En chamboulant le temps
En bousculant l'histoire
En martyrisant la chronologie
En travestissant la vérité
En défiant la logique
Et en grimant les personnages
Le bonimenteur vous invite à le suivre
Lorsqu'il vous déclare avec gravité :
« Il advint une bonne fois pour toute !
Qu'il vous faudra bien accroire »
Il
fut un temps où des humains s'installèrent sur les rives des
rivières pour y établir des villages. Ils avaient remarqué qu'il
était plus simple de transporter des marchandises sur l'eau, que la
vie y était plus douce qu'au cœur de la forêt tandis que le
poisson abondant améliorait l'ordinaire. Ainsi naquirent celles qui
bien plus tard allaient devenir nos grandes villes.
Cette
légende circule ici ou là ; elle ne nomme pas la rivière,
afin sans doute de ne froisser aucune susceptibilité ; chacun
dans ce pays atteste que la sienne est la plus belle, la plus
mystérieuse et la plus porteuse d'histoires. Étant moi-même enclin
à ce redoutable travers, je vais faire en sorte de ne pas apporter
de réponse à cette controverse.
Il
advint, en cet avant au-delà d'auparavant, au bord de l'eau, qu'une
tribu vivait heureuse et respectait celui que les humains avaient
choisi pour chef. L'homme était entouré de mystère, il était
d'une corpulence bien supérieure à celle de ses semblables et
avait, dit-on, une ascendance magique. Il se nommait Nissyen, était
craint tout autant qu'admiré par les siens, ses sujets obéissants
et respectueux.
On
disait de lui qu'il avait été sculpté dans l'argile par une
déesse, une fée ou bien une sorcière. Les rôles n'étaient pas
encore clairement définis et la répartition des forces entre le
bien et le mal n'était pas aussi tranchée qu'aujourd'hui. Celle qui
lui avait ainsi donné naissance était Damona, la déesse des
sources. Les Celtes aimaient à la représenter sous le totem de la
vache, car le lait est la source de la vie.
Pour
les sujets de Nissyen, tout allait pour le mieux jusqu'au jour où
une terrible menace vint troubler leur tranquillité. Dans les bois,
un colosse à la force gigantesque semait la désolation. Il était
d'une goinfrerie telle qu'il relevait les filets des pêcheurs pour
prendre leurs poissons, qu'il prélevait le gibier dans les pièges
des chasseurs et que plus rien n'était possible pour ces pauvres
gens.
Ceux
qui l'avaient aperçu en avait fait une telle description que
l'effroi gagnait toute la région. Les gens se terraient dans leurs
cabanes et plus personne n'osait aller quérir de la nourriture.
Bientôt les réserves s'épuisèrent et la nécessité d'affronter
le monstre s'imposa à tous. La quiétude de Nissyen venait
soudainement de prendre fin car c'est naturellement vers le chef que
se tournèrent tous les membres de la communauté.
C'était
une époque où celui qui détenait le pouvoir devait assumer
quelques obligations, payer de leur personne et même prendre des
risques pour venir en aide à ses sujets. Il ne pouvait déléguer ou
confier à d'autres ce qui était de sa charge. Nissyen n'était pas
homme à se dérober, il s'arma de courage et de ce qu'il avait de
mieux comme armes et partit affronter ce monstre qui hantait la
région.
Bientôt,
les routes des deux colosses se croisèrent. Ils se firent face. Ils
étaient en tous points semblables. Même taille, même corpulence,
même couleur de cheveux, même forme de visage. Nissyen en fut
interloqué bien plus que celui qui se trouvait face à lui et
semblait ne pas avoir la même conscience de cette étrange
ressemblance. Le combat n'eut pas lieu. Il y avait comme un respect
mutuel qui fit que les deux opposants firent demi-tour et s'en
allèrent chacun de leur côté.
De
retour au village, Nissyen dut avouer son trouble et sa réaction.
C'est alors qu'une vieille femme, celle qui guérissait les gens par
sa science des herbes et des remèdes qu'accordait alors
généreusement la nature prit la parole de manière étrange. Elle
déclara « C'est donc qu'il est revenu ! » Puis elle
s'enferma dans le silence, marmonnant par devers-elle des mots
incertains et incompréhensibles.
Nissyen
et ses sujets voulurent en savoir davantage. Il n'y avait que le
druide pour décrypter le message de la guérisseuse. On alla le
quérir alors qu'il était en chemin vers la grande forêt des chênes
sacrés. Il maugréa contre ces messagers qui venaient l'importuner
en cette période rituelle, ô combien importante. Mais devant la
frayeur et l'angoisse de tous, il consentit à rebrousser chemin pour
apporter ses immenses lumières.
Nissyen
lui raconta alors ce qui s'était passé et l'étrange rencontre
qu'il avait faite : un autre lui même, plus sauvage et sans
doute tout à fait incapable de communiquer. Alors le druide raconta
le secret de la naissance de Nissyen, la faute de Damona qui n'avait
pas sculpté un mais deux enfants dans l'argile de la rivière.
Pour
éviter le conflit qui ne pouvait que naître de cette gémellité,
l'un des enfants avait été abandonné à la nature, perdu loin
d'ici au milieu d'une forêt profonde et épaisse. Il avait dû être
recueilli par les bêtes sauvages, une louve ou bien une renarde, une
truie ou bien une biche qui lui donna son lait. Il avait grandi loin
des humains et c'est pourquoi il ne parlait pas …
Le
druide déclara alors à Nissyen, totalement médusé par cette
révélation, que l'enfant avait été nommé Evnissyen avant d'être
envoyé à ce qu'on pensait alors être une mort certaine. Pour le
chef, il n'était plus question de combattre celui qui était son
frère jumeau mais il lui était tout autant impossible de le
laisser effrayer les gens de sa tribu. Que faire ?
Ni
le druide ni les plus sages des hommes de l'endroit ne savaient que
répondre. Quant à Nissyen, il était même incapable de penser de
manière efficace tant il était bouleversé par ce qu'il venait
d'apprendre. C'est alors qu'une femme d'une beauté incroyable se
présenta au milieu du cercle à palabres. On l'appelait Bellissima
pour honorer sa beauté et sa grâce.
Bellissima
déclara que ni les armes ni la force ne pouvaient toucher le cœur
d'un homme, fût-il un être rustre et sans éducation. Seul l'amour
pouvait lui ouvrir les yeux et le conduire sur le chemin de cette
humanité qu'il n'avait jamais connue. Devant tous les membres de la
communauté, subjugués et ravis à la fois, Bellissima se dénuda
entièrement et laissa voir à tous un corps parfait d'une élégance
infinie.
Sans
plus un mot, elle quitta le village et partit à la recherche de ce
monstre sauvage. Durant sept jours et sept nuits, personne n'eut plus
aucune nouvelle d'elle. Seuls des râles sourds, des plaintes
troublantes, des soupirs et des halètements d'une incroyable
puissance indiquèrent à tous que ce qui se passait sous le couvert
de la forêt voisine devait sans doute être un spectacle
extraordinaire.
Nul
ne songea à aller y regarder d'un peu plus près. La crainte du
monstre les en dissuada ; moins cependant que la nécessité de
profiter de son occupation du moment pour retourner à la chasse et à
la pêche. C'est ainsi que les réserves se reconstituèrent et que
les gens de Nissyen échappèrent à la disette.
Puis,
au huitième jour, Bellissima revint dans la même tenue. Elle était
radieuse comme jamais on ne l'avait vue. Elle marchait avec cette
assurance qui caractérise les reines et les déesses. Elle alla
directement rejoindre Nissyen et lui déclara que son frère jumeau
était le plus charmant et le plus merveilleux des compagnons. Elle
voulait l'épouser et vivre avec lui dans la forêt. La seule
condition que Evnissyen avait émise était d'avoir la bénédiction
de son frère.
Il
en fut fait selon les vœux du monstre qui, en l'espace de sept jours
et sept nuits, avait découvert l'amour et apprit la langue des
humains. Il avait grandi dans la sagesse des animaux et ne voulait
pour rien au monde vivre sous un toit et selon les rites de ces
curieux personnages qu'il croisait parfois. Seule Bellissima avait
trouvé le chemin de son cœur et c'est elle qui irait vivre avec
lui, loin des humains. C'est ainsi qu'eut lieu le rite de leur union
afin que s'établisse un pacte heureux entre le village et la nature
sauvage. La légende perdura longtemps jusqu'au moment où ceux des
villes, devenues trop grandes cessèrent de respecter la nature
environnante. Il leur fallait asseoir leur puissance et imposer leur
volonté à tout ce qui les entourait. Le pacte entre Nissyen et son
jumeau avait été rompu.
Faudra-t-il
qu'une autre Bellissima se lève et fasse comprendre à ces êtres
cupides et vénaux que rien ne peut se concevoir sans un équilibre
harmonieux entre les humains et leur environnement naturel ?
Quant à espérer que l'amour renaisse dans le cœur des hommes,
c'est une autre histoire. Il faudrait sans doute bien plus de sept
jours et sept nuits à cette nouvelle déesse pour que tombent à
jamais la peur, la haine et les armes.
Laissez-vous
conduire par le cœur et suivez le Bonimenteur le long des canaux et
des rivières. Marchez sur un chemin de halage, une berge, un quai
empierré et découvrez les légendes d’autrefois. C’est ce à
quoi je vous convie si vous voulez bien me suivre. Il y a tant à
dire, tant à découvrir le long de ces cours d’eau qui ont façonné
nos civilisations.
Les
hommes se sont installés en bord de rivière, ils ont construit
leurs cités en se donnant une mythologie liée à cette eau qui
passe. Les fées, les monstres, les prodiges, les grandes batailles,
les personnages royaux, les humbles gens, tous ont participé à
cette fascination pour les flots, tous ont plongé dans les mystères
qui peuvent naître de la fréquentation assidue des rives.
Le
conteur n’a qu’à puiser dans ce patrimoine universel pour vous
proposer un voyage sur la terre et dans le temps, aujourd’hui et
autrefois. Le rêve sera dans vos chaussures, la nature se parera de
cette magie que les citadins ont oublié d’admirer. Les animaux
seront de la fête et le marcheur redeviendra un enfant.
C’est
ce à quoi je vous convie, le sac sur le dos, un panier repas et
quelques bouteilles car ne l’oubliez jamais, le vin a son histoire
intimement liée à nos fleuves, comme si Bacchus avait toujours
souhaité mettre un peu d’eau dans son vin et de belles saveurs
dans son merveilleux nectar. Une autre épopée est à portée de
goulot, celle de la vigne, des vignerons, des gars qui construisaient
ou transportaient les tonneaux d’un port à l’autre. Il suffira
de boire mes paroles pour peu que vous n’oubliiez pas de me
rafraîchir le gosier.
Nous
partirons en balade, le voyage sera lent et paisible. Les contes
agrémenteront le chemin, nous ferons halte magique ici, un peu plus
loin ce sera farce coquine, là-bas nous rencontrerons le diable qui
n’est jamais bien loin et plus loin encore, ce sera un saint qui
fera un miracle. À cet arrêt, un pierre magique tournera sur
elle-même pour libérer un trésor fabuleux tandis que de l’autre
côté, les oiseaux migrateurs vous feront la sérénade.
L’aventure
continuera. Vous découvrirez les habitants des flots, ces poissons
qui ne cessent de nous surprendre, d’aller de la rivière à
l’océan ou bien de mener terrible bataille pour leur survie dans
les profondeurs des frayères. Ils étaient les compagnons des
pêcheurs, ceux qui alors faisaient métier de connaître par le cœur
tous les secrets du parcours.
Sur
la rivière, vous découvrirez le passeur qui vous conduit sur
l’autre rive, le tireux de jars qui remonte le temps de son sablier
nostalgique, les mariniers d’autrefois se conduisant de manière
étrange, l’aventure des bateaux à vapeur, la folle descente des
gars du Forez. Puis dans un coin plus calme, vous entendrez les
laveuses battre le linge et claquer de la langue.
Tout
ceci sera à portée d’oreilles pour peu que vous preniez la peine
de me suivre. Les enfants des écoles seront ravis de profiter de
l’aubaine si les maîtres et les maîtresses prennent la peine de
m’inviter. Le Bonimenteur vous convie à ses balades contées,
profitez de cette belle occasion pour redécouvrir ce cours d’eau
qui coule à deux pas de chez vous. C’est plus de deux mille ans
d’histoire qui sont à portée de pas.
Si
c’est la Loire que je connais le mieux, n’ayez crainte, les
légendes se ressemblent, les aventures humaines sont souvent
voisines. Je peux venir à vous sans que ma bourriche à malices soit
vide. Il y a toujours matière à récit le long d’une rivière ou
d’un canal. J’ai aussi quelques chansons si vous voulez prolonger
la balade par un spectacle. Mes amis les musiciens se feront alors un
plaisir de vous jouer une aubade à votre arrivée.
N’hésitez
surtout pas à me contacter. Je ne vais pas vous ruiner. Au terme du
voyage vous serez bien plus riche qu’au départ, d’histoires et
de découvertes, de rencontres et de bonheur. La veillée d’autrefois
se fait désormais au pas du flâneur bienheureux, de l’arpenteur
attentif, des pérégrinations curieuses . Suivez le conteur, nous
n’avons pas besoin de guide ! Je ne vous mènerai pas en bateau, je
laisse à d’autres le soin de le faire, certains s’y entendent si
bien ! Merci à tous de votre attention.
Ils
sont funambules de l'inutile ! Ils ont été décrétés
non-essentiels par des gens aussi importants que méprisants, avant
que de basculer dans le rang des êtres superflus, inutiles et
parfois même indésirables. Il est vrai qu'ils incitent à porter un
regard décalé sur cette société, ses usages et nos comportements.
Laissez-les vous conduire par le cœur ...
La
Complainte des infidèles
Bonnes gens Ecoutez la
triste ritournelle Des amants errants En proie à leurs
tourments Parce qu'ils ont aimé Des femmes infidèles
Qui les ont
trompés Ignominieusement Méfiez-vous, femmes cruelles Qu'on
vous en fasse tout autant La douleur n'est pas éternelle Même
chez le meilleur des amants Vaincues par vos propres armes Vous
connaîtrez à votre tour Et le désespoir et les larmes De la
jalousie et de l'amour
Cœur pour cœur Dent pour
dent Telle est la loi des amants Cœur pour cœur Dent pour
dent Telle est la loi des amants.
Bonnes gens C'est le refrain des filles
cruelles Sans foi, ni serment Trompées par leurs amants Parce
qu'ils ont aimé Des femmes infidèles Ils se sont
vengés Victorieusement Ah! Souffrez mes tourterelles Vous
voici en peine d'amant ! Des inquiétudes mortelles C'est vous
qui connaîtrez le tourment Répandez vos jolies larmes Oui,
pleurez, c'est bien votre tour Vous avez dû rendre vos armes Et
l'amour est mort, vive l'amour !
La Complainte des infidèles m'offre l'opportunité de vous
narrer une histoire comme le les aime. Pourquoi ? Je ne saurais
vous le dire. Son texte sans doute, m'invite à la nostalgie tout en
m'entraînant dans une époque lointaine durant laquelle le texte des
chansons était encore porteur d'une histoire. La mienne mérite
peut-être que je vous la livre puisque j'ai la chance de parsemer ce
récit de quelques chansons dont Valérie et Gérard nous
enchanterons. Acceptez simplement d'en suivre la trame sans vous
soucier d'en mesurer la véracité.
Sur les chemins du vaste monde, il y a
toutes sortes de gens qui vont à l'aventure, le baluchon sur le dos.
Celui qui transporte sa marchandise comme ce colporteur venu de
Roanne, cet autre chargé de ses outils et riche de son savoir-faire
à l’instar du rempailleur, du rémouleur, de l'affûteur, du
rhabilleur de meule aux mains bleues et de tant d'autres encore, tous
gens de grande habilité et de bon commerce.
Il y a encore ceux qui se font un
devoir de faire les gens danser, allant au gré des fêtes et du
hasard, la cabrette ou le violon sur le flanc. Il y a également les
montreurs d'ours, les jongleurs, quelques comédiens et de joyeux
bateleurs. Il y a hélas, se mêlant souvent à cette belle assemblée
du hasard, la plaie de cette noble caste de l'itinérance ceux qui
n'ont d'autre dessein que de commettre menus larcins pour ne pas
avoir à s'user à l'ouvrage. De ceux-là, gardons-nous bien de
chanter les louanges.
Parmi ce petit peuple hétérocycle en
mouvement permanent, allant comme mu par un instinct de vagabond
migrateur de foires en marchés, de fêtes en carnavals, de
processions en noces, de banquets en cérémonies, il en est un qui
pérégrine aussi léger que les oiseaux puisqu'il ne supporte que sa
plume, de l'encre et son écritoire sur le dos. Il n'est pas marin,
s'il jette l'ancre dès que c'est possible sur son passage, semant
mots tendres ou bien mots doux, messages graves et trop sérieux,
pensées intimes et requêtes pressantes, contrats en tous genres et
ultimes volontés, c'est pour mieux repartir ensuite, dès son
forfait littéraire accompli. Il est écrivain public, celui qui met
son bras pacifiquement au service de tous ceux qui ne savent pas
écrire.
Il n'a qu'un prénom ne cherchant
nullement à se faire un nom, personnage singulier qui seme sur sa
route des mots à tout venant, avançant entre pieds et vers.
Chemineux au grand cœur, vagabond céleste, trouvère aux
trouvailles lexicales, sa plume suit les mêmes chemins que lui. Il y
a un temps pour l'écriture, l'autre pour la méditation et
l'itinérance sans oublier celui réservé à l'outrance, la bombance
et toujours la transhumance en bon poète qu'il s'imagine être
Il fait ses premières armes si
l'expression ne porte pas à vous glacer le dos, au pied d'une
potence. Il est vrai que les distractions sont rares, la chose fait
recette en cette époque lointaine du début de son aventure. Le
« divertissoire » pour la foule emprunte parfois des
trajectoires douteuses. Le nombre des suppliciés tout comme leur
réputation a drainé présentement la grande foule des curieux,
badauds voyeurs, tous avides de sensationnel. La bande à Mandarin
après des exploits à vous couper le souffle achève sur la grande
scène de la tragédie humaine ses ultimes instants. Il pleut des
cordes, mauvais présage pour qui est superstitieux.
Archimède impressionné par la
solennité du moment se met en demeure de graver, non sur le marbre,
puisque les dépouilles hériteront de la seule fosse commune, mais
sur le parchemin une ballade pour honorer leur mémoire.
Contrairement à la terrible trape, l'inspiration ne se dérobe pas
sur ses pieds. Il couche sur le papier une chanson qui fera le tour
du pays. Il vient de mettre le pied à l'encrier et à la partition
tout en trouvant sa raison de vivre.
La
Complainte de Mandrin
Nous étions 20 ou 30
brigands dans une bande Tous habillés de blanc à la mode des,
vous m'entendez Tous habillés de blanc à la mode des marchands
La première volerie que
je fis dans ma vie C'est d'avoir goupillé la bourse d'un, vous
m'entendez C'est d'avoir goupillé la bourse d'un curé
J'entrais dedans la
chambre, mon Dieu, qu'elle était grande J'y trouvais mille écus,
je mis la main, vous m'entendez J'y trouvais mille écus, je mis
la main dessus
J'entrais dedans une
autre, mon Dieu, qu'elle était haute De robes et de manteaux,
j'en chargeais trois, vous m'entendez De robes et de manteaux,
j'en chargeais trois chariots
Je les portais pour vendre
à la foire en Hollande J'les vendis bon marché, ils ne m'avaient
rien, vous m'entendez J'les vendis bon marché, ils ne m'avaient
rien coûté
Ces Messieurs de Grenoble
avec leurs longues robes Et leurs bonnets carrés m'eurent
bientôt, vous m'entendez Et leurs bonnets carrés m'eurent
bientôt jugé
Ils m'ont jugé à pendre,
ah, c'est dur à entendre À pendre et étrangler sur la place du,
vous m'entendez À pendre et étrangler sur la place du marché
Monté sur la potence, je
regardais la France J'y vis mes compagnons à l'ombre d'un, vous
m'entendez J'y vis mes compagnons à l'ombre d'un buisson
Compagnons de misère,
allez dire à ma mère Qu'elle ne m'reverra plus, j'suis un
enfant, vous m'entendez Qu'elle ne m'reverra plus, j'suis un
enfant perdu
Pour un coup d'essai ce fut un coup de
maître. Archimède sut se mettre dans la peau de Mandrin, il fait
de son supplice un acte fondateur, créant ainsi une légende qui
dépasse la triste réalité des faits. Il comprend alors que les
mots sont plus forts que tout quand ils sont dits en chantant.
D'écrivain public, il se fait parolier du quotidien, offrant une
page d'éternité à qui veut bien se saisir d'un texte pour le
mettre en musique.
Il reprend sa route, soucieux de
trouver un nouveau sujet, une nouvelle inspiration pour aller à
rebours des idées reçues et des représentations factices. Il n'a
pas longtemps à chercher. Une fois encore, la destinée glisse sous
ses pas, un message qui lui appartient de décoder. L'époque n'est
pas toujours bienveillante à qui va sur la route, ce n'est hélas
pas l’apanage de ce temps révolu.
Il est en chemin sous un vilain temps
quand il arrive aux portes d'une grande ville. Il a emprunté le
chemin de halage de la majestueuse Loire. Il espère trouver Taverne
bienveillante pour se mettre à l'abri. Hélas, sa bourse est vide,
il ne peut franchir le pas de la porte sans apporter garantie
sonnante et trébuchante. Frapper à une humble demeure de pêcheur
ou bien se réfugier sous le porche d'une belle demeure bourgeoise
n'est pas non plus gage de réussite.
Il en est là à ruminer son malheur,
conscient qu'il est préférable de ne pas pousser plus loin :
franchir les portes de la cité c'est courir le risque de se
retrouver à l'hôtel dieu et sa terrible règle d'hospitalité. Une
lanterne éclaire faiblement la nuit, une maison aux volets clos mais
à l'allure engageante. Il frappe, on lui ouvre. Il est traité
dignement pourvu qu'il se serve de sa plume pour coucher sur le
papier les messages que ces dames souhaitent adresser à leurs
familles. Il trousse si bien la chose, qu'il obtient gîte et couvert
et bien d'autres égards. En reprenant la route, le lendemain, il
confie en guise de remerciement une chanson qui exprime toute sa
reconnaissance et son empathie pour celles qui ouvrent en cette
maison injustement vilipendée
La
Venelle à quatre sous
Elles
sont des filles à marins
Elles
sont des femmes au turbin
Même
pas des filles de joie
Comme
les aiment les bourgeois
Elles
qui font le pied de grue
Afin
d’ brader leur vertu
Que
c’est triste d’être péronnelle
Tout
au bout de la venelle !
La
venelle à 4 sous
Pour
engraisser les marlous
Leur
pauvre mont de Vénus
Offert
aux premiers venus
C'est
souvent des mariniers
Gars
perdus loin du foyer
De
grosses âmes en peine
Avec
des envies sans je t'aime
Brefs
ébats insipides
Dans
une chambre livide
Il y
a si peu de câlins
Pour
cette pauvre catin
Pour
des amours tarifés
Sur
des corps fatigués
Des
plaisirs vite expédiés
Par
des hommes trop pressés
C'est
pas même le bordel
D'une
dame maquerelle
Ce
lupanar sans lumière
Pour
ces marins en galère
C'est
un lugubre bord'eau
Où
s'arrêtent les bateaux
Une
simple escale sordide
Pour
tous ces cœurs bien vides
Quatre
sous si dérisoires
Octroyés
sur un trottoir
Le
triste prix du chagrin
Entre
marin et putain
Il
ne faut pas être fier
De
ces amours sans manière
Pour
ces filles perdues ici
Sans
même un petit merci
C'est le cœur
gros qu'il quitte ces dames, se jurant pour toujours de ne plus
dénaturer en propos scabreux cette activité au combien nécessaire
et que l'on prétend être le plus vieux métier du monde.
Il
emporte dans sa musette un texte que lui a laissé une pensionnaire :
Madame Claude comme elle se fait appeler. Il se promet d'en faire bon
usage, troublé qu'il est par ce message qui exprime toute la
détresse de ces dames, objets de plaisir qui ne peuvent se réaliser
dans la maternité. Lui le vagabond sans attache ni famille perçoit
mieux que beaucoup de manque cruel.
Il se promet
de la mettre à son programme, de la faire sienne, non pas pour s'en
arroger la paternité, un mot qui le fait sourire dans un tel
contexte, mais bien pour honorer cette femme qui lui a fait une
merveilleuse offrande.
Archimède,
que les circonstances de l'existence n'ont jamais poussé à la
nostalgie, éprouve en cet instant de curieux sentiments :
sensiblerie déplacée, envie de poser son baluchon, mièvrerie
surannée, désir de fonder une famille ? Il ne sait. Il ressent
le besoin impérieux de mettre en bouche ce texte, de se
l'approprier sans tarder. Il aura ainsi l'honneur de la diffuser au
hasard de ces étapes. Il ne peut faire plus pour madame Claude. Lui
prend même l'envie de rebrousser chemin et de rejoindre la dame, une
bien mauvaise idée, qu'il repousse d'un haussement d'épaule.
« Reprends-toi
mon brave Archimède », se dit-il avant que d'affermir son pas
et de se mettre à chanter :
Ma
mère avait
(Claude
Antonini)
Un
enfant dans une maison
C'est
un soleil dit-on
Qui
vient après l'orage
Doux
comme une image
Ça
se pend à votre cou
Ça
n'en demande pas beaucoup
Ça
vous emmène en voyage
Sans
bagages …
Ma
mère avait peut-être raison
Une
enfant dort ma maison
Deux
enfants dans une maison
Ça
porte bonheur dit-on
On
les berce sans y penser
Entre
ses bras noués
Ça
raconte des histoires
Quand
on les couche le soir
Si
l'un d'eux, un jour s'en va
L'autre
restera
Ma
mère avait peut-être raison
Deux
enfants rêvent ma maison
Quatre
enfants dans une maison
Reste
calme … voyons !
Car
cet instant viendra
Où
ils n'auront plus besoin de toi
Tu
seras vieille qu'importe
La
vie est faite de la sorte
Assieds-toi
près de moi
Mais
ne pleure pas !
Ma
mère je ne pourrai jamais
Les
bercer tous ensemble
Ma
mère je ne pourrai jamais
Entre
mes bras qui tremblent
Archimède
doit absolument évacué son vague à l'âme.
Il est tout proche du port d'Orléans, il souhaite vivement aller à
la rencontre de ce petit peuple des mariniers et de la multitude
grouillante de ceux qui s'affairent sur le quai ou à proximité.
C'est là belle occasion de se
changer les idées, de s'arsouiller un peu en compagnie de malandrins
de son acabit, tous gens de peu sans doute mais d'un cœur qui ne
triche jamais avec les sentiments.
Le spectacle est
pour lui édifiant. Jamais sur ces chemins de travers, il n'a observé
une telle activité, un fourmillement permanent. Une ruche humaine
dans laquelle chacun tient un rôle bien défini, une tâche qui
contribue à ce que des marchands et des bourgeois s'enrichissent sur
le labeur de tous ceux-là. Pourtant nulle récrimination chez eux,
chacun ayant la fierté de participer à la prospérité du Royaume.
Archimède,
comme toujours, propose ses services à ceux qui ne savent pas
écrire. Il est surpris de découvrir que la lecture tout comme la
natation ne sont de la compétence des gens qui s'activent au bord de
l'eau. Il remplit grand ouvrage pour satisfaire toutes les demandes.
Il est largement abreuvé en retour et reçoit même quelques pièces.
Ce n'est pas là
l'essentiel. Il croise un marin qui à la différence de beaucoup de
ses collègues connait le grand large. Il a bourlingué sur bien des
océans, connu des destinations qui symbolisent le soleil et
l'aventure. Pourtant, immanquablement, inexorablement, sa
conversation revient sans cesse vers un port sous la brume et les
frimas. Il en parle avec une telle chaleur dans la voix, des lumières
dans les yeux que Archimède en sont troublé. Il veut lui faire
cadeau d'un texte qui s'inspire à la fois de ses déclarations mais
aussi de tout ce qu'il perçoit sur les quais d'Orléans. Le marin en
est si ému qu'il entonne dans l'instant cette chanson qui le touche
au plus profond du cœur et rend témoignage véritablement de ce
qu'est un port, fut-il de mer ou bien de terre.
Amsterdam
Dans le port d'Amsterdam Y a des marins qui
chantent Les rêves qui les hantent Au large d'Amsterdam Dans
le port d'Amsterdam Y a des marins qui dorment Comme des
oriflammes Le long des berges mornes
Dans le port d'Amsterdam Y a des marins qui
meurent Pleins de bière et de drames Aux premières
lueurs Mais dans le port d'Amsterdam Y a des marins qui
naissent Dans la chaleur épaisse Des langueurs océanes
Dans le port d'Amsterdam Y a des marins qui
mangent Sur des nappes trop blanches Des poissons
ruisselants Ils vous montrent des dents A croquer la fortune A
décroisser la Lune A bouffer des haubans Et ça sent la
morue Jusque dans le coeur des frites Que leurs grosses mains
invitent A revenir en plus Puis se lèvent en riant Dans un
bruit de tempête Referment leur braguette Et sortent en rotant
Dans le port d'Amsterdam Y a des marins qui
dansent En se frottant la panse Sur la panse des femmes Et
ils tournent et ils dansent Comme des soleils crachés Dans le
son déchiré D'un accordéon rance Ils se tordent le cou Pour
mieux s'entendre rire Jusqu'à ce que tout à coup L'accordéon
expire Alors le geste grave Alors le regard fier Ils
ramènent leur batave Jusqu'en pleine lumière
Dans le port d'Amsterdam Y a des marins qui
boivent Et qui boivent et reboivent Et qui reboivent encore Ils
boivent à la santé Des putains d'Amsterdam De Hambourg et
d'ailleurs Enfin ils boivent aux dames Qui leur donnent leur
joli corps Qui leur donnent leur vertu Pour une pièce en or Et
quand ils ont bien bu Se plantent le nez au ciel Se mouchent
dans les étoiles Et ils pissent comme je pleure Sur les femmes
infidèles
Dans le port d'Amsterdam Dans le port d'Amsterdam.
Archimède
pour souffler un peu sans doute et trouver plus de sérénité
éprouve alors le besoin de partir
par les terres, de laisser la Loire pour aller à la rencontre du
monde agricole. Il pense qu'il peut trouver là des gens plus
simples, moins exubérants sans doute. Il aspire au calme et surtout
désire retrouver le rythme immuable de la nature. L'été approche,
les moissons promettent d'être généreuses. Les paysans se
préparent à ce grand moment tout en coupant une première fois les
foins.
Les grands
rendez-vous célestes ne manquent jamais d'être célébrés.
Archimède se doute que la Saint Jean donnera lieu, où qu'il aille
dans le monde agricole, à une formidable réjouissance. Il apprécie
tout particulièrement cette nuit, la plus courte de l'année ou peu
s'en faut, qui se fait la tendre complice de bien des unions futures.
Lui, l'écrivain
devine qu'il aura de l'ouvrage, parmi le plus agréable qui soit pour
sa plume. Le courrier du cœur l'enchante toujours. Il écoute,
amusé, les formules souvent maladroites des prétendants, tournent
autrement la phrase pour lui donner un peu de cette poésie qui
manque tant dans cette société laborieuse.
Souvent il
touche juste. Sa prose ale bonheur de complaire à celui ou à celle
qui se déclare mais plus encore, elle atteint sa cible. Quand il
repasse l'année suivant, un nouveau couple lui offre le gîte pour
un nuit, lui témoignant ainsi sa gratitude.
Cette nuit-là,
autour du feu cependant, il assiste cependant à une autre scène. Il
en est ému lui qui passe son temps à s'imprégner des sentiments
des autres. Il éprouve le désir de l'immortaliser. Une fois encore,
il sait tirer les larmes et l'émotion de mots qui riment sans doute
maladroitement mais avec une sincérité rare. Sur un air de valse,
il offre cet hymne de tous les amoureux éconduits. C'est aussi un
peu pour lui car rares sont celles qui pour un moment pour un moment
seulement, tendent leurs bras au vagabond.
Mon
amant de Saint-Jean
Je
ne sais pourquoi j'allais danser A Saint-Jean au musette, Mais
quand un gars m'a pris un baiser, J'ai frissonné, j'étais
chipée Comment ne pas perdre la tête, Serrée par des bras
audacieux Car l'on croit toujours Aux doux mots d'amour Quand
ils sont dits avec les yeux
Moi qui l'aimais tant, Je le
trouvais le plus beau de Saint-Jean, Je restais grisée Sans
volonté Sous ses baisers.
Sans plus réfléchir, je lui
donnais Le meilleur de mon être Beau parleur chaque fois qu'il
mentait, Je le savais, mais je l'aimais. Comment ne pas perdre
la tête, Serrée par des bras audacieux Car l'on croit
toujours Aux doux mots d'amour Quand ils sont dits avec les
yeux
Moi qui l'aimais tant, Je le trouvais le plus beau de
Saint-Jean, Je restais grisée Sans volonté Sous ses
baisers.
Mais hélas, à Saint-Jean comme ailleurs Un
serment n'est qu'un leurre J'étais folle de croire au bonheur, Et
de vouloir garder son cœur. Comment ne pas perdre la tête, Serrée
par des bras audacieux Car l'on croit toujours Aux doux mots
d'amour Quand ils sont dits avec les yeux
Moi qui l'aimais
tant, Mon bel amour, mon amant de Saint-Jean, Il ne m'aime
plus C'est du passé N'en parlons plus.
Au petit matin,
quand au chant du coq il quitte le bourg, il a certes le cœur gros
mais cette rengaine dans la tête, allége ses pas. Le monde a changé
sans qu'il s'en rende vraiment compte. Les années ont passé, la
cabrette a été supplanté par l'accordéon. Les apaches vont
guincher au bal sur un joli parquet qui tout comme lui, va de
villages en villages.
On appelle ça
d »sormais le bal musette. Est-ce en souvenir des instruments
traditionnels qui ne trouvent plus place que dans le folklore ou bien
parce que les fripouilles boivent plus que raison à la buvette de
l'endroit. C'était encore une époque où l'on avait la cuite
tricolore, le vin avait la primeur des boit-sans-soif. Quoique
souvent affreuse piquette, il se contente de griser un peu, sans
faire trop de mal à moins qu'une bagarre ne vienne pousser le
bouchon trop loin.
Archimède s'en
amuse en son fort intérieur. Il sent monter la pression, s'éclipse
avant que ne volent les tables et les chaises. Pour lui, le bal doit
être un moment de grande fraternité durant lequel toutes les
générations se rassemblent. Il a l'inquiétude au cœur, il lui
semble percevoir que cela ne durera pas, que les clans, les tribus,
les clivages vont fractionner le tissu social, que les générations
bientôt ne se retrouveront plus sur les mêmes pistes de danse.
En attendant,
Archimède laisse place à l'accordéoniste. Il aime le son de cet
instrument, populaire par essence. Point n'est besoin de lui remonter
les bretelles pour qu'il écrive à nouveau un texte qui tourne en
boucle dans les têtes. Il lui prend l'envie d'évoquer à nouveau
ces demoiselles du bordeau, Archimède a du vague à l'âme, sa
solitude lui pèse…
L'accordéoniste.
La
fille de joie est belle Au coin de la rue là-bas Elle a une
clientèle Qui lui remplit son bas Quand son boulot
s'achève Elle s'en va à son tour Chercher un peu de rêve Dans
un bal du faubourg Son homme est un artiste C'est un drôle de
petit gars Un accordéoniste Qui sait jouer la java
Elle écoute la java Mais
elle ne la danse pas Elle ne regarde même pas la piste Et ses
yeux amoureux Suivent le jeu nerveux Et les doigts secs et
longs de l'artiste Ça lui rentre dans la peau Par le bas, par
le haut Elle a envie de chanter C'est physique Tout son être
est tendu Son souffle est suspendu C'est une vraie tordue de la
musique
La fille de joie est
triste Au coin de la rue là-bas Son accordéoniste Il est
parti soldat Quand il reviendra de la guerre Ils prendront une
maison Elle sera la caissière Et lui, sera le patron Que la
vie sera belle Ils seront de vrais pachas Et tous les soirs
pour elle Il jouera la java
Elle écoute la
java Qu'elle fredonne tout bas Elle revoit son accordéoniste Et
ses yeux amoureux Suivent le jeu nerveux Et les doigts secs et
longs de l'artiste Ça lui rentre dans la peau Par le bas, par
le haut Elle a envie de pleurer C'est physique Tout son être
est tendu Son souffle est suspendu C'est une vraie tordue de la
musique
La fille de joie est
seule Au coin de la rue là-bas Les filles qui font la
gueule Les hommes n'en veulent pas Et tant pis si elle
crève Son homme ne reviendra plus Adieu tous les beaux
rêves Sa vie, elle est foutue Pourtant ses jambes
tristes L'emmènent au boui-boui Où y a un autre artiste Qui
joue toute la nuit
Elle écoute la java Elle
entend la java Elle a fermé les yeux Et les doigts secs et
nerveux Ça lui rentre dans la peau Par le bas, par le
haut Elle a envie de gueuler C'est physique Alors pour
oublier Elle s'est mise à danser, à tourner Au son de la
musique
Arrêtez! Arrêtez la
musique !
Arrêtez la musique, c'est ce
qu'ils ont osé faire : un quatorze juillet sans les lampions et
le feu d'artifice à cause de cette maudite pandémie. Archimède
se souvient alors d'une autre époque, celle qui a conduit à
célébrer ce jour de fête nationale. Il a tant bourlingué, lui le
vagabond errant, échappant miraculeusement à la marche immuable du
temps.
Il se rappelle la fièvre qui prit
alors le bon peuple du royaume quand le pauvre roi Louis XVI, avant
de perdre la tête, réclama que les doléances de ses sujets
remontent jusqu'à Versailles. Il n'avait pas chômé, lui l'écrivain
des gueux. Il en avait écrit des lignes et des lignes, remplissant
des cahiers de plaintes multiples. Il se faisait alors l'interprète
d'une sourde colère, résultat d'une injustice criante.
Il n'imaginait pas alors qu'à
nouveau, bien des années plus tard, il retrouverait un tissu social
déchiré par les inégalités, les injustices et la morgue des
puissants. Bien sûr, les temps ont changé, la justice n'est plus
aussi rude. Il ne peut oublier ce bagnard, marqué jamais par la
flétrissure infamante, qui lui confia son histoire, celle sordide de
tous ces faux-sauniers qui voulaient simplement atténuer la misère
des humbles soumis à l'odieux impôt de la Gabelle. Il avait écrit
alors une chanson comme il l'avait fait pour Mandrin.
Le
galérien
Je m'souviens, ma
mèr' m'aimait Et je suis aux galères, Je m'souviens ma mèr'
disait Mais je n'ai pas cru ma mère Ne traîn' pas dans les
ruisseaux T'bats pas comme un sauvage
T'amuses pas comm' les
oiseaux Ell' me disait d'être sage
J'ai pas tué, j'ai
pas volé J'voulais courir la chance J'ai pas tué, j'ai pas
volé J'voulais qu'chaqu' jour soit dimanche
Je m'souviens
ma mèr' pleurait T'en vas pas chez les filles Fais donc pas
toujours c'qui t'plait Dans les prisons y a des grilles
Un jour les soldats du
roi T'emmen'ront aux galères Tu t'en iras trois par
trois Comme ils ont emmn'nés ton père Tu auras la têt'
rasée On te mettra des chaînes T'en auras les reins brisés Et
moi j'en mourrai de peine
Toujours, toujours tu
ram'ras Quand tu s'ras aux galères Toujours toujours tu
ram'ras Tu pens'ras p't'ètre à ta mère
J'ai pas tué, j'ai
pas volé Mais j'ai pas cru ma mère Et je m'souviens qu'ell'
m'aimait Pendant qu'je rame aux galères.
Le temps ne fait rien à l'affaire.
Archimède en dépit du poids des années a toujours un cœur qui
bat. Les mots sont les plus précieux de tous les trésors. Il a
parcouru le pays, avec cette envie de faire le bien par quelques
belles tournures de phrases, des sentiments qui se passent aisément
des richesses factices.
Tour ce qui brille n'est pas or, seul
ce qui fait briller les yeux des amoureux lui a toujours donner la
force de continuer. Alors, qu'importe si parfois il trempe sa plume
dans l'eau de rose, il se moque de ces furieux qui pensent tout
pouvoir acheter, les sentiments et les corps, les âmes et les
esprits. Lui il croit et croira éternellement en cette pulsion
étrange, immatérielle qu'on nomme amour et que bien naïvement il
continuera de faire rimer avec Toujours.
Archimède poursuit son chemin, sème
des petits cailloux qui roulent sur les joues. Ils n'ont pas de prix,
ses paroles non plus n'en déplaisent à la société des auteurs,
maléfique instance qui soutire les humbles pour enrichir les
puissants. Il vous laisse un ultime message avant que de reprendre sa
route. Il envoie tout valser pour se délester du superflu et garder
au cœur que l'essentiel...
J’envoie valser
J'en vois des qui se
donnent Donnent des bijoux dans le cou C'est beau mais quand
même Ce ne sont que des cailloux Des pierres qui vous
roulent Roulent et qui vous coulent sur les joues J'aime mieux
que tu m'aimes Sans dépenser des sous
Moi je m'en moque J'envoie
valser Les trucs en toc Les cages dorées Car quand on
s'aime très fort C'est comme un trésor Et ça, et ça vaut de
l'or
J'en vois des qui se
lancent Des regards et des fleurs Puis qui se laissent Quelque
part ou ailleurs Entre les roses et les choux J'en connais des
tas Qui feraient mieux de s'aimer un peu Un peu comme nous Qui
nous aimons beaucoup
Et d'envoyer Ailleurs
valser Les bagues et les cœurs en collier Car quand on s'aime
très fort C'est comme un trésor Et ça, et ça vaut de l'or
Moi pour toujours J'envoie
valser Les preuves d'amour En or plaqué Puisque tu me
serres très fort C'est là mon trésor
C'est toi, toi qui
vaut de l'or
Archimède s'en est allé sur la
pointe de ses pieds nus. Les mots couchés sous des notes valent plus
que de l'or quand ils sont chantés. Il n'est de plus beau message à
retenir dans ce monde si mercantile. Prenez la peine de la suivre
dans son univers merveilleux et acceptez, acceptez d'être émus et
entraînés par le musicien et la chanteuse. Le conteur n'a fait que
peupler leur tour de chant de quelques fragments d'étoiles.
L'essentiel ne se grave que dans le cœur.
Voilà
un animal qui a bonne presse. On peut penser à le voir ainsi
photographié et traqué sous toutes les coutures qu’il a la dent
longue. Que nenni, si elle est dure au point que la NASA songea en
son temps à les utiliser pour fabriquer des outils spatiaux, notre
ami Brebos est un être qui aime la discrétion. Il sait par
expérience qu’il doit se méfier de la mode et du succès.
Ainsi
quand Charles VII se mit à porter des toques en fourrure avec une
queue plate flottant au vent, les nobles et les gens importants
voulurent imiter le Roi et la traque des pauvres castors
s'intensifia. De quoi avoir une sacrée migraine devant tant de
soucis. C’est là-encore que notre ami se découvrit un nouvel
écueil.
Rongeur
invétéré, le Castor aime tout particulièrement l’écorce du
saule. Comment l’en blâmer lui qui aime à se faire la dent sur ce
mets délicieux qui ne fut pas sans incidence pour la vie en bord de
Loire. Provoquant ainsi de nombreux rejets, des repousses après son
passage, il fut à l’origine de la découverte, de l’exploitation
puis de l’industrie de l’osier qui prospéra par chez nous.
Mais
s’il mit la main des ligériens au panier, il leur fit comprendre
également qu’il était capable de synthétiser une curieuse
substance qui venait de cet arbre et qui avait un pouvoir miraculeux.
L’acide acétylsalicylique que vous connaissez par l’intermédiaire
de son dérivée Aspirine, fut un coup fatal pour l’animal.
La
traque, le pillage s'intensifièrent. L'appât du gain chez l’humain
n’a pas de limite, Brebos allait être rayé de la Loire sans autre
forme de procès. Il ne put même pas se réfugier sur les bords du
Beuvron (rivière à Castor en Celte). Partout, sa tête, sa queue,
sa peau et son Castoréum étaient mis à prix. Brigitte Bardot
n’étant pas encore née en cette lointaine époque, il disparut
corps et biens.
Aucun
promoteur ne songea alors à investir ses huttes et ses cabanes.
C’était un temps durant lequel la Loire avait mauvaise presse, les
ligériens après une série d'inondations catastrophiques et la
disparition de la marine de Loire, s’étaient détournés de la
rivière. Le territoire de Castor demeura ainsi totalement inoccupé
jusqu’à ce qu’un lointain cousin venu d’Amérique ne vienne
saper les fondations de nos levées.
La
ragondin fit son entrée en scène tout autant qu’en Loire. Si son
pelage pouvait faire illusion, sa queue trahissait un étonnant
manque de panache. L’animal proliféra et réussit à faire son
trou un peu partout. Il se fit même remarquer des gourmets qui en
firent du pâté. C’est sans doute en dégustant ce rongeur
aquatique que des amoureux de la faune songèrent à réintroduire le
Castor sur nos rives. Les mystères des projets humains sont
toujours insondables.
On
échappa de fort peu à la catastrophe. Les initiateurs de cette
noble idée allèrent chercher au plus simple les bêtes à remettre
à l’eau. Walt Disney avait popularisé le Castor Canadien, grand
bâtisseur devant l’éternel, travailleur infatigable et
spécialiste du génie hydraulique. Avec lui, les grands projets de
barrage sur la Loire de monsieur Royer pourraient voir le jour !
On
fit venir quelques couples car voyez-vous, si l’on veut croître et
se multiplier, il convient d’abord de s’associer en binômes de
sexe opposé. L’affaire avait été rondement menée et nos couples
pouvaient entrevoir des projets familiaux quand la dramatique
expérience de l’écrevisse américaine vint éveiller quelques
inquiétudes parmi les esprits les plus éclairés.
Et
si le Castor américain n’était pas recommandé sur nos rives ? La
remarque était judicieuse, l’animal aurait transformé la Loire en
un vaste chantier de construction. On parvint à récupérer les
intrus qui s’étaient installés sans même avoir réclamé un
visa. Ils furent remplacés par de bons et loyaux collègues venus
d’Europe, des moins travailleurs pour permettre à tous de couler
ici des jours heureux.
Ce
fut un total succès. Les couples remplirent pleinement leur mission
de reproduction. Les petits, à la naissance de la portée suivante
étant invités à quitter le domicile familial, le grand mouvement
de colonisation de la rivière par nos queues plates débuta. De
petits bonds en petits bonds et en dépit des inévitables levées de
boucliers à cause des supposés dégâts provoqués par leurs dents
dures, les castors conquirent les cœurs ligériens.
Depuis
ils font le bonheur des photographes, des promeneurs du soir, des
mariniers silencieux, de tous ceux qui se donnent la peine d’aller
les observer et les admirer au couchant ou même en pleine nuit.
Prenez bien garde à les respecter sinon il pourrait vous en coûter.
J’ai vu un importun, un triste personnage faisant grand bruit avec
son appareil photographique et ses commentaires déplacés, se voir
copieusement arrosé par un magistral coup de queue dans l’eau
administré par un compère Castor excédé. Ce gêneur s’en
retourna la queue basse et la mine déconfite tandis que Castor
plongea pour oublier l’intrus ...