jeudi 28 février 2019

Ma Loire au grimoire …


Exutoire


Tout au long de ma Loire
Y'a des traqueurs de bouchon
Qui taquinent le goujon
Qui espèrent le gardon
Illusoire
Tout au long de ma Loire
D'autres qui savent attendre
Le signal d'un sandre
Un brochet à surprendre
Jour de Gloire

Mais au long de la Loire
Y' a des gros salauds
Qui jettent une auto
Ou leur vieux frigo
Dépotoir
Tout au long de ma Loire
Y'a des couples cachés
Derrière ce bosquet
Pour mieux s'embrasser
Exutoire


Tout au long de ma Loire
Des rencontres secrètes
Les sens en alerte
Pour cette conquête
Émouvoir
Mais au long de la Loire
Y' a aussi des goujats
Qui attrapent Marina
Au détour d'un faux pas
Purgatoire

Tout au long de ma Loire
Des oiseaux en nichées
Attendent pour s'envoler
Le printemps retrouvé
Migratoire
Tout au long de ma Loire
Regardant aux jumelles
Ce peintre aquarelle
Dessine des sarcelles
Au pochoir

Mais au long de la Loire
Y' a des humains retors
Qui piègent les castors
Pour quelques pièce d'or
Dérisoire
Tout au long de ma Loire
Des bateaux en bois
Une voile en croix
Attendent le suroît
Directoire

Tout au long de ma Loire
Des mariniers souriants
Sur des bateaux à vent
Réveillent leurs parents
Pour l'histoire
Mais au long de la Loire
Sur des bruyants engins
Certains font les malins
Pour des plaisirs vauriens
En pétoires

Ainsi est ma Loire
Un fleuve miroir
Un flux ondulatoire
Un charme si notoire

à lire 
https://www.facebook.com/notes/rdv-au-parle-loire/jaime-la-loire-propre/422480371656373/
 

mercredi 27 février 2019

Prendre le mot en question

Quelques mots dits à la légère



Les mots fléchés ont-ils un sens ?
Les mots croisés ont-ils été investis à Jérusalem ?
Les mots-valises se font-ils la malle ?
Les mots composés ont-ils l'oreille musicale ?
Les gros mots se mettront-ils un jour au régime ?

Les mots doux écorchent-ils la langue ?
Les mots d'amour peuvent-ils se tromper ?
Les petits mots finiront-ils par grandir ?
Les mots outils se rangent-ils dans une caisse ?
Les mots tendres peuvent-ils égayer une langue de bois quand ils sont verts ?

Faut-il créer une crèche pour les mots d'enfant ?
Un policier peut-il confondre des mots assassins ?
Les mots invariables sont-ils si singuliers ?
Les mots d'ordre aiment-ils l'anarchie ?
Peut-on juger d'un mot juste ?

Un mot barré peut-il revenir ?
Un mot dit finit-il en enfer ?
Un mot laid prend-il son pied ?
Un mot tabou s'accorde-t-il des licences ?
Faut-il jeter un voile pudique sur un mot obscène ?

Un mot simple complique-t-il les choses ?
Un mot compliqué simplifie-t-il la pensée ?
Le mot inconnu a-t-il son mémorial ?
Un mot étranger prend-il un accent ?
Faut-il rénover les mots usuels ?

Les mots familiers aiment-ils les réunions ?
Comment rassurer les mots complexes ?
Trouve-t-on des mots savants dans les études de notaire ?
Un mot barbare est-il sans pitié ?
Le mot chuchoté tend-il l'oreille ?

Le mot courant prend-il son temps ?
Le vieux mot s'essouffle-t-il ?
Peut-on avoir encore envie d'un mot latin ?
Le mot grec finit-il aux calendes ?
Comment prendre un mot à double sens ?

Peut-on se parler à demi-mots quand on les mange ?
Un bon mot peut-il vous rester sur l'estomac ?
Une prostituée connaît-elle le mot de passe ?
Faut-il mettre un point au dernier mot ?
Un muet peut-il avoir un mot au bout de la langue ?

Pour prendre l'avion, faut-il peser ses mots ?
Peut-on glisser un mot sur un terrain enneigé ?
Est-ce convenable d'écorcher un mot saignant ?
Peut-on prendre un mot pour un autre sans risquer la confusion ?
Le dernier mot sera-t-il celui de la fin ?

Francophonement mien

mardi 26 février 2019

Loire dépotoir.



Tant de comportements malsains.



Celui qui aime le fleuve déplore de le voir ainsi souillé et malmené par des comportements qui ne cessent de m'indigner. Plus le Fleuve revient au premier plan, plus il est mis en avant par les villes et les collectivités, plus se pressent sur ses berges quelques personnes qui ne savent pas se tenir, ni contenir leurs déjections.

Nous voyons sur le cours de son onde, aller à la dérive, une armée de bouteilles plastiques qui conduisent à la mer l'insondable mépris d'une société mercantile. Et encore nous ne voyons là que la face visible de ces bouteilles de soda. Ceux qui ont jeté celles-ci ont fait l'effort de remettre le bouchon, d'autres jonchent pour l'éternité les fonds invisibles.

Pire encore, il y a désormais la foule immense et malfaisante des buveurs de bière. Il doit y avoir dans cette consommation particulière l'obligation de jeter à l'eau la canette vide. Mais cela doit se faire avec éclats, il faut disperser la marque du forfait, fracasser le contenant sur quelques quais ou bien de gros cailloux sur la rive. Que c'est beau ces petits fragments qui brillent au soleil et entaillent à plaisir le pied de celui qui voudrait patauger !

Ils n'ont rien à envier aux nouveaux orduriers. Ceux-là aiment à passer la nuit. Ils boivent des boissons sur-vitaminés dans des contenants métallisés. C'est à peine compressé que l'objet du délire ailé finit son parcours au fil de l'eau ou le plus souvent sur les herbes des rives. Expression même de la modernité, ces boissons infectes jonchent nos rivières et nos bords de route sans que jamais leurs immondes fabricants ne soient taxés au nom d'une responsabilité objective.

Puis il faut laisser un peu de place pour le plat principal. La restauration rapide n'aime pas la nature, ses emballages imputrescibles l'attestent mieux qu'un long discours. Les mangeurs à la va vite, font preuve, comment les en blâmer, de mauvais goût en laissant là ces objets cubiques, des pailles rouges et blanches et des gobelets contenant un poisson officiel. Maintenant la Loire, elle aussi hérite des déchets de notre indigeste société de consommation.

Il reste encore le tout venant du mépris. Le vélo qu'on a volé et qui finit à l'eau. Il rejoint les gros encombrants qui aiment décorer les levées et les digues. Même si la chose se fait plus rare, elle demeure encore, car il ne faut pas rompre trop brutalement avec les mauvaises habitudes. Par contre, il y a un geste anodin qui n'a aucune chance de s'interrompre, c'est le jet de ce mégot abominable qui finit dans la Loire. Vous savez désormais que ce geste que vous pensiez insipide, pollue 600 mètres cube d'eau, un argument qui vous laissera de marbre à n'en point douter !

Voilà tout ce que nous voyons de nos bateaux de bois qui ne sont nullement épargnés par vos gestes orduriers. S'ils sont à quai, ils seront alors un réceptacle ludique pour jeter tout ce qui vous passe par la main. S'ils sont à portée de visite, vous ne pourrez résister à un petit arrêt, pour un pique-nique, une soirée desquels vous partirez sans rien nettoyer. Non seulement, ces embarcations sont fragiles, elles sont également propriété privée ce qui ne semble nullement vous déranger.

Hélas tout ceci n'est rien par rapport aux poids lourds des coups tordus pour le fleuve. Centrales nucléaires, usines de traitements des eaux, industries polluantes, agriculteurs traiteurs, pyralène et pire que tout, l'homme en majesté qui ne cesse de souiller tout ce qui l'entoure. La Loire est le terrain préféré de tous ces joyeux gougnafiers sans respect ni conscience.

Quand cesserons-nous de nous conduire ainsi ? Faut-il que notre espèce disparaisse enfin pour que toutes les autres cessent de subir ses attaques putrides, ses petits gestes anodins qui font tant de dégâts, de comportements égoïstes et stupides en malversations organisées et programmées ?

Laissez la Loire et tous les autres fleuves et rivières. Contentez-vous de les regarder sans jamais rien y jeter. Ce sera un premier pas, nous nous en prendrons ensuite aux brigands patentés, pollueurs officiels et industriels merdeux !

Colériquement vôtre.

lundi 25 février 2019

Le coche d'eau prend la mouche !



Un colis peu recommandable.



En cette année 1725, qui voulait voyager l'esprit tranquille dans un confort acceptable prenait les voies navigables. Il y avait sur notre Loire grand trafic de coches d'eau qui proposaient leurs services pour des passagers fortunés, quand des embarcations au confort plus sommaire satisfaisaient aux besoins du commun. Des toues cabanées faisaient souvent le voyage au gré des fluctuations de notre rivière.

Un noble seigneur de Roanne : Le Duc Louis d'Aubusson de La Feuillade avait le projet de se rendre à Versailles présenter ses hommages à notre bon roi. L'homme détestait les poussières de la route. Il décréta de suivre le cours de la rivière jusqu'à Combleux pour terminer son voyage par le canal d'Orléans. Il avait quelques visites de courtoisie à faire en chemin. ce qui l'avait décidé à emprunter ce chemin des écoliers et des mariniers moins pressés.

Il contacta un facteur naval, Jean de Roanne, homme à la solide réputation sur lequel, il avait ouï dire que l'on pouvait se fier. Ses coches étaient, quant à eux, d'un confort remarquable et permettaient à un voyageur unique de bénéficier de tous les agréments qu'on pouvait espérer à l'époque. Le seigneur cependant était fort pingre ; il mena négociation serrée pour obtenir un prix acceptable. Il poussa même le vice à réclamer au roi, une lettre de cachet pour échapper aux nombreux péages qui se dressaient sur ce parcours.

Le bon marinier aurait dû être alertés par toutes ces simagrées, indignes d'un seigneur à la bourse si pleine. Mais, ayant conclu le marché en crachant par terre, il n'était plus temps de se dédire. Les gens de Loire en ce temps-là n'avaient qu'une parole et se faisaient un honneur de toujours la tenir. C'est donc, flanqué de cet unique voyageur, (une des nombreuses conditions de ce drôle de seigneur) qu'il embarqua un beau jour d'avril.

Jean et ses deux hommes d'équipage ignoraient alors qu'ils partaient pour la descente la plus désagréable qu'il leur fut donnée de vivre. Bien vite, le Duc se montra chafouin et délicat , exigeant de ne pas être secoué, réclamant sans cesse que l'on lui serve à boire, qu'on déplace un coussin ou bien qu'on fasse halte pour des besoins que d'habitude les gens ordinaires faisaient en route, dans la rivière, sans plus de manière.
La première journée s'achevait et jamais Jean n'avait eu à subir autant de caprices d'un passager qui croyait que son titre et son argent lui permettaient toutes les fantaisies. La nuit se passa tant bien que mal ; le Duc refusant de partager avec quiconque la vaste cabane qu'il s'était octroyée pour son seul usage. Au petit matin, il exigea encore qu'on le conduisît dans une auberge pour faire ses ablutions et prendre un déjeuner qui n'avait rien de petit. L'équipage dut même trouver chaise à porteurs afin que ce noble personnage n'usât pas ses souliers vernis.

Le pire était à venir. Ils n'avaient pas si tôt appareillé qu'un orage d'une violence inouïe vint sévir au-dessus de leurs têtes. Le visiteur du roi leur refusa l'abri et réclama, par-dessus le marché, que l'embarcation ne se mît pas à couvert. Il voulait, prétendait-il, jouir de ce spectacle tonitruant, au milieu de la rivière. C'est trempé comme une soupe et furieux contre ce maudit passager que l'équipage accosta en fin de soirée à Nevers.
Le bonhomme avait invitation à souper et à dormir chez un autre de son état. Jean et ses compagnons en profitèrent pour passer la nuit au chaud mais se gardèrent bien d'user de la cabane du ci-devant. Ils demandèrent asile à des collègues qui écoutèrent, effarés, le récit de ces deux premiers jours de descente. Nul, n'avait, jusqu'alors, transporté plus détestable personnage !

Le lendemain, c'est fort tard dans la matinée que ce curieux voyageur se fit conduire au pied de son coche d'eau. On l'attendait de pied ferme depuis quelques heures mais quelle ne fut pas la surprise de Jean de l'entendre immédiatement réclamer qu'on fût à Sancerre pour le dîner du soir. Il n'était pas question de lui expliquer qu'il les avait mis en retard, le Duc n'était pas homme à s'encombrer d'explications. Il commandait et chacun devait se plier à son bon vouloir …

Jean et ses hommes usèrent de trésors d'ingéniosité pour remplir leur mission. Jamais ils n'avaient utilisé la bourde avec tant de vigueur en allant ainsi au fil du courant. Fort heureusement pour eux, nulle entrave et nul incident ne vinrent se mettre sur le chemin et,comme il l'avait exigé, le Duc put boire tout son saoul de ce bon vin de Sancerre dans une Taverne de Saint Satur.

Qu'on soit noble ou bien roturier, l'abus de boisson, fût-ce un bon vin de chez nous, provoque bien des débordements et de grandes nausées. Il fallut veiller le Duc toute la nuit afin qu'il ne passe pas cul par-dessus tête et finisse par se dégriser dans notre Loire. Après la journée qu'ils avaient passée, nos mariniers auraient voulu dormir un peu et voilà que leur étrange passager ne leur en laissait pas la possibilité.

Au petit matin, ils étaient exténués, quand le bonhomme, ne se rappelant plus rien était à tambouriner qu'on levât l'ancre au plus vite. Jean serrait des poings, ses hommes crachaient furieusement en jetant à ce malotrus en bas de soie des regards tors . C'est sans lui dire un mot qu'il le menèrent à Gien, où, une fois encore, des gens d'importance, attendaient sa venue.

Ils profitèrent de cette nuit de repos pour souffler un peu. Jamais de mémoire de marins on n'avait vu Jean de Roanne et son équipage ne pas venir lever la chopine avec les collègues. Pourtant ce soir-là, tous trois restèrent sur le pont et dormirent du sommeil de ceux qui n'en pouvaient plus. Ce dont furent peuplés leurs rêves fut si terrible que je m'interdis ici de vous décrire par le menu les tortures qu'ils firent subir en songe à leur monstre en culottes et dentelles.

Au soleil levant quand il revint, accompagné des laquais giennois, ils comprirent aux œillades des valets que leur fardeau s'était montré aussi détestable avec ces gens que sur le bateau. Décidément, il n'y avait rien à espérer d'un tel personnage qui méritait cent fois de finir en enfer. Alors, quand ils arrivèrent à Saint-Père-sur-Loire, Jean fit une halte contre l'avis du seigneur. Il mit bien vite pied à terre pour aller demander une petite faveur à Saint Nicolas, patron des mariniers. La requête était fort peu chrétienne, c'est pourquoi, nous la garderons secrète.

Le voyage se poursuivit. Les caprices de l'odieux passager ne cessèrent jamais. Sa morgue n'avait d'égale que son incommensurable orgueil. Son égoïsme était au niveau de sa stupidité. Le calvaire de l'équipage n'avait que trop duré. Ils avaient tous grande hâte de confier ce fardeau à des gueules noires du canal. On se montre parfois mesquin, y compris chez les mariniers !

C'est au pont de Jargeau que Saint Nicolas leur vint en aide. Le seuil à franchir est, depuis toujours, réputé délicat. Le Duc en avait eu vent et, se croyant plus malin que ces pauvres gueux précautionneux, en dépit de leurs multiples recommandations ou bien était-ce d'en avoir trop entendu, avait souhaité sortir de son palais sur l'eau pour assister au spectacle debout sur la proue.

Jean de Roanne avait eu alors un sourire malicieux en lui disant qu'il était bien le seul maître à bord et que, puisque tel était son bon plaisir, il n'avait qu'à bien se tenir pour jouir du spectacle. Ce qui devait advenir advint. Le bateau fit une embardée et le seigneur se retrouva dans les flots tumultueux. Il eut beau se démener, appeler à l'aide et dire des mots grossiers, personne sur le bateau ne bougea le petit doigt.

L'homme disparut dans les profondeurs de la Loire. Jamais on ne retrouva son corps et nul ne songea jamais à inquiéter Jean et son équipage. Le Duc avait sur la rivière, une réputation établie et tous les gens de Loire trouvèrent plaisant que le Diable obtînt ainsi l'âme que la ville lui devait depuis qu'il avait livré ce magnifique pont de pierre.

La rivière finit toujours par engloutir celui qui ne la respecte pas, tout en méprisant les Ligériens qui la servent. Le Duc, pour noble qu'il était, paya de sa vie la règle intangible des seigneurs sur l'eau. Il serait souhaitable que d'autres qui se pensent aussi importants que ce méchant homme retiennent la leçon, ou bien ? une fois encore, la Loire saura les mettre à la raison !

Humblement sien !

dimanche 24 février 2019

L’île du perroquet


Retour aux sources.



Il est un lieu paradisiaque sur la Loire, un endroit où soudain plus rien n’existe que cette relation unique à la rivière, la nature et les lumières d’un ciel enchanteur. C’est là, au hasard d’une aventure fluviale, que j’ai croisé un homme heureux, un perroquet gris du Gabon sur l’épaule, son chien à ses côtés, un gentil molosse blanc.

J’ai eu scrupule à l’aborder, l’homme était en grande conversation avec son compagnon. Il sifflait, le perroquet lui répondait, il lui parlait, l’animal bavard reprenait à son tour quelques mots que je percevais alors difficilement. C’est je crois le perroquet qui s’aperçut le premier de ma présence et prévint celui avec qui il conversait. Le chien n’avait rien dit, trop occupé me sembla-t-il alors, à chasser les mouches.

L’homme vint à moi, flanqué de son interlocuteur. Ils me saluèrent tous les deux, lui d’une poignée de main virile et franche, l’oiseau de quelques notes aiguës et d’un « salut » réjouissant. Je lui expliquai alors que j’avais abordé sur son île, la pensant inhabitée. Il sourit, démontra ainsi qu’il ne sentait aucune agression dans cette intrusion singulière. Il me raconta alors son île.

Il avait été enfant du continent, cet ailleurs lointain qui se situe de chaque côté de son merveilleux refuge. Il avait fait de l’endroit son terrain de jeu, sa cachette, son domaine secret. Il y avait alors quelques habitants, deux ou trois fermes qui faisaient l’élevage bovin et caprin. Les fermiers savaient qu’il y avait toujours ce gamin qui traînait partout, sans jamais commettre de bêtises, ils l’acceptaient de bon cœur puisque les autres enfants des villages alentour ne venaient jamais avec lui.

Il avait une plate, une barque en bois munie de rames pour venir jouir pleinement de ce grand espace naturel. Il aimait par-dessus tout sa mangrove, cet endroit marécageux, propice aux rêves les plus fous, perdu dans les hautes herbes, les ronces, les roseaux et les bambous. Il était un aventurier affrontant des monstres terrifiants, avançant dans un territoire hostile à la recherche d’un trésor.

Son trésor, il l’avait trouvé, c’était son île qui perdit un à un tous ses habitants pour finir par n’être qu’à lui-même. Un propriétaire fortuné possède les cent cinquante hectares de l’endroit sans jamais vraiment y venir, faisant de notre homme le dépositaire de son île. L’île était pour ainsi dire déserte, les bâtisses prenaient doucement des allures de maisons hantées, battues par le vent et les courants d’air. L’homme avait vieilli, il y venait toujours aussi souvent, oubliant ses soucis, son travail harassant pour se réjouir du spectacle au petit matin ou à la tombée de la nuit.

C’est un jour qu’il baguenaudait parmi les frênes centenaires qu’il découvrit perché sur le vénérable et gigantesque noyer, un perroquet gris qui semblait égaré dans ce coin perdu du monde. Il ne chercha jamais à comprendre comment l’oiseau avait atterri là. Sa seule préoccupation fut de l’aborder, de gagner sa confiance, de le protéger, le nourrir et en faire son ami.

Au bout du compte, ils s’apprivoisèrent mutuellement. Le perroquet fut adopté tout autant par le maître que par son chien et un curieux trio se constitua. Pourtant, l’homme rencontra un petit souci, si son chien aimait à le suivre pour venir sur l’île, le perroquet quant à lui refusait obstinément de gagner le continent. Sur la barque désormais motorisée, il s’envolait pour regagner son noyer.

C’est lui qui gagna la partie, l’homme et le chien décidèrent d’investir une fermette qui tenait encore vaillamment debout. Il ne l’avait pas choisie au hasard, de ce qui lui tient lieu de cuisine sommaire, il aperçoit de chaque côté la Loire dans deux trouées au milieu des arbres. C’est là qu’il me conduisit pour me narrer son histoire avant que de me faire visiter son domaine.

Il vit désormais là parmi les poules et les moutons, les biches et les petits animaux sauvages. Le propriétaire a fini par lui confier la lourde responsabilité d’entretenir son domaine. Il a de quoi occuper toutes ses journées même s’il se réserve bien des pauses pour admirer ce spectacle, jamais identique, toujours mouvant et changeant. Il pêche, il travaille, il rêve, il garde les moutons, il explore encore, découvrant toujours des trésors comme ces ruches sauvages dans le tronc creux d’un frêne qu’il venait de mettre à jour.

Il voulut, la nuit tombée, m’inviter à le suivre sur sa barque afin de profiter de la quiétude d’une Loire qui était à son étale. La lune éclairait ce décor, l’île était devenue une masse sombre. Le perroquet n’avait plus peur, il était perché sur l’épaule de l’îlien et donnait à la scène une allure surnaturelle. Je dus retourner à la civilisation, emportant à jamais l’image de cet homme et de ces animaux dans un décor de rêve.

Continentalement sien.


samedi 23 février 2019

Le saut aux loups.




La légende de Montsoreau.



Il est à Montsoreau un site magnifique, une maison troglodyte perchée à flanc de colline en bord de Loire. C'est la Grotte dite « Saut aux Loups » et une belle légende se rattache à cet endroit, depuis bien longtemps oubliée de tous. Poursuivant mon travail de Bonimenteur patenté de Loire, je me devais de faire revivre, l'espace de cette lecture, les malheureux protagonistes de cette belle histoire. Si par inadvertance ou filouterie, rien de ce qui suit n'était vrai, veuillez pardonner ma manie de faire fable de tout bois …

Il était une fois une jeune femme sur le point d'accoucher de son premier-né. La parturiente souffrait depuis plusieurs heures mille morts. Elle savait désormais sa vie en danger et celle de son enfant à naître pareillement. La bonne femme qui lui tenait lieu d'accoucheuse avouait son impuissance à la tirer de ce mauvais pas. Chacun dans la maisonnette n'avait plus que la prière pour croire encore au miracle.

Avec cette ferveur religieuse propre à cette époque, la malheureuse eut une dernière exigence, un souhait qui ne pouvait être contredit. Si son fils parvenait à survivre (c'était un garçon, elle en était sûre), il faudrait l'appeler Jacques. Chacun s'employa à la rassurer sur ce point ; d'ailleurs elle n'avait pas tant de raisons de redouter le pire.

Mais la courageuse femme malgré ces paroles apaisantes, poursuivit dans ce qui serait alors son testament, elle en était certaine. « Je veux encore qu'il fasse pour mon salut éternel, ce pèlerinage à Saint-Jacques- de-Compostelle que je n'ai jamais pu accomplir et cela juste avant de se marier car ensuite, il aura charge d'âmes et ne pourra plus réaliser mon vœu ! »

L'enfant naquit, la femme n'eut que la force de lui poser un unique baiser sur le front avant que de rendre son dernier souffle. Jacques grandit, privé de l'affection de sa mère, dont il ignorait apparemment l' ultime requête. Un beau jour , il se prit d'amour pour une fille de son âge, la douce et tendre Dulcinée, (c'était à l'époque un prénom qui se donnait encore, Cervantes et la légende n'étaient pas encore passés par là …)

Lorsqu'il fit sa demande, la jeune fille qui n'attendait que ça, s'empressa d'accepter. Mais il fallait encore obtenir l'agrément des parents. Ceux de Dulcinée donnèrent immédiatement leur accord: Jacques était un garçon sérieux, pas question de le repousser ; pour le père du garçon, ce fut plus compliqué: il lui fallait faire part de la promesse faite à sa femme sur son lit de mort. Nous étions en un temps où il n'était pas question de manquer à une parole donnée. Jacques, bon fils et bon chrétien, accepta de différer son mariage pour honorer la mémoire de sa mère et faire un pèlerinage auquel il ne songeait nullement.

C'est ainsi qu'il se mit en route avec son bâton de pèlerin, une coquille et quelques hardes dans un baluchon. C'était un temps, nous ne saurions trop le rappeler, où la ferveur était grande. Sur les chemins de Compostelle, on rencontrait toujours de braves gens en quête d'une grâce ou d'un un pardon. Ce périple, fort long, il fallait le faire dans les deux sens, pas comme de nos jours où les gens de peu de foi finissent par rentrer par d'autres moyens.

Dulcinée attendit de longs mois le retour du pèlerin ; aucun moyen de communication à l'époque : ni téléphone , ni sms. Seul son amour pour son grand Jacques lui avait fait supporter l'épreuve. Enfin il fut de retour, amaigri et les traits tirés mais avec une flamme dans les yeux qui trahissait son impatience d'unir sa destinée à la sienne.

Ils allaient décider du jour de la cérémonie quand Jacques surprit une étrange tache rouge sur son corps. Les premiers jours, il n'en s'en inquiéta guère puis il finit par se demander quel mal étrange il avait pu attraper ainsi en chemin. Il alla consulter une « birette », une vieille paysanne qui savait les vertus des plantes et concoctait des onguents et des potions dans le secret de sa cuisine. On la disait bien un peu sorcière mais chacun recourait à ses services quand il y avait un mal à soigner.

L' « herboriste » inspecta cette tache sans mot dire mais avec le regard des mauvais jours. Jacques eut alors un étrange pressentiment, une intuition désagréable . Bien vite cependant, la dame sortit de l'une de ses armoires un flacon et dit au garçon de passer, chaque jour, un peu de cette mixture sur la rougeur. « Reviens me voir dans sept jours ! » lui avait-elle lancé laconiquement.

Jacques fit ainsi, scrupuleusement mais sans illusion tant une mauvaise pensée s'était insinuée dans son esprit et avait gâché la belle attente qu'il devait supporter. Dulcinée le trouva maussade, la mine renfrognée et l'humeur ombrageuse. L'amour n'est pas si aveugle que ça ; elle se doutait qu'il se passait quelque chose de fâcheux.

Le septième jour, Jacques retourna voir la guérisseuse. La tache s'était encore agrandie. La vieille constata la chose et prit un air grave et solennel. « Mon garçon, je m'en doutais un peu la première fois mais je voulais en être certaine. Dieu ne t'a pas remercié de l'épreuve que tu as consentie pour lui. Sur ton chemin, tu as croisé la route d'une maladie terrible. Elle s'est insinuée en toi et tu n'en peux guérir ... »


Elle lui expliqua alors qu'il avait la lèpre, ce mal effroyable qui allait le contraindre à se terrer comme une bête traquée. Il lui faudrait sur-le-champ quitter le village, renoncer au mariage et à la fréquentation des hommes. Il devrait encore se munir d'une crécelle et de grelots pour annoncer sa présence afin que chacun puisse le fuir. Dieu lui avait envoyé une épreuve redoutable !

Jacques s'enfuit en pleurant de la masure de la sorcière et se précipita auprès de sa belle pour lui annoncer que plus jamais ils ne se reverraient. Elle comprit, sans qu'il eût besoin de le lui dire, le nom de ce mal affreux. Elle voulut le suivre pourtant , lui jurant son amour. Mais Jacques n'était déjà plus du monde des vivants ; il partit sans même un regard pour celle qu'il aimait plus que tout au monde.

Les mois passèrent, le mal empirait, il souffrait le martyre et le désespoir. Son isolement lui était une punition plus grande encore que les maux du corps .Heureusement sa solitude n'était pas complète car son vieux chien Fidèle, le bien-nommé, avait retrouvé sa trace et demeurait à ses côtés, dans une grotte percée dans le tuffeau, à même la falaise . De là, notre infortuné jeune homme voyait la Loire, son unique plaisir dans une vie détruite.

Tous les jours, il trouvait au pied d'un arbre, un morceau de pain et un peu de soupe dans une écuelle. Qui lui portait ainsi de quoi subsister ? Il n'avait aucun doute à ce sujet mais le fait de sentir si proche, la présence de celle qu'il lui était impossible de tenir dans ses bras, aggravait encore ses souffrances

Voilà qu'il fit un rude hiver, un hiver comme de mémoire d'ancien, il ne s'était jamais vu en bord de rivière. Les arbres gelaient sur pied, la Loire était prise par les glaces, les humains manquaient de tout et les loups erraient en bande dans tous le pays. Pourtant, malgré la neige et le froid, chaque jour, une main apportait encore de quoi permettre à Jacques de ne pas mourir de faim.

Par une soirée plus triste encore que les précédentes, son destin bascula dans l'épouvante. Il y avait une brume épaisse, il soufflait un vent glacial qui venait du nord-est. Jacques était tout au fond de son trou, blotti contre son chien Fidèle qui, grâce à la chaleur de son corps , lui permettait encore de ne pas mourir de froid.

Ce soir-là son compagnon était inquiet , aux aguets , les oreilles dressées. Soudain, tout proches, retentirent des cris lugubres et, dans le même temps, des hurlements de loups furieux. Son petit compagnon sortit comme une flèche de la grotte. Jacques alors crut entendre l'appel désespéré d'une femme, émis par une voix qu'il aurait reconnue entre toutes. Il lui sembla même que c'était son prénom qui était ainsi envoyé comme signal de détresse.

C'est alors que, tandis qu'il se ruait à la suite de son compagnon , surgit de sa gorge, comme venu du fond des âges, un cri effrayant : ce cri primal qui glace le sang , stupéfie les adversaires, les désarme, les paralyse ! Hélas, il ne fit qu'empêcher une curée sanglante mais ne put ressusciter les deux êtres indispensables à sa survie .Il trouva le cadavre ensanglanté du chien ainsi que le corps sans vie de celle qu'il n'avait jamais cessé d'aimer. Comme chaque soir Dulcinée était venue apporter un peu de réconfort à son amoureux perdu. Elle avait été surprise en chemin par une horde de loups et le brave Fidèle, se portant à son secours en détournant les coups vers lui, n'avait pas été de taille face à cette meute furieuse. Tous deux avaient péri sous les crocs des bêtes rendues folles par cet hiver si terrible.

En cette nuit tragique, Jacques avait ainsi perdu les deux êtres qui le maintenaient encore en vie. Après avoir caressé une dernière fois le brave animal dont le sacrifice avait été inutile, il prit dans ses bras le corps de Dulcinée et embrassa longuement celle qui lui avait été arrachée à cause de ce terrible mal . Cette fois, elle était à lui, rien qu'à lui pour l'éternité.

Jacques s'approcha de la falaise avec sa tendre amoureuse dans ses bras. Il posa une dernière fois ses lèvres contre les siennes et sauta dans le vide. Ainsi furent célébrées les noces que la destinée avait repoussées. De cette histoire, il ne reste qu'un nom bien mal choisi pour une grotte creusée dans le Tuffeau.

La Grotte du Saut aux Loups fut ainsi désignée ! En lui donnant le nom des bourreaux on oublia celui des victimes. Mais c'était une époque où il ne faisait pas bon enfreindre les règles du Seigneur et mettre un terme à ses jours. Si vous passez par ce bel endroit, ayez, je vous prie, une pensée pour ces deux-là qui jamais ne connurent la félicité terrestre. Vous pourrez aussi trouver une petite place pour ce brave chien Fidèle qui se sacrifia sans succès.

Il n'y a nulle morale dans cette histoire. Quand le sort s'acharne sur une vie, il peut être parfois impitoyable. Jacques qui n'avait rien demandé, n'avait fait de mal à personne, avait connu l'enfer sur terre. Il est parfois des vies qui font douter du Ciel. Celle-ci tout particulièrement. Qu'il eût été pèlerin ne changea rien à sa triste destinée au contraire : sans ce fâcheux voyage , eût-il contracté l'horrible mal ? Mais de grâce, jamais plus vous ne vous moquerez du doux prénom de Dulcinée ; la pauvrette ne mérite pas pareil déshonneur posthume !

Ermitement sien.

https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/angers-49000/anjou-cinq-bonnes-raisons-de-visiter-le-chateau-de-montsoreau-6234663



 

vendredi 22 février 2019

Retour aux sources.



Le rêve de Jacques.



Il était une fois un garçon nommé Jacques ; il était fils de paysans. La ferme familiale s'élevait à l'abri d'un ancien volcan, un piton rocheux qu'on nomme encore le Mont Gerbier de Jonc. Jacques était né là précisément où débute le long périple d'un modeste ruisseau qui n'aura de cesse de grandir tout au cours de son si long parcours.

Jacques grandit avec la fierté d'être comme cette rivière dont il entendait parfois chanter les louanges. Il se rêvait alors à explorer celle-ci, à la parcourir de tout son long, comme une quête initiatique, un besoin confus sans doute de prolonger sa naissance par la connaissance intime de sa sœur : la fille Liger.

Il écoutait les propos des rares voyageurs qui avaient quitté ses Cévennes pour aller de par le Royaume. Il savait que, bien plus loin, ce modeste filet d'eau qui sortait de la petite étable, devenait la voie de transport de toutes les richesses du royaume. Jacques avait la conviction que son destin était intimement mêlé à ce voyage qu'il lui faudrait entreprendre.

Jacques avait vu le jour en 1515 ; c'est du moins ce qu'il était possible de conclure quand on lui disait plus tard, qu'il avait vu le jour l'année d'une belle victoire du Roi François. Les registres ne gardent pas trace de son acte de naissance et ceci n'a guère d'importance pour la suite de notre récit.

C'est quand il eut atteint l'âge de partir de chez lui qu'il confia à ses parents son désir d'aventures. Il voulait aller jusqu'à l'autre bout de la source ; au-delà de la mer, il devait y avoir une autre source où se terminerait son périple. Chaque fois qu'il évoquait cette idée saugrenue, chacun s'étonnait des propos du garçon. « Voilà bien une fantaisie qui lui passera », pensaient ceux qui s'en moquaient gentiment.

D'où lui était venue cette pensée que ce qui naissait ici, au pied de sa ferme, allait, bien plus loin, s'achever de la même manière ? Une fantaisie d'enfant, une lubie que les faits allaient contredire si jamais il mettait son envie à l'œuvre. Jacques, lui,avait la certitude vissée au corps que son idée avait un sens secret qu'il lui faudrait un jour percer.

Il partit un beau matin, jurant à tous ceux qui voulaient bien l'écouter qu'il allait à l'autre bout du monde, là où la rivière redevenait enfant. Aux rires qui fusaient à ce propos absurde, il répondait invariablement que lorsqu'il serait arrivé au terme de son voyage, il enverrait un signe que chacun serait bien obligé de comprendre. Décidément, ce garçon était fort curieux …

Jacques se mit en route ; il avait juste dix-huit ans. C'est en sabots qu'il ferait ce long voyage en suivant son cours jusqu'à son terme. Au début , il suivit un mince filet d'eau dans les prairies, entouré d'herbes sauvages où s'ébattaient les troupeaux de chèvres, de vaches , de brebis. Il n'était pas surpris : c'était le décor de son enfance ; il était chez lui.

Puis le ru grossit, fortifié de ses congénères qui venaient s'abandonner à lui. Plus Jacques marchait, plus les flots grossissaient. Il était fier de ce qui était né, tout comme lui, dans sa petite ferme. Il n'était cependant pas au bout de ses surprises. Son torrent devint rivière puissante et tumultueuse ; elle creusait alors des gorges profondes, imposait son passage à des montagnes qui s'inclinaient devant elle.

Jacques avançait toujours. Il trouvait sans cesse sur son chemin des habitants des bords de Loire, heureux que l'un d'entre eux honore ainsi leur chère rivière. Il leur racontait son rêve, leur assurant, qu'arrivé au bout de son voyage, il leur ferait voir à tous le signe qu'il existait une autre source au bout du périple, au-delà de l'Océan, au-delà du mystère de la Terre.

Des illuminés, des bienheureux, des gentils fous et des joyeux poètes, les gens de ce temps avaient l'habitude d'en croiser. Ils leur donnaient un bol de soupe, parfois leur proposaient le gîte avant que de leur demander bien vite de poursuivre leurs chimères un peu plus loin. Je ne sais pourquoi, mais pour Jacques, c'était toujours à regret que les Ligériens le laissaient aller à sa quête.

Il arriva au Puy. Sa rivière était sortie de son étau rocheux. Elle avait gagné quelque peu en espace. Encore puissante, elle s'était faite cependant plus fréquentable. C'est là que Jacques vit d'autres marcheurs : des pèlerins qui avaient une coquille au bout de leur bâton. Leur chemin était dissemblable ; le feu dans leurs yeux était pourtant de même nature. Ils parlèrent de leur désir d'absolu, de leur envie d'un ailleurs, meilleur. Jacques pourtant n'avait pas besoin du ciel pour croire en son étoile : c'est ce qui le rendait différent d'eux.

Il marchait toujours, à la rencontre de son destin : celui d'une rivière qui allait devenir passagère. C'est à Saint-Rambert qu'il rencontra les magiciens des flots. Des tout aussi furieux que lui qui construisaient des embarcations en sapin pour affronter les rochers et le courant, déjouer des pièges et les remous. Jacques s'arrêta quelques jours ; il voulait voir partir ces acrobates de la rivière à bord d'une longue salambarde chargée de charbon.

Ces hommes qui vont sur l'eau devinrent vite ses compagnons. De tous ceux qu'il allait désormais croiser sur la Loire, ce sont ceux d'en-haut qui eurent toujours sa préférence. Ils se laissaient porter par le courant, sans autres guides que des bâtons de bois pour se détourner des pièges et un gouvernail qui n'en finissait pas. Lui, allait toujours à pied et il faut avouer que ceux de la rivière allaient plus vite et plus loin que lui …

La rivière devint paresseuse. Elle se mit à tourner en tous sens en faisant des méandres. Jacques ne voyait plus le bout du chemin. Parfois lui prenait l'envie de couper à travers champs pour aller plus vite. Il renonça à cette facilité : il faisait cortège à sa rivière, il ne lui devait aucune trahison. C'est ainsi qu'il finit par arriver à Digoin.

Là, la Loire changeait de forme. Elle se gonflait et cessait de tergiverser pour tailler sa route, aller vers le nord-ouest avec plus de certitude et moins de turbulences. Jacques aimait cette autre rivière, plus voluptueuse, plus accueillante à la diversité de la faune et de la flore. Il cheminait le long de ce qui, pas à pas, devenait un écrin naturel. Il en avait parfois les larmes aux yeux, ébloui par tant de beauté !

Il marchait toujours vers son rêve fou. Il décrivait sans lassitude sa démarche, continuant à promettre à tous les riverains le signe, visible de tous, quand il aurait découvert la source à l'envers. À Nevers, nouveau changement. De grands bateaux déployaient des voiles immenses pour remonter le courant. Jacques en fut émerveillé même s'il y avait au fond de lui ce curieux sentiment qu'ils allaient à rebrousse-Loire. Il n'aimait pas cette idée. C'était un idéaliste, vous dis-je !

Juste à la sortie de la ville, il eut alors comme un coup au cœur, une vision étrange. Une autre Loire se présentait à lui, un frère jumeau qui venait célébrer ses noces avec sa petite sœur. Les gens d'ici l'appelait Allier. Il poursuit ainsi sa route, droit devant lui, en ouvrant un second bras dans la Loire qui l'accueille !

Au moment de confluer, les deux fleuves se séparent aussitôt, de part et d'autre d'une pointe de sable et de forêt, chacun emporté par son mouvement, comme si deux courants pouvaient se croiser sans se mêler, comme si une rivière pouvait en traverser une autre et poursuivre son chemin sans mélanger ses eaux à celles d'une rivale …

Un banc de sable sépare les deux fleuves incapables de s'unir ; de chaque côté, l'Allier et la Loire poursuivent leur chemin en s'ignorant. À l'extrémité de l'île, les deux bras se réunissent, l'Allier se résout à disparaître dans la Loire, à devenir la Loire, à se confondre dans son grand fleuve élargi entre une rive de sable et de gravier, et la lisière d'une haute forêt, un large fleuve épanoui qui monte vers le nord. 

Notre voyageur n'était plus jamais seul. Sur l'eau, des bateaux toujours plus gros et toujours plus chargés. Sur la berge, il croisait des hommes qui tiraient ces monstres quand le vent venait à manquer. Il y avait désormais une activité qui le grisait, qui le saoulait quelque peu. Ces hommes qui allaient avec lui parlaient haut et fort, buvaient allègrement et étaient toujours prompts à la grivoiserie.

Il marchait maintenant sur un chemin qui se disait de halage. Il pouvait tailler la route : il ne rencontrait plus aucun obstacle sur la berge. La rivière était à portée de vue ; elle était large, elle était belle. Elle allait plus doucement ; parfois même il marchait au même pas qu'elle. Il avait alors le sentiment d'être son amant ; il la chérissait chaque jour davantage

Puis vint le grand virage. C'est à Sully sur Loire, au pied d'un château d'une majesté à vous couper le souffle, que la Loire entame sa course vers le soleil couchant. Il avait désormais l'astre solaire comme guide le soir venu. Ce disque rouge qui se noyait dans la rivière renforçait sa conviction. Il allait bien vers l'autre source, celle de tout savoir et de toute chose en ce bas monde.

Orléans fut pour lui une surprise et une stupeur. Il n'imaginait pas qu'il puisse y avoir une telle activité autour de sa rivière. Des hommes et des femmes s'affairaient en tous sens, sur l'eau et sur les quais. Des chariots étaient chargés et partaient dans un train d'enfer vers cette ville mystérieuse où vivait le Roi. Des marchandises étaient là, qui attendaient un transport ou bien un client. Sa rivière était devenue industrieuse, marchande et frénétique.

Il se hâta de fuir cette cité trop bruyante, trop fébrile pour lui qui allait du pas tranquille de celui qui poursuit le soleil couchant. C'est un peu plus bas, à la grotte Béraire que Jacques croisa un anachorète. L'homme aimait raconter des histoires et encore plus entendre celles des gens qui avaient des choses extraordinaires à lui confier.

Jacques lui narra la première partie de son périple, lui promettant de trouver un message pour lui envoyer la fin du récit. Ce serait une oie sauvage, une dame blanche de l'Alaska qui fournirait au conteur le récit de l'autre partie du voyage. C'est grâce à elle qu'il vous serait possible de connaître la suite de cette aventure. Que les sourcilleux et les incrédules passent leur chemin ; il faut croire en l'extraordinaire pour accepter de marcher aux côtés de Jacques par le truchement du Bonimenteur.
Fort de cette promesse, Jacques poursuivit son chemin. La Loire était de plus en plus large ; il y circulait dans les deux sens des trains de bateaux. Le petit gars des Cévennes n'en revenait pas devant ces monstres sur l'eau : 180 mètres de long en une ribambelle d'embarcations. Tout ce monde sur le filet d'eau parti de chez lui ! Il se dit qu'il y avait magie derrière tout ça et sans doute plus grande encore à découvrir là où le soleil se couchait.

Il était loin d'être au bout de ses surprises. À Blois, il rencontra un enfant merveilleux : le petit Pierre de Ronsard qui venait rendre visite au Roi François. Il lui était présenté pour devenir prochainement page en sa grande ville de Paris. Pierre, enfant curieux, écouta l'histoire de Jacques ; il lui dit de manière énigmatique que des roses pouvaient pousser dans tous les cœurs et que, dans le sien, elles seraient plus belles encore !

Ces paroles vont l'accompagner dans cette Touraine si belle, si agréable. Jacques marche, aime à goûter raisonnablement le vin d'Amboise. Il y fait de belles rencontres, ralentissant le pas pour profiter de la douceur de ce jardin de la France. Quel bonheur, quelle quiétude en ce beau pays ! Il aime aussi à se délecter de la langue des gens d'ici, assez différente de la sienne.

C'est à Montsoreau qu'il fait la plus belle rencontre qui soit : celle qui va décider de l'aboutissement de son rêve. Il a le bonheur de trouver sur sa route le docteur François Rabelais en personne, venu rendre visite à sa maison natale de la Devinière. L'homme, âgé alors de 50 ans, écoute ce gamin intrépide et approuve sa folle épopée.

Il souhaite l'aider de son mieux et le présente à Pantagruel, son bon ami. Le géant débonnaire accepte de se lancer à la suite de Jacques pour lui permettre de vaincre les obstacles qui ne manqueront pas de se dresser devant lui. C'est un couple hétéroclite qui pénètre en Anjou : le pays du mieux-vivre encore. Petit inconvénient : la présence de Pantagruel ralentit l'aventure ; ils passent désormais bien plus de temps dans les tavernes et les caves qui se présentent à eux.

Oublions ce petit désagrément pour ne retenir que les avantages d'une telle compagnie. Pantagruel attira bien vite la sympathie de tous. Il avait toujours astuce dans sa manche et farce à jouer aux autochtones. C'était un joyeux drille tout autant qu'un gai luron. Jacques aimait ce compagnon si peu orthodoxe. Il se disait que la route pouvait durer encore bien longtemps, il ne s'ennuierait jamais. Mais déjà la Loire changeait d'aspect. Elle avait subi une transformation qui étonna celui qui la suivait depuis son départ.

Le courant changeait plusieurs fois de sens chaque jour ; ce phénomène, curieux pour un gars de la profondeur des terres, ne semblait pas surprendre les gens en bordure de rivière. Pantagruel, qui avait suivi des études à la Sorbonne lui confia, devant son ébahissement, que c'était l'effet de la marée. Jacques en devint encore plus perplexe. Pantagruel dut lui donner un cours où il lui fallut tout reprendre à zéro. Il se passait décidément des choses fort curieuses quand on s'approchait du pays où le soleil se couche.

La grande ville qui surgit devant eux laissa notre petit berger très perplexe. Il y avait là un grand port, une foule de gens qui s'affairaient en tous sens. Certains bateaux portaient trois mâts et n'étaient pas de ceux que le garçon avait découverts sur sa rivière. L'air embaumait d'un doux parfum iodé : manifestement, la Loire n'allait pas tarder à se perdre dans sa première métamorphose.

Pantagruel avait dû s'égarer dans quelques querelles de taverne. Jacques décida de ne plus attendre ce bon géant, un peu trop encombrant à son goût. La suite de son aventure exigeait qu'il fût seul pour parvenir à ses fins. Il marcha donc à la recherche de la première dissolution de la rivière. Elle ne tarda pas à venir : devant lui, une immense étendue d'eau, toujours agitée, toujours en mouvement, se dressait comme un obstacle infranchissable pour le chemineux qu'il était.

Il longea la côte quelque temps, elle se faisait tourmentée, rocheuse, mystérieuse. Cela lui rappelait un peu l'esprit de ses montagnes. Il se retrouvait en pays de connaissance : là où l'on croise des êtres magiques, des personnages sortis des légendes et de l'histoire d'avant les hommes. À n'en point douter, il allait trouver la clef de passage pour franchir la grande mare.

C'est un korrigan qui le héla alors qu'il observait le large, le visage cinglé par le vent et les embruns. Jacques se retourna , guère surpris de voir ce petit être difforme qui lui faisait des grands gestes. Il le suivit dans une de ces anfractuosités au pied des rochers, là où viennent s'écraser les vagues tumultueuses.

Le korrigan le conduisit à une assemblée secrète dans les entrailles de la terre. Il y avait là des fées et des elfes, des lutins et des mages, des druides et les derniers dragons d'Armorique. Jacques, après avoir marché plus de 260 lieues, n'était pas homme à s'étonner de tels mystères. Il raconta sa quête, son désir de découvrir l'autre source de la Loire.

C'est Merlin, le plus sage de tous, qui prit la parole. Il feignit de n'être pas surpris qu'un humain puisse encore croire qu'il existait un monde parallèle, bien plus puissant et plus surnaturel que celui que ses frères les hommes s'étaient inventé dans le ciel. C'est désormais dans les entrailles de la terre que vivaient les êtres qui autrefois avaient peuplé la planète avant que les bipèdes arrogants ne décident de s'en assurer l'exclusivité.

Merlin lui confia qu'il existait encore des portes secrètes pour passer d'un monde à l'autre. Il y avait dans la demande de Jacques tant de sincérité qu'il acceptait de lui indiquer ce passage. Il se refermerait définitivement après qu'il l'aurait emprunté. « Ce sera un voyage sans retour, un aller simple vers un autre continent. Il y a d'ailleurs peu de temps que les hommes ont retrouvé ce chemin par les flots ; bientôt, l'horreur régnera de l'autre côté aussi »
déclara-t-il …

Jacques ne comprenait rien à ce discours bien trop politique pour un être naïf comme lui. L'essentiel pour lui était la promesse de remonter l'autre moitié de sa rivière : sa sœur symétrique au-delà de la mer. Il savait son voyage sans retour ; il avait dit adieu aux siens, leur promettant simplement de leur envoyer un message, lisible par tous, quand il en aurait terminé.

Merlin lui demanda de le suivre. Le mage, aidé de quelques korrigans, poussa une pierre dressée comme il en existe tant sur cette côte sauvage. Les hommes ont perdu la connaissance de leur rôle et c'est tant mieux. La pierre tourna sur elle-même pour laisser place à un mystérieux escalier qui plongeait dans les profondeurs de la terre. Jacques, malgré l'obscurité, pouvait avancer, précédé d'une clarté qui semblait provenir d'une petite fée clochette qui voletait juste devant lui. Il se retourna,interrogatif, et Merlin, en le saluant une dernière fois, lui dit que Pocahontas serait son ange gardien tout du long de son voyage souterrain.

De cette longue marche sous terre et sous l'Océan, nous ne saurons rien. Pocahontas subvenait à tous ses besoins, Jacques suivait sa lumière, s'appuyait sur elle lors de ses moments de doute. Ce fut un voyage entre parenthèse, des instants de pur bonheur pour ce garçon simple qui allait au bout de son destin. Il ne cherchait pas à comprendre les méandres du miracle qu'il accomplissait : il suivait son étoile ,une gentille fée clochette.

Puis un jour, après un cheminement interminable, il se retrouva devant des marches qu'il gravit à la suite de sa bonne fée. Il déboucha sur une lande de terre de l'autre côté de la mer. Il y avait là une baie gigantesque, un nouvel estuaire plus grand encore que celui de sa chère Loire. Il était au début d'un nouveau chemin.

Celui-ci serait un peu plus long que celui qu'il avait accompli le long de sa rivière. Celle-ci était plus grande, incomparablement plus grande. Il y avait des poissons aussi gros et majestueux qu'une maison de maître. Il y avait encore des animaux étranges qui allaient debout sur la terre bien qu'ils fussent aussi hôtes des flots.

Jacques reprit sa marche en remontant cette fois un courant impétueux. Il s'en allait tout seul : Pocahontas avait disparu. Elle était pourtant à jamais dans son cœur et il est certain qu'il parla d'elle à ces étranges habitants des lieux : des humains qui se disaient Iroquois et avec qui, petit à petit, il réussit à partager la langue.

Il était le premier homme blanc à remonter à pied cette rivière gigantesque. Il arriva dans un village que les gens d'ici nommait Gaspé. Il y raconta son rêve et, immédiatement, la rivière fut baptisée dans la langue locale Hochélaga : « la rivière qui marche » en l'honneur de Jacques : celui qui remontait son cours.

Il fit bien d'autres rencontres, allant toujours de l'avant. Il découvrait des hommes qui naviguaient sur de petites embarcations faites en peaux ou creusées dans le bois : légères, rapides, maniables, si différentes des grosses embarcations dessus sa Loire. Il était sans cesse émerveillé par la gentillesse des habitants des bords de cette rivière, leur connaissance de la nature, leur sens de l'amitié.

Jacques remontait toujours, infatigablement, ce long serpent d'eau. Il lui semblait que ce chemin était plus long encore que celui qu'il avait accompli dans son pays de naissance. Pourtant, rien ici n'avait la même mesure. Tout était plus grand, plus haut, plus impressionnant, à défaut des habitations qui ne se prenaient jamais pour des châteaux.

Il avait dû marcher près de 280 lieues quand il arriva au bout de son voyage. D'après ses calculs, nous étions le 20 avril 1534. Ce jour-là, un autre Jacques entamait le même voyage en partant de Saint Malo. C'est à lui qu'on attribuerait la découverte du Saint Laurent puis de ce qui deviendrait le Canada.

Jacques, le nôtre, s'en moquait bien. Il était devant une immense étendue d'eau. Un lac aussi grand qu'une mer. C'est parce qu'il revit en songe Pocahontas, qu'il sut qu'il n'était pas besoin de chercher plus loin. L'autre source était ici : celle qui engendre le frère aîné de sa Loire : le Grand Saint Laurent.

Il raconta sa vision aux habitants des rives. Ils lui apprirent aussitôt que c'était le Lac aux eaux étincelantes à cause de la fée clochette, « Skanadario » dans leur langue si chantante. Depuis, il est devenu le Lac Ontario et chacun sait que ses eaux donnent naissance à ce merveilleux fleuve. Jacques était au bout de son périple et vécut là le reste de son âge.

Il mourut en hiver 1569 après avoir connu le grand bonheur de retrouver quelques compatriotes. Avant que d'aller dans le monde des esprits, il se rappela qu'il devait envoyer un signe aux gens de la Loire, cette rivière qu'il avait aimée au point de traverser l'Océan pour aller à la recherche de son autre source. Il était dans un pays où la neige et le froid faisaient partie du décor. C'est ainsi qu'il voulut communiquer avec les gens de son premier pays.

L'hiver 1569, l'hiver fut si terrible dans le bon royaume de France que la Loire fut prise dans les glaces pratiquement tout du long de son parcours. Comme l'embâcle s'avérait le plus spectaculaire qu'il eût été donné d'observer de mémoire de Ligérien, bien des gens de chez nous se rappelèrent alors la promesse de ce curieux marcheur, avaleur de Loire qui s'en été allé à la conquête de son autre source …

Une oie sauvage vint au printemps suivant apporter un message à l'ermite de la roche Beraire. Celui-ci en fit un récit qui circula de proche en proche, de bouche en bouche tout au long de la rivière qui était née en même temps que Jacques. L'histoire a fini par m'arriver jusqu'aux oreilles en faisant un curieux détour par la Gaspésie, cette région de la fin de la Terre. Il se murmure qu'elle était contée par Donnacona,le chef de Stadaconé, le village qui devint Québec. L'oie avait dû faire une halte en ce lieu …

Que les esprits trop cartésiens nous laissent croire ce récit. Nous ne faisons de mal à personne en allant aux sources de nos rêves. C'est ainsi que se façonnent les plus beaux destins et celui de Jacques fut de ceux-là.

Mirifiquement sien. 

 

J'aime le vin d'ici : notre bon petit gris ...

  Que bois-tu Chalandier ? Que bois-tu Chalandier ? Ton verre est tout vidé Quel est ce doux délice Qui te met en supp...