mardi 30 novembre 2021

Un livre voulut faire salon

 

Salon du livre





Un livre voulut faire salon

Dans une salle défaite

Dans la tête se mit plomb

Pour en être la vedette


Il ouvrit un chapitre

Noircissant une page

Sans devoir faire le pitre

Pour glisser un message

 



Faute de bonnes idées

Il tira à la ligne

Quand il fallut meubler

de misérables signes


L'action lui faisant défaut

Opta pour la confession

Avouant de vils maux

En guise d'exclamation 

 



Le style lui faisant défaut

Confia la rédaction

À celui qui pour de faux

Écrit par délégation


Le succès au rendez-vous

Sans faire la grimace

L'imposteur au garde à vous

Rédigea des dédicaces

 



Formules adverbiales

Mots sans saveur ni valeur

Pauvre cérémonial

Pour qui n'en est pas l'auteur

 


 

La confrérie des « mangeux de Lune »

 

Chasse, pêche et gros sel ...






« La chasse détourne du labourage et du commerce et rend fainéants les vilains » ordonnance de 1396 prise par Charles VI. La chasse devient une prérogative royale déléguée à la noblesse et aux seigneurs haut justiciers.


Dans la seigneurie de La Trémouille comme dans tous les domaines appartenant à un noble, les manants n'avaient guère le temps de baguenauder dans les bois ou le long des rivières. Il faut reconnaître qu'ils n'en avaient pas le droit non plus. La chasse était privilège du Baron tandis que la pêche relevait de deux juridictions. La Loire étant naviguée, le poisson était propriété du roi. Gare à celui qui était pris la main au filet. Le fouet tout d'abord puis les galères pour découvrir les vertus de l'eau salée. Quant aux affluents, étant dans le domaine du seigneur, il n'était pas question d'y prendre du poisson.


Une interdiction, fut-elle assortie de lourdes sanctions ne dissuade jamais ceux qui ont faim ou simplement l'envie de tromper ceux qui s'accaparent bien des privilèges. En la matière, la nécessité contournait d'autant plus la loi que le ventre réclamait des protéines que ces braves gens ne pouvaient s'offrir, faute de moyens.


Les plus malins se mirent en demeure de se faire mangeux de Lune. Non qu'ils veuillent décrocher pour le dévorer le satellite de notre Planète, mais parce que c'était la nuit venue, que des ombres furtives, allaient taquiner le goujon ou piéger le garenne. Ils se firent braconniers par nécessité tout autant que par plaisir tout en pensant de par devers eux que Charles VI n'y connaissait vraiment rien ; « Pour travailler le jour et braconner la nuit, il ne faut pas être fainéant. »


La Loire, avec l’irrégularité de son cours leur donna de belles occasions de faire bonne et grande pêche. Quand elle quittait son lit pour envahir les herbes folles, des boires et et les varennes, rien n'était plus facile que de piéger les poissons qui allaient se dégourdir les nageoires dans le Val. Un trou, une dépression, un gourd, une astucieuse dérivation prenaient au piège les aventureux. La Loire se retirant, ceux qui n'avaient pas pris leurs nageoires à leurs ouïes, se trouvaient ainsi bon à être cueillis sans enfreindre la règle.


Naturellement, les hommes du roi comme ceux du seigneur n'ayant pas une conception rigoureuse de la loi, il convenait malgré tout d'agir loin de leurs yeux tatillons. La nuit, tous les poissons pris demeurent gris. Nul reflet d'argent pour dénoncer le maraudeur. Il n'y avait plus qu'à remplir les musettes et les bourriches, les paniers et les viviers.


Pour les animaux terrestres, le risque était plus grand. Il fallait agir sur les terres du Baron. La discrétion s'imposait tout autant que le silence. Faire le coup de fusil eut été folie véritable. C'était la plus sûre manière de se faire tirer l'oreille et bien plus si le garde vous avait dans le collimateur. Les braconniers usèrent ainsi de techniques discrètes, exemptes du moindre bruit.


Les uns dressèrent des petits compagnons pour les laisser agir à leur place. Un prédateur au service d'un plus malin, la chose était possible avec le faucon, la belette, le cormoran même, le chien pourvu qu'il n'aboie pas. Personne hélas ne parvint à se concilier les services d'un renard, même en lui promettant un joli fromage. Goupil étant trop individualiste pour se mettre au service d'un tiers.


Les autres imaginèrent des pièges, des trappes, des chausse-trappes, des filets et des fosses. Tout était possible pour prendre par surprise l'animal en quête de sa pitance. La rouerie des braconniers était sans limite, l'imagination poussée par la gourmandise si elle ne vous donne pas des ailes, vous permet néanmoins de faire preuve d'inventivité.


Les pêcheurs, observant leurs collègues se dirent qu'il y avait là des idées non pas à creuser, mais à transposer dans la rivière. Habiles au tressage de l'osier, ils firent ainsi des nasses qui firent des merveilles. Ne restait plus qu'à les relever à la nuit venue et sans se faire prendre, naturellement. Nos joyeux braconniers de la Lune pourtant n'étaient pas au bout de leur peine. Si poissons et gibiers tombaient dans leurs escarcelles, les nuits sans Lune ne font pas tous les jours de la semaine. Nécessité s'imposait de conserver ce qui n'était pas mangé dans la foulée.


Une fois encore, il fallait se donner la main car la réglementation royale n'avait d'autre but que de rendre la vie impossible aux braves gens. Il est possible du reste que cette manière d'agir du pouvoir n'ait jamais différé en dépit des changements de régime. D'autres mangeux de Lune venaient à leurs secours…


Le sel était alors le moyen le plus discret de conserver des aliments. Le fumage pouvait faire aussi bien l'affaire si ce n'est que la fumée vous dénonce à quelques lieux à la ronde. Pour se fournir en sel, deux filières. La légale en passant au grenier à sel pour subir l'odieuse gabelle ou en se fournissant auprès des faux-sauniers, ces trafiquants qui allaient sur la Loire ou sur les chemins pour vendre moins cher que le roi, ce précieux condiment.


Une économie parallèle s'était instaurée pour tromper gabelous et gardes, les maîtres et leurs valets, le roi et ses séides. Chasseurs, pêcheurs, faux-sauniers pouvaient s'ils se faisaient prendre, se retrouver sur le même banc d'infamie, une rame à la main, à chanter les louanges d'une belle dame de nage. C'est ainsi que le pouvoir pensait leur mettre du plomb dans la tête avec de lourdes chaînes aux pieds. Les puissants ont toujours eu du mal à comprendre leurs sujets.


Salinement leur.


 

lundi 29 novembre 2021

Il nous mène en bateau

 

En bateau





Il nous mène en bateau

Dès qu'il quitte le rivage

Nous impose tant de maux

Dans un triste voyage



Quand il agrippe la barre

Pour détourner le cap

Vogue vers un curieux phare

En riant sous sa cape



Flibustier de l'espoir

Il éperonne nos vies

Nous laissant dans le noir

Submergés de soucis



Ce corsaire des puissants

Nous enferme dans la soute

Pour nous le mauvais temps

La liberté dissoute



Nous rêvions d'un ailleurs

Mais dans cette galère

C'est pour les décideurs

Que nos vies sont amères



L'océan a bon dos

Il évoque la tempête

Quand tous les matelots

Se retrouvent à la diète



Si nous faisons naufrage

Filera à l'anglaise

Sans le moindre courage

En disant des fadaises



Capitaine d'opérette

Sans le moindre crédit

Sur une goélette

Achèvera sa vie



Sur le mât de misaine

Accroché par les pieds

Pour le prix de sa haine

Et de sa vanité


 


samedi 27 novembre 2021

La véritable histoire de la petite souris

 

Petite Souris




Une souris ayant perdu une dent

Confia son désarroi à sa maman

Sachant que c'est un drame pour un rongeur

Cette mère tint propos consolateurs


« Nous aurons moyen de la remplacer

Par quelques astuces à notre portée

Cherchons dans cette charmante maison

Ce qui complétera ta dentition ! »


Le conseil laissait souris sur sa faim

Elle doutait désormais du lendemain

Sa génitrice balayant ses craintes

Fit un orifice dans une plinthe


Débouchèrent dans une grande salle

Ayant dimensions colossales

C'est dans un grand esprit de synthèse

Que toutes deux cherchèrent une prothèse


Elles découvrirent bien plus qu'un trésor

Une merveilleuse pièce en or

Et la petite souris la glissa

Dans l'étroit orifice qu'elle combla


Pour se faire pardonner ce larcin

La petite souris c'est très malin

Offre un sou tout neuf aux charmants enfants

Qui par mégarde tombent une dent

 





L’enfance sur les dents.

La petite souris


 

 



 


    Qu’elle soit verte ou grise, qu’elle court dans l’herbe ou bien sur le plancher du grenier, la petite souris hante l’imaginaire enfantin. Porteuse d’une pièce quand les dents tombent, il ne faut pourtant pas la tirer par la queue, elle rentrerait immédiatement dans sa coquille. D’autres préfèrent la mettre en cage, lui permettant simplement de tourner en rond dans une roue neurasthénique. Elle mérite bien mieux cette demoiselle que seul le chat de la maison avait le droit de croquer.

    Puis est venu le temps de la dératisation, de l'hygiénisme à outrance. La petite souris a dû faire compagnonnage avec la tapette, animal à ressort qui aime tout particulièrement torturer ses victimes à petit feu. Le petit rongeur ne pouvait faire de l’huile, ignorant sottement que les humains sont capables de telles perfidies. Avec le greffier, le combat n’était certes pas égal, mais il était loyal. L’un sortant ses griffes quand l’autre usait de sa roublardise.

    La pauvrette ne fut pourtant pas au bout de ses peines. Ceux qui vont debout sur leurs pattes arrière avaient d’autres idées en tête. Ils épandirent du poisson partout où c’était nécessaire à leur volonté de réduire à néant la nature. La souris se fit du mouron, elle devint vite allergique à cette industrie phytosanitaire qui n’aimait ni les fleurs, ni les insectes, ni ses semblables. Elle n’était plus qu’une mauvaise herbe dans l’esprit des humains.

    Elle trouva refuge dans un univers de carton-pâte et de bulles. Elle eut même les honneurs du cinéma. Étrange phénomène qui fit d’elle une vedette planétaire alors que dans nos maisons il n’était pas question d’en voir la queue. Si elle faisait son trou à Hollywood, par contre c’était loin d’être le cas à Gruyère ou dans le Comté.

    La souris aurait pu protester, faire la grève et renoncer à récompenser les dents de lait qui choient. Mais elle n’est pas rancunière, la douce et belle demoiselle. C’est là sa plus grande méprise, elle aurait certainement obtenu le soutien de tous les bambins édentés, privés d’une juste récompense. Hélas, on ne peut refaire l’histoire, les souris survivantes s’en mordent les doigts.

    Elle tenta de se reconvertir dans diverses activités. La police s’inspira d’elle pour tendre des pièges aux malfrats. La souricière inspirait les auteurs de polars mais n’était d’aucun secours pour elle. Le boucher vantait les mérites de la souris, un morceau de choix parait-il sans que cette fois elle fut en cause, voilà un écueil d’éviter, une bonne nouvelle dans un océan de contrariété.

    Car la demoiselle avait un chat dans la gorge, un animal sans pitié qui proliférait dans ce monde aseptisé. Plus la campagne disparaît de nos villes, plus les humains éprouvent le besoin de caresser dans le sens du poil de doux greffiers qui une fois la nuit tombée, font grande hécatombe d’oiseaux et de rongeurs. La vie est dure pour qui croque sous la dent d’un animal aussi matois que roublard.

    Ses cousins du reste ne sont pas mieux lotis. Mulots, campagnols et musaraignes subissent le même sort tragique. La grande internationale du petit rongeur décimé ne fait pas la une des médias qui pourtant ont tous usé, à l’heure du tout numérique d’une congénère artificielle. Celle-ci aussi tend à disparaître au profit d’un pavé tactile qui manque singulièrement de tact.

    En écartant définitivement de notre quotidien le charmant mot de souris, les enfants pensent désormais qu’il n’y a que Mickey Mouse qui corresponde d’assez loin à cette appellation. Pire même, quand ils reçoivent encore quelques pièces sous l'oreiller, c’est dans l’univers factice de cette succursale de la mondialisation qu’ils vont les dépenser. Les vraies petites souris s’en désolent grandement.

    Je ne sais si j’ai fait le tour de la question. Une belle souris qui a remplacé une vieille taupe vient justement à ma rencontre. Je veux bien me laisser mener par le bout de la queue à panache d’un écureuil qui vient lui aussi troubler mon écriture. Je rongeais mon frein depuis si longtemps, le vieux matou que je suis, était en panne d’inspiration, voilà tout !

    À contre-emploi.



jeudi 25 novembre 2021

Marchand forain libraire roulant par la France

 

La Pistole






Fils d’un maître cordonnier et de Jeanne, une brave femme, Noël Gille naquit, en 1744 en Normandie. Cette région semble s’être faite le vivier des libraires ambulants à cette époque puisqu’on en compte quatre autres dans le même secteur et un grand nombre de colporteurs vendant des feuilletons, des estampes et des almanachs. Noël a appris à lire puis il est parti au service de Sa Majesté. Il en est revenu avec un bras en moins et une pension d’une pistole par mois qui lui valut son sobriquet. Manchot, le garçon ne pouvait se faire artisan et opta pour un commerce certes interdit -seuls les libraires avaient le droit de vendre des livres- mais certainement assez répandu à cette époque. Il se fit marchand forain libraire roulant sur les routes du nord de la France.

Noël Gille parcourait le septentrion avec une charrette attelée de deux chevaux. Il se trouvait ainsi bien au- dessus de la condition des colporteurs qui allaient à pied avec leurs marchandises sur le dos. Il portait d’ailleurs redingote et bottines, ce qui lui donnait une certaine allure. Il vendait essentiellement sur les foires et les marchés un assortiment de livres très variés. Il sillonna le nord de la France de Bourges à Calais, d’Amboise à Nevers avec de fréquents passages à Orléans, Gien et Montargis.

Il venait à Montargis pour la foire de la Sainte-Madeleine et c’est d’ailleurs là qu’il épousa en 1773 Anne-Madeleine Boulmier, elle aussi fille de cordonnier. Manifestement La Pistole avait trouvé chaussure à son pied et fit de la Venise du Gâtinais son port d’attache. Il y eut six enfants, y établit une librairie fixe et y mourut en 1824 à l’âge vénérable de quatre-vingts ans.

Il est donc passé dans nos grandes foires historiques, foire Saint-Aignan à Orléans, foire Sainte-Madeleine à Montargis, foire des Cours à Gien sur Loire, foire Saint-Georges à Pithiviers, foire Saint-Joseph à Beaugency. On peut d’ailleurs remarquer que seule la foire Saint-Aignan a disparu dans une ville qui se prétend capitale historique. La Pistole était donc l’ambassadeur du livre dans les grands marchés de l’époque. Sur ses deux chevaux, il n’y avait pas d’amazone, certes, mais le livre arrivait dans nos villages.

Sa condition de libraire forain n'est pas, malgré tout, exempte de difficultés. Il éprouve bien des déboires avec les rouliers chargés de l’approvisionner et ses relations avec les éditeurs ne sont pas toujours sereines, d’autant qu’il y a parfois des éditions secrètes qu’il convient de cacher. De plus, les mauvais payeurs sont légion dans ce beau pays de France ; La Pistole connaîtra les affres de la faillite et de la prison.

Il subit naturellement quelques fouilles en règle par la maréchaussée . Il est aussi sujet à des tracasseries policières pour la vente sous le manteau -la redingote dans ce cas précis étant fort commode- d’ouvrages prohibés. Il faut admettre que c’est une époque où la censure aime à interdire plus que de raison des textes qui offensent la morale, la religion et les bonnes mœurs -justement ce qui se vend le mieux-. Dans ces cas-là, notre homme prétend toujours ne pas savoir lire, ce qui ne semble pas mettre la puce à l’oreille des pandores alors qu’il fait commerce du livre.

Le livre se vend, l’offre est diversifiée : allant du livre pieux aux ouvrages de philosophie, des grands classiques aux livres d’histoire ou de géographie. Les romans sont en bonne place, les grands auteurs également. Voltaire, Montaigne, Ovide, Molière sont dans les malles de notre ami La Pistole qui vient de temps à autre du côté de la Loire. Il a des clients à Amboise, passe parfois à Beaugency, est en commerce à Orléans avec un homme assez interlope, le sieur Letourney qui se prétend relieur et pourrait être très bien imprimeur de livres interdits. Il a de bons clients à Gien-sur-Loire, dénomination de l’époque.

Ses clients sont des nobles, des gens du clergé, des officiers civils, des gens de robe mais aussi des bourgeois, des lettrés et des cultivateurs. Les almanachs touchent naturellement le plus grand nombre, tout comme les dictionnaires et les ouvrages pratiques de jardinage ou de cuisine. Il vend parfois les œuvres complètes de Voltaire en 52 volumes, ce qui représente du volume et de l’argent.

Il y a de mauvais payeurs, des fournisseurs douteux, des accidents sur la route, des problèmes avec les intempéries qui peuvent gâcher la marchandise : le livre n’aime guère la pluie. La vie de notre brave La Pistole n’est pas un long fleuve tranquille mais il semble manier des sommes considérables et a été en mesure de se relever d’une grosse faillite qui s’élevait à 25 000 livres.

L’histoire de ce curieux personnage démontre que la lecture n’est pas réservée à une élite, même si le petit peuple semble en être écartée. Il se trouve des lecteurs dans toutes les couches de la population et le livre circule ; y compris-et même surtout-lorsqu’il est interdit. C’est plutôt rassurant sur les effets de la censure hier comme aujourd’hui.

La carte de ses déplacements atteste, elle aussi, d’une intense activité et d’une multitude de destinations. C’est bien le signe que l’on peut emprunter les chemins dans cette France d’Ancien Régime et que nos représentations ne sont pas toutes exactes. La Pistole est un véritable itinérant qui dort dans les auberges et se déplace avec une marchandise de valeur.

J'ai retrouvé ces informations grâce aux travaux d'Anne Saury, une universitaire qui a étudié attentivement un livre de crédit qui court sur six années d’exercice. C’est à partir de ce document qu’elle a mené ses recherches. Je vous invite à aller puiser à la source de ce bref résumé d’une vie consacrée aux livres. J’avais trouvé trace de notre ami La Pistole qui avait pris place dans un conte : « Les mots pour lui lire ». Il méritait bien ce bref hommage ; tous ceux qui ont contribué à la gloire de la lecture, méritent notre estime.


 


À contre-sujet.

à consulter 

 http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1967-05-0177-001

mercredi 24 novembre 2021

La canne et le bouchon

 

La canne et le bouchon

 






Un chêne-liège vint tenter l'aventure

De faire souche au bord d'une rivière

Né d'un gland abandonné en pleine nature

Prit racine au cœur d'une roselière


Étant féru de belle littérature

Le jeune arbuste confia sa destinée

À un arbre à quenouille de fort belle allure

Lui servant de tuteur au fil des années


Le grand roseau lui indiqua le bon chemin

Pour s'élever au dessus de ses semblables

Le chêne liège savait, car il était malin

Que ce compagnon passe pour être fiable


Le tenant d'un certain Jean de la Fontaine

Le bel arbre pensait son avenir radieux

Tout au bord d'une rivière pas si vilaine

Il s'imaginait y couler des jours heureux


C'est de ce trop grand optimisme qu'il pêcha

Car le tuteur parfaitement rectiligne

Suscita la convoitise d'un qui le coupa

Le roseau permettant de tendre une ligne


L'homme sans manière lui planta son couteau

Voyant que l'écorce n'offrait nulle résistance

L'ingénieux en coupa un petit morceau

Qu'il se mit à tailler à sa convenance


Le chêne, et ce fut là son terrible malheur

Célébra la naissance du bouchon de liège

Grande découverte pour nos amis pêcheurs

Tendant aux poissons ce curieux piège


Prenez bien garde à ne pas mordre à l'hameçon

Du gentil pêcheur ou du versificateur

Par le truchement de la fable ou du dicton

Ce qui vous attire n'est que facétieux leurre...

 


 

Poisson-chat et chauve-souris

Méli-mélo





Un poisson-chat, curieuse folie

Voulut manger une chauve-souris

La chose lui semblait aller de soi

Vous comprenez aisément pourquoi


Se posa la question du comment

Un problème qui lui causa tourment

Un détail qui se faisait fardeau

Comment attirer sa proie dans l'eau ?


Une énigme tirée par les cheveux

Pour qui au ciel levait les yeux

Il fallait renverser l'équation

Afin que s'envolent ses aiguillons


C'est en se frisant les moustaches

Qu'il se mit alors à la tâche

Désirant faire de ses ardillons

Les hélices de son avion


Après bien de vaines tentatives

Toutes aussi peu spéculatives

Il dut se rendre à l'évidence

Voler sortait de ses compétences


Jamais ce malheureux poisson chat

Ne put s'offrir ce plaisant repas

La chauve-souris restera un désir

Que jamais il ne pourra s'offrir


Méfiez-vous des mots qui nous leurrent

Ils se parent souvent d'habits trompeurs

Si comparaison n'est pas raison

Cette histoire en fait démonstration

 




lundi 22 novembre 2021

Gymnastique quotidienne.

 Écrire !

 





    Il faut prendre au pied de la lettre l’expression : « Gymnastique quotidienne » car écrire est une pratique qui ne suppose guère de repos. Comme le pianiste fait ses gammes, inlassablement, le billettiste remplit des lignes. Il est vrai qu’il en a pris l’habitude à l’école, lui dont l’orthographe irritait à ce point ses maîtres, qu’il héritait de fastidieuses pages à remplir. Il se souvient encore de ce redoutable : « Toujours prend toujours un s » qui lui fit retenir définitivement la curiosité de cet adverbe et explique peut-être son amour immodéré pour les mots de cette nature.

    Ainsi, si nous prenons pour acquis l’obligation de toujours mettre son ouvrage sur le métier, tel le sportif qui ne peut cesser de courir après sa condition physique, l’écriveur doit aligner des lettres quand le comptable aligne des chiffres. Chacun a donc son étrange assuétude qui progressivement se transforme en mode de vie, en impératif vital. Les doigts se plient à l’exigence, le clavier consent à se laisser tapoter et l’écran se noircit au fil d’une pensée incertaine.

    L’entraînement n’est certes pas de même nature que la performance. Rares sont les textes surgis du néant qui méritent une gloire posthume ; le plumitif mécanique le sait et ne s’en offusque pas. Parfois, comme aujourd’hui sans doute, il se contente d’un titre et laisse alors filer le flot de ses  digressions langagières. Le miracle n’a pas toujours lieu, le texte tombe à plat et le lecteur s’ennuie ou bien s’enfuit.

    Mais qu’importe, il faut s’atteler à la tâche, ne pas refuser l’obstacle. Écrire ne supporte ni la suspension ni la page vide. Chaque jour est un nouveau défi : chaque fois, il convient d’approcher les cinq mille caractères pour que l’auteur se persuade qu’il en a un sacré, de chien peut-être, mais bien trempé dans l’encre sympathique d’une obsession mystérieuse. Alors, il écrit, glisse les uns derrière les autres des mots à la queue leu-leu. Il peut ainsi passer du coq à l’âne pourvu que l’animal en question ait un joli panache.

    Écrire pour ne rien dire, diront ceux qui, justement, n’ont pas compris qu’écrire n’est pas discourir ni même déblatérer. C’est un exercice silencieux, un moment de repli en soi, une conversation intérieure qui ne suppose ni bruit ni perturbation d’aucune sorte. C’est sans doute pourquoi notre tireur à la ligne se plaît à se cacher dans un lieu clos, un vide sanitaire et salutaire pour répondre à l’appel du texte à naître.

    Écrire c’est encore s’amuser des mots, les laisser ricocher sur la page, prendre d’autres sens et parfois d’autres directions. Le mot à mot n’est pas satisfaisant, quand le rédacteur manque de souffle, c’est un bouche-à-bouche avec lui-même qui lui redonnera esprit et inspiration. Il est probable que le lecteur expire, s’enfuit ; mais il reviendra la fois prochaine tandis que notre prosateur a sauvé les apparences en rendant sa copie.



    Écrire c’est encore faire œuvre d’artisan. Le mot devient substrat, la phrase matière première. Il y a du modelage, du malaxage, du façonnage, des coupes et des rajouts, des inversions, des transformations. C’est une belle horlogerie qui se moque parfois de dame syntaxe, c’est un étrange mécano qui ne tient pas debout, c’est une tendre glissade vers le rêve ou bien la folie. Il faut mettre les mains dans le cambouis même si, depuis belle lurette, l’encre ne vient pas faire tache sur le papier.

    Écrire c’est une course d’endurance avec une ligne d’arrivée qui ne cesse de se dérober à notre vue. Il faut partir en aveugle, se montrer sourd aux sirènes extérieures, toucher parfois la grâce et souvent l’insipide, sentir l’astuce ou bien la pirouette, goûter à l’aphorisme surgi du hasard et au bout de l’effort, atteindre ce Graal, le point final qu’on décide de poser là, en rase campagne.

    Écrire, c’est enfin ne jamais se contenter de la chose. Il y a aura une relecture, de nouveaux intrus qui se glisseront ici ou là, une virgule qui ouvre une nouvelle porte, un point virgule qui accorde un pas de côté, des parenthèses qui veulent faire écho, des guillemets qui apportent votre voix intérieure. Ce n’est jamais terminé et ce texte qui se pense achevé aura peut-être la chance, dans quelques années, de ressortir du placard pour se donner une nouvelle jeunesse.

    Écrire c’est raconter une histoire ou bien en faire simplement pour le plaisir, créer des personnages ou des situations, leur donner vie ou bien encore laisser aller sa colère, son humeur, son enthousiasme ou ses rancœurs. C’est encore faire du fictif son emploi quotidien, jouer de l’imaginaire, tromper son monde par des faux-semblants, des circonlocutions ou des contes avec pour seul salaire, celui de la satisfaction du lecteur. Il conviendrait d’établir, à côté des professionnels du parlement, une académie des laborieux de l’écriture.

    Écrire, c’est enfin redresser les torts, donner de la rectitude à la forme qu’on nomme orthographe, c’est veiller aux accords (chose impossible pour celui qui n’est jamais en accord avec lui-même), pister le genre qui est parfois mauvais, c’est quérir le nombre et s’accorder sur les concordances. De tout ça, le virtuose de la dysorthographie, qui tente vainement d’outrepasser son handicap, confie la tâche à des vigies patientes et bienveillantes ;  lui, il pratique une écriture brute, c’est normal, il est incorrigible ! C’est ainsi, qu’à bout de mots, il laisse le tout en équilibre sur la fin…

 

    À contre-sujet !




dimanche 21 novembre 2021

Il suffirait d'une belle histoire ...

 

L’ineffable





Un versificateur éthique

Désira user de sa plume

En une fort vieille pratique

Pour évacuer son amertume




Voulut rédiger une fable

La forme est des plus plaisantes

Tout comme le rythme agréable

Pour une morale bienfaisante

 



Hélas en cette triste époque

Être vertueux c'est déplaire

Pour le malheur de qui se toque

D'un conseil au terme de ses vers




Qu'il se préserve de tout message

Celui qui se pense affable

Tous les mots qui se veulent sages

Ne seront jamais publiables

 



Mieux vaut alors les torrents de haine

Les propos semant les blessures

Les paroles qui se déchaînent

La plume trempée dans les ordures

 



La bonté est passée de mode

Le fabuliste reste sur le flanc

Puisque les médias s’accommodent

Des vils maux qui crèvent l'écran

 



Ni animaux ni bons sentiments

La poésie devenu crachat

Dégoulinant de tous les tourments

D'une société sans prêchi-prêcha

 



Repoussant ses pensées immondes

Il serait si plaisant de croire

Que pour transformer ce pauvre monde

Il suffirait d'une belle histoire


 


samedi 20 novembre 2021

Grivois mais correct.

De la gaudriole sur le bout de langue.
 




 
   Si la nouvelle scène de l’humour use à plaisir du propos graveleux, de la tournure explicite pour évoquer ce qui ne devrait que se suggérer, il est nécessaire de revenir aux sources de cet humour gaulois qui ne devrait jamais être qualifié de franchouillard. Remontons donc les bretelles qu’elles soient à Pince ou bien Hercule pour que la ceinture cesse de laisser apparaître la raie des fesses et les bas fonds de l’arrière-pensée

    Au  XVIe siècle, un mariage en tout bien tout honneur fut célébré par l’usage d’une langue qui ne s’appesantissait pas dans les cunnilingus entre le verbe pronominal Se gaudir et la fameuse Cabriole chère aujourd’hui aux adeptes de toutes les positions du Kamasutra.  Le premier terme de cette union lexicale se réfère à la moquerie et au rire léger. Nous sommes loin des éclats gras et souvent enregistrés de nos artistes impudiques de la nouvelle scène qui se poile. Il s’agissait alors, plus prosaïquement, de simplement se gausser, persifler tendrement et avec légèreté. La nuance s’imposant dans le propos drolatique.

    Le second terme ne se place pas dans le cul par-dessus tête des contorsions verbales des chantres de la confusion de bite et du con. Les bonds étaient joyeux, les saillies uniquement verbales et la chute ne se situait pas pour l’essentiel au bas des reins. La légèreté avait sa place dans la conversation et la gentille blague. Aujourd’hui pour faire une blague à tabac dans les scènes d’humour qui s’érigent en Stand Up, il convient de priser l’explicite avec une précision anatomique.

    La gaudriole d’alors se plaisait à rester à la lisière du propos gai ; adjectif qui n’était pas encore flanqué d’un Y qui lui fit un enfant dans le dos. Le pinson avait encore son mot à dire tandis que l’on pouvait identifier les tenants d’une sexualité différente de mignons, d’invertis ou en se faisant plus déplaisant de bougres ou de sodomites. Autant de mots qui doivent échapper à la compréhension du public contemporain.

    La métaphore se plaisait à fleurir le propos de la bête à deux dos à moins qu’il ne s’agisse de délicieusement Se taquiner le hanneton ou la marmotte, chatouiller le nénuphar, chavirer dans le vétiver comme il se dit à L’Île de la Réunion si bien nommée. Le X a radicalisé la forme et les mots qui désignent la chose, la vulgarité prenant le pas, le septième ciel vira à l’enfer des sens. Il n’est d’ailleurs plus question de jouer les petits fleuristes de l’amour, prendre délicatement la fleur de la dame n’est plus de saison et parfois celle-ci use d’un tuteur pour suppléer au jardinier absent.

    Le verbe Gaudrioler quant à lui tomba rapidement dans le coquin, le fripon, le jupon soulevé sans nuance. L’amour physique avec lui se fit libertin, libre et joyeux. Mais les mots employés même s’ils pénétraient avec délectation le registre argotique n’en demeuraient pas moins des formules imagées qui s’éloignaient du cher explicite des humoristes tristes de l’époque ou des hommes politiques prompts à prendre en main leur destin.

    Laissons donc aller les poètes de la chose, la nuance est en la matière un merveilleux préliminaire. Les propos d'alcôve se susurrent sur le bout de la langue, les mots doux se murmurent au creux de l’oreille, les aveux demeurent éternels en dépit d’une accélération des échanges libidineux. Souhaitons « long vit au con » sans grossièreté aucune, pourvu qu’il soit consentant et complaisant à l’envie.

    La bagatelle demeure plus plaisante que la fornication, tandis que le bon François Rabelais aimait à Rataconniculer forme qui fait référence à la chaussure que l’on trouve à son pied. Il convient en quittant ce voyage dans les mots de l’amour de laisser toute la place qui lui revient à Colette Renard et à sa merveilleuse chanson. Avouez qu’il y a plus d’élégance dans ces paroles que dans bien des sketchs de nos humoristes à la petite semaine.

    Friponnement vôtre.
 

 



Les nuits d’une demoiselle



Que c'est bon d'être demoiselle 

Car le soir dans mon petit lit 

Quand l'étoile Vénus étincelle 

Quand doucement tombe la nuit...

Je m'fais sucer la friandise 

Je m'fais caresser le gardon 

Je m'fais empeser la chemise 

Je m’fais picorer le bonbon

Je m'fais frotter la péninsule 

Je m'fais béliner le joyau 

Je m'fais remplir le vestibule 

Je m'fais ramoner l'abricot

Je m'fais farcir la mottelette
 
Je m'fais couvrir le rigondin
 
Je m'fais gonfler la mouflette
 
Je m'fais donner le picotin

Je m'fais laminer l'écrevisse
 
Je m'fais choyer le coeur fendu
 
Je m'fais tailler la pelisse
 
Je m'fais planter le mont velu

Je m'fais briquer le casse-noisette
 
Je m'fais m'amourer le bibelot
 
Je m'fais savourer la sucette 

Je m'fais reluire le berlingot

Je m'fais gauler la mignardise 

Je m'fais rafraîchir le tison 

Je m’fais grossir la cerise 

Je m'fais nourrir le hérisson

Je m'fais chevaucher la chosette 

Je m'fais chatouiller le bijou 

Je m'fais bricoler la cliquette 

Je m’fais gâter le matou

Mais vous me demanderez peut-être 

Ce que je fais le jour durant 

Oh cela tient en peu de lettre 

Le jour je baise, tout simplement
 




vendredi 19 novembre 2021

Le trésor de Neuvy en Sullias

 Enfant de laie







    Il était une fois un monde hostile dans lequel la survie était un défi périlleux. Des hordes de guerriers déferlaient sur la contrée, n’hésitaient jamais à trancher les têtes des vaincus afin de boire dans leur crâne et s’accaparer ainsi leurs forces. Pour survivre, les gens du pays étaient contraints de se réfugier loin de la rivière d’où arrivaient invariablement ces monstres, dans les forêts profondes ou les collines escarpées.

    C’est dans la plus sombre des forêts que j’ai grandi, nourri au sein d’une laie qui m’avait trouvé sur un lit de fougères. De ceux qui me donnèrent la vie, je n’ai jamais rien su, ma mère fut toujours cette femelle sanglier qui m’accorda sa protection et sa chaleur. C’est elle qui m’enseigna comment survivre dans un milieu hostile, qui m’apprit à me méfier de ceux, qui comme moi, vont debout sur leurs jambes arrières.

    Puis l’âge venant, ma mère nourricière me poussa à sortir du bois, à oser m’aventurer à la rencontre de mes semblables. Les invasions avaient cessé, le sang ne coulait plus au bord de l’eau, il était temps pour moi de revenir vers ceux qui me ressemblaient. Ce retour ne fut du reste pas chose facile, il me fallut apprivoiser ce langage qu’ils utilisaient entre eux pour se transmettre des informations ou échanger des émotions.

    J’ai dû les observer longtemps, tapi dans des bosquets à la lisière de ma forêt protectrice pour comprendre leur langage, apprendre patiemment à maîtriser ma langue et ma gorge pour à mon tour imiter leur manière de s’exprimer. Ma mère me poussait à approfondir toujours plus ce qui constituait pour elle un mystère. Elle se contentait de grognements, de tendres caresses, de délicats frottements pour me dire combien elle m’aimait mais aussi pour me faire comprendre qu’un jour, il me faudrait la quitter.

    J’appris donc la langue ceux qui se nommaient humains et qui nous désignaient comme des bêtes. Je devais me méfier d’eux car ils chassaient mes frères de lait pour les manger. J’en avais peur, incapable alors de percevoir que j’aurais été certainement pour eux monstre à abattre et à jeter dans une marmite.

    Enfin vint le temps où je fus en mesure de faire illusion, de me montrer à eux, de communiquer avec eux sans qu’ils ne s’effraient de mon apparence ni qu’ils me prennent pour cible. Il m’avait fallu me couvrir le corps à leur manière, j’avais compris que me montrer nu aurait été pour eux le signal d’un traitement sans pitié.

    Quand je fus enfin prêt à véritablement me mêler à eux, ma mère de lait, de plus en plus affaiblie me poussa du groin vers la lisière de la forêt. D’un dernier grognement elle me fit comprendre qu’elle allait quitter ce monde. Désormais ma place serait avec les miens, le temps était venu d’assumer ma véritable nature. Je tins à rester auprès d’elle jusqu’à son dernier soupir puis quand ce fut fini pour elle, des larmes plein les yeux, j’allai vers mon nouveau destin.

    Ce ne fut pas chose aisée de me faire adopter. On m’appela l’étranger et bien des années plus tard, ce nom me resta collé à la peau. L’hostilité initiale avait fait place à de la méfiance puis une forme de circonspection qui resta toujours attachée à mes pas. J’avais beau rendre des services, me montrer utile à la communauté par ma connaissance de la forêt, ma capacité à trouver de la pitance quand la saison était rude et les ressources mauvaises, j’étais toujours ce solitaire, tout juste toléré à la périphérie de la tribu.

    Je vécu seul, ne trouvant personne pour partager ma tanière qui ressemblait étrangement à celle où j’avais grandi. Nulle compagne, la nuit pour partager ma couche, bien peu de contacts avec les autres, juste le minimum pour que ma place au sein de leur communauté fut simplement accepté en marge du clan.

    Puis tout bascula. Un mal sournois vint faucher les plus faibles d’abord puis s’en prit rapidement aux plus robustes des hommes du clan. Les femmes elles aussi succombaient comme leurs compagnons dans d’atroces souffrances. La tribu se réduisait comme peau de chagrin. Progressivement mon statut changea, certaines femmes, devenues seules après la disparition de leur compagnon tentèrent de m’amadouer. Je repoussais leurs avances, soucieux moi aussi que j’étais de d’abord survivre à cette hécatombe dont personne ne savait donner un nom.

    Beaucoup moururent, certains choisirent de quitter le clan, cherchant dans la fuite, l’espoir de la survie. Ils étaient fauchés sur le chemin, mourant eux aussi dans les mêmes convulsions que ceux qui avaient renoncé à lutter. Bientôt nous ne fûmes plus que deux, une jeune femme qui avait vu disparaître son époux et ses deux enfants et moi, l’étranger, le proscrit, le marginal.

    La femme était robuste, elle avait été enlevée quand elle était bébé, avait servi de servante avant que de trouver grâce auprès d’un pêcheur de la tribu séduit par la délicatesse de ses traits. Il l’avait prise pour épouse, lui avait donné deux enfants et une place moins pénible dans le groupe. Tout cela n’avait plus de sens aujourd’hui puisque de cette tribu autrefois si forte, il ne restait que les deux pièces rapportées.

    Nous partageâmes d’abord nos histoires. Épona puisque tel était son nom et moi nous apprîmes les secrets que nous avions gardés précieusement dans nos cœurs. Elle sut comment j’avais grandi, je découvris comment elle avait été traitée. L’amour vint naturellement sceller ces  confessions sincères et sans tabou. Le mal mystérieux nous épargna, nous pûmes espérer en un avenir qu’il s’agissait de reconstruire.

    C’est un premier enfant, une petite fille qui redonna le signal du renouveau. Je me mis à l’ouvrage pour redresser le village, hutte après hutte, dans l’espoir insensé que de nouveaux survivants viendraient se joindre à nous. Un second enfant arriva, un garçon cette fois, nous étions alors quatre seulement dans ce qui avait été un village important.

    C’est alors qu’ils sont arrivés par la rivière. Un bateau, tiré par des hommes qui remontaient le courant. Ils étaient plusieurs familles sur cette grande embarcation. Ils s’étaient réfugiés au milieu de l’eau durant la malédiction qui avait anéanti tous ceux qui étaient restés à terre. Par quel miracle l’un d’eux avait-il songé à se protéger ainsi ? Personne ne peut vraiment expliquer les intuitions. Celle-ci leur avait permis de survivre en vivant longtemps de la pêche, leur bateau ancré longtemps au milieu des flots pour échapper au mal qui sévissait à terre.

    Puis ils s’aventurèrent sur la berge pour n’y trouver que mort et désolation. Ils se dirent qu’en remontant la rivière, en allant vers les hauteurs, ils trouveraient peut-être d’autres survivants. Ils nous ouvrirent leur bras, le village avait été reconstruit par mes soins, toutes les dépouilles enterrées n’avaient pas infesté l’endroit. Ils nous demandèrent la permission de partager notre existence alors qu’il leur eut été si facile de nous éliminer.

    Chaque famille trouva un abri à sa convenance. Épona, nos deux enfants et moi trouvâmes notre place comme si nous avions toujours vécu avec eux. J’héritai même d’un nom, ce qui ne m’était jamais arrivé. Je fus Lugus, celui qui avait apporté la lumière à ceux qui erraient sur les flots. Ils me choisirent pour chef afin que nous fondions ici même au bord de la rivière une nouvelle tribu.

    Je choisis le sanglier comme totem. Personne ne me demanda jamais pourquoi j’avais fait ce choix alors que j’avais édicté un seul interdit : la chasse du sanglier. Dans le groupe, il se trouva un habile forgeron pour en sculpter en bronze. De très nombreuses années ont passé, nous sommes tous retournés à la poussière mais subsiste de notre passage dans la vallée ce fabuleux témoignage de nos existences. Ce fut à Neuvy-en-Sullias que surgit de terre la mémoire de notre histoire ainsi que la statuette de ma belle Épona qui aimait tant danser..

    Mythologiquement vôtre.

 

Spectacle des Aquadiaux

Samedi 20 novembre à 20 h 30

Salle des fêtes des Vienne en Val




Le mystère de Menetou.

  Le virage, pour l’éternité. Il est des régions où rien ne se passe comme ailleurs. Il semble que le pays soit voué aux...