait effrayer, interroger, inquiéter ou donner à penser.



Des sociétés se spécialisèrent dans la construction de ces rêves artificiels. Nulle substance psychotrope pour cela mais un formidable savoir-faire issu des studios de dessins animés, des animations des parcs d’attraction et des concepteurs de télé-réalité. Le rêve était inodore, incolore, inoffensif et asexué. Il assurait un sommeil sans accident, sans dérapage, sans agitation, sans fantasme.


Ce fut la première étape de la grande métamorphose. Le pas suivant pouvait être aisément franchi. La maîtrise absolue des rêves, la dissolution de l’imaginaire permirent d’agir plus profondément sur les cerveaux. La lobotomisation de toute la population pouvait poursuivre le chemin défriché par la crise du Covid. Elle se fit si rapidement qu’elle échappa à ses concepteurs qui tombèrent aux aussi dans cet effroyable piège.

 

Les humains allaient devenir des robots pour un monde sans querelles, sans amour, sans rébellions, sans plaisir. Les machines avaient totalement pris le contrôle et , par là-même, le pouvoir. Personne n’avait fomenté cette ultime révolution ; homo sapiens n’était plus, homo roboticus avait pris sa place. Tout cela s’était passé en douceur, insidieusement, tranquillement.


Les ordinateurs gouvernèrent quelque temps. N’ayant aucune conscience planétaire, ces belles machines ne purent s'adapter au dérèglement climatique. La surchauffe leur fut fatale. En très peu de temps, toutes furent mises hors d’état de fonctionner. Les robots se trouvèrent totalement démunis en l'absence de toute consigne et perdirent vite la raison. La planète se mourait mais, au moins, avait-elle eu la satisfaction de voir disparaître avant elle la cause de tous ses maux.



Apocalyptiquement vôtre.

jeudi 28 octobre 2021

À table !

 

Se mettre à table

 

 








La diablesse était sauvage

Il a fallu la dresser

La chose ne fut pas aisée

Tant elle faisait des ravages



Ses quatre pieds en furie

Elle était déchaînée

Une rallonge pour la calmer

Nous recevions des amis



Nous étions à couteaux tirés

Et fort mal dans notre assiette

Nous aurions préféré la diète

Mais la toile déjà cirée



Les verres vinrent à pieds

Se proposant pour chacun

De recevoir eau ou vin

Tout droit venus d'un pichet



Le pain sortait du four

D'un artisan boulanger

La croûte dessus l'amie

Pour un mauvais calembour



Pour l'entrée il faut attendre

Que les gueules s'amusent

En taquinant la muse

Et tout pour surprendre



Car en buvant l'apéritif

Il convient de manger

Assis sur un canapé

C'est bien plus festif



C'est alors rassasiés

Qu'on se mettra à table

La chose n'est pas banale

Le convive est choyé



Pour le plat principal

On change les assiettes

Pour respecter l'étiquette

C'est bien plus cordial



On pense en avoir fini

Quand arrive les desserts

On retire les couverts

Quel embrouillamini



Il manque les cuillères ?

Même si elles sont petites

Elles ne sont pas fortuites

Pour le gâteau d'anniversaire



Le café en conclusion

Avec ou sans miel

Après tout le fiel

De la conversation



Et la petite goutte

Témoin du passé

Pour bien digérer

Et se remettre en route


Un moment fort aimable

En respectant le rituel

Pour un moment consensuel

Quand nous nous mettons à table



mercredi 27 octobre 2021

Je ne puis être qu’un voyeur

 

Voyeur






Je ne puis être qu’un voyeur

Qui reluque vos rondeurs

Sans mériter le bonheur

De conquérir votre cœur

 



Je regarde votre cul

qui chaloupe dans la rue

Magnifique aperçu

Que vous offrez à ma vue

J’en deviens si ému

Qu’un curieux trouble diffus

M’accapare, trop confus

À en avoir la berlue 

 



J’admire vos belles fesses

Bien plus douces qu’une promesse

Toutes en délicatesses

Elles se veulent enchanteresses

Mais me mettent en détresse

Moi qui réclame tendresse

Dans les bras d’une ogresse

Refusant mes caresses 

 



Je lorgne sur vos deux seins

Ces magnifiques écrins

Qui se tendent à mes mains

Dans des désirs de gredins

Vous repoussez ce dessein

Que vous jugez fort malsain

Vous rebroussez le chemin

Fuyant ce vil muscadin

 



Je vois s’enfuir ce beau corps

Le cœur rempli de remords

Je m’étais fait matamore

Pour obtenir votre Amor

Me voilà plus seul alors

Recherchant dans ce décor

L’étoile qui m’indique le nord

Pour vous retrouver encore 

 


 

mardi 26 octobre 2021

Au pays de Merlin

 

Au pays de Merlin






L'un vous contera des histoires

En vous invitant en chemin

À ouvrir cet ancien grimoire

Que lui a confié l'ami Merlin


Vous entrerez sur la pointe des pieds

Dans le joli pays de Morgane

Le royaume de la gentille fée

Qui se cache sous une peau d'âne

Quant au détour d'une clairière

Vous bicherez avec délicatesse

Sa jolie croupe muletière

Pour vous elle se fera princesse



L'autre chantera la Loire

En vous invitant en chemin

À rejoindre son perchoir

Afin de reprendre ses refrains


Un peu plus loin dans l'aventure

Vous truciderez le méchant dragon

Vous faisant passer pour le roi Arthur

Ou bien l'un de ses braves compagnons

Votre gloire n'aura qu'un temps

Car c'est au milieu des ténèbres

Que surgira le terrible Satan

Pour vous transformer en zèbre



L'un vous contera des histoires

En vous invitant en chemin

À ouvrir cet ancien grimoire

Que lui a confié l'ami Merlin


Comme tout ceci n'est qu'une fable

Qui se joue de votre imagination

Vous passerez bien vite à table

Et nous vous proposerons de jolies chansons

De ce voyage en douce rêverie

Vous reviendrez métamorphosés

Vous en oublierez alors vos ennuis

Pour le restant de cette belle soirée



L'autre chantera la Loire

En vous invitant en chemin

À rejoindre son perchoir

Afin de reprendre ses refrains


Tous les deux, rien que pour un soir

Durant ce délicieux festin

Enchanteront notre Loire

En compagnie d'autres marins

 



lundi 25 octobre 2021

Le pauvre cordonnier

 

Victor et Marguerite

 





Victor, le pauvre cordonnier

Ne trouvait pas chaussure à son pied

Toutes les jeunes filles du pays

Lui tournaient le dos avec mépris

Promettant des souliers tous neufs

D’un magnifique cuir de bœuf

À la belle qui voudra bien danser

Avec ce piètre cavalier


Tourne tourne brave cordonnier

Un jour, tu seras le plus comblé

Laisse ces demoiselles mal chaussées

Elles qui n’ont pas voulu t’inviter

 



Se présentaient devant le garçon

Dans l’offrande glissaient leurs petons

Puis la danse achevée, les diablesses

Le fuyaient à toute vitesse

Il renonça à ce stratagème

Car aucune ne lui dit « je t’aime »

Pour son malheur sera vieux gars

Sans la moindre fille dans ses bras


Tourne tourne brave cordonnier

Un jour, tu seras le plus comblé

Laisse ces demoiselles mal chaussées

Elles qui ne t’ont jamais regardé

 



Lors d’une nuit de festivité

À l’écart, il s’était retiré

Quand tout près du pauvre solitaire

Marguerite surgit de l’éther

Elle lui réclama quatre souliers

Lui promit son cœur en entier

Le cordonnier se mit à l’œuvre

Ne croyant pas à une manœuvre


Tourne tourne brave cordonnier

Un jour, tu seras le plus comblé

Laisse ces demoiselles mal chaussées

Elles qui n’ont pas voulu t’embrasser

 




L’homme au comble de l’émotion

La chaussa à la perfection

Marguerite resplendissante

Devint dans l’instant son amante

Le soleil pointa à l’horizon

Après que fut scellée leur union

Soudain blanche biche elle devint

Encore un vilain tour du destin


Tourne tourne brave cordonnier

Un jour, tu seras le plus comblé

Laisse ces demoiselles mal chaussées

Elles qui n’ont pas souhaité t’aimer




Le cordonnier tout a son bonheur

Disparut aux premières lueurs

Il suivit la biche sur la Loire

Pour poursuivre leur belle histoire

Toutes les nuits brûle sa flamme

Pour sa délicieuse dame

Le jour venu tous deux s’enfoncent

Au secret des épaisses ronces


Tourne, tourne brave cordonnier

La nuit, tu seras le plus comblé

De cet amour pour l’éternité

Avec ta blanche biche bien aimée



Photographies de 

Vincent Dresens


Le conte 

 


 Bon voyage ...




dimanche 24 octobre 2021

La baguette magique

 

La baguette magique





J’avais une baguette magique

Pour honorer des fées gourmandes

Avec le temps, c’est bien tragique

Elle ne répond plus sur commande



Les dames, pour de tendres voyages

Tout en délicatesse exquise

Se lovaient dans un doux sillage

À fondre toutes les banquises

Au secret d’un pays enchanté

La baguette faisait des miracles

La douce bergère transportée

Était effigie au pinacle


C’est alors en tutoyant le ciel

Qu’elle perdait sa fleur délicate

Un voyage rien que pour toutes celles

Qui ne se montraient pas ingrates


La baguette a perdu son pouvoir

Elle se plie aux attentes de l’heure

Merlin doit rebrousser son chemin

Ses pouvoirs magiques sont un leurre


C’est la bergère qui de son côté

Dans ce monde qui ne tourne plus rond

Dispose d’une vertu inégalée

Faire d’un enchanteur un cochon


J’avais une baguette magique

Pour honorer des fées gourmandes

Avec le temps, c’est bien tragique

Elle se défile quand on la quémande


 

samedi 23 octobre 2021

Le colloque des sternes Pierregarin

 

Controverse sur la grève.







Une petite sterne « estorlet » dite pierregarin par les ornithologues et les amoureux des oiseaux, lassée de devoir subir les assauts conjugués des humains et de la rivière, entreprit de mener une grande transformation des pratiques de son espèce. C'était du moins son dessein, sa croisade et elle mérite que je vous narre cette folle aventure. Mais revenons tout d'abord à l'amer constat de cette belle petite mouette migratrice.


Grande voyageuse, l'hirondelle des mers passe l'hiver en Caroline du Sud, s'offrant ainsi un vol transcontinental pour venir vivre ses amours sur la plus belle rivière qui soit au monde. C'est du moins ce que pense notre petite Estelle : celle qui côtoie les étoiles. La belle et gracile mouette respectant la tradition de ses ancêtres, vient toujours nicher sur les grèves de Loire au merveilleux site de « Courpain » situé à l'est de Jargeau, paradis pour les oiseaux.


Depuis quelques années, elle a forte contrariété avec tous ces curieux individus, qui se prennent l'envie de descendre la rivière sur de frêles embarcations qu'ils nomment canoë, kayak ou bien paddle. Non contents de découvrir les secrets des rives et des flots, ces curieux éprouvent le besoin d'accoster pour se dégourdir les jambes, profiter d'une plage pour y manger, boire et marcher sans se soucier que c'est là que Estelle et ses copines pondent et couvent leurs œufs.


Les importuns ne se dégourdissent jamais les gambettes sans casser des œufs. Estelle en est fort courroucée et se promet d'en toucher deux mots à cette curieuse espèce qui mériterait bien qu'on lui vole dans les plumes. Mais hélas, ces maudits bipèdes n'entendent nullement respecter les différents hôtes de la planète.


Pire encore, car totalement et définitivement destructrice, la rivière se met soudain à gonfler pour noyer tous les œufs à la ronde. Depuis quelques années, Estelle a eu à déplorer ce phénomène hydraulique qui la prive de progéniture. Elle n'entend pas rester ainsi le bec dans l'eau sans réagir. Il y a certainement moyen de repousser les assauts conjugués de la montée des eaux et du passage des humains.


Estelle entreprend de mener une grande réflexion dans sa communauté. Toutes les opinions sont bonnes à examiner surtout quand elles viennent de la base. La sterne pierregarin est en dépit de ses longs voyages, très terre à terre. Malgré tout, il lui apparaît de plus en plus clairement la nécessité de prendre un peu de hauteur pour se préserver des uns et de l'autre. Mais comment faire ?


Des copieuses émirent l'idée de faire enfin un nid dans les arbres, de renoncer à passer l'été sur le sable d'autant plus que les plages de Loire ne sont plus surveillées depuis longtemps. Estelle s'élève contre cette idée saugrenue qui dénaturerait radicalement les traditions de l'espèce et supposerait de renoncer à la bienfaisante chaleur des grains de silice.


Le débat cependant fit rage entre les tenants de la modernité, futures bâtisseuses qui comptaient ainsi s'élever dans l'ordre naturel et les tenants de l'héritage des anciens. Estelle crut bon d'indiquer que certains humains, jamais avares de fantaisies absurdes, se sont mis en tête de passer leurs vacances perchés dans des arbres sur lesquels ils ont installés des nids équipés de tout le confort que réclament ces êtres douillets. Les arbres ne seraient que des refuges provisoires.


Ses réserves emportèrent la décision des indécis qui se rangèrent derrière elle. C'est sur le sable que passait leur salut. Il convenait de trouver parade à ce qui mettait en danger leur taux de natalité. La situation devenait préoccupante, le remplacement générationnel se faisant trop irrégulièrement, il mettait en danger le système de retraite des sternes. Il y avait urgence à trouver une solution pérenne.


Cette fois, des compagnes d'Estelle proposèrent de creuser la question, de chercher dans les profondeurs du réseau karstique des poches d'air pour couver en paix. Si sur le papier l'idée est séduisante, sa réalisation non seulement est fort complexe mais qui plus est, elle fait fi d'une donnée importante : la sterne est claustrophobe. Il n'est pas question pour elle de se muer en animal fouisseur.


Si la solution ne passait ni par le haut ni par le bas, il ne restait plus qu'à trouver une réponse au ras du sol. C'est Estelle qui réclama à prendre la parole après mûres réflexions. Une idée lui était venue en se souvenant d'avoir vu des enfants bâtir des châteaux de sable sur les belles plages de Loire. Voilà qui ferait obstacle aux pieds massacreurs et aux flots destructeurs.


Bien sûr des voix s'opposèrent à une suggestion pour beaucoup saugrenue et pour toutes les autres difficile à mettre en œuvre et exigeant des compétences nouvelles. Estelle proposa de demander une formation aux compagnons du tour de France, organisme dans lequel elle avait toute confiance. Sa force de conviction allait emporter la décision quand passa par là un représentant de l'état qui avait choisi de descendre la rivière sur un radeau de fortune.


L'homme, équipé malgré qu’il fût en congé, de tous les moyens de surveillance mis en place par son administration, avait espionné à distance ce colloque qui manifestement sentait le vent de la fronde. Il s'arrêta à côté de la grande assemblée délibérative et s'adressa à la cantonade à toute la communauté ailée.


« J'ai entendu vos propos, gentes sternes. Non seulement vous vous êtes regroupées ici en nombre dans le plus total mépris des règles sanitaires mais qui plus est, vous venez de tenir une réunion à caractère politique sans demande préalable à la préfecture. Je pourrais dans l'instant faire appel aux forces de l'ordre pour vous disperser. Dans ma grande mansuétude, je n'en ferai rien d'autant plus que la police a bien d'autres oiseaux à fouetter.


Le fond du problème mérite cependant que je vous apporte un éclairage légal sur ce que, naïvement, vous venez de décider. Grâce à notre République et à Dieu, nous ne sommes pas en pays d'anarchie. Il n'est pas possible de bâtir sans une étude préalable, une enquête d'utilité publique, une étude d'impact écologique, un permis de construire, un appel d'offres et bien d'autres mesures contraignantes certes mais ô combien nécessaires.


Vous ne pouvez faire ce que vous avez projeté. Il n'en est pas question d'autant plus que vous n'êtes que des oiseaux de passage, des individus dépourvus de papiers, totalement dans l’illégalité. Estimez-vous heureuses que je ne signe pas dans l'instant un arrêté d'expulsion. Sachez que dans ce beau pays de France, seul l'état peut s'exonérer des obligations et des contraintes légales. Si vous n'êtes pas contentes, évitez de choisir la France pour vos prochaines vacances ! »


Et l'important personnage s'en alla laissant les sternes dans la plus grande consternation. Elles se mirent toutes d'accord pour quitter au plus vite la place, décidément les humains d'ici-bas n'étaient pas guère fréquentables. Elles prirent leurs ailes à leur cou et tentèrent l'aventure de trouver une meilleure terre d'accueil.


Aux dernières nouvelles, les sternes tournent en rond au-dessus de la Planète. Il semble que partout sur Terre, les conditions se dégradent tandis que les humains se montrent de plus en plus un obstacle à toute autre forme de vie. La France n'étant nullement, malheureusement une exception en la matière …

 

Consternement leur

 


 


Consternement leur.

Albert, une tête d'étourneau !

  Albert Père siffleur renommé Albert, oiseau étourdi Quoique ainsi prénommé N'avait rien d'un colibri  À...