vendredi 26 juillet 2024

Pauvre batelier !

Quand le bât baisse






Il était une fois un fier et vaillant batelier de Loire qui n'avait de plus grand bonheur que d'être à la manœuvre. Il se faisait un plaisir physique à hisser la voile, à déployer cette belle toile, ce drap de volupté qui se gonflait des assauts du vent. Il n'avait pas son pareil pour abattre, relever, affaler, hisser en des mouvements incessants de va-et-vient. Il était passé maître à ce poste qui requiert dextérité, doigté et force des reins pour l'homme d'équipage.


Bien sûr, il devait parfois se résoudre à baisser pavillon, à avaler son orgueil pour démâter au passage des ponts. Il avait à chaque fois un pincement au cœur, un je ne sais quoi d'impression sournoise, un pressentiment qu'il ne parvenait pas à décrypter. Heureusement pour lui, le malaise n'était que de courte durée, l'obstacle franchi, il se réjouissait de redresser l'objet de sa fierté marinière.


Ce genre d'activité ne laissait pas insensible les dames qui du bord, admiraient les gaillards qui défiaient les flots et le courant. Elles avaient toutes des yeux énamourés pour celui qui déployait dans le ciel ce drap de coton, toile blanche qui demandait tant de peine à nos lavandières. Partout dans notre pays ligérien, ce colosse était surnommé le Bât …


Sa réputation lui valait bien des agréments. Les rendez-vous ne manquaient pas à l'ombre d'un buisson, au derrière d'un lavoir, au creux du chemin de halage. Il ne faiblissait jamais, à cette manœuvre là, il était tout aussi actif que sur ses glorieux esquifs. Il enjamba bien plus d'arches féminines qu'il ne peut y avoir de pont sur notre Loire.


Mais les belles histoires ont toujours une fin piteuse, le temps de la marine à voile tirait à sa fin. Sur le fleuve, des cheminées crachant le feu remplaçaient progressivement nos gréements magnifiques. Dans la tête de Bât, cette révolution technologique fit grand tracas. Il se voyait ne plus jamais mettre le collier à la vergue, il s'imaginait ne plus trouver passe sur le fleuve, les filles allaient se gausser de lui…


Puis une nuit, il fit grand cauchemar, rêve prémonitoire. Le bât était sur un bateau sur un fleuve en colère. Il y avait grand vague à l'âme sur la Loire ce jour-là. Les eaux étaient jaunes et grosses. La manœuvre au pont ne se passa pas bien, la Galante démâta (C'était le joli nom de la gabare sur laquelle il avait été embauché). Quand l'incident se produisit, un vapeur passa juste à bâbord et son sifflement strident sonna le réveil du pauvre homme et la fin de ses turgescences glorieuses.


Depuis ce rêve affreux, avec sa peine secrète, ce malaise qui ne se dit pas dans le milieu des marins, il allait la tête basse sur les quais de notre fleuve. Son aiguillette, celle qui fit sa gloire avait cessé de se dresser fièrement vers le ciel. Il avait le mât en berne, la marine de Loire à la voile était bien morte. Il ne s'imaginait pas une seule seconde passer à la vapeur, il avait sa dignité et ne se pensait pas capable de virer de bord, de renier ainsi sa réputation de graveleux luron .


Il usa alors de tous les remèdes de bonne-femme qui lui passaient sous la main. Il broya des becs de héron pour se faire poudre de Patachon. Il avala cette potion sans qu'il retrouve sa vigueur d'antan. Il fit appel aux marins de la mer, ceux qui venaient des terres lointaines. Il mâcha l'écorce du fameux Richeria grandis, le revigorant bois bandé, sans plus de succès. Il en venait à regretter le temps de la bricole …


Les filles désormais riaient sous des capes qu'ils ne détroussaient plus à son passage, depuis quelque temps, elles avaient trouvé que les cheminots, malgré leurs gueules noires, étaient les nouveaux aventuriers de l'intérieur. La vie de notre Bât déraillait. Il avait échoué sur un cul de grève comme un âme en peine, il avait perdu l'envie de se battre.


Il était au bord du précipice, il se voyait plonger dans une bîme, faire ce dernier saut à défaut de tous ceux qui se dérobaient désormais à lui. C'est à ce moment qu'une chasse aquatique, un grand mouvement de fureur vint du fond de notre fleuve. Un brochet affamé voulait faire son affaire à une ablette qui ne voulait pas s'en laisser compter.


Quel âne se dit de par devers lui ce pauvre Bât ! Que n'ai-je pas pensé plus tôt à cette reconversion ? Je continuerai à me faire pêcheur en restant au bord de notre Loire. Une gaule à la main, un bâton de bambou, je déploierai mes lignes pour taquiner les brèmes, les carpes et les aloses. Et si un brochet, un chevesne ou tout autre gros poisson vient à moi, je ne ferai pas le difficile.


C'est ainsi que remettant la main à la pâte, sa malédiction put tomber. Bât comme par magie, retrouva sa vigueur légendaire. S'il pousse toujours le bouchon trop loin, c'est sur la berge, sur le sable ou bien à l'embouchure d'un ruisseau qu'il renoue avec la tradition batelière. Et si quelques poissons assistent aux curieux ébats ligériens de l'ami Bât, ils s'en amusent plus qu'ils s'en offusquent. De voir de charmantes demoiselles tomber, elles aussi, dans ses filets, semblent leur faire oublier le sort qu'il leur promet.


Il ne faut jamais désespérer de la Loire, elle a toujours un tour dans son sac pour que le marin redresse la tête ! De cette histoire à ne pas mettre entre toutes les oreilles, c'est bien la seule morale qui vous soit permise d'ouïr ici.


jeudi 25 juillet 2024

Ode à la Loire ...

Dans un berceau de joncs !





C'est la Loire païenne qui nous baptisa puis nous servi de nourrice, les forêts avoisinantes qui nous élevèrent au-dessus des contingences. Nous, les enfants du Val, de Sologne et de la forêt d'Orléans ! Nous avons grandi sous la houlette bienveillante d'une nature radieuse et généreuse qui surveillait nos escapades bucoliques sans le risque des véhicules automobiles ou des craintes parentales.


Nous nous sommes nourris de la friture de goujons et des écrevisses d'alors, des pêches des étangs et des gibiers d'une Sologne qui n'était pas encore enfermée dans un labyrinthe de barbelés hostiles. Nous ramassions les champignons au Nord comme au Sud de cette frontière bleue. La lépiote s'élevait bien droite le long des rives, le cèpe abondait dans les chênaies et les girolles préféraient la lande. Nous arpentions ces espaces sans limite, n'ayant alors jamais la crainte de nous retrouver face au fusil d'un garde irascible.


Nous nous sommes réunis en joyeuses bandes insouciantes autour de feux de bois que nul ne pensait alors interdire. Nous pouvions chanter sans déplacer un véhicule bleu, nous nous regroupions sans déclencher le regard suspicieux des plus grands. Nous plumions une volaille élevée en plein air et rôtie de la même manière. Nous l'accompagnions de châtaignes ou bien de mûres qui donnaient à ces pique-niques des airs de festins.


Nous découvrîmes les promesses et les premiers émois dans la discrétion d'une garrigue, sous le couvert d'un taillis ou dans le secret d'une île. Nous avions le temps devant nous et tout cet espace sauvage pour le dévorer. Quand l'insuccès était au rendez-vous, nous offrions à la Loire consolatrice les premiers chagrins, en errant en solitaire sur une levée réparatrice, auprès d'une rive consolatrice au fil d'une onde salvatrice.


Nous avons dormi sur le sable d'une plage isolée. Des guitares incertaines accompagnaient de quelques accords, les succès de Graeme Allwrigt ou de Maxime Le Forestier que nous chantions jusqu'à ce que le sommeil nous emporte vers la magnificence d'un soleil levant. Nous étions enfants du rêve d'un Mai qui était passé en nous laissant cette farouche volonté de liberté sans entrave.


Nous avons grandi et perdu de vue notre Dame Liger pour quelques infidélités qui nous éparpillèrent dans tout le pays et bien plus loin encore. Pourtant, indéfectiblement, nous étions de la tribu Liger et jamais ce lien ne se rompra. Les semelles de vent de nos 'pataugas' nous ont conduit en bien des endroits. Beaucoup sont devenus moniteurs, éducateurs, instituteurs ou animateurs pour transmettre le goût de la pleine nature aux générations futures.


Nous avons échoué dans ce passage de témoin parce que l'étrange lucarne qui grandissait devenait plus distrayante que nos balades champêtres. Nous avons également baissé pavillon dans la lutte que nous menâmes face aux hideuses centrales qui vinrent défigurer notre Loire. Le combat était inégal et il n'est pas raisonnable d'avoir raison trop tôt ! Nous avions pourtant lutté bec et ongles contre ces monstres indomptables qui un jour nous dévoreront au nom d'un égoïsme absurde.


Beaucoup ont fait leur vie d'adulte loin de la douceur du Val. L'ascenseur social fonctionnait encore et chacun prenait une direction que de bonnes études avaient définie. Ils n'en gardèrent pas moins une douce nostalgie au cœur, une rivière qui ne cessait de les rappeler à l'ordre, de les convoquer de temps à autre pour qu'ils se ressourcent comme on dit maintenant avec cet étrange vocable fluvial.


Ceux qui sont restés ont longtemps survécu au matérialisme envahissant. Ils s'en allaient, solitaires et incompris, goûter aux charmes oubliés de la levée ou de la forêt. Puis, ils se sont retrouvés, quelques uns d'abord puis un peu plus nombreux au fil du temps, autour de la mémoire d'une marine de Loire qui avait été totalement effacée par leurs pères et les pères de ceux-ci.


Ils se sont raconté l'amour du fleuve, de ses hôtes et des alentours. Ils se sont retrouvés autour de bonnes bouteilles du pays, d'une ripaille qui n'était pas honteuse, de la fête et des danses qui font tourner les têtes et les jupons. Ils ont retrouvé les vieux écrits oubliés de Louis Martin, historien illustre de la Marine avant que d'autres ne reprennent le flambeau.


Les plus adroits ont retrouvé ou bien inventé l'art d'assembler les planches de sapin, de chêne, de sélectionner un mât sur pied et de tresser la corde de chanvre. Ils ont donné naissance à des bateaux de bois qui, gonflés d'orgueil sous le vent de galerne, remontent le courant d'une société qui file à sa perte en entraînant les générations futures et tout notre environnement vers une catastrophe probable.


Ils se sont dressés une nouvelle fois devant cette appropriation effrénée de ce qui ne devrait que se partager et se transmettre. Ils ont réveillé les ligériens, ils leur ont décillé les yeux pour qu'à nouveau ils regardent cette rivière magnifique qui est leur plus beau bien commun. Certains se sont fait charpentiers de marine, d'autres capitaines aventureux. Beaucoup se firent photographes pour la mettre en valeur tandis que d'autres prirent le pinceau . Il en est encore qui se sont rêvés chanteurs de Loire et quelques-uns ont eu la prétention d'écrire des histoires. Ils n'ont d'autre but que de vous faire aimer la rivière qui les a nourris dans son berceau de joncs. Puissiez-vous les rejoindre à votre tour au cœur, cette merveilleuse passion Loire !


 


Pauvre batelier !

Quand le bât baisse Il était une fois un fier et vaillant batelier de Loire qui n'avait de plus grand bonheur que d'être à la ...