vendredi 30 juin 2023

Le feu sacré

 

Le feu sacré

 




De quelques mots, ils vous offrent des histoires

Sur un radeau, en partance pour la gloire

Péripéties, qui deviennent des légendes

Des inepties, qu’ils vous livrent sur commande


Dans leur tête, il y a des étoiles

Qu’ils s’entêtent, à glisser sur la toile

Fragments de rêves, accolés au réel

Récits sans trêve, des clochards éternels


Au fond de l’eau, ils installent un décor

Dans un chapeau, en surgit un trésor

Deux grains de sable, aux vertus angéliques

Traits détestables, d’une ville colérique


Taille de guêpe, Attila le barbare

Au bras un crêpe, ne fait plus de chambard

Le bon Aignan, en le piquant au vif

Pendant mille ans, en sera le calife


C’est la pucelle, innocente bergère

Qui sera celle, dans la même galère

Qui boutera, le coup sera fatal

Le vieux prélats, de son piédestal


La fin du siège, la cité délivrée

On brûle un cierge, la victoire célébrée

Du feu sacré, pour la pauvre sorcière

La fin navrée, de cette cavalière

Le défilé, sortez les oriflammes

Par vanité, des invités infâmes

Pour les anglois, on déroule le tapis

C’est pour Jeanne, les plus grands ennemis


Mélimélo, d’un récit qui déraille

Deux mégalos, qui sèment la pagaille

Seront brûlés, au milieu d’un grand feu

Autodafé, en deux mille vingt’ deux

•••

 

Le Jeudi 6 juillet 

Déambulation chantée et contée sur les quais

18 heures devant le bateau lavoir 

 

 

Le vendredi 21 juillet

La Loire poétique

La Paillote 19 H

 

Orléans sur Loire


 

 

jeudi 29 juin 2023

Le pied à l’encrier.

 

Ses premières cartouches.





Il était une fois un jeune élève qui ne pouvait aligner deux mots sans qu’il n’y ait au moins une faute. Désespoir de ses maîtres, ils savaient en ouvrant son cahier que le rouge allait envahir la page. Non seulement, ce diable leur faisait perdre leur temps mais qui plus est, sans grand espoir que cela fut utile un jour. L’école était pour lui une maison de redressement de tous les mots du dictionnaire.


Le garnement ne comptait plus les lignes qu’il copiait machinalement. Il avait cependant la dignité de celui qui n’est pas un cancre ordinaire. Il se refusait opiniâtrement à remplir ses lignes par colonnes successives, méthode que prônaient ses compagnons abonnés eux aussi au zéro de l'infamie orthographique. C’est phrase par phrase qu’il alignait sa pénitence, écrivant inlassablement que « Toujours prends toujours un S, en oubliant la remarque à la prochaine dictée venue.

 

Tout allait de mal en pis au pied de la lettre pour le malheureux qui par chance avait les chiffres qui lui permettaient de garder la tête hors de l’eau. Il ferait non pas un fort en thème mais un bon en algèbre, un comptable ou bien un géomètre, il n’y avait pas de quoi se désespérer pourvu qu’il ne tienne jamais un crayon pour aligner autre chose que des nombres. La vie est ainsi faite, la destinée se détermine entre les lignes.


Puis soudain tout bascula. Un maître d’école lui mit la main sur le rouleau encreur, première étape d’une révolution personnelle. L’imprimerie de l’école fut une révélation, non pas qu’il se contentât d’aligner des lettres de plomb dans les cases mais parce qu’il voulut participer au journal de classe. La rectitude des mots avait son importance, il consentit à faire de son mieux.


Il n’y parvint pas toujours et, avouons-le, bien plus souvent jamais mais qu’importe le virus de l’écriture était ancré en lui. Il fallait convaincre les lecteurs qu’une interprétation toute personnelle des règles n’influençait pas la pensée exprimée. Ce ne fut pas aisé. Les Ayatollahs de l’orthographe sont nombreux. Ils défendent un pré carré qui ignore tout de l'hypoténuse, ce plus court chemin pour rejoindre les opposés.


Longtemps, les oukases lui interdirent à nouveau le chemin de l’expression. Sa très grande faute était de faire des fautes. Malheur à qui écrit loin de la norme, il serait condamné au silence. Il rongea son frein, participa néanmoins à de nombreux journaux sortis des machines à alcool qui diluaient les désaccords dans les bavures du stencil. Rien de bien sérieux du reste puisque ces écrits-là, finissaient toujours par allumer un feu.


Puis arriva une curieuse machine, un ordinateur sorti d’une pomme à moitié croquée. Il se dit que l’objet allait lui donner ce courage de coucher sur le papier les mots qui depuis si longtemps lui trottaient dans la tête. Le correcteur fit tant bien que mal son rôle, laissant cependant des énormités car il continuait d’avoir une conception très particulière de l’usage des mots et de la grammaire.


Repoussant les quolibets il franchit le pas, la cartouche lui mit définitivement le pied à l’encrier. Il prit le large, s’émancipa d’une marge qui ne contiendrait plus jamais d'annotation en rouge. Il écrirait n’en déplaise aux censeurs, dans les blogs, la belle blague, car c’était là un espace de liberté et de libéralité orthographique. C’est du moins ce qu’il croyait bien naïvement.


La faute demeure comme un nez au milieu de la figure. Elle fait pousser le bonnet d’âne même quand il s’arrache les cheveux pour les débusquer. Le correcteur est d’autant plus faillible que sa prose emprunte des chemins escarpés. Que faire ? Subir les railleries ou appeler à l’aide de bonnes âmes. Par chance, il trouva des vigies bienveillantes qui redressèrent sa plume par amitié et amour des mots bien ordonnés.


C’est ainsi qu’il prit son envol, usant de leur patience pour proposer aux lecteurs des textes qui tiennent la barre d’espace et les codes de la langue. Dans le secret de son labeur, il reste toujours aussi fautif ; la correction, même automatique avoue son incompétence devant ses fausses routes et ses immenses confusions. Il envoie le premier jet d’encre à des gardiennes du temple qui sans confession, l’absolvent de ses fautes. C’est donc la tête haute qu’il se présente à vous, donnant l’illusion de maîtriser une langue avec laquelle, éternellement, il aura maille à partie.


Est-ce pour autant qu’il est un imbécile, un sot, un ignare, un faiseur ou que sais-je encore ? Seuls ceux qui n’écrivent rien ne risquent pas de malmener la graphie, la grammaire et la syntaxe. Lui s’en moque, il pisse la copie, noircit la page, tire à la ligne ou ratiocine par écrit, c’est selon l’opinion de ceux qui prennent la peine de le lire. Il commet même des livres comme autant de bouteilles à l’encre, tout ça parce qu’un jour, il eut un instituteur adepte de la pédagogie Freinet.


À contre-pied.



mercredi 28 juin 2023

Au pied des vers

 

Au pied des vers





Mes pieds me réclament des comptes

Je me demande à quoi ça rime

Alors que pour ma grande honte

Mes vers sont en pleine déprime


Pour tous mes poèmes décomposés

La mesure est souvent bancale

Sans aucun billet à composter

Lors de cet exercice buccal

 



Quand mes doigts viennent à mon secours

C'est pour s'assurer d'un décompte

Que j'épelle en un ultime recours

Pour m'exonérer de la honte


Loin de maîtriser la métrique

Ni même la versification

J'use c'est ma foi fort pratique

De bien des approximations

 



Foin de la bataille des genres

Sans déverser dans le sexisme

Mes rimes seront unigenres

Par volonté de dimorphisme


Si la critique m'apostrophe

La pauvreté de l'assonance

Tout au long de mes pauvres strophes

Prouvera mon incompétence

 



Pour la licence poétique

La remarque est hors de propos

La métaphore c'n'est pas pratique

Manque bien trop souvent d'à-propos


Je m'y prends donc comme un pied

Comme un misérable échanson

Les quatrains sont estropiés

Par des sonnets à l'abandon

 



Au pied des vers sans contrefaçon

Faisant la joie des sottisiers

Mes fariboles de Mirliton

Resteront en travers du gosier


Adieu le versificateur

Sans rime ni la moindre oraison

Lui le misérable verre-siffleur

Délaisse le vers pour le canon ...

•••



mardi 27 juin 2023

La Loire est en furie !

 

La Loire est en furie !





Ami prend garde à toi, la Loire est en furie

Sauve tout ce qui peut l'être et n'oublie pas ta vie

Les peurs anciennes ressurgissent cette nuit

Dans sa colère folle la Loire sort de son lit

 



La Loire couleur de boue charriait des moutons d'écume

Le ciel , boueux comme elle, engluait la clarté

Le vent accourait de loin, par grandes risées

Et la pluie criblait de ses gouttes des trous d'éponge

Des remous se creusaient en spirales tourbillonnantes

La nappe des eaux tournait jusqu'à la rive lointaine.

C'était un bruit égal sans sursauts, sans accalmies.



*


Les habitants voyaient les eaux dévaler d'un seul bloc

Le fleuve glissait d'une effrayante vitesse

Ses eaux luisaient, sous le ciel blanchissant !

De rares bouchons d'écume les tachaient encore

Des branches emmêlées descendaient avec elles

Toutes ces choses passaient comme à travers un songe,

Entraînées dans le branle énorme du courant.

 



*


Ils ne voyaient plus rien que cette force allant son chemin,

Ce bélier qui fonçait sous l'étreinte des levées.

Les levées n'étaient plus que des barrières dérisoires

La Loire couvrait les champs d'une nappe loqueteuse

Elle glissait très vite autour des îlots émergés

Elle rongeait leurs bords avant de bientôt les dissoudre

Depuis longtemps, les rauches avaient disparu.




*


L'eau coulait à plein flot dans les grands bois d'amont.

La Loire avait monté encore, englouti les têtes des osiers

La lande avait toute disparu, cachée sous un linceul

Il ne pleuvait plus ; le vent était tombé soudain

La clameur de la Loire, maintenant, s'entendait seule

Non plus le bruit du flot poussant le flot, ni le choc du courant

Mais une clameur bestiale qui sortait d'une monstrueuse poitrine

 



*


Les eaux déployaient leur immensité blême

Des grandes épaves glissaient, ténébreuses,

Des troncs d'arbres vagues, des meules de paille

Des bêtes noyées aux formes molles et terribles.

Les hommes se penchaient au bord de la levée.

La Loire leur jetait au visage son interminable clameur,

Le monstrueux grondement de sa redoutable victoire.



 Maurice Genevoix


À la manière du maître




lundi 26 juin 2023

Trois bonnes poires ...

 

Un histoire qui vous en bouche un coing .





Un prince, un jour, décida d’aller dans la ville pour savoir ce qu’on disait de lui entre les murs de sa cité. Il se grima et entreprit ce périlleux voyage au pays des braves gens. Il se fit accompagner par le capitaine des dragons et le prévôt des marchands. Ces trois personnages importants étaient déguisés en modestes commerçants.


Ils pénétrèrent dans une petite rue sombre et borgne. Là, un pauvre pêcheur portait ses filets, un panier et marchait en se tenant à un bâton noueux. Le prince lui demanda comment allaient ses affaires et le brave homme répondit qu’elles allaient au plus mal. Il revenait de la rivière, bredouille, et n’avait plus rien pour nourrir les siens.


Le prince, ému par sa détresse, demanda au pêcheur de retourner à la Loire et d’y jeter une autre fois son épervier. Il lui achèterait cent écus ce qu’il ramènerait ce coup-là. Le pêcheur fut surpris de l’importance de la somme proposée par ce curieux marchand mais accepta de jouer sa chance. La joyeuse troupe se dirigea vers le quai pour sonder la rivière. Cette fois, la prise semblait importante : ce fut un grand panier d’osier qui remonta à la surface. Le pêcheur sortit péniblement cette curieuse prise et repartit avec l’argent promis.


Le prince, impatient, voulut ouvrir le panier sur le champ. Quelle ne fut pas sa surprise d’y découvrir le corps d’une femme marquée de la flétrissure des prostituées. La pauvre avait figure tourmentée et marques violettes autour de la bouche. Le Prince se mit dans une grande colère contre le responsable des dragons. Ainsi, on pouvait impunément commettre crime dans sa cité en toute impunité !


Les trois hommes rentrèrent séance tenante au palais. Le Prince tonna, tança le pauvre dragon et lui fit moult reproches. La sécurité dans sa belle ville n’était pas assurée : on pouvait commettre crime odieux sans que la justice n’en sût rien. Le capitaine disposait de trois jours pour retrouver et châtier le coupable ou il allait sur le champ goûter aux geôles de la ville.


 


Le capitaine se savait perdu. Comment en effet retrouver en si peu de temps cet infâme criminel qui mettait sa carrière en danger ? Il convoqua les officiers de police et les gens d’armes pour leur mettre la pression et leur demander d’interroger tous les clients des tavernes borgnes et des maisons recevant dames de petite vertu.


Il y avait en cette époque lointaine bien des endroits où se faisait le commerce du corps. On prétend, à juste titre, que c’est le plus vieux métier du monde ; la Loire avec tous ces mariniers loin de chez eux favorisait cette étrange corporation. Bordeaux, bordels ne manquaient pas en la grande cité ligérienne. La traque s’avérait complexe et délicate. Voilà un monde franchement hostile à toute présence policière.


L’échéance fixée arriva et nulle avancée dans l’enquête ne put sauver l’honneur du capitaine, pourtant apprécié dans toute la cité, reconnu pour sa probité et sa clémence, qualités rares dans la profession ! Le brave soldat savait qu’il allait subir les foudres du prince, perdre son grade et se retrouver derrière les barreaux. Ce qu’il ignorait c’est que le prince lui réservait humiliation publique en place des martyrs.


En place du Martroi, on dressa un carcan pour mettre au pilori cet homme si respectable. Le spectacle désola les honnêtes gens, même s’il se trouva quelques malandrins pour venir vomir des insultes et cracher sur le pauvre homme entravé par des fers. C’était vision insupportable pour bien des gens et c’est ainsi que, de la foule amassée, sortit un vieil homme, le dos voûté et la mine grave.


L’homme alors prit la parole devant le prince qui jouissait de la scène. « Seigneur, vous commettez là erreur fatale et grave injustice. Le capitaine est innocent et ne mérite pas pareil châtiment. C’est un brave et honnête soldat qui a toujours servi la cause de la justice. Ce crime pour lequel il se trouve ainsi dégradé, c’est moi qui l’ai commis … »


La dignité du vieil homme, son courage, tout autant que son calme firent grand effet sur la foule et sur le prince. Celui-ci voulut connaître les raisons de ce forfait. L’homme n’était pas de ceux qui agissent sans raison ; il impressionnait par sa sagesse. Le vieux voulut prendre la parole dans un silence de cathédrale. La foule sur la place désirait, elle aussi, apprendre les raisons du crime. C’est alors qu’un jeune homme s’avança à son tour pour s’accuser, lui aussi, du meurtre.



Ce fut le plus jeune qui intervint pour expliquer que ce n’était que lui et personne d’autre qui avait commis cette abjection. Le vieillard lui coupa la parole : « Mon fils, ne cherche pas à me dispenser de ma punition. C’est moi qui ai tué ta pauvre mère, ton sacrifice est inutile, je mérite ma peine.


Ce jeu de dupes finit par exaspérer le prince. Il lui fallait démêler le vrai du faux et rien n’était simple sur cette place publique. Le capitaine des dragons fut libéré et le prince le chargea de l’enquête. Les deux hommes furent conduits dans le beffroi afin de tirer les choses au clair. La foule rentra, déçue sans doute de ne pas avoir eu sa part de vérité.


C’est le père qui donna la version la plus convaincante. Je vais vous la servir ici, pensant que c’est de lui que vient la vérité. Si vous penchez pour l’autre solution, je vous laisse le soin de chercher dans les archives de la ville, je ne compte pas être exhaustif en ce lieu ; je m’attache simplement au plaisir du récit.


« Ma pauvre femme porte la flétrissure de la prostitution car elle a dû dans sa jeunesse recourir à ce commerce pour nourrir ses frères et ses sœurs. Quand je l’épousai, elle reprit une vie ordinaire, fut bonne épouse et formidable mère. Vous avez pu voir mon fils s’accuser de mon crime par amour de nous. Hélas, la pauvre tomba malade et souffrait épouvantablement. Ses plaintes me rendaient fou.


Un jour qu’elle était au plus mal, elle me réclama trois poires. Voilà une curieuse demande, d’autant plus que la saison de ce fruit n’était pas arrivée. Mais vous devez comprendre que pour une mourante, on est prêt à soulever des montagnes afin de satisfaire ses dernières volontés. J’allai sur le marché pour savoir si, par miracle, il serait possible de trouver des poires plus précoces que partout ailleurs.

 

C’est ainsi qu’on m’indiqua un arboriculteur de Semoy qui avait bien des secrets et un savoir-faire qui lui permettaient de ramasser, avant tout le monde, ce fruit si juteux. Je m’empressai de me rendre auprès de ce paysan mystérieux. Je le découvris dans un champ de cognassiers, il pratiquait une greffe à chaque pied.


L’homme continua son travail : cette pratique , m'expliqua-t-il, lui permettait de récolter ses poires plus précocement que ses voisins. Il greffait des cognassiers sauvages pour obtenir des poiriers vigoureux et précoces. Ce n’était ni un mystère ni un secret, simplement, ses voisins voyaient d’un mauvais œil une technique qui n’était pas traditionnelle. Il avait mauvaise réputation et était jalousé du seul fait de leur sottise. 


 


Je me précipitai auprès de ma pauvre épouse pour lui offrir ce qu’elle désirait tant l’instant d’avant. Mais ainsi sont les caprices que provoquent la souffrance : ma pauvre vieille n’avait plus d’appétit et j’avais fait ce chemin pour rien. Je laissai les poires à son chevet et j’allai dans ma boutique ; ma femme dormait alors d’un sommeil apaisé.


Quand je revins, je découvris avec l'horreur qu'on imagine, le corps sans vie de ma pauvre vieille. Je présume qu'elle s'était quelque peu réveillée et, qu'à moitié inconsciente, avait engouffré d’un coup les trois poires dans sa bouche, s'étouffant sur-le-champ. Je me sentais responsable de sa mort et je ne voulais pas qu’il en fût ainsi. Je décidai de maquiller cette mort absurde en un crime odieux. Je glissai ma pauvre épouse dans un panier que je jetai à la Loire. Voilà vous savez tout. »


Le capitaine eut pitié du pauvre homme ; ses larmes l’avaient convaincu. Il fit venir un apothicaire pour examiner le cadavre et, fort de ce qui lui avait été dit, l’homme de science confirma l’hypothèse d’une mort par étouffement alimentaire. Il fallut expliquer le fin mot de l’histoire au prince, le prévôt des marchands étant présent dans le palais.


Le Prince rit de la bêtise du vieil homme et éprouva plus de commisération que de colère. Il décréta la libération du père et de son fils ; ils avaient bien assez de chagrin pour en rajouter encore. Quant au prévôt des marchands, il vit dans l’histoire des poiriers greffés une belle occasion d’enrichissement. La récolte du paysan astucieux fut achetée et embarquée immédiatement pour être portée à la Capitale par le canal.


Avec quelques quinze jours d’avance sur les autres producteurs, le prix de vente fut à la hauteur des espérances du prévôt. L’affaire fut juteuse comme le sont toujours les bonnes poires de Semoy. Depuis, le secret de la greffe a dépassé le petit village de Semoy et la poire d’Olivet lui a volé la vedette. C’est sans doute en abusant quelque peu de ce délicieux breuvage que votre serviteur a inventé cette histoire, issue d’une nuit blanche, veuillez l’en excuser.


À contre-temps


 

dimanche 25 juin 2023

L'herbier du tendre …

 

Le petit fleuriste de l'amour.





Il advint qu'un jour, alors que je chinais dans une brocante, un petit herbier attira ma curiosité. Il était fort différent de ceux que l'on peut trouver en pareille occasion, non pas que les fleurs fussent exceptionnelles, elles étaient tout au contraire d'une grande banalité, toutes fréquentes dans notre région et faciles à trouver.


Non, ce qui distinguait le présent ouvrage était les annotations qui figuraient sur la page faisant face à la fleur séchée. L'herboriste y avait glissé des commentaires qui semblaient n'avoir aucun rapport avec la flore à moins qu'il n’évoquât alors une tout autre plante, belle de surcroit à en croire cet amateur éclairé.


Chaque texte était précédé d'un titre : un nom de fleur là encore même si celle-ci n'avait aucun rapport avec celle qui reposait sur la page de gauche. L'énigme me poussa à en faire l'acquisition pour élucider ce qui me paraissait être un mystère insondable. C'est donc, à tête reposée, que je me mis en quête d'élucider cette énigme florale.


À force de me plonger dans l'herbier, je finis par me demander si la description n'était qu'un prétexte pour évoquer une fleur, perdue malencontreusement, lors d'une rencontre plus charnelle que végétale. Le séducteur était un Don Juan à la main verte et à la langue fleurie. Il jetait son dévolu sur une demoiselle pourvu qu'elle portât un prénom de fleurs. La destinée l'avait fait naître en une époque durant laquelle cette pratique était monnaie courante.


Ainsi Rose, Capucine, Jacinthe, Marguerite, Pâquerette, Églantine, Anémone, Camélia, Pétunia, Violette, Mélissa, Lilas, Angélique, Marjolaine, Daphné et Pivoine eurent les honneurs de notre jardinier à la pratique assez curieuse. Non seulement il se mettait en chasse pour cueillir la fleur de la dame mais il poussait le vice à la comparer à une autre plante tant par ses réactions, son comportement que ses particularités secrètes.


Le jardinier poussait l'indélicatesse à recueillir un petit duvet intime qui venait compléter son herbier, en guise de trophée sans doute ou de preuve qu'il entendait démontrer à d'autres goujats de son espèce. Le commentaire quant à lui manquait singulièrement d'aménité. Les comparaisons florales fleuraient la misogynie la plus indélicate. Examinant plus attentivement l'herbier, je finis par découvrir, dans le contre plat arrière de la reliure, un texte confirmant mes premières supputations tout en évoquant plus précisément ce triste personnage et sa déplorable collection.


Je vous la livre telle quelle, espérant ne pas heurter les âmes sensibles. La fin de l'histoire apportera je l'espère du baume au cœur de toutes celles qui ressentiront un malaise à la lecture de ce document authentique.


Il s'appelait Florent, avait l'art consommé de dire des mots d'amour, de caresser les jouvencelles au prénom floral par des bouquets de phrases, des compliments aimables et troublants. Il n'avait qu'un désir, une ambition secrète et quelque peu déplacée : il voulait être le premier, celui qui prenait leur fleur ; un souvenir qui resterait à jamais dans l'esprit de celles qu'il ne reverrait plus.


Ami de la Grenouille, ce parfumeur légendaire, séducteur et meurtrier qui avait défrayé la chronique. Florent était fleuriste et poussait l'amour des fleurs au-delà du raisonnable. S'il avait la même passion pour la chair fraîche, pour les tendres et belles demoiselles, il se contentait de les défleurer puis de les abandonner à leur triste sort. Il les aimait intactes, sans la moindre flétrissure. Il les séduisait, n'usait jamais de ruse ni de violence vis-à-vis de celles qui allaient finir par succomber pour devenir une nouvelle conquête et disparaître, la chose faite, de son existence.


Car tel était le travers du garçon : sa quête satisfaite, il se désintéressait de la pauvrette. Il était chasseur, il faisait la cour pour alimenter sa collection ; son petit herbier du tendre ! Il se faisait prédateur bienveillant, collectionneur fétichiste, fleuriste symbolique puis s’en allait alors sur la pointe des pieds, à la belle, alanguie et devenue femme, il laissait, en échange de son forfait, une fleur pour remplacer celle qu'il lui avait dérobée et conservait d'elle quelques poils pubiens dans son herbier intime.


Florent se prenait pour un poète ; il avait son propre langage fleuri. Chaque jeune fille héritait d'une plante en rapport avec la manière dont s'était déroulé le défleurement. Ne riez pas : nulle intention mesquine dans ce geste. Simplement l'envie de transmettre un message, de résumer par ce cadeau odorant, le souvenir d'une longue traque, d'une patiente approche.


Les péronnelles n'avaient pas à regretter leur faiblesse. Elles avaient eu un amant attentionné, un preux chevalier qui leur octroyait mille et une caresses dont il avait un savoir-faire consommé. Il les respectait, les rassurait, les entourait de tendresse et de douceur. Mais jamais il ne revenait : c'était un amour sans retour, un départ pour toujours.


Florent se souvenait de chacune d'elles avec quelques notes glissées sur son curieux carnet, son trophée et le nom d'une fleur laissée sur la table de chevet de la belle endormie. C'est cet herbier mystérieux qui m'est tombé dans les mains ; je n'avais pas compris le sens de ces messages énigmatiques, de ces notes parfois un peu osées et de ces filaments étranges et multicolores. Puis, au fil de ma lecture, je compris que j'étais devant les mémoires d'un Don Juan herboriste, d'un poète de l'hymen.


Florent évoqua d'abord cette tigresse qui lui avait laissé de belles traces sur le dos. La pâmoison de la diablesse s'était accompagnée de quelques coups de griffes dont il garda longtemps les stigmates. Il partit en lui offrant une rose, rouge naturellement, car le sang avait perlé sur son dos. Puis il y eut cette jeune fille naïve qui n'avait guère résisté. Son siège avait été si rapide ; elle s'était donnée en toute confiance, trop crédule sans doute pour imaginer qu'elle serait abandonnée, une fois sa fleur perdue. Il lui offrit une petite fleur bleue avec un sourire ému.


Il y eut encore cette femme qui inonda sa couche. Florent découvrit, lui aussi, qu’il existait des réactions exubérantes dans la nature féminine. Il s'abreuva à cette merveilleuse fontaine, se délecta de ses marques humides d'affection et de plaisir. Il lui laissa une fleur de nénuphar ; on sentait dans ses notes intimes un plaisir non dissimulé ; Florent avait aimé cette maîtresse.


Dois-je vous l'écrire ? Il eut pour celle-ci un message quelque peu douteux. Jamais il n'avait vu encore un petit écrin des plaisirs féminins aussi sensible, aussi érectile. Il lui offrit des frissons sans équivalent, des abandons puissants et des tremblements incroyables. Il était maître des délices ; il se délecta de ces plaisirs merveilleux. Il lui octroya une orchidée.


Il y eut encore cette demoiselle qui connut, phénomène rare pour une première expérience, ce que les spécialistes appellent la petite mort. Florent manqua certainement de délicatesse et déposa sur sa couche un chrysanthème. Il fut encore quelque peu goujat avec celle-ci dont il avait trouvé les humeurs rétives, le propos acerbe. Elle récolta un chardon qui était peu aimable.


Je vous laisse deviner à votre tour ce que furent les amours de celle qui repartit avec un coquelicot ou bien de cette autre qui hérita d'une pensée. Il y eut encore cette charmante demoiselle qui reçut des lys : elle avait le port d'une reine. À l'opposé, cette pauvrette eut droit à des gueules de loup, nous ne saurons jamais pourquoi. Enfin, il y eut cette beauté sublime, une Bretonne impétueuse comme les côtes de son pays à qui il donna une fleur d'ajonc tandis qu'une fille de Loire, une jeune bergère, reçut une fleur de vinaigre.


Florent aurait pu continuer ainsi très longtemps. Le langage des fleurs est si étendu, son imagination si riche. Cependant, le fleuriste reconnut un jour sa défaite : il avait trouvé sa princesse, sa prêtresse de l'amour. Il la couvrit d'un bouquet énorme, odorant et multicolore. Il désirait lui signifier ainsi son désir de la revoir. Elle l'avait conquis, il la voulait pour femme …


La belle vengea sans doute toutes celles qui l'avaient précédée. Elle tressa une couronne de toutes les fleurs qu'elle avait reçues en cadeau, broda sur une belle étoffe le prénom de Florent et laissa sur sa couche ce message sans équivoque. Florent ne s'en remit jamais : il renonça à l'amour et se fit moine. C'est à lui que l'on doit la liqueur Chartreuse. Son amour des fleurs avait trouvé un exutoire ! Nous étions en 1604 non loin du jardin du Luxembourg que fréquentent aujourd'hui encore, les amoureux de la Capitale.


La fin me laissa pantois. Avais-je à faire à un canular, une sinistre farce de potache. Je ne sais qu'en penser et vous laisse juge.


Floralement vôtre.

samedi 24 juin 2023

Ma guitare au fil de l'eau

 

La guitare au fil de l'eau.






J'ai posé ma guitare sur le fil de l'eau

J'ai en fait une gabare qui emporte les mots.


Sur la Loire je suis parti en couplets et refrains

De Gien jusqu'à Sully a commencé mon chemin.


À l'abbaye de Fleury, Grand vaisseau sur la plaine

On m'a soufflé une mélodie pour en faire cette rengaine


J'ai posé ma guitare sur le fil de l'eau

J'ai en fait une gabare qui emporte les mots.


Chateauneuf était en fête, pour danser sur son quai

C'est au bord d'un guinguette, que je me devins marinier


À Jargeau en patouille, Sous le pont ça secoue

Faut pas faire l'andouille, pour rester avec nous


J'ai posé ma guitare sur le fil de l'eau

J'ai en fait une gabare qui emporte les mots.


J'me cassais la binette, en arrivant à Bou

Je poussais la chansonnette, avant de remettre les bouts


Orléans m'attendait, en son grand festival

Et pour vous j'y chantais, ce modeste madrigal


J'ai posé ma guitare sur le fil de l'eau

J'ai en fait une gabare qui emporte les mots.


Sur les quais mon bateau reçu tant de visiteurs

Qu'il me fit le cadeau de devenir chanteur !


M'voila marinier avec un joli chapeau

Pour bicher les belles dames du haut mon bateau



J'ai posé ma guitare sur le fil de l'eau

J'ai en fait une gabare qui emporte les mots.


J'ai navigué en gabarre sur le fil de l'eau

J'ai demandé à ma guitare d'enchanter tous ses mots.


 

vendredi 23 juin 2023

Marie-Claire, la belle fromagère.

 

Elle fait celle qui se met au vert







Il advint qu'une fermière se mit en tête de se faire appeler : « Exploitante agricole ! » Une drôle d'idée que lui avait soufflée ses chers chèvres, soucieuses de se voir affubler d'une dignité supplémentaire. Les mots savants plaisent à ces demoiselles si promptes à se moquer de la face de leur bouc, qu'elles en faisaient tourner leur lait.


Marie-Claire profita de la chose pour se lancer dans la production de délicieux fromages qui firent la joie des épicurien de l'endroit. C'est ainsi qu'elle compléta son cheptel 15 vaches qui se mirent elles aussi à l''ouvrage et au fourrage. Notre ami avait clairement l'intention de faire son beurre ainsi que quelques produits dérivés.


Le succès fut au rendez-vous au point d'ouvrir une boutique dans la ferme qui devient une exploitation aux multiples facettes. Les asperges pointèrent le bout de leur nez, Marie-Claire se prenant pour la marquise de Pompadour tandis qu'elles ramenaient ses fraises et ses myrtilles sur le devant de son étale.


Comme pour elle, il était question de faire son blé tout autant que son beurre, elle ne lésina pas sur la superficie, trillant sur plus de 50 hectares, le bon grain de l'ivraie. Craignant que des clients mal embouchés ne l'envoient sur les roses, elle songea à les envoyer sur les roses avant que de se persuader de associer avec une fleuriste.


Œuvrant ainsi une vingtaine d'années, elle se faisait appeler Pierrette par ceux qui la voyaient avec ses pots au lait. Mais comme il n'y a jamais de fumée sans feu, elle fit diversion en cultivant trois hectares de Tabac pour ne point mégoter. Le succès fit d'elle une formatrice qui portait la bonne parole auprès de stagiaires en formation BEPA.


Le ver ainsi s’immisça dans les fruits à moins que ce ne fut le virus de la transmission. Elle se reconverti, sans changer sa foi en la nature et ses bienfaits. Elle se fit monitrice de l'atelier Espaces verts, s'appuyant curieusement sur sa formation initiale de mécanicienne en confection pour se bâtir une doublure parfaite. Elle venait de changer de casquette sans vraiment perdre ses valeurs.


De fils en aiguilles à moins que ce ne fut de boutures en marcotages, elle fit son trou à la Maison d'Accueil Spécialisée mouillant sa chemise pour donner bonheur et compétences à des gens un peu fracassés par l'existence. Tant qu'à mettre les mains à la pâte, elle mouilla aussi le faubert pour compléter son emploi du temps et se faire ainsi, indispensable à la Devinière.


Elle se souvint que la Devinière fut également la maison natale de François Rabelais et se fit lectrice assidue de son petit cousin par la cuisse gauche, un Bonimenteur susceptible d'écrire n'importe quoi et notamment ce compliment de départ à la retraite. Qu'elle n'en soit pas surprise, elle mit tant de passion et de dévouement à son travail, qu'elle mérite bien qu'on lui tresse ici des éloges amplement mérités.


Il n'est d'ailleurs ici pas question de la faire devenir chèvre ni même de jouer de l'amour vache. Le temps est venue pour elle de cultiver ses jardins secrets, d'enfourcher sa bicyclette pour s'en aller flâner sur les rives de sa chère Sauldre. Elle y puisera l'inspiration pour d'autres aventures, toutes autant exaltantes.


Il n'est plus qu'à lui souhaiter bon vent et bonne route pour cette nouvelle étape d'une existence qui a démontré qu'elle n'avait jamais les deux pieds dans le même sabot, en bonne solognote qui se respecte.


À contre-faisselle.


 

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