dimanche 31 mai 2020

Notre terrain de jeu.


Le Pont de chemin de fer.


    Alors que depuis quelques années le pont ferroviaire de mon village d’en-France est fermé à la circulation, barré afin que nul, y compris à pied ne l’emprunte, des travaux vont être entrepris pour en faire une voie douce, ouverte aux cyclistes et aux piétons. J’apprends ainsi que celui qui fut jadis mon terrain de jeu est attaqué par la rouille. Si rien n’est fait, le brave ouvrage risque de tomber comme son voisin suspendu le fit, lui sous l’effet du gel, à plus ou moins brève échéance.

    Cette petite page d’actualité me ramène bien des années en arrière. Nous étions en culottes courtes, nous étions sans doute intrépides pour oser ce qui était formellement interdit. Chaque fois que nous le pouvions, nous nous rendions autour de 17 heures, il me semble, au rendez-vous du convoi de marchandises.

    Nous étions fébriles. Nous devions nous dissimuler au regard des adultes, passer sur le rebord de la première pile et nous glisser dans une petite cavité se situant sous les rails. Nous avions ainsi une vue imprenable sur le monstre d’acier qui allait surgir et dont on entendait déjà le sifflement au loin, pour annoncer son arrivée aux habitants de Saint Père-sur-Loire.

    C’était le signal pour nous du grand tremblement, de la belle vibration qui nous forçait à nous boucher les oreilles. Tout l’ouvrage se mettait à vaciller, un vrai cataclysme sismique, c’est du moins le film que nous nous faisions, explorateurs de l’impossible, aventuriers ou bien résistants préparant un attentat à l’explosif. L’époque était aux films de guerre, nous jouions presque pour de vrai l’épisode du déraillement.

    Pour joindre le réel au rêve, nous avions toujours dans la poche quelques pétards pour déclencher notre forfait au passage du convoi. Si je deviens sourd aujourd’hui, je n’ai pas besoin de chercher plus loin l’origine de cette récompense différée pour l’ensemble de notre œuvre. En fait, la Micheline et ses wagons faisaient un tel vacarme que je crois bien que personne ne s’aperçut jamais de ce que nous faisions réellement.

    La plateforme du pont était également le lieu de nos essais de lance-pierres, frondes et autres propulseurs. Nous avions devant nous un vaste espace dégagé qui ne demandait qu’à mesurer l’évolution de nos prouesses balistiques. À ce petit jeu, c’était toujours Jean-Michel, le fils du garagiste qui emportait la mise.

    Il nous fallait alors reprendre des forces. C’est de nouveau dans notre cachette que nous nous restaurions. Allez savoir pourquoi, en cet endroit uniquement, c’était les berlingots de lait concentré que nous dégustions avec délectation. C’était sans doute fort peu diététique mais nous étions de ces enfants qui ne faisaient que courir la campagne et les bords de Loire, l’obésité ne nous menaçait guère.

    Je ne sais si certains de mes camarades usèrent de la cachette pour quelques rendez-vous fripons. J’en doute tant la place n’était guère romantique alors qu’un petit bois nous tendait ses aiguilles et ses mousses en peu en aval de là. Le pont resta pour nous un lieu où seuls les garçons se retrouvaient.

    Les années ont passé, il reste à jamais ce souvenir qui je vous livre ici. Il eut son heure de gloire quand le 16 janvier 1985 les câbles du pont routier cédèrent. Après quelques aménagements, le pont ferroviaire servit de voie de secours à sens alterné. Bientôt ce seront des cyclistes qui le franchiront. Nuls pétards, furent-ils mouillés, ne viendront célébrer cette transformation radicale qui sonne le glas de tout espoir de voir revivre la gare de mon village. Le temps n’est plus à ce genre de chose sans doute en dépit des promesses de développement durable si loin du rail.

    Chemindeferrement vôtre.




Retrouvez ce texte ici
=>  https://www.thebookedition.com/fr/sully-mon-pays-d-en-france-p-374329.html


Le pont fait l'actualité


https://www.larep.fr/saint-pere-sur-loire-45600/loisirs/l-ancien-viaduc-ferroviaire-entre-sully-et-saint-pere-est-bien-ouvert-apres-un-petit-souci-technique_13794523/ 

Le Bonimenteur aussi

 


 



samedi 30 mai 2020

Confession d’un vénérable forban


Cap au large

 


Après une longue et mouvementée existence, me prend l’envie soudaine de vous raconter mon aventure. Ma vie fut faite de hauts et de bas, je me suis parfois retrouvé au creux de la vague, mais j’ai toujours su rebondir, repoussant les assauts de la mauvaise fortune. C’est pourquoi, il me vient ce désir alors que j’ai tout juste 134 ans. Loin de moi l’envie de vous mener en bateau, ce n’est pas mon genre, j’éprouve le besoin de me confier alors qu’il en est encore temps.

J’ai toujours aimé raconter des histoires, transporter mes amis avec âmes et bagages dans des contrées lointaines, leur laisser humer le vent du large tandis que je me gonfle d'orgueil et d’importance, toutes voiles dehors, même si avec l’âge j’ai dû enfin consentir aux exigences de la modération. Acceptez donc de vous embarquer dans ce récit autobiographique sans doute quelque peu immodeste ; c’est le prestige de l’âge vénérable qui est le mien d’embellir parfois le réel...
Tout a commencé pour moi, il y a fort longtemps comme mon âge l’atteste. Il faut avouer que dès ma naissance j’avais une santé de fer, c’est d’ailleurs ce qui me distingua de mes aînés et me permit de supporter les outrages du temps, les agressions des éléments et parfois l’indifférence et l’oubli de mes amis.

J’ai tout connu dans mon existence, le labeur, la gloire, le luxe et le dénuement. Une vie pleine en somme qui mérite d’être narrée, non pas parce que je sens venir le vent du boulet, cette éventualité a depuis longtemps cessé de me préoccuper mais bien pour apporter ma pierre aux jeunes générations. Je suis devenu immortel ou presque, une sorte d’académicien en habit vert portant tricorne et épée au flanc, dans une confusion temporelle qui n’est pas pour déplaire à ce forban que je persiste à rester.

Laissez-moi donc vous conter mon aventure. Larguez les amarres de la raison, osez me suivre dans ce long périple qui me conduit à m’adresser à vous, non pas au coin d’une cheminée, je n’y tiens guère, mais sur un quai de votre choix, la tête dans les étoiles et les pieds dans l’eau.

Mes parents me conçurent avec la ferme intention de m’offrir le meilleur. C’était le 10 juin, en 1896, un siècle d’avant le siècle qui précéda celui qui nous permet de nous retrouver ici. J’ai eu bien de la chance, né pour voyager, j’ai grandi avec une comptine qui restera à jamais dans ma mémoire.

Meunier, tu dors
Ton moulin, ton moulin va trop vite
Meunier, tu dors
Ton moulin, ton moulin va trop fort
Ton moulin, ton moulin va trop vite
Ton moulin, ton moulin va trop fort
Ton moulin, ton moulin va trop vite
Ton moulin, ton moulin va trop fort



Vous ne me croirez sans doute pas, c’est ainsi qu’écoutant mon géniteur, germa en moi l’amour du vent, l’envie de faire le tour du Monde et cette passion immodérée pour le chocolat. Je devine que le rapport ne vous saute pas aux yeux, je n’en suis pas surpris puisque certains d’entre vous sont natifs des bords de Loire et n’ont en tête que l’aventure d’un camarade qui naviguait sur un bateau à vapeur, le Fram, apportant des fèves de cacao à Blois, chez monsieur Poulain.

Moi, j’ai eu le bonheur fou d’aller les chercher par-delà le grand Océan, dans cette lointaine et exotique Amérique du Sud. Si les belles fèves firent ma fortune, je ne puis la qualifier de bonne ! J’en ai essuyé des coups de tabac, des tempêtes et même des éruptions volcaniques. Il est vrai que le chocolat a besoin d’être torréfié mais pourquoi diable me prit l’envie de jouer avec le feu ? Je ne peux vous l’expliquer. J’ai échappé au pire du reste grâce à mon esprit rebelle, à l’irrespect d’un règlement qui me sauva la vie.

Ce miracle me tourna la tête. Je me grisais de cette chance offerte par la destinée en me plongeant immodérément dans le rhum. Comme les vieux loups de mer dont j’appris à apprécier la compagnie, en dépit de leurs coups de gueule, de leurs brusqueries aussi, je me fis adopter d’eux en levant le coude. Je dois à la vérité de vous avouer que j’avais trois fois la journée la gueule de bois, que je m’imaginais grimper aux arbres, ivre de liberté au-delà de la raison.

Quand survint sur le vieux continent la Grande guerre, je sentis le vent tourner pour moi et mes semblables. N’ayant pas l’âme d’un héros, je me mis au service d’un Duc anglais. C’est à Southampton que j’échappai aux tranchées et aux obus allemands. Je pris même quelques habitudes luxueuses, je dois l’admettre. J’ai changé de monde, je m’en suis fort bien accommodé. Le thé remplaça le rhum, ma santé ne s’en ressentit que mieux. Pourtant la guerre terminée, je n’allais pas sombrer, loin de moi cette mauvaise idée, mais bien retomber dans mes travers. C’est la bière qui me tendit les bras, je travaillai alors pour Sir Arthur Guiness, un drôle de bonhomme aux envies de croisières.

Je le suivis dans ses expéditions. Je me fis fort de le suivre, bouclant même avec lui mon premier tour du monde. De grands et beaux souvenirs je dois l’avouer. Pourtant, sur le continent, de nouvelles menaces sourdaient. J’avais beau passer l’âge de servir la nation, je me suis fait porter pâle en me réfugiant sur une île, prétextant une angine blanche tenace. J’échappais aux bombardements, loin de tout même si je manquais d’exercice. Je me rouillais, si je peux le dire ainsi.

J’avais perdu le goût de vivre, j’avais un terrible besoin de soleil pour me refaire la santé. C’est en Italie que je me décidai enfin à glisser mes pas. J’eus le coup de foudre pour la lagune de Venise. Je change de nom, une mesure qui peut vous sembler illusoire, mais dans un pays nouveau, sur une mer nouvelle, c’était pour moi, ma manière de changer de vie. J’étais déjà vieux, nous étions en 1951. Pourtant je n’hésitai pas une seule seconde pour reprendre l’école...

J’abandonnai mes habitudes luxueuses. Je connus la sobriété de la cantine, l’inconfort du dortoir, les longues journées d’études. Un changement radical qui, je le croyais bien naïvement allait me redonner une nouvelle jeunesse. Au lieu de quoi, après une quinzaine d’années tumultueuses passées avec une jeunesse exubérante, je finis malheureusement à faire mon âge.



On m’abandonna, on me laissa aux clous, oublié de tous. Je survivais, c’est à peine si c’était encore une vie pour moi. J’étais immobilisé, bloqué sur un quai qui allait devenir ma dernière heure. Je me languis, je rentrai alors dans cette catégorie de ceux qu’on nomme les épaves. Je fus si mal que je finis par être ramassé par la police militaire italienne. Les responsables perçurent en moi un potentiel indéniable : mon expérience unique, mon passé glorieux, mon allure qu’il convenait cependant de rafraîchir pour faire de moi un sujet d’exception.

Il y a parfois loin des intentions à la réalité. Le projet tomba à l’eau, l’armée n’avait pas les reins assez solides pour payer les frais de ma remise en forme. Il est vrai que c’est à mon âge, une véritable opération de sauvetage, les dépenses étaient si considérables qu’on finit par me donner en gage. C’est ma fin probable, je tombai en décrépitude. À presque 80 ans, mon tour était passé, la mort n’avait plus qu’à me cueillir.

C’est alors que le miracle a lieu. Des compatriotes, des français visitèrent mon lieu de relégation. Entre eux et moi le courant passa immédiatement. Je quittai Venise sans regret afin de m’offrir une cure d’eau douce. Un remède radical pour buveur invétéré dans mon genre. Je subis du reste un étrange régime à base exclusivement de noisettes. Même si la chose peut vous sembler étrange, elle se fondait sur une détermination sans réserve de mes bienfaiteurs.

Je fus bichonné, remis sur pied à Brest pour retrouver une forme du tonnerre. Puis je revins à Paris où je devins rapidement la coqueluche des médias. J’avoue à ma grande surprise que ce succès ne fut pas pour me déplaire. Je me gonflai à nouveau d’orgueil, l’envie de reprendre le large me tenaillait. C’est l’année de mes 89 ans que je repris goût au vent de large pour de nouvelles aventures.

Depuis, je ne cesse d’aller de par le monde. J’ai de nouveau traversé l’Océan, remettant mes pas dans mon glorieux passé. On m’a fait Ambassadeur, un titre glorieux qui m’emplit de fierté. Je suis invité à tous les grands évènements maritimes ou fluviaux. Je suis devenu un symbole, j’ai fait école auprès d’une jeunesse qui a su profiter de mon expérience. J’ai encore tant de choses à leur transmettre.

On m’interroge, on me filme, on me rend visite, on ne cesse de faire de moi un symbole vivant. Je compte bien le rester le plus longtemps possible. L’âge n’a plus aucune prise sur moi. Je suis devenu une vedette bien que je reste à jamais un grand Yacht de belle allure, fort de mes trois mâts et heureux d’être à nouveau et pour toujours le merveilleux et unique Belem.

Mémoriellement vôtre


jeudi 28 mai 2020

Elles en gardent sous la semelle.



Les deux font la paire.





Il était une fois une paire de grolles, des vrais brodequins, non pas de ceux qui font le pied de grue au palais Bourbon, mais des godillots au laçage complexe, avec œillets et crochets, des chaussures désireuses de battre la campagne et qui n’avaient qu’un seul désir : « Faire leur chemin ». L’ambition est louable et c’est pour la réaliser que nos godasses étaient là, à aguicher le chaland, dans les rayonnages d’un supermarché de la chose sportive.

Le risque était grand et les chaussures le redoutaient plus que tout, d’être emportées par un amateur au petit pied, un aventurier de pacotille, faisant un achat sans véritablement user jusqu’à la corde celles qui resteraient à jamais dans un placard obscur. Elles rêvaient de mourir à la tâche, d’arpenter des chemins escarpés, de mordre la poussière et d’avaler les kilomètres. Un destin de semelles ailées en somme, une vocation tout aussi louable que glorieuse.

Elles avaient déjà connu quelques tentatives d’adoption. Des pieds timides, recroquevillés, hésitants, fragiles. Des essais sans lendemain, ces curieux voulant savoir à quoi pouvaient bien servir des chausses aussi inesthétiques. Elles s’en moquaient les diablesses de ces considérations oiseuses. Qu’importe les apparences, seuls comptaient le confort du pied et la solidité de la semelle. Le reste n’était bon que pour ces escarpins orgueilleux qui habillent les citadins aux semelles de plomb.

Quand elles se sentirent pénétrées par deux pieds fermes, larges et cambrés, solides et lourds comme il convient à un membre inférieur, elles se sentirent pousser des ailes. C’était le coup de foudre, la symbiose immédiate. L’homme avait de la tenue et aussi des odeurs. Rien ne vaut des orteils qui ne rechignent pas à sentir le pied en action.

L’homme avait des chaussettes qui avaient elles aussi de la distinction. En laine et sans couture, voilà bien la marque de celui qui respecte les convenances. Les chaussures l’avaient compris, elles allaient s’entendre avec ces pieds-là. Un amour qui serait vache, tout comme le cuir dont elles étaient tirées. Une relation faite de souffrance, d’ampoules et de cors aux pieds, d’œil de perdrix et pourquoi pas de quelques verrues plantaires. Un vrai mariage de raison pour le meilleur et souvent pour le pire.

Mais où allait-il les conduire par le bout du nez ? Les godasses n’auraient pas aimé commencer l’aventure par un long séjour dans une valise ou bien un sac, ballottées de transport en transport. L’avion les rebutait, elles qui n’étaient pas fabriquées dans des pays exotiques, qui sortaient tout droit d’un atelier artisanal. Elles voulaient se mettre au plus vite en action, elles brûlaient de lever le pied le plus vite possible. Elles furent servies au-delà de leurs espérances.

Le marcheur était un vrai, un pèlerin du quotidien. Il était venu à pied pour remplacer des vieilles chaussures qui avaient fait leur temps, par tous les temps et sur toutes les routes. Il les abandonnait là, leur préférant désormais ses nouvelles complices. Les godasses, trop heureuses de cette merveilleuse adoption, ne comprirent pas qu’elles avaient sous les yeux, sans doute le sort qui leur serait promis. Elles voulaient aller de l’avant, elles le firent en partant du bon pied.

Mettre un pas devant le précédent constituant le B A BA de la chaussure, elles se firent un malin plaisir de remplir leur mission avec le zèle de celles qui ne se marchent jamais sur leurs lacets. Elles taillèrent la route et des croupières aux chaussures découvertes, misérables, synthétiques, bon marché qu’elles croisèrent sur leur chemin. Elles se payèrent le luxe d’écraser quelques arpions, des indécents orteils vernis jusqu’aux ongles qui eurent la malchance de croiser leur route.

Puis ce fut l’aventure véritable. Adieu le bitume, vive les sentes pentues, les raidillons qui se dérobent sous vos pieds, les fossés à enjamber, les cailloux qui roulent, les mousses qui crissent, la boue et le sable, l’argile et la terre qui colle, les semelles s’alourdissaient, la tige s’affaissait, le cuir se patinait mais l’essentiel était là, la vie était en chemin.

Les godasses savaient que le soir, elles étaient traitées avec amour. Brossées, elles héritaient d’une poudre apaisante pour atténuer les effluves de sueur et parfois de sang, elles étaient essuyées puis bourrées de papier pour absorber ce qui pouvait encore subsister de transpiration. Elles dormaient sous le lit, posées à l’envers selon une vieille pratique berrichonne qui garantissait, parait-il des crampes, celui qui agissait ainsi.

Elles se voyaient choyées comme il convient à des chaussures de prix. Tout marchait à merveille entre elles et le marcheur. Une Lune de miel en somme quand l’orage arriva sans prévenir. Il y eut d’abord des échauffements au niveau du talon. L’homme maudissait la tige trop haute, un léger défaut de souplesse en cet endroit. Puis le sang coula et sonna le glas de la confiance partagée. Il fallut faire des crochets sur le bitume pour visiter des pharmacies. Le marcheur boitait bas, traînait même la patte.

Les chaussures croisèrent un jour une paire plus légère, des pieds plus petits. Il y eut un très long arrêt, une conversation là-haut, entre les deux propriétaires des pieds devenus inactifs. Il était question de confort, de légèreté, de chaussures résolument modernes issues des dernières technologies, de semelle ergo-dynamique, de coussins d’air et de pression des pneus. Les godasses avaient pris un coup de vieux, elles étaient totalement dépassées par une technologie de pointe qui ruinait leurs espoirs de continuer leur route.

Le marcheur avait écouté son interlocutrice. Il allait franchir le pas, adopter les nouvelles tendances, tourner les talons aux vieilles chaussures en cuir. Il se conduisit d’ailleurs comme une vraie peau de vache, rompant le lien qui les unissait, il jeta les godillots dépassés dans une poubelle. L’aventure s’arrêtait là, alors que la belle paire en avait gardé sous la semelle. Privées même de leurs longs lacets, qui peuvent servir à autre chose, selon l’ingrat, elles allaient finir incinérées sans que personne ne disperse jamais leurs cendres sur une terre battue par tous les vents.

Ainsi s’achève l’histoire de cette paire de brodequins. Les belles chaussures partirent en fumée, le vent les emporta au loin, elles étaient légères, légères mais c’était hélas bien trop tard. Pourtant, en survolant une route escarpée, elles le reconnurent, celui qui les avait si lâchement jetées aux oubliettes. Il venait de déchirer une chaussure, la légèreté ne suppose pas la solidité. Elles rirent sous cape, il l’avait bien mérité. Il finirait sa route nu-pieds …

Marcheusement leur



mercredi 27 mai 2020

C'est un beau roman …



Tendresse et Désir, une histoire encore à construire.



C'est un beau roman auprès d'une rivière qui sent la rose et le printemps retrouvé. C'est du moins ce qu'écrivent nos raconteurs d'histoires. Tout n'est pas si simple au pays des amants. Laissons-nous porter par l'aventure de Tendresse et Désir, leurs atermoiements et leurs abandons. Il ne faut pas croire qu'il suffit de claquer des doigts ; l'amour demeure un mystère qu'il convient de préserver.

Elle, tendresse ; éternel féminin de l'humble bergère, lui, désir : paradigme incertain du prince pas si charmant que ça, avancent main dans la main sur les chemins tourmentés de l'existence. Nous sommes au pays des contes de fées, des songes et des rêves fous. Savent-ils que l'impossible s'offre à eux : accorder leur violon tout en faisant flèche de tout bois à la manière de Cupidon ?

Tendresse réclame douceur et caresses. Elle se laisse porter, l'épaule contre son compagnon à la simple exaltation des sentiments. Elle est ouverte, simple et tranquille, à ses fougueux baisers. Elle laisse s'aventurer ses mains insidieuses, sans leur permettre des contrées inaccessibles. Désir est un chasseur, un gourmand qui fond sur sa proie. Il veut investir sa belle, il l'enveloppe, la lutine afin que ses défenses cèdent.

Le jeu du chat et de la souris débute entre eux. Les conteurs d'autrefois s'en allaient sur la pointe des pieds à l'échange du premier baiser : celui qui a réveillé la belle après un sommeil sans fin. Ils se contentaient d'affirmer qu'ils vivraient heureux et auraient beaucoup d'enfants sans se soucier de savoir comment se réaliserait la chose. Si la conclusion s'imposait aux lecteurs de jadis, elle n'allait jamais de soi pour nos deux personnages. Aujourd'hui, il faut pousser plus avant le récit ; le lecteur réclame désormais quelques scènes plus osées.

Tendresse, dans la torpeur de son long sommeil, éprouve le besoin d'un retour en douceur au monde des vivants. Désir, dans sa longue quête de la dame de ses rêves, semble quelque peu empressé. Il veut bousculer la demoiselle, ne pas lui laisser le temps de se retourner. On devine déjà que le coquin a quelques idées derrière la tête : le prosaïque est en marche.

Les scénaristes ont beau jouer de l'archer pour illustrer l’instant avec de la musique sirupeuse, nous ne sommes pas dupes. Rien n'est acquis encore : l'émotion de tendresse ne la prépare pas pour l’heure à la confusion désirée par Désir. Elle a besoin de temps, lui, semble pressé. Elle souhaite mieux le connaître, lui assure que c'est ainsi qu'on ouvre son cœur et son âme.


Lovée amoureusement, Tendresse n'est pourtant pas encore disposée à l'abandon suprême. Elle a besoin de confiance, de certitudes. Elle perçoit dans le regard de Désir cette turpitude qui l'effraie. Son prince est un mâle en rut. Il en oublie la délicate parade amoureuse, celle qui donne le temps de se découvrir sans se dénuder.

Désir s'impatiente, il se lance dans la grande parade : celle qui devrait faire plier les réserves de Tendresse. Il fait la roue, monte sur ses ergots, sa crête devient rouge flamboyante. Tendresse sourit de ses mimiques, elle devine le manège. Se donner dans l'instant, c'est succomber à une pulsion qui n'est peut-être que fantaisie sans lendemain ; elle souhaite obtenir des garanties.

Le conte de fées n'est plus, les bons comptes feront les bons contrats matrimoniaux si tel est le vœu de Désir. C'est là que le bât blesse : Désir est un coureur, il ne s'arrêtera pas auprès de sa dernière conquête. L'épilogue annoncé n'est qu'un leurre, même dans les belles histoires l'infidélité fait rage. Tendresse perçoit déjà les prémices de la trahison, elle diffère l'offrande que réclame ce Prince, pas tout à fait aimant.

Ils se sépareront. Les anges sont passés et ne se sont penchés sur aucun nouveau-né. Les rois mages cherchent toujours leur bonne étoile ; la vie reprend son cours. La bergère n'a pas vu le loup, elle peut retourner à ses moutons sans faire de déclaration de perte. Le Prince a tourné les talons, piqué son cheval d'un solide coup d'éperon. Il repart au bout du monde, bredouille et chafouin, ça lui apprendra à venir réveiller une donzelle qui défend farouchement sa virginité.

Tendresse et Désir ne sont peut-être pas ainsi. Laissons leur le temps de mieux se connaître. Ce n'était qu'une fausse piste, explorée par un scénariste malicieux. À trop vouloir déjouer les codes, l'histoire perd parfois de sa magie. Tendresse souffle à l'oreille de Désir que son vœu sera exaucé quand tous les curieux qui suivent leur rencontre, seront partis pour une autre histoire. Désir, susurre à sa dame de cœur qu'il l'aime pour de bon, qu'il n'est pas un cavaleur impétueux mais un cavalier respectueux.

Nous nous retirons sur la pointe des pieds. Ce qui se passera entre eux n'appartient qu'à ces deux-là. Déjà nous entendons Tendresse soupirer. Désir, plein de délicatesse, attend que nous soyons bien plus loin pour pousser plus avant ses délicates approches. Soudain, les rôles se renversent, c'est Tendresse qui prend la main. Le tumulte est si grand, que frissons et confusion se dérobent à celui qui voulait vous décrire la farandole des corps.

Libertinement leur.



Aux trois chambellans d'Orléans

Marie



La vie réserve souvent des surprises, c’est une loterie pour laquelle la grande histoire apporte parfois son grain de sel. Remontons le cours du temps et de la Loire ...

Il s’appelait Félix, un solide gaillard, marinier de son état et marié à la Marie , jeune et belle cantinière du cabaret Au Chambellan Prétentieux. Une drôlesse qui n’avait pas la langue dans sa poche quand un pochetron aventurait ses pognes de manière trop hardies sur ses délicieux reliefs. C’est d’ailleurs ainsi que la joue de Félix rencontra la main de la jouvencelle avant que de la lui demander plus cérémonieusement.



Ils partagèrent leurs existences durant trois années, années dans lesquelles les longues courses du marinier en faisaient un compagnon rare et peu encombrant. Marie savait à quoi s’en tenir et à franchement parler, ne détestait pas ce sentiment de liberté dont seules les épouses de marins ou de cheminots savent profiter.

Pourtant c’est un énorme grain qui vint interrompre cette vie insouciante qui ne laissait guère de place à l’envie de progéniture. Le Roi de France avait besoin de marins, la conscription maritime se saisit de Félix pour l’envoyer sur un navire de guerre, combattre les anglais sur les côtes américaines. Félix participa à la fameuse bataille de la baie de Chesapeake. Un triomphe pour la flotte royale, le début d’une longue traversée du désert pour le pauvre garçon, envoyé par dessus bord par le souffle d’un boulet qui fracassa le crâne de compagnons moins veinards. Félix fut considéré comme mort, des témoins déclarant plus tard avoir vu son cadavre dans les flots.


La nouvelle parvint au cabaret du Chambellan Prétentieux. Marie porta le deuil un temps qu’elle jugea suffisant tandis que sa nouvelle liberté avait attisé d’autres convoitises. Elle avait remarqué que tant qu’elle était femme disponible, les regards concupiscents et les mains trop lestes ne cessaient d’entraver son service. Au temps de son mariage, elle était davantage respectée.

Marie s’empressa de convoler avec un autre marin, conservant ainsi les avantages sans s’encombrer par trop des obligations liées à la fonction matrimoniale. Son nouvel époux, le Gaston, n’était du reste pas aussi porté sur la chose que le précédent. Marie n’avait jamais eu à se féliciter des assauts de ses deux époux. Le bonheur de partager ce plaisir lui demeurait inconnu. Ces deux mariniers s’avérant fort mauvais manœuvrier à terre.


Marie avait fait son deuil des plaisirs de la chair. Un événement vint chambouler cette désespérante résignation. Un jour, entra dans le Cabaret un individu dont la silhouette lui disait vaguement quelque chose. L’homme, efflanqué, le visage marqué de balafres, les joues creusés par la souffrance, portait en lui une forme de dignité.

Le silence se fit dans la cabaret. Le nouvel entrant attirait les regards et la curiosité. Ses yeux brillaient d’une intensité fiévreuse. L’homme scruta intensément Marie , s’avança lentement vers elle. L’inconnu s’exclama : « Marie , quel bonheur de te retrouver après tant d’années ! » Félix était revenu de l’enfer totalement transformé. Il n’était plus que l’ombre du celui partit servir le roi.


Marie prit Félix par la main et le conduisit dans l’arrière cuisine du Cabaret. Les deux anciens époux, disparurent durant une heure environ sans que quiconque, chose inhabituelle dans cet établissement aux nombreux va et vient, ne quitte la salle. La curiosité sans doute, l’envie de comprendre et de colporter l’incroyable nouvelle aussi.

Quand ils revinrent, Marie avait les joues roses, le chignon défait, son tablier à la main tandis que le gars Félix avait retrouvé meilleure mine. Il prit la parole « Je devine que vous m’avez reconnu. On m’a donné pour mort, je ne valais guère mieux. J’ai été repêché par les anglais, enfermé sur l’un de leurs rares navires qui échappa au naufrage. J’ai passé six mois sur ce rafiot qui jouait à cache cache avec la flotte de François Joseph Paul de Grasse, le vainqueur de l’amiral Thomas Graves.


Avec quelques collègues, nous allions payer l'humiliation subie par les britanniques. Nous ignorions alors que le prix à payer serait aussi terrifiant. Beaucoup n’en revinrent pas tandis que j’aurai préféré mourir que de vivre cet enfer. J’ai passé sept années de souffrance sur les pontons de Plymouth. J’ai tenu poussé par la volonté farouche de revoir ma Marie. Ce fut ma seule raison de vivre, cet espoir absurde de croire qu’elle m’attendrait. J’ignorais alors qu’on me déclarerait mort et perdu à jamais dans le fond de l’Océan. Un jour, je fus libéré au terme d’un échange de prisonniers dont j’ignorais tout. Me voilà revenu ! »

Jamais de mémoire de mariniers on l’avait tant entendu parler. Mais quel serait le choix de Marie ? Manifestement dans l’arrière cuisine, il s’était passé quelque chose. Marie qui jusque là n’avait jamais trouvé son content dans cette relation intime qui enflamme tant les esprits avait succombé pour la première fois à ce plaisir secret. L’incarcération avaient transformé son premier mari. 
 

Marie se trouvait face à un nouveau dilemme. Elle était remariée, cette union qui primait sur la précédente qui était devenue caduque. Que faire ? Qui choisir ?

Sur la rivière, la nouvelle alla bon train. Gaston eut les oreilles qui sifflèrent avant que d’apprendre par la bouche d’un collègue la raison de toutes ces grimaces à son approche. Quand son bateau arriva dans le port d’Orléans. s’en retourna bien vite dans son foyer. L’idée de devoir partager son épouse avec son premier mari lui vint tout naturellement. Gaston n’était pas homme à placer son honneur dans une jalousie de mauvais aloi. Il vivait lui aussi la vie de patachon des mariniers en goguette, il ne se sentait pas d’exiger de Marie ce qu’il n’était pas en mesure de s’appliquer à lui-même.

 

Si la rencontre du trio éveilla la curiosité des habitués des potins, ceux-là en furent pour leurs frais. Les hommes se tapèrent dans la main. Félix se fit embaucher par le marchand qui employait Gaston. L’un couvrait le commerce d’Orléans à Nantes tandis que l’autre allait de Roanne à Orléans. Gage à eux de ne jamais être sur place quand l’autre était en escale.

Marie avait désormais deux époux. Félix avait éveillé en elle le désir d’amour. Elle se fit un devoir d’initier Gaston à l’art complexe de l’honorer dignement. Marie ayant pris goût à ce merveilleux plaisir innocent, se consolait de l’absence de ces deux voyageurs avec le cabaretier en personne. C’est ainsi que le cabaret changea de nom avec une pointe d’ironie. Aux Trois Chambellans, les clients prirent l’habitude de leur verre à la santé des amoureux en criant « Et Merde pour le roi d'Angleterre, qui nous a déclaré la guerre ! » 
 

Si le cabaret fut oublié la « Rue des Trois Maris » perpétua le souvenir de cette belle histoire.

Pour découvrir Ambroise Louis De Garneray qui a passé 8  ans sur les pontons de Plymouth

=> https://www.chasse-maree.com/les-trois-vies-de-louis-garneray/
 

lundi 25 mai 2020

La course des nayons !

À la manière de Gaston


La course des nayons !
 

    C'dimanche là, sans m'enfeignanter,
De boumn heur j'm'avons déyeucher

J'm'en allons, pauv' gars de Loire
Me distraire un brin, à not'foire

Tout afisltolé pour la fête
J'espère trouver une charlusette
M''berlancer au bord de l'iau
Boire et faire le fierot

An huit, au concours des nayons
des bourseoisiaux s'enseayeront
À ramer à rebrous'-courant
Pour not'seul contentement !

Tout l'monde est ben gaitiau
les mangeux d'terre aux gros sabiots
La belle assemblée d'not' bourg
Et queq' gens d'peu d'alentour

On s'retrouve pour s'encanailler
S'mett'e dans le gosiers des godets
Sur le pierré si benaises
Tertous à brailler tout not' aise

Sur l'iau les rames s'cabossent
Sur l'bord les gens s'en bagossent
Les nayons vont à Hue ou à Dia
Pour d'chavirer à grand fracas

Des rameurs bigent les garnazelles
Ça vaut mieux qu'nos demoiselles
On s'met à beugler comme des viaux
Pi à  s'berlaiser ben berlauds

Les aime-bouillons sont tous gaïtieaux
C'est de n'avoir jamais bu d'iau
La troupe alave à grosses lampées
 Not' bon auvernat au pichet

Ce dimanche là, pour clabauder,
J'étions à la foir' à la louée
À trop bagouler sur le zinc
j'avons fini tout brindzingue




http://gastoncoute.free.fr/patois.htm




à lire

https://blogs.mediapart.fr/edition/ovale-masque-ohe-ohe/article/310312/match-de-rugby-en-patois-de-chez-nous

dimanche 24 mai 2020

Il pourrait bien neiger

Un amour volcanique




Comme neige au soleil




Simon, traîne sa solitude comme une gangue visqueuse. Il s’est totalement dissout dans l’anonymat d’une grande ville. Son existence s’étiole sans espoir, entre son travail, son logement, le cinéma, quelques concerts et de rares voyages. Il traverse la vie sans ami, sans rencontres, sans véritable vie sociale. Résigné, il se contente de quelques dérivatifs.

Il aime lire, se perd dans les aventures exaltantes de ses héros préférés, des personnages invincibles entourés de jolies femmes. Il est fou de chanson française, sillonne la région à la rencontre de talents qui n’ont pas le bonheur d’éclater au grand jour. Il fréquente de petites salles, souvent désertées par la foule bruyante des zéniths. Il se sent alors en symbiose avec ces artistes qui ne trouvent pas leur public.

Simon n’a ni enfant ni chien. C’est un lourd handicap. Ceux qui arpentent la ville un compagnon à quatre pattes au bout d’une laisse, existent aux yeux des passants. On s’arrête quelques minutes à leur hauteur, on s'extasie devant l’adorable minois du molosse, on évoque ses congénères qui sont passés dans l’existence des quidams ; on se retrouve régulièrement si l'interlocuteur est, lui aussi, chargé d’une promenade vespasienne.

Les enfants permettent aussi les mêmes rencontres pourvu qu’ils soient bien élevés, dociles durant les échanges des adultes. Ils limitent cependant le panel des possibles : l’amour des bambins est bien moins répandu que celui de nos amis les bêtes. Simon en bon célibataire endurci a passé l’espoir de se prolonger avec un héritier.

Au fil des années, sa solitude lui pèse de plus en plus., Il finit par détester son destin, muré dans un silence désespéré. Simon travaille dans un vaste espace ouvert à tous les regards et à toutes les oreilles. Il ne partage avec ses collègues que propos creux, phrases vides de sens, banalités décourageante. Seuls les petits commerçants du quartier et ceux du marché répondent à ses demandes tout en agrémentant le propos d’une remarque sur le temps qu'il fait.

Simon s’exaspérait de ce sujet qui revenait en boucle. Petit à petit, il s’amusa à étoffer ses réponses de dictons de son invention qui enchantaient les clients : « À la saint Glinglin, on va essuyer un grain ! »; « À la saint Basile, ne te découvre pas d’un fil, à la saint Manu, tu te mettras tout nu ! ». À force de prophéties réussies, d’annonces prémonitoires sur l’éventualité du pleuvoir, il se tailla une jolie réputation. On l’invitait dans le troquet du coin pour s’enquérir de l’état du ciel dans les jours à venir. Simon n’était plus seul : le ciel était sa carte de visite !

Sa vie bascula tout à fait quand une voisine charmante l’interrogea à plusieurs reprises. Il fut séduit par sa voix mélodieuse et ses yeux malicieux. Aimée, elle aussi engoncée dans un emploi sans intérêt, vivait seule. Rendre visite à sa vieille mère une fois par mois était son unique distraction. Elle prenait ce prétexte pour s’enquérir auprès de Simon des conditions climatiques.

Simon s’en voulait de la rassurer. Il savait qu’elle allait partir le vendredi pour ne revenir que tard le dimanche soir. Il traversait alors un long tunnel sans avoir le bonheur de l’apercevoir sur le marché dominical. C’est un vendredi du mois de mai qu’il se dévoila, discrètement. L’homme était timide et maladroit.

Aimée, s’enquit du temps qu’il ferait en fin de soirée. Sa route était longue ; elle redoutait par-dessus tout la pluie. Il faisait grand beau : un de ces jours de printemps qui vous donnent des ailes et la gourmandise de la vie. Simon, sans bien réfléchir lui répondit très sérieusement : « Il pourrait bien neiger ! » Aimée lui sourit. Elle n’était pas dupe : il lui mentait sans se moquer d’elle. Elle comprit le sens de ce curieux message : « Ce serait donc prudent de ma part de ne pas prendre la route ? Je vais différer ma visite d’une semaine. Je suis libre, que faites-vous ce soir ? » Simon surpris de son à-propos  faillit de ne pas saisir cette incroyable main tendue. Il se reprit et répondit :« Je vous invite au restaurant ! »

Cette première soirée ne fut pas digne des romances à l’eau de rose. Il y avait de la maladresse chez ces deux-là, le manque de confiance et d’habitude aussi. Ils tardèrent à se découvrir, échangèrent tout juste deux ou trois regards brûlants. Ils allaient se séparer à la sortie du restaurant quand Simon se jeta à l’eau et invita Aimée chez lui. Nous ne les suivrons pas. Ils s’apprivoisèrent simplement, se donnèrent l’envie d’aller plus loin dans cette découverte de l’amour. Il faut du temps quand la vie vous a habitué à rester sur le bord du chemin.

Le rituel s’installa. Quand Aimée souhaitait passer son weekend avec Simon, quelle que fût la saison, elle lui demandait le temps qu’il allait faire. Simon immanquablement répondait : «  Il pourrait bien neiger ! ». C’était le signal attendu : les bras qui s’ouvrent, les corps qui se découvrent et, au fil du temps, apprennent à se connaître et à éveiller plaisir et passion.

Ce jour-là, Simon désirait aller à un concert de chants de marins Elle trouvait ridicules ces vieux messieurs vêtus de larges chemises de coton. Elle ne goûtait pas à ce genre de spectacle, il le savait. Il lui répondit à: « Aucun risque ce weekend, tu peux rouler sans crainte ! » Un code avait été établi entre eux : chacun conservait son indépendance ; ils avaient passé l’âge de se lancer dans une vie commune. Elle respecta sa réponse. Elle prit la route. Nous étions en mars et soudain, le ciel se fit gris et plombé, la neige tomba à gros flocons. Aimée fut immobilisée en pleine campagne.

Elle fut hébergée dans un gymnase. Elle dormit tant bien que mal. Le lendemain, la situation avait empiré. Elle passa une seconde nuit dans ce lieu en compagnie d’autres naufragés de la route. Elle en voulut à Simon qui ne l’avait pas prévenue. Elle se dit que jamais plus elle ne lui poserait cette question idiote. Se dire vraiment les choses est bien mieux que de tourner autour du pot.

Quand Aimée revint le mardi seulement, Simon était fou d’inquiétude. Il se jura, lui aussi, de cesser d’user d’un code stupide qui lui avait interdit de prévenir son amie du risque de précipitation ce soir-là. Pour se faire pardonner, il décida de lui offrir un voyage. Tous les deux avaient leurs congés en août. Il réserva pour eux deux, un voyage sur l'île de la Réunion : un rêve qu’il n’avait jamais réalisé faute d’avoir trouvé un compagnon pour ce long périple.

Aimée fut enchantée. Il reprirent leurs habitudes, leur vie de célibataires qui se retrouvent de temps à autre pour une parenthèse bienfaitrice. Ils s’envolèrent comme deux vieux amis qui s’accordent un merveilleux cadeau. Ils s’étaient joints à un voyage organisé qui laisse peu de place à l’intimité. Qu’importe, ils se contentaient de ce bonheur incomplet.

C’est un soir, au pied du Piton des Neiges, dans le petit village de Cilaos que Simon eut un curieux pressentiment. En août, dans ce lointain coin de France dans l’hémisphère sud, c’est l’hiver : un hiver doux où les fruits ne cessent de pousser, les gens de se baigner si les requins veulent bien les laisser faire. Ce soir-là, un mauvais vent se leva. Le ciel était chargé de lourdes menaces. Simon dans le restaurant dit à la cantonade :  «  Il pourrait bien neiger ! » Dans le petit hôtel, beaucoup rirent de lui, Aimée sourit et lui répondit : « Si tel est le cas, je t’épouse ! »

Le lendemain, le Piton des Neiges était couvert d’un manteau blanc. Tout le monde s’extasia de ce spectacle rarissime. Aimée se lova contre Simon ; la neige qui avait failli les éloigner l’un de l’autre venait de décider de leur sort. Leur union sera scellée bientôt.

Le patron de l’hôtel, impressionné par la prophétie de Simon, émerveillé par la beauté de l’instant, leur promit de leur offrir la fête de mariage dans son établissement. Ils saisirent cette suggestion pour changer d’existence. Rentrés en métropole, ils rompirent avec leur vie passée. Simon quitta son administration sans avenir, Aimée abandonna son métier sans intérêt. Sa vieille mère n'étant plus de ce monde, elle était libre.

Trois mois plus tard, ils revenaient au pied du Piton des Neiges. Ils ouvrirent une petite boutique : « La Fée des neiges » , le royaume des collectionneurs de « boules à neige » pour vivre le reste de leur vie sous le doux soleil de l’Île. Il ne neigea plus sur le piton. Leur amour fut naturellement soumis aux aléas météorologiques mais jamais, ô grand jamais, il ne traversa de tempête.



  



   

samedi 23 mai 2020

Les pontons pénitentiaires anglais.



Ceux de la Tamise et de Plymouth



Nous connaissons tous l’incroyable aventure romanesque de Ambroise Louis Garneray, corsaire, aventurier, romancier, peintre né en 1783 et décédé en 1857. Il navigua sur l’Océan Indien aux côtés de Surcuf et Dutertre, participa à l'abordage victorieux du Kent, l’exploit le plus célèbre du corsaire, en octobre 1800. Il sera ensuite corsaire sur la Belle Poule qui sera prise en mars 1806 par les anglais. Il est conduit au Royaume-Uni et passera huit années suivantes dans l'enfer des pontons en rade à Plymouth. Il a la chance de mettre à profit cet enfermement pour peindre. Il bénéficiera des commandes d’un marchand de tableaux britannique qui lui permirent de survivre dans cet enfer. Nous reviendrons une fois prochaine sur l’incroyable destinée de cet homme d’exception.

Il nous donne le prétexte d’envisager le système pénitentiaire de nos amis anglais. Si la prison était une des réponses pour ceux qui avaient la chance d’échapper à la pendaison, d’autres perspectives s’offraient aux délinquants. Pour répondre à la surpopulation carcérale on envoya d’abord en Amérique du Nord jusqu’à la révolution américaine (1775-1783) petits et grands délinquants. À partir de 1787 l’Australie reçut 160 000 hommes, femmes et enfants qui constituèrent la base de la population blanche.



Mais revenons à notre peintre français. Si Garneray fut emprisonné à Plymouth sur la pointe sud de l’Angleterre, d’autres prisonniers connurent le même sort sur la Tamise. Des épaves de vieux navires de guerre désarmés devinrent les fameux pontons. Simple solution temporaire à l’origine, ces prisons de fortune, véritables enfers, se prolongèrent pendant quatre-vingts longues années. Les premières épaves pénitentiaires furent amarrées sur la Tamise non loin de Woolwich, à l’est de Londres.
Le logement des prisonniers sur ces pontons s’avéra particulièrement onéreux pour les finances anglaises. Afin de participer aux frais, les autorités imposèrent des travaux forcés à leurs prisonniers prisonniers qui œuvrèrent grandement au développement commercial de la Tamise.

Les malheureux prisonniers s’occupèrent du dragage du fleuve afin de faciliter le passage des navires commerciaux. Les détenus furent encore mis à l’ouvrage pour l’expansion de l’arsenal de Woolwich et des quais avoisinants. D’autres étayèrent les berges en enfonçant des piliers dans la vase afin de prévenir l’érosion.

Les conditions de vie à bord de ces épaves pénitentiaires étaient effroyables. L’absence d’hygiène favorisait de nombreuses infections. Les malades n’étaient pas soignés et restaient parmi leurs codétenus. Si bien que le typhus, la dysenterie et autres épidémies encore firent des ravages dans leurs rangs. La mortalité avoisinait les 30%. Inutile de vous dire que l’odeur qui émanait de ces cachots flottants était répugnante. Entre 1776 et 1795, 2 000 détenus perdirent la vie dans les prisons de la Tamise.



À partir de 1779 John Howard s’insurgea contre l’utilisation de ces pontons. Il souhaitait des cellules individuelles afin que les prisonniers puissent être mis au travail dans de bonnes conditions. Une première prison, celle de Millbank, fut construite en 1816 après un long combat pour cet homme valeureux et humaniste. 
 
Ambroise Louis Garneray, notre prisonnier français, quant à lui, fut libéré le 18 mai 1814 quand la guerre entre la France et l’Angleterre prit fin. Les pontons ne furent pas pour autant abandonnés totalement. Il fallut attendre 1857 pour voir le dernier ponton en activité disparaître au terme d’un incendie.


 Tableau de
Ambroise Louis Garneray

vendredi 22 mai 2020

Le rêve d'un gosse.


À bord du Pequod.

 

 

 


   Il était une fois une famille de vignerons en bord de Loire. Nous sommes en 1851 et un enfant vient de naître. Son père et sa mère se réjouissent de ce premier né qu’ils appellent Herman, un prénom qui se donnait à cette époque. Ces gens ont un peu de bien, c’est ainsi qu’Herman à six ans a l’immense privilège d’aller à l’école pour deux sous par jour ainsi qu’une bûche de bois durant l’hiver pour le poêle de la classe unique.



    Herman était un enfant intelligent qui apprit très vite à lire et y trouva un immense plaisir. Il fut un élève brillant qui passa avec succès son certificat de fin d’études. Son maître aurait aimé qu’il poursuive ses études mais ses parents voulaient qu’il se mette bien vite au travail. Il avait 12 ans et la besogne ne manquait pas à la vignerie.

    Pour le récompenser de son brillant succès, ses parents décidèrent d’aller à la grande ville voisine, acheter pour la première fois de leur vie, un étrange présent, un beau cadeau : un livre. Ils furent attirés par un détail, une similitude avec leur enfant et le lui offrirent avec émotion.



    Herman ne tarda pas à lire ce roman. Il ne le quitta pas, le lut d’une traite, emporté par l’émotion et l’histoire fabuleuse qu’il racontait. Il ne l’eut pas terminé qu’il replongea à nouveau dans une seconde lecture, exalté par cette aventure hors du commun.

    Quand il l’acheva une seconde fois, sa décision était prise. Il posa le livre et alla voir ses parents pour leur annoncer qu’il ne serait jamais vigneron. Il avait trouvé le métier qu’il désirait faire, il serait pêcheur de Loire. Il se trouvait que non loin de là, un vieux bonhomme avait l’intention de transmettre ses secrets et son matériel à celui qui voudrait prendre sa suite. En une année, Herman apprit mieux que quiconque  tous les secrets de la rivière et de la pêche.



     Herman devint bien vite le meilleur pêcheur professionnel de toute la Loire. Mais, quoi qu'il attrapât, il était désormais perpétuellement insatisfait. Il avait beau remonter des filets pleins de belles prises, être le plus réputé des pêcheurs, il avait le regard fiévreux et une étrange bouderie au coin des lèvres.

    On le devinait porteur d'une quête intérieure, d'une exaltation qui le prenait surtout en avril. Durant deux mois, il était dans un état de transe qui inquiétait ses amis, rendait sa fréquentation impossible. Il passait ses journées entières à la pêche, comme s'il attendait quelque prise exceptionnelle, un poisson magnifique et sans doute imaginaire.


    Puis le mois de mai passé, Herman retombait dans un silence lourd et pénible qui contrastait avec son agitation précédente. Finalement, il était tout aussi infréquentable dans sa période de traque que lorsqu'il se renfermait dans son monde intérieur. Plus personne ne pouvait le supporter : il vivait seul  parmi ses filets et ses bateaux, ses nasses et sa chère rivière. Il n’avait pas trouvé épouse, il faut dire qu’il sentait toujours le poisson !

    Au fil des années, il avait coupé tout lien avec ses semblables, ne conservant que le commerce des restaurateurs qui venaient lui acheter ses prises, toujours exceptionnelles. Herman passait pour un loup solitaire, un ermite des berges. Il y avait pourtant dans ses yeux une lumière qui ne trompait pas ceux qui savent observer. On pouvait dire qu'il était habité, qu'il avait une formidable force intérieure
.
    Puis, un jour tout bascula. Herman changea de vie, abandonna la pêche et son mutisme. Il alla enfin vers les autres ; il était radieux, habité d'une nouvelle passion, celle-ci moins inquiétante. Herman se fit prosateur, il prit la plume pour écrire des anecdotes qu'il avait glanées lors de ses interminables sorties sur la rivière, ses heures passées à observer les flots. Il écrivit ses histoires de pêche, il raconta le secret des poissons migrateurs, les mœurs des carnassiers, le comportement des petits poissons à friture, la majesté de dame carpe.

    Herman racontait des histoires qui ravissaient les gosses du pays. Il avait eu la chance de trouver une oreille attentive en celle du responsable du journal local qui lui accorda une rubrique une fois par semaine, un récit qui enchantait aussi tous les lecteurs. Il l’avait intitulé « La Boîte à pêche ! » un titre qui tomba un jour dans les mains du petit Maurice Genevoix qui en fit à son tour bel usage.

    Pourtant, lui dont la vie sociale avait changé du tout au tout, se refusait toujours à satisfaire la curiosité de ceux qui s'enquéraient du mystère de son changement d'attitude. Il esquissait alors un sourire, changeait de conversation ou bien se contentait d'une pirouette. « J'ai bien assez pêché, j'ai pris tous les poissons qu'il me fallait et même celui dont je rêvais ! » Puis il souriait benoîtement et s'en allait ...

    Rares étaient ceux qui fréquentaient la maison de l'ancien pêcheur. C'était sa chasse gardée, son antre, son terrier. Personne du reste ne pouvait pénétrer dans son atelier, là où autrefois il rangeait son embarcation : « Le Pequod », ses nasses, son matériel et tous ses filets de pêche. C'est désormais dans ce local qu'il couchait sur le papier les histoires qu'il ne manquait pas de livrer en temps et en heure à l'imprimerie pour l'édition du dimanche.

    Herman rendit son dernier soupir, la plume à la main. Il venait de mettre un point final à son ultime récit. Comme l'imprimeur ne reçut pas à temps le texte, dans la région on s'inquiéta et des amis de l'ancien pêcheur vinrent forcer sa porte. Ils le découvrirent la tête penchée sur son bureau, le regard tourné vers un grand poisson naturalisé, accroché au mur, face à son écritoire. Ce n'était pas n'importe quel poisson, il était gigantesque : un énorme esturgeon comme il en remontait encore alors dans notre Loire : 3 mètres 81 de long, 400 kg environ.




    Au mur, juste en dessus du poisson, un livre était lui aussi encadré : « Moby Dick » d'Herman Melville ! » Il ne fallut pas bien longtemps à ses proches pour enfin élucider le mystère de toute une vie. Herman, avait été marqué par un livre qui avait bouleversé son existence. Voilà donc ce grand mystère, ce livre qui lui avait fait tourner le dos à la vigne pour se faire pêcheur.

    Mais là où nul n'avait trouvé d'explication à son comportement, l'esturgeon apportait une éclatante réponse, un aveu incroyable. Face aux amis du défunt, il y avait un grand esturgeon albinos. Herman avait passé une grande partie de son existence à attendre son Moby Dick à lui. Faute de cachalot en Loire, notre pêcheur avait durant sa vie professionnelle, rêvé d'un grand poisson blanc. Puis sa quête satisfaite, il était passé à autre chose sans jamais dévoiler son rêve de gosse.


    Quelques lettrés comprirent alors pourquoi les bateaux de Herman s'étaient tous appelés « Le Pequod ». Un livre avait décidé de son parcours professionnel, de sa passion, de sa vie. Une fois son grand esturgeon albinos attrapé, il pouvait passer à autre chose, ce qu’il fit avec la même ferveur.

    Nous devrions offrir des livres aux enfants. Ils trouveront peut-être dans l’un d’eux un rêve qui leurfera lever le nez de sa tablette, grandir enfin et devenir un adulte avec un rêve dans le cœur. Rien n’est plus beau qu’un livre, c’est le plus formidable des cadeaux. Puissent tous les parents retenir cette leçon,  Herman avait trouvé sa voie, d’autres passions sont encore à cueillir dans les livres.

    Romanesquement sien.


jeudi 21 mai 2020

Le merle blanc de Courcérac



La mélodie de jouvence. 

 

Il était une province heureuse se donnant alternativement aux Ducs d’Aquitaine aux Comtes d’Anjou et de Poitiers. La vie malgré les vicissitudes de la féodalité s’y déroulait le mieux du monde dans un climat des plus agréables. Les hommes y étaient solides et d’humeur égale, un héritage sans doute de leurs lointains ascendants Néendertaliens. C’est certainement dans cette ancestrale parenté que nous trouvons les racines de cette histoire étrange. Prenez donc la peine de l’écouter …

Quatre villages sont au cœur d’un pays de Cocagne : Courcerac, Brizambourg, Aumagne et Chaniers. Les habitants auraient de quoi couler des jours heureux s’il n’avait pas pris fantaisie au destin de leur jouer un vilain tour. Un chat, une tortue et un merle blanc sont à l’origine d’une histoire qu'il m’appartient de vous confier ici, même si le temps et l’effacement progressif de la mémoire collective rendent délicate sa restitution précise. Veuillez m’en excuser, le conteur a souvent bien du mal à tirer le vrai du faux.

Or donc, un jour qu’il était à la chasse, un habile traqueur réussit la prouesse de prendre vivant ce fameux merle blanc qui avait jusqu’alors mis en échec tous les chasseurs du pays. Il était temps d’ailleurs car un chat géant venant d’Aumagne était à deux griffes de n’en faire qu’une bouchée. L’homme savait la valeur immense de cet oiseau merveilleux, il s’empressa de le porter en son village afin que chacun jouisse des pouvoirs surnaturels du chant de ce merle.

À Courcerac, à partir de ce jour béni, tous les résidents de la belle cité se mirent à rajeunir. La camarde ne venait plus y faire sa moisson de défunts, l’oiseau défiait la mort par la seule vertu de son joyeux babillement, guérissait les malades et redonnait jeunesse et vigueur à tous. Une bénédiction pour le village tout autant qu’un problème épineux.

En effet, alentour, la nouvelle se répandit et chaque village voisin voulait bénéficier de ce miraculeux don de la nature. Hélas, à Courcerac, les habitants ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils désiraient garder pour eux seuls, les bienfaits du Merle Blanc. Devant l'insistance de plus en plus pressante des proches cités, à grands coups de dépenses somptuaires, la ville devint une véritable citadelle impénétrable tout autant que d’un inflexible égoïsme.

Non loin de là pourtant à Brizambourg, un jeune homme dont la réputation d'ingéniosité avait franchi les frontières de la province, constatant l’affaiblissement physique de ses chers parents, se mit en quête d’un stratagème pour vaincre la sotte détermination des gens de Courcerac à ne conserver ce prodigieux animal que pour leur seul usage.

Le garçon après avoir observé à distance les défenses prétendument imprenables de la ville de la jeunesse éternelle, se mit à échafauder un plan diabolique. Pour vaincre les murailles, il avait besoin du concours de deux animaux hors du commun dont il avait appris l’existence. Mais là encore, les deux villages qui les abritaient se montraient tout aussi inflexibles que celui du Merle. Il devait agir par la conviction plus que par la roublardise pour parvenir à ses fins.

Il se dirigea tout d’abord vers Aumagne dont la plaine fertile était couverte de blé. Le temps de la moisson était venu, la population toute entière était à l’ouvrage, n’ayant d’autres ressources pour moissonner le blé, que de l’arracher à la main. La tâche était longue et fastidieuse, tandis que le Chat géant que nous avons déjà croisé, était affecté à la surveillance des récoltes pour en chasser souris et autres rongeurs.

Notre aventurier se présenta aimablement à celui qui semblait être le donneur d’ordre des moissonneurs. Il lui dit son étonnement de les voir ainsi s’échiner à arracher le blé alors qu’il y avait moyen plus rapide et efficace de faire cet ouvrage. L’homme interloqué le mit au défi de lui en apporter la démonstration tandis que le garçon exigea en contrepartie de pouvoir utiliser les services de leur chat à des fins personnelles.

L’accord fut conclu aisément, le félin était fort vieux et n’avait plus goût à poursuivre les mulots. Il était devenu un poids pour la communauté paysanne. Le jeune homme confia le secret de la faucille, cet instrument d’usage facile qui accéléra la moisson. Chacun trouvant son compte dans cet échange, tout était pour le mieux.

Saluant les moissonneurs, le garçon poursuivit son chemin, désormais flanqué du greffier qui traînait la patte. Il lui fallait une autre complice pour mener à bien son plan malicieux. Ses pas le menèrent donc vers les rives de la Charente, plus exactement à Chaniers, village étrange au demeurant où les habitants avaient grand mal à utiliser leurs barques.

Les malheureux n’avaient rien trouvé de mieux pour aller de l’avant que d’utiliser les battoirs des lavandières. Le jeune homme, amusé de les voir ainsi penchés sur l’eau à s’échiner de la sorte, leur proposa un conseil contre un service qu’il attendait d’eux. Une fois encore, on lui demanda quelle allait être la monnaie d’échange.

L’intrépide n’attendait rien d’autre que le village lui confie l’énorme tortue d’eau qui avait élu domicile dans ce village. Un batelier accepta au nom des siens ce prêt contre un conseil avisé pour naviguer aisément. Le garçon leur tendit la perche et conseilla à tous d’allonger le manche des battoirs tout en augmentant leur surface. C’est ainsi qu’il inventa la rame, ce qui rendit la vie bien plus facile à Chaniers et sur toute la Charente.

Flanqué désormais d’un drôle d’équipage : un chat géant au bout de son âge et une tortue d’eau de taille considérable, le jeune homme put mener à bien son plan diabolique. Il attendit une nuit sans lune pour se mettre en action devant les hautes murailles entourées de larges douves du village de Courcerac.

Face à ces murailles infranchissables pour un humain, le jeune homme sollicita les ultimes forces du félin gigantesque. Le chat contre la promesse de jouir lui aussi des prodiges de l’oiseau, réunit ce qui lui restait d'énergie pour d’un bond formidable, s’agripper au chemin de ronde. De là, par la seule vigueur de sa longue queue, il hissa ses compagnons dans la place après les avoir déposés de l’autre côté des épais murs.

Notre intrépide utilisa ensuite la tortue pour lui permettre, en compagnie du chat, de franchir les douves profondes qui encerclaient la tour centrale dans laquelle était enfermé le Merle Blanc. Sa lourde carapace leur offrit une traversée confortable tandis que ses larges pattes palmées leur permettaient de repousser tous les pièges redoutables déposés sur les flots.

Ne restait plus comme ultime obstacle que l’immense tour. Une fois encore, le Chat fut mis à contribution. Il bondit et perché sur le faîte du beffroi, tendit à nouveau sa queue. Le garçon put ainsi sans difficulté s’emparer du Merle Blanc. Hélas, le vieux chat, exténué, avait laissé ses dernières forces dans ces deux bonds prodigieux. Il se sentait incapable de reproduire cet exploit pour les sortir de là.

Le merle blanc, las d’être enfermé, comprenant qu’il était entre des mains secourables, se mit à chanter. Immédiatement le chat retrouva force et vigueur tout autant que jeunesse et souplesse. Sans la moindre difficulté, le trajet inverse fut réalisé grâce aux deux associés du garçon.

Arrivé chez lui, le jeune homme demanda au Merle de chanter pour ses vieux parents qui dans l’instant, retrouvèrent ce souffle de vie qui était sur le point de les quitter. À Brizambourg, tous les habitants célébrèrent l’exploit de leur valeureux concitoyen et chacun de profiter des prodiges du merle blanc.

Le jeune homme, pressentant que les siens risquaient d’agir à l’imitation de ceux de Courcerac, exigea que pour tout remerciement, il ne fut plus jamais question d’exclusivité. Chacun, qu’il fut de Courcerac, Brizambourg, Aumagne, Chaniers et d’ailleurs en Saintonge, devait pouvoir jouir de la cure de rajeunissement du Merle Blanc. Quant à l’oiseau, nulle cage ne devait l’entraver.

Il en fut fait ainsi selon les désir du héros. Dans ce petit coin de France, la vieillesse fut abolie tant que le Merle blanc put chanter. Certains en usèrent avec parcimonie, ce qui ne fut hélas pas le cas de tous. Le Chat par exemple, abusa tant et tant des trilles de l’oiseau qu’il redevint chaton et termina son existence dans un sac de jute, jeté dans la Charente en compagnie d’une portée indésirable.

D’autres, parmi les habitants des 4 villages usèrent eux aussi sans modération des chants de l’oiseau prodigieux. Ils furent nombreux à devoir s’équiper de langes et à se mettre en quête d’une nourrice. La pénurie fut telle que dans le pays on ne trouva onques nobles mamelles capables de nourrir tout ce joli monde braillant et pleurant. C’est ainsi que grande fut l’hécatombe des vieux nourrissons.

Quant à notre Merle blanc, on découvrit fort bien trop tard que, sourd comme un pot, il ne pouvait profiter de son pouvoir magique. C’est ainsi qu’il mourut de sa belle mort ! Nombreux furent ceux qui ne le regrettèrent pas, tant son passage avait provoqué querelles et catastrophes. Le désir de l’éternelle jeunesse avait fait bien plus de ravages que le cours ordinaire de l’existence. Il n’y avait plus personne pour assurer les travaux des champs et les besoins ordinaires d’une communauté. Les écoles étaient pleines de gamins braillards et nul adulte ne pouvait en assurer la garde.

Seul le jeune homme, dans son immense sagacité, avait renoncé aux services de l’oiseau. C’est d’ailleurs lui, qui dans la fin de son âge, me narra cette étrange histoire. Je viens de la coucher sur le papier en écoutant au loin un merle babiller. Par bonheur, il est noir ce qui nous permet de rester de grands enfants sans risquer de retomber sottement en enfance. Gardons nous bien de suivre l’exemple du transhumanisme ! Voilà doctrine qui nous conduira dans l’abîme plus sûrement encore que ce pauvre Merle Blanc

Babillement vôtre.


Marcher sous la pluie.

  La pluie fait des flaquettes. Le temps est maussade, le ciel chagrin. Du matin au soir, en dépit du calendrier, les la...