samedi 30 septembre 2023

Je hais les dimanches

 

Un malaise croissant ...





Voilà l'aveu qui me coûte le plus, je hais les dimanches ! Le mal n'est pas unique, loin s'en faut. Nous sommes ainsi très nombreux à ressentir un vide immense quand cette journée survient. Et pour notre malheur, elle revient avec une fréquence qui ne cesse de m'exaspérer. Le dimanche est le jour le plus vide de la semaine, vide de tout ce qui fait le sel de la vie.


J'ai longtemps échappé à cette « sinistrose » hebdomadaire en me noyant dans le sport. J'avais, pour dérivatif à ce mal étrange, la tension et le stress qui accompagnaient les jours de match. Le Rugby remplaça pour moi la messe dominicale. Je suis un affreux mécréant que rien ici bas ne peut sauver du blasphème !


Ce jour maudit, tout se ferme. Je sais la remarque contradictoire avec la posture politique qui affirme qu'il ne faut pas céder au plaisir égoïste de faire des courses ce jour-là. Rassurez-vous, ce n'est pas là mon intention. Nul magasin ne bénéficiera de ma visite ce jour-là, c'est un principe auquel je ne dérogerai jamais. Je voue même aux gémonies les malotrus qui abusent de cette sortie marchande.


Non, cette fermeture que je ressens, c'est en moi qu'elle doit se produire. Un vide immense, une vacuité visqueuse m'englue à chaque fois que ce jour maudit survient. Je tourne, je vire, je cherche désespérément à remplacer l'émotion, la fièvre qui me prenaient jadis quand arrivait le jour du match.


Je suis un intoxiqué en phase de sevrage. La cure dure depuis bientôt dix mois et aucun signe d'amélioration ne vient éclaircir ce ciel d'orage. Il me faut trouver dérivatif, activité substitutive pour remplacer cette folie qui me prenait alors. Je cherche vainement, je ne trouve que portes closes et opportunités impossibles. Il me faut de l'émotion, de l'angoisse, du stress, de l'exaltation !


 


Ce n'est certainement pas devant mon poste de télévision que je trouverai ce supplément d'adrénaline qui me fait défaut. Drucker et les autres présentateurs soporifiques tiennent l'écran depuis belle lurette. Les médias participent à l'anesthésie générale. Il n'y aurait que l'avalanche de football sur nos écrans qui pourrait me donner satisfaction si ce spectacle n'était à mes yeux pire encore que l'ennui qui m'étreint.


Je cherche et ne trouve rien. J'attends vos conseils. Donnez-moi ma dose de surprise et de colère, d'indignation et de réflexion, d'amitié et de fraternité. Trouvez--moi une seule raison d'aimer le dimanche, je vous en conjure. Je vais devenir fou entre ce repas qu'on veut faire traîner et cette après-midi qu'il faut meubler à tout prix.


Je hais les dimanches et je me berce de l'illusion que le mal est nouveau. Il est durablement installé dans mon esprit retors. Je n'ai jamais, à la vérité, supporté ce jour entre parenthèses, ce temps suspendu où tout semble vivre au ralenti. Alors, j'ai cherché, une grande partie de mon existence à combler ce vide avec des ballons de toutes formes.


Que faire maintenant que j'ai rangé mes chaussures de sport ? Je veux trembler et avoir peur. Je veux être saisi par l'angoisse et la crainte. Je veux surmonter ce mal terrible. Je veux me perdre ensuite dans la convivialité et le plaisir du partage. C'est décidé, il me faut devenir conteur et traîner ma besace de contes et de bonimenteries tout au long de notre Loire.


Sauvez-moi de cette névrose dominicale. Invitez-moi à venir chez vous dire mes menteries vraies et mes vérités fausses, vous prendre par la main pour vous conduire auprès d'une Loire de légende. Je suis votre homme et tant pis si j'ai une trouille immense à cette idée. Je crois bien que c'est ce que je cherche vraiment ! Faites-moi aimer les dimanches !


 


vendredi 29 septembre 2023

Chemin faisant

Curieuse métamorphose.






Au tout début de cette histoire, Archimède allait le nez au vent de par les chemins communaux, libre comme l'air, insouciant et sans entrave. Les gens, le sourire aux lèvres disait : « Tiens v'la chemineux qui passe ! » Nulle agressivité dans la remarque, parfois même un peu d'envie de partager avec lui cette vie d'errance entre Beauce, Sologne et Val de Loire. Archimède vivait de l'air du temps, allant de ferme en ferme pour gagner sa pitance par quelques menus travaux.


Il y avait toujours de l'ouvrage. Après être entré dans la cour de la ferme, il toquait à la porte entrouverte de la maison d'habitation. Il y avait toujours une voix pour lui répondre : « Finissez de rentrer mon brave ! » La suite était du même tonneau : « Vous tombez bien l'ami, il y a de quoi vous occuper. Vous allez curer l'étable et l'écurie, nourrir les cochons et les moutons, rentrer les poules, les canards, les oies, puis vous viendrez partager notre table ! »


Archimède se retroussait les manches, besognait toute l'après-midi et le soir venu, à la table des maîtres, il avait son bol de soupe, son morceau de lard, une miche de pain, du fromage, le tout arrosé de ce vin qui accroche un peu le palais qu'il allait tirer à la cannelle. Puis, il saluait la compagnie et allait partager sa couche, dans le foin, en compagnie des chevaux de la place. Au petit matin, il avait repris la route, ses chaussures ailées le conduisant vers un ailleurs identique.


Le temps passa, Archimède ne changea en rien ses habitudes qui lui assuraient le gîte et le couvert. Pourtant, il lui sembla que le monde autour de lui avait évolué. Il en voulait pour preuve qu'à son approche, les gens de rencontre avait un peu plus de réserve à son encontre. La manière de le présenter avait elle aussi un peu changé : « Tiens v'la vagabond qui vient ! » Un simple changement de vocabulaire auquel il ne prêta pas attention immédiatement.


Il entrait toujours dans la grande cour des fermes même si, au milieu de la carrée, trônait un curieux engin : de grosses roues à l'arrière, de plus petites à l'avant, un tuyau qui crachait une noire fumée et une curieuse signature d'un nom qui n'était pas de chez nous : un certain Mac quelque chose…


Après avoir toqué, on lui répondait : « Vous arrivez à point. On ne peut fournir à l'ouvrage, vous allez nous aider ». Il y avait encore de quoi faire. Vous devez curer l'étable et brosser les vaches, nourrir le cochon, graisser le tracteur, nettoyer la herse et la charrue. Ensuite vous aurez un panier que vous irez manger dans l'étable ! »


Après avoir gagné son pain et plus rarement son vin, les vignes avaient depuis belle lurette disparu du paysage, Archimède se trouvait à partager sa couche avec les vaches. Dans l'écurie, tout le matériel agricole acheté à grands coups d'emprunts avait remplacé les chevaux. Dormir dans l'étable ce n'est pas tout à fait pareil, les laitières vous laissent une curieuse odeur sur les vêtements. Notre homme ne s'en rendit pas compte de suite mais à la longue, les femmes pinçaient le nez à son approche. Il en était fini des rencontres galantes au détour d'un bosquet.


Le monde bascula dans une nouvelle ère. Archimède battait toujours ce qu'il était convenu d'appeler encore la campagne. À son arrivée, les passants s'écartaient, certains changeaient même de trottoir ou lui tournaient le dos. Il entendait : « Attention, v'la clochard qui vient encore quémander  ! » Une triste réalité hélas le poussait à vivre de la charité. Les fermes désormais étaient encloses, les bêtes avaient disparu après le grand remembrement. Si les haies et les enclos avaient été rasés, des grilles fermaient l'entrée de la cour et parfois une caméra surveillait les visiteurs.


Il n'y avait plus besoin de main d'œuvre dans les fermes. L'exploitant suréquipé et largement endetté parvenait à tout faire seul. Archimède dut se résoudre à tendre son béret à la sortie des offices. Par chance, il y avait encore de la religiosité dans le pays, la générosité des fidèles lui assurant le couvert. Pour le gîte, la belle étoile et parfois un porche dans les villages faisaient l'affaire. Archimède se satisfaisait de sa nouvelle existence.


Pourtant, il n'était pas encore au bout de ses misères. Une à une les églises se fermèrent, la crise de la vocation avait fait son œuvre et quand par hasard, il y avait un prêtre, il venait de pays lointains avec un accent qui énervait les dernières grenouilles de bénitiers, bien peu enclines à la charité.


Le béret demeurait vide tandis qu'à sa vue, dans le bourg chacun fermait sa porte tandis que l'on le qualifiait étrangement. Les gens avaient si honte sans doute qu'ils n'étaient plus capables de proposer un nom pour qualifier son état. Ils avaient trouvé un sigle, trois lettres qui sifflent dans ces langues de vipère et qui discréditent celui qui en est la cible : S.D. F !


Repoussé de tous, affamé et mal en point, ce jour-là Archimède au bout du désespoir s'assit dans le magnifique caquetoir de ce charmant petit village. Il avait posé son béret au sol, plus par habitude que dans l'espoir de ramasser quelques piécettes en cuivre que ces bons chrétiens réservaient à la femme du président, indignité supplémentaire.


Il tentait de reprendre un peu de force avant que d'aller courir sa chance dans la grande ville où des associations caritatives pouvaient lui venir en aide quand une tchiote gamine vint à lui, timidement. Elle l'appela « Monsieur », il y avait une éternité qu'on ne lui avait pas servi pareil cadeau. La gamine continua :


« Monsieur, je n'ai pas de sous mais j'ai ce vieux livre que je vous offre bien volontiers. Vous êtes seul, avec lui, vous aurez au moins un compagnon pour la route ! » La petite fila bien vite de peur sans doute d'être réprimandée par les siens.


Archimède se baissa pour prendre l'offrande. Après avoir feuilleté ce recueil d'un certain Maurice Hallé, il s'exclama à haute voix : « Oh là faut-ti! mais ce gars-là écrit comme nous parlions autrefois dans le pays. C'est ti ben beau que c'te parlure. ! » Il lui prit alors l'idée de déclamer un texte de cet homme né en 1888 à Oucques la joyeuse, dans la Beauce.

 




J’veux pas qu’tu t’marrises




Quo don que c’est qu’j’ai appris dans l’bourg ?

Qu’tu veux faire comme ta cousin’ Rose ?

Ça t’démang don tant qu’ça l’amour ?

J’en ai assez que tout l’monde en cause

Voui ! … Si c’était un biau parti

J’en foutrais, moué, qu’tu soeys’s promise

Avec ça ! … On est bien loti !

J’veux pas et j’veux pas qu’tu t’marises !


À ton âge, on sait pas qu’on fait

On s’amourâch’ de Paul ou d’Pierre

Su l’moment, ça vous fait d’l’effet !

Un mois après, on n’y pens’ guère !

Quand l’divertissoèr’ est calmé

On vouet qu’on a fait des bêtises.

Il est be temps de l’rattraper !

J’veux pas et j’veux pas qu’tu t’marises !


Et pis, s’marier ? Avec un fou !

Il est quadiment fou c’t’i qu’t’aime

L’pir « de tout c’est qu’il a pas l’sou !

On n’a pas idé’ d’ça tout d’même;

D’prendre un feignant, un propre à rien !

Pour entret’ni sa feignantise

I faudrait p’têt que j’vend’ mon bien ?

J’veux pas et j’veux pas qu’tu t’marises !


Ia pas un gâs pus mal foutu !

Il a les patt’s tout’s tortillées

Comme l’âne à Firmin, qu’iest fourbu.

Et pis, i’t foutrait des brûlées

(pac’ qu’il est méchant à c’qu’on dit)

Et c’est toé c’tte bell’ marchandise

Que j’foutrais à c’t’affauberdit ?

J’veux pas et j’veux pas qu’tu t’marises


Un gâs qu’ia été à Paris

Et qu’a vécu des tas d’fredaines :

Douet ien rester queuqu’s petits souv’nirs !

Met avis qu’c’est point d’la viand’ saine !

Mais ça s’rait un crim’ d’t’donner,

Toué d’la prâlin’, d’la fériandise,

Et pour te faire empoésonner !

J’veux pas et j’veux pas qu’tu t’marises


Quo qu’tu dis ? … qu’i vient d’hériter ?

D’hériter d’sa tante Honorine ?

C’est ça qu’j’entendais chuchoter ?

Alle est don quervée la coquine ?

Et l’gâs i s’rait riche à présent ? …

C’est drôl’ comme on fait des méprises …

C’est qu’ça d’mand’ du réfléchiss’ment …

C’est tell’ment grav’, pour qu’tu t’marises !


Cent arpents ? … Eun’ farme et des bois ?

Et d’l’attirail ? … Eun’ chouette affaire !

Mais c’est pas un si mauvais choix …

Et si c’gâs-là vit à n’en rien r’en faire

C’est qu’ça doit être un gâs malin.

Annui, i n’faut point trop d’franchise

Pour arriver au bout d’son ch’min.

J’dis pas que j’veux pas qu’tu t’marises !


Il a ben fait fait, va, d’s’amuser ;

Quand on est jeun’ faut j’ter sa gourme ;

Et si faut point en abuser

Faut pas rester son gard’-chiourme

Quiens ! … V’là ta mèr’, j’vons i d’mander

Tu comprends, i faut qu’on avise

Avant tout à fait d’t’accorder

P’têt’ben qu’faudrait ben qu’tu t’marises !


Un gâs bâti, intelligent

Un travailleux, jamais malade

Qu’ia des terr’s et pis qu’ia d’l’argent,

Un bon gâs, gai, doux, point maussade,

Cours vit’ le qu’ri, t’as ben raison

Et qu’ton amour, fumell’ t’attise

Pour l’ram’ner à la maison !

C’est tout d’suit’ qu’i faut qu’tu t’marises !




Tandis qu'il lisait, emporté par les mots, un attroupement se fit autour de lui, quelques pièces et même des billets tombèrent dans son béret. C’était bien la première fois qu’il recevait de l’argent sans tendre la main. Il continua à dire ce poème qui le réjouissait, retrouvant dans cette histoire, le caractère de ceux qui ne partageaient pas son existence, lui fermaient la porte au nez ou bien tournaient les talons à son approche à moins que des plus furieux ne sortent le fusil.


Plus il lisait, plus il retrouvait l’accent des siens, les intonations qu’il croyait avoir à jamais perdues. Son accoutrement, son aspect, sa face marquée par son intarissable appétence vineuse jouaient cette fois en sa faveur. Il avait pour la première fois de sa vie la tête de l’emploi et comme il avait aussi l’accent de sincérité, ce fut un triomphe.


Il fut applaudi, on le pria de se lever et d’aller dans l’auberge du coin pour réjouir les clients d’un autre texte. On l’invita à manger et on lui proposa même de se laver, ce qui, avouons-le, n’était pas du luxe. Archimède de ce jour-là, cessa de dépérir. Il avait trouvé dans ce recueil de poèmes : « Par la grand’route et les chemins creux », son passeport pour la respectabilité et la survie.


Il cessa de tendre la main pour se contenter de lire, ce qu’il fit du reste de mieux en mieux, finissant même par connaître par le cœur les textes les plus courus par le public. Il découvrit d'autres compagnons de misère, dont un certain Gaston Couté qui donnait dans le même style.


Archimède devint le clochard céleste, lecteur puis diseur, il avait trouvé sa voie. Il fut demandé sur les grandes scènes, il passa à la télévision. Sa renommée fit bientôt le tour du pays. Il gagna tant et tant que bien conseillé, il mit son argent tout d'abord en Suisse puis bien plus loin par la suite.


Il n'avait jusqu'alors jamais payé d'impôts, il n'y avait pas de raison que ça change d'autant que ceux qui s'occupaient de sa carrière lui fournirent d'excellentes combines. Il vécut le reste de son existence riche à millions et exilé fiscal, une autre manière de vivre en marge de la communauté des braves gens.


Quand Archimède quitta cette vallée de larmes, ce fut la consternation. Les radios et les télévisions lui consacrèrent des émissions spéciales, on ne tarit pas d'éloges sur son parcours et son inimitable talent. Le président en personne assista à ses obsèques, déployant des trésors d'éloquence pour rendre hommage à celui qui n'avait jamais participé à l'effort national. Une habitude pour ce petit monsieur qui se prétend en marche sans avoir jamais connu la route...

 

Vidéo ici  


 


jeudi 28 septembre 2023

Gueule de loup !

 

L'imposteur





Un chien cherchant la notoriété

Se fit passer pour un lointain cousin

Ces deux-là classés dans les canidés

Le subterfuge plut fort au canin

 



Sa gueule de loup fera la Une

Pourvu qu'il commette bien des forfaits

Ainsi, lors des nuits de pleine Lune

Multiplia les horribles méfaits

 



C'est à pleines dents sans discernement

Qu'il égorgea chevrettes et moutons

La presse évoquant les débordements

De cet animal pire qu'un démon




Puisqu'il n'agissait qu'à la nuit tombée

Les rares clichés semaient le doute

On le prit pour la bête détestée

Ce loup que tous les humains redoutent



Mais un petit détail le desservit

Il sévissait autour de sa demeure

Contrairement à son sauvage ennemi

Qui vagabondait suivant ses humeurs



Un spécialiste s'étonna alors

Que le tueur puisse être casanier

Pour lui, vagabond est ce carnivore

Qui change sans cesse de quartier



Ses arguments firent taire la rumeur

Fallait exclure l'hypothèse du loup

Il s'agissait ici d'un imposteur

Qui entendait jouer un vilain coup



Sa traque se fit plus efficace

Les troupeaux placés sous surveillance

La police se montra perspicace

Afin que cesse sa malveillance



Le chien-loup tomba dans un traquenard

Achevant son aventure sanglante

S'en était fini de ce cauchemar

Pour toutes ses victimes bêlantes



Prit en flagrant délit, son complice

Un personnage peu recommandable

Avait imaginé plein de malice

L'affreux stratagème exécrable



Le loup est hélas souvent la cible

De nombres de manipulations

Il convient d'examiner au crible

La plupart de telles accusations




mercredi 27 septembre 2023

Les aubours des gars qui vont sur l'eau

 

C't Grande Remontée ...

 


 


Sans s'enfeignater, à matine, dès le chant du coq, toute la pratique se déyeuche afin de se tourner vers la Loère. Les nautoniers cassent la croûte de boumn heur , enfilent leur gariot, s'afisltolent pour la Grande Remontée ! Dès l'ver du jour, is s' mettent en route ! Tous ces ga's s'en vont faire la foère au Festival de Loère en empruntant les ch'mins de l'ieau.


Sur l'chemin, l'long des rives, les gueux du bourg et d'alentours se pressent coumme à counfesse pour admirer ces seigneurs de l'ieau à la drôle d'allure. La belle rivière parfois si brutale, en ces biaux jours de septembre est maigrichone comme une charlusette qui s'abouette point à sa soif ! À c't'heure, elle est chargée d'abasseurs et parfois c'est peu qu'un maigrichon gouillat.


Grande et belle assemblée de nautoniers qu'voil'à. Matelots de peu ils s'en retrournent Gouépailler et s'abasoudir pour leur seul contentement en Orléans ! Tantôt, ce s'ra le raout des Marchands de Loère Les riverains sont ben gaitiaux à l'idée qu'leurs nayons vont s'cabosser, s'culbuter, caberioler et se ramasser au passage des ponts .


Les nautiers se gaussent de ses fadaises. Sur l'ieau, en dépit de l'étiage, i's sont si benaises qu'i s'berlancent sur les flots sans jamais biger les garnazelles ! Tous en chœur i's'encanaillent sur' l'dos des culterreux, les mangeux de terre aux gros sabiots et sauf vot' respect, ces malembouchés d' bourseoisiaux du bourgs.


En attendant, y'a un p'tit vent ben frisquet sur leu' berge si ben qu'à s'accoter sur la levée ceusse-là pourraient ben attraper la mort avnt qu'leu' heur ait sonnée. Si ben que ces gaillars s'pressent pour se mett'e dans le gosiers queques godets de vin pour r'metre d'aplomb. C'est ainsi doit agir un houmm' qui va passer l'après midi dehor' à 's'aberluter de la belle dame Liger. Y'a pas d'accagnardis dans c' armada !


Le breuvage leur réchauffe les boyaux du vent'e et délie itou les langues. Y'a à c't'heure ben plus de boniments sans queue ni raison que d'propos sensés, mais Ils ont ben l'drouet de se laisser aller avant d'monter sur leur bateau de bric et de broc. Pour les briques, j'ch'on pas ben certain mais pour les brocs y'a pas doute. Faut ben vider leu embarcations qui boivent par en haut comme par en bas avec des écopes.


Pour ces bons p'tits gars le franchissement du dessous des ponts n'est pas une mince affaire. Les curieux et les badauds s'agglutinent le long du quai.pour voir ces pe'tios souffler comme de beufs, geingner et hananer pour franchir sans férir c'tt maudite marche. Ça fait grand chahut de bois qui s'entrechoque contre les piles et les cailloux. Les barquasses s'en vont à Hue ou à Dia au gré du courant et des remous aux grosses vagues du pont.



Sur leur bateau ça brancille, ça tersaute mais y'en pas pas une qui chavire. Nos gars s'retrouvent jamais l'bec dans l'iau mais plus sûrement dans une chopine si tôt sur la berge. Dans l'iau, pour les haler, y'en a qui s'berdillent sans avoir l'air de savoir nager. Faut un grand aveniau pour les hisser sur la berge et l'es tirer de ce mauvais pas sans leur tenir des arguenasses ...


Y'a p'us moyen de les reconnaître Y sont pareillemnt trempés l' tête aux pieds. Faut dire qu'elle est bien mouiollante not' Loère même comme à c'heure, qu'elle n'a guerre d'ieau à traîner jusqu'à la mer ! Depuis d'début de leur vadrouill', z'on connu bien des avananies sans jamais les décourager.


L'temps s'met d'la partie en versant sur l'dessus leur tête, une grosse secouée, bien pire qu'un aquadiau, une vraie arnapée du diable. C'est ben là l'charme de ce rivière et d'son pays de cocagne de vous virer le temps qui fait, de faire la pluie comme le joli temps et de vous nayer parfois avec les eaux du ciel.


Mais rentournons-nous à la Grande Remontée de nos bateaux. V'las ti pas qu'à bout tracasseries et d'contrariétés deux matelots s'accotent et s'lancent des horions à faire pâlir les belles feumelles. Leur manière est en rapport avec leur tenue, la rivière est maîtresse exigeante qui parfois vous tourneboule le têtiau. À la fin partie, c'est autour d'un canon des plus pacifiques qui vont sceller leur réconciliation.


Tous les aime-bouillons, sont tous gaïtieaux. Les plus ficelle d'la bande sont déjà à la buvette et s'mettent à beugler à plein poumons pour que les autres s'accotent à eux autres. C'est ti drôle ce tas d'gens qui braill'nt coumm' des vieaux sur les bords d'l'ieau ! Maintenant qui sont à quais, l' reste qu'à clabauder, sur les geigneux du canton pourvu y'en ai pas à portée d'zoreilles !


Tout ça va finir en soirée avec une belle bordée, d'la musique, des causeries, des circonférences, des pirouettes et des histoires. Toute la pratique du canton abreuvera nos marins d'eau douce de grandes lichées de vin du pays qu'ils aval'ront à p'tites lampées afin garder les pieds sur terre, eux les gars de l'ieau. Qui sont heureurs nos piquit's, ils vont faire du chahut jusqu'à la nuit ! Et don', coumm'ça, bras-d'ssus, bras-d'ssous, s'en vont s'coucher tout gaitiaux quand s'ra pas d'heure à la nuit.


À la fin' vadrouill' y'en pas un qui s'ra saoul' à renifler dans un chalumeau " car au lendemain dès le l'ver du soleil, i's'en retournent tous à leurs bateaux. Y' aura grand ouvrage sur la Loère et n' faudra pas pâter en chemin pour arriver au jour du grand Festival. Sont pas là pour peser d'l'avoine tout du cours de leur grande remontée.


 

mardi 26 septembre 2023

La barque du patron

 

Marie-Thérèse








Paul Riquet la taillée sur mesure

Pour qu'elle se glisse dans son canal

Un mariage de belle nature

À la gloire du fret fluvial


Une barque en toute simplicité

De près de trente mètres en sa longueur

Un monstre de bois et d'habileté

Aux belles courbes toutes en douceurs


Résidence somptuaire pour son patron

Elle associe le luxe et le confort

Afin que chacun sache dans la région

Que marinier est maître en son bord


Ce qui ne lui interdit nullement

De porter cent soixante dix huit tonnes

De marchandises pour tous les marchands

De Toulouse jusqu'à Narbonne


Marie-Thérèse connut la gloire

La belle époque du chemin de l'eau

Elle s'imaginait entrer dans l'Histoire

Comme le plus vénérable des bateaux


Puis elle sombra dans l'indifférence

Le sort commun des embarcations

Carcasse immobile sans partance

L'effroi de la désaffection


Marie-Thérèse leva les yeux au ciel

Quand surgirent de bons samaritains

Rêvant d'une aventure au pluriel

Pour que nous enchantent ses lendemains


Magiciens ou bien charpentiers

Maniant la gouge et l'épitoir

Devenant les dignes héritiers

Des glorieux compagnons du devoir


Son sauvetage tient du miracle

Sous la protection de Damona

Laquelle repoussa tous les obstacles

Afin que de nouveau elle naviguât

•••


 


lundi 25 septembre 2023

Le rêve de Jacques.

 

Retour aux sources.






Il était une fois un garçon nommé Jacques ; il était fils de paysans. La ferme familiale s'élevait à l'abri d'un ancien volcan, un piton rocheux qu'on nomme encore le Mont Gerbier de Jonc. Jacques était né là précisément où débute le long périple d'un modeste ruisseau qui n'aura de cesse de grandir tout au cours de son si long parcours.

Jacques grandit avec la fierté d'être comme cette rivière dont il entendait parfois chanter les louanges. Il se rêvait alors à explorer celle-ci, à la parcourir de tout son long, comme une quête initiatique, un besoin confus sans doute de prolonger sa naissance par la connaissance intime de sa sœur : la fille Liger.

Il écoutait les propos des rares voyageurs qui avaient quitté ses Cévennes pour aller de par le Royaume. Il savait que, bien plus loin, ce modeste filet d'eau qui sortait de la petite étable, devenait la voie de transport de toutes les richesses du royaume. Jacques avait la conviction que son destin était intimement mêlé à ce voyage qu'il lui faudrait entreprendre.

Jacques avait vu le jour en 1515 ; c'est du moins ce qu'il était possible de conclure quand on lui disait plus tard, qu'il avait vu le jour l'année d'une belle victoire du Roi François. Les registres ne gardent pas trace de son acte de naissance et ceci n'a guère d'importance pour la suite de notre récit.

C'est quand il eut atteint l'âge de partir de chez lui qu'il confia à ses parents son désir d'aventures. Il voulait aller jusqu'à l'autre bout de la source ; au-delà de la mer, il devait y avoir une autre source où se terminerait son périple. Chaque fois qu'il évoquait cette idée saugrenue, chacun s'étonnait des propos du garçon. « Voilà bien une fantaisie qui lui passera », pensaient ceux qui s'en moquaient gentiment.

D'où lui était venue cette pensée que ce qui naissait ici, au pied de sa ferme, allait, bien plus loin, s'achever de la même manière ? Une fantaisie d'enfant, une lubie que les faits allaient contredire si jamais il mettait son envie à l'œuvre. Jacques, lui,avait la certitude vissée au corps que son idée avait un sens secret qu'il lui faudrait un jour percer.

Il partit un beau matin, jurant à tous ceux qui voulaient bien l'écouter qu'il allait à l'autre bout du monde, là où la rivière redevenait enfant. Aux rires qui fusaient à ce propos absurde, il répondait invariablement que lorsqu'il serait arrivé au terme de son voyage, il enverrait un signe que chacun serait bien obligé de comprendre. Décidément, ce garçon était fort curieux …

Jacques se mit en route ; il avait juste dix-huit ans. C'est en sabots qu'il ferait ce long voyage en suivant son cours jusqu'à son terme. Au début , il suivit un mince filet d'eau dans les prairies, entouré d'herbes sauvages où s'ébattaient les troupeaux de chèvres, de vaches , de brebis. Il n'était pas surpris : c'était le décor de son enfance ; il était chez lui.

Puis le ru grossit, fortifié de ses congénères qui venaient s'abandonner à lui. Plus Jacques marchait, plus les flots grossissaient. Il était fier de ce qui était né, tout comme lui, dans sa petite ferme. Il n'était cependant pas au bout de ses surprises. Son torrent devint rivière puissante et tumultueuse ; elle creusait alors des gorges profondes, imposait son passage à des montagnes qui s'inclinaient devant elle.

Jacques avançait toujours. Il trouvait sans cesse sur son chemin des habitants des bords de Loire, heureux que l'un d'entre eux honore ainsi leur chère rivière. Il leur racontait son rêve, leur assurant, qu'arrivé au bout de son voyage, il leur ferait voir à tous le signe qu'il existait une autre source au bout du périple, au-delà de l'Océan, au-delà du mystère de la Terre.

Des illuminés, des bienheureux, des gentils fous et des joyeux poètes, les gens de ce temps avaient l'habitude d'en croiser. Ils leur donnaient un bol de soupe, parfois leur proposaient le gîte avant que de leur demander bien vite de poursuivre leurs chimères un peu plus loin. Je ne sais pourquoi, mais pour Jacques, c'était toujours à regret que les Ligériens le laissaient aller à sa quête.

Il arriva au Puy. Sa rivière était sortie de son étau rocheux. Elle avait gagné quelque peu en espace. Encore puissante, elle s'était faite cependant plus fréquentable. C'est là que Jacques vit d'autres marcheurs : des pèlerins qui avaient une coquille au bout de leur bâton. Leur chemin était dissemblable ; le feu dans leurs yeux était pourtant de même nature. Ils parlèrent de leur désir d'absolu, de leur envie d'un ailleurs, meilleur. Jacques pourtant n'avait pas besoin du ciel pour croire en son étoile : c'est ce qui le rendait différent d'eux.

Il marchait toujours, à la rencontre de son destin : celui d'une rivière qui allait devenir passagère. C'est à Saint-Rambert qu'il rencontra les magiciens des flots. Des tout aussi furieux que lui qui construisaient des embarcations en sapin pour affronter les rochers et le courant, déjouer des pièges et les remous. Jacques s'arrêta quelques jours ; il voulait voir partir ces acrobates de la rivière à bord d'une longue salambarde chargée de charbon.

Ces hommes qui vont sur l'eau devinrent vite ses compagnons. De tous ceux qu'il allait désormais croiser sur la Loire, ce sont ceux d'en-haut qui eurent toujours sa préférence. Ils se laissaient porter par le courant, sans autres guides que des bâtons de bois pour se détourner des pièges et un gouvernail qui n'en finissait pas. Lui, allait toujours à pied et il faut avouer que ceux de la rivière allaient plus vite et plus loin que lui …

La rivière devint paresseuse. Elle se mit à tourner en tous sens en faisant des méandres. Jacques ne voyait plus le bout du chemin. Parfois lui prenait l'envie de couper à travers champs pour aller plus vite. Il renonça à cette facilité : il faisait cortège à sa rivière, il ne lui devait aucune trahison. C'est ainsi qu'il finit par arriver à Digoin.

Là, la Loire changeait de forme. Elle se gonflait et cessait de tergiverser pour tailler sa route, aller vers le nord-ouest avec plus de certitude et moins de turbulences. Jacques aimait cette autre rivière, plus voluptueuse, plus accueillante à la diversité de la faune et de la flore. Il cheminait le long de ce qui, pas à pas, devenait un écrin naturel. Il en avait parfois les larmes aux yeux, ébloui par tant de beauté !

Il marchait toujours vers son rêve fou. Il décrivait sans lassitude sa démarche, continuant à promettre à tous les riverains le signe, visible de tous, quand il aurait découvert la source à l'envers. À Nevers, nouveau changement. De grands bateaux déployaient des voiles immenses pour remonter le courant. Jacques en fut émerveillé même s'il y avait au fond de lui ce curieux sentiment qu'ils allaient à rebrousse-Loire. Il n'aimait pas cette idée. C'était un idéaliste, vous dis-je !

Juste à la sortie de la ville, il eut alors comme un coup au cœur, une vision étrange. Une autre Loire se présentait à lui, un frère jumeau qui venait célébrer ses noces avec sa petite sœur. Les gens d'ici l'appelait Allier. Il poursuit ainsi sa route, droit devant lui, en ouvrant un second bras dans la Loire qui l'accueille !

Au moment de confluer, les deux fleuves se séparent aussitôt, de part et d'autre d'une pointe de sable et de forêt, chacun emporté par son mouvement, comme si deux courants pouvaient se croiser sans se mêler, comme si une rivière pouvait en traverser une autre et poursuivre son chemin sans mélanger ses eaux à celles d'une rivale …

Un banc de sable sépare les deux fleuves incapables de s'unir ; de chaque côté, l'Allier et la Loire poursuivent leur chemin en s'ignorant. À l'extrémité de l'île, les deux bras se réunissent, l'Allier se résout à disparaître dans la Loire, à devenir la Loire, à se confondre dans son grand fleuve élargi entre une rive de sable et de gravier, et la lisière d'une haute forêt, un large fleuve épanoui qui monte vers le nord. 

Notre voyageur n'était plus jamais seul. Sur l'eau, des bateaux toujours plus gros et toujours plus chargés. Sur la berge, il croisait des hommes qui tiraient ces monstres quand le vent venait à manquer. Il y avait désormais une activité qui le grisait, qui le saoulait quelque peu. Ces hommes qui allaient avec lui parlaient haut et fort, buvaient allègrement et étaient toujours prompts à la grivoiserie.

Il marchait maintenant sur un chemin qui se disait de halage. Il pouvait tailler la route : il ne rencontrait plus aucun obstacle sur la berge. La rivière était à portée de vue ; elle était large, elle était belle. Elle allait plus doucement ; parfois même il marchait au même pas qu'elle. Il avait alors le sentiment d'être son amant ; il la chérissait chaque jour davantage

Puis vint le grand virage. C'est à Sully sur Loire, au pied d'un château d'une majesté à vous couper le souffle, que la Loire entame sa course vers le soleil couchant. Il avait désormais l'astre solaire comme guide le soir venu. Ce disque rouge qui se noyait dans la rivière renforçait sa conviction. Il allait bien vers l'autre source, celle de tout savoir et de toute chose en ce bas monde.

Orléans fut pour lui une surprise et une stupeur. Il n'imaginait pas qu'il puisse y avoir une telle activité autour de sa rivière. Des hommes et des femmes s'affairaient en tous sens, sur l'eau et sur les quais. Des chariots étaient chargés et partaient dans un train d'enfer vers cette ville mystérieuse où vivait le Roi. Des marchandises étaient là, qui attendaient un transport ou bien un client. Sa rivière était devenue industrieuse, marchande et frénétique.

Il se hâta de fuir cette cité trop bruyante, trop fébrile pour lui qui allait du pas tranquille de celui qui poursuit le soleil couchant. C'est un peu plus bas, à la grotte Béraire que Jacques croisa un anachorète. L'homme aimait raconter des histoires et encore plus entendre celles des gens qui avaient des choses extraordinaires à lui confier.

Jacques lui narra la première partie de son périple, lui promettant de trouver un message pour lui envoyer la fin du récit. Ce serait une oie sauvage, une dame blanche de l'Alaska qui fournirait au conteur le récit de l'autre partie du voyage. C'est grâce à elle qu'il vous serait possible de connaître la suite de cette aventure. Que les sourcilleux et les incrédules passent leur chemin ; il faut croire en l'extraordinaire pour accepter de marcher aux côtés de Jacques par le truchement du Bonimenteur.

Fort de cette promesse, Jacques poursuivit son chemin. La Loire était de plus en plus large ; il y circulait dans les deux sens des trains de bateaux. Le petit gars des Cévennes n'en revenait pas devant ces monstres sur l'eau : 180 mètres de long en une ribambelle d'embarcations. Tout ce monde sur le filet d'eau parti de chez lui ! Il se dit qu'il y avait magie derrière tout ça et sans doute plus grande encore à découvrir là où le soleil se couchait.

Il était loin d'être au bout de ses surprises. À Blois, il rencontra un enfant merveilleux : le petit Pierre de Ronsard qui venait rendre visite au Roi François. Il lui était présenté pour devenir prochainement page en sa grande ville de Paris. Pierre, enfant curieux, écouta l'histoire de Jacques ; il lui dit de manière énigmatique que des roses pouvaient pousser dans tous les cœurs et que, dans le sien, elles seraient plus belles encore !

Ces paroles vont l'accompagner dans cette Touraine si belle, si agréable. Jacques marche, aime à goûter raisonnablement le vin d'Amboise. Il y fait de belles rencontres, ralentissant le pas pour profiter de la douceur de ce jardin de la France. Quel bonheur, quelle quiétude en ce beau pays ! Il aime aussi à se délecter de la langue des gens d'ici, assez différente de la sienne.

C'est à Montsoreau qu'il fait la plus belle rencontre qui soit : celle qui va décider de l'aboutissement de son rêve. Il a le bonheur de trouver sur sa route le docteur François Rabelais en personne, venu rendre visite à sa maison natale de la Devinière. L'homme, âgé alors de 50 ans, écoute ce gamin intrépide et approuve sa folle épopée.

Il souhaite l'aider de son mieux et le présente à Pantagruel, son bon ami. Le géant débonnaire accepte de se lancer à la suite de Jacques pour lui permettre de vaincre les obstacles qui ne manqueront pas de se dresser devant lui. C'est un couple hétéroclite qui pénètre en Anjou : le pays du mieux-vivre encore. Petit inconvénient : la présence de Pantagruel ralentit l'aventure ; ils passent désormais bien plus de temps dans les tavernes et les caves qui se présentent à eux.

Oublions ce petit désagrément pour ne retenir que les avantages d'une telle compagnie. Pantagruel attira bien vite la sympathie de tous. Il avait toujours astuce dans sa manche et farce à jouer aux autochtones. C'était un joyeux drille tout autant qu'un gai luron. Jacques aimait ce compagnon si peu orthodoxe. Il se disait que la route pouvait durer encore bien longtemps, il ne s'ennuierait jamais. Mais déjà la Loire changeait d'aspect. Elle avait subi une transformation qui étonna celui qui la suivait depuis son départ.

Le courant changeait plusieurs fois de sens chaque jour ; ce phénomène, curieux pour un gars de la profondeur des terres, ne semblait pas surprendre les gens en bordure de rivière. Pantagruel, qui avait suivi des études à la Sorbonne lui confia, devant son ébahissement, que c'était l'effet de la marée. Jacques en devint encore plus perplexe. Pantagruel dut lui donner un cours où il lui fallut tout reprendre à zéro. Il se passait décidément des choses fort curieuses quand on s'approchait du pays où le soleil se couche.

La grande ville qui surgit devant eux laissa notre petit berger très perplexe. Il y avait là un grand port, une foule de gens qui s'affairaient en tous sens. Certains bateaux portaient trois mâts et n'étaient pas de ceux que le garçon avait découverts sur sa rivière. L'air embaumait d'un doux parfum iodé : manifestement, la Loire n'allait pas tarder à se perdre dans sa première métamorphose.

Pantagruel avait dû s'égarer dans quelques querelles de taverne. Jacques décida de ne plus attendre ce bon géant, un peu trop encombrant à son goût. La suite de son aventure exigeait qu'il fût seul pour parvenir à ses fins. Il marcha donc à la recherche de la première dissolution de la rivière. Elle ne tarda pas à venir : devant lui, une immense étendue d'eau, toujours agitée, toujours en mouvement, se dressait comme un obstacle infranchissable pour le chemineux qu'il était.

Il longea la côte quelque temps, elle se faisait tourmentée, rocheuse, mystérieuse. Cela lui rappelait un peu l'esprit de ses montagnes. Il se retrouvait en pays de connaissance : là où l'on croise des êtres magiques, des personnages sortis des légendes et de l'histoire d'avant les hommes. À n'en point douter, il allait trouver la clef de passage pour franchir la grande mare.

C'est un korrigan qui le héla alors qu'il observait le large, le visage cinglé par le vent et les embruns. Jacques se retourna , guère surpris de voir ce petit être difforme qui lui faisait des grands gestes. Il le suivit dans une de ces anfractuosités au pied des rochers, là où viennent s'écraser les vagues tumultueuses.

Le korrigan le conduisit à une assemblée secrète dans les entrailles de la terre. Il y avait là des fées et des elfes, des lutins et des mages, des druides et les derniers dragons d'Armorique. Jacques, après avoir marché plus de 260 lieues, n'était pas homme à s'étonner de tels mystères. Il raconta sa quête, son désir de découvrir l'autre source de la Loire.

C'est Merlin, le plus sage de tous, qui prit la parole. Il feignit de n'être pas surpris qu'un humain puisse encore croire qu'il existait un monde parallèle, bien plus puissant et plus surnaturel que celui que ses frères les hommes s'étaient inventé dans le ciel. C'est désormais dans les entrailles de la terre que vivaient les êtres qui autrefois avaient peuplé la planète avant que les bipèdes arrogants ne décident de s'en assurer l'exclusivité.

Merlin lui confia qu'il existait encore des portes secrètes pour passer d'un monde à l'autre. Il y avait dans la demande de Jacques tant de sincérité qu'il acceptait de lui indiquer ce passage. Il se refermerait définitivement après qu'il l'aurait emprunté. « Ce sera un voyage sans retour, un aller simple vers un autre continent. Il y a d'ailleurs peu de temps que les hommes ont retrouvé ce chemin par les flots ; bientôt, l'horreur régnera de l'autre côté aussi » déclara-t-il …

Jacques ne comprenait rien à ce discours bien trop politique pour un être naïf comme lui. L'essentiel pour lui était la promesse de remonter l'autre moitié de sa rivière : sa sœur symétrique au-delà de la mer. Il savait son voyage sans retour ; il avait dit adieu aux siens, leur promettant simplement de leur envoyer un message, lisible par tous, quand il en aurait terminé.

Merlin lui demanda de le suivre. Le mage, aidé de quelques korrigans, poussa une pierre dressée comme il en existe tant sur cette côte sauvage. Les hommes ont perdu la connaissance de leur rôle et c'est tant mieux. La pierre tourna sur elle-même pour laisser place à un mystérieux escalier qui plongeait dans les profondeurs de la terre. Jacques, malgré l'obscurité, pouvait avancer, précédé d'une clarté qui semblait provenir d'une petite fée clochette qui voletait juste devant lui. Il se retourna,interrogatif, et Merlin, en le saluant une dernière fois, lui dit que Pocahontas serait son ange gardien tout du long de son voyage souterrain.

De cette longue marche sous terre et sous l'Océan, nous ne saurons rien. Pocahontas subvenait à tous ses besoins, Jacques suivait sa lumière, s'appuyait sur elle lors de ses moments de doute. Ce fut un voyage entre parenthèse, des instants de pur bonheur pour ce garçon simple qui allait au bout de son destin. Il ne cherchait pas à comprendre les méandres du miracle qu'il accomplissait : il suivait son étoile ,une gentille fée clochette.

Puis un jour, après un cheminement interminable, il se retrouva devant des marches qu'il gravit à la suite de sa bonne fée. Il déboucha sur une lande de terre de l'autre côté de la mer. Il y avait là une baie gigantesque, un nouvel estuaire plus grand encore que celui de sa chère Loire. Il était au début d'un nouveau chemin.

Celui-ci serait un peu plus long que celui qu'il avait accompli le long de sa rivière. Celle-ci était plus grande, incomparablement plus grande. Il y avait des poissons aussi gros et majestueux qu'une maison de maître. Il y avait encore des animaux étranges qui allaient debout sur la terre bien qu'ils fussent aussi hôtes des flots.

Jacques reprit sa marche en remontant cette fois un courant impétueux. Il s'en allait tout seul : Pocahontas avait disparu. Elle était pourtant à jamais dans son cœur et il est certain qu'il parla d'elle à ces étranges habitants des lieux : des humains qui se disaient Iroquois et avec qui, petit à petit, il réussit à partager la langue.

Il était le premier homme blanc à remonter à pied cette rivière gigantesque. Il arriva dans un village que les gens d'ici nommait Gaspé. Il y raconta son rêve et, immédiatement, la rivière fut baptisée dans la langue locale Hochélaga : « la rivière qui marche » en l'honneur de Jacques : celui qui remontait son cours.

Il fit bien d'autres rencontres, allant toujours de l'avant. Il découvrait des hommes qui naviguaient sur de petites embarcations faites en peaux ou creusées dans le bois : légères, rapides, maniables, si différentes des grosses embarcations dessus sa Loire. Il était sans cesse émerveillé par la gentillesse des habitants des bords de cette rivière, leur connaissance de la nature, leur sens de l'amitié.

Jacques remontait toujours, infatigablement, ce long serpent d'eau. Il lui semblait que ce chemin était plus long encore que celui qu'il avait accompli dans son pays de naissance. Pourtant, rien ici n'avait la même mesure. Tout était plus grand, plus haut, plus impressionnant, à défaut des habitations qui ne se prenaient jamais pour des châteaux.

Il avait dû marcher près de 280 lieues quand il arriva au bout de son voyage. D'après ses calculs, nous étions le 20 avril 1534. Ce jour-là, un autre Jacques entamait le même voyage en partant de Saint Malo. C'est à lui qu'on attribuerait la découverte du Saint Laurent puis de ce qui deviendrait le Canada.

Jacques, le nôtre, s'en moquait bien. Il était devant une immense étendue d'eau. Un lac aussi grand qu'une mer. C'est parce qu'il revit en songe Pocahontas, qu'il sut qu'il n'était pas besoin de chercher plus loin. L'autre source était ici : celle qui engendre le frère aîné de sa Loire : le Grand Saint Laurent.

Il raconta sa vision aux habitants des rives. Ils lui apprirent aussitôt que c'était le Lac aux eaux étincelantes à cause de la fée clochette, « Skanadario » dans leur langue si chantante. Depuis, il est devenu le Lac Ontario et chacun sait que ses eaux donnent naissance à ce merveilleux fleuve. Jacques était au bout de son périple et vécut là le reste de son âge.

Il mourut en hiver 1569 après avoir connu le grand bonheur de retrouver quelques compatriotes. Avant que d'aller dans le monde des esprits, il se rappela qu'il devait envoyer un signe aux gens de la Loire, cette rivière qu'il avait aimée au point de traverser l'Océan pour aller à la recherche de son autre source. Il était dans un pays où la neige et le froid faisaient partie du décor. C'est ainsi qu'il voulut communiquer avec les gens de son premier pays.

L'hiver 1569, l'hiver fut si terrible dans le bon royaume de France que la Loire fut prise dans les glaces pratiquement tout du long de son parcours. Comme l'embâcle s'avérait le plus spectaculaire qu'il eût été donné d'observer de mémoire de Ligérien, bien des gens de chez nous se rappelèrent alors la promesse de ce curieux marcheur, avaleur de Loire qui s'en été allé à la conquête de son autre source …

Une oie sauvage vint au printemps suivant apporter un message à l'ermite de la roche Beraire. Celui-ci en fit un récit qui circula de proche en proche, de bouche en bouche tout au long de la rivière qui était née en même temps que Jacques. L'histoire a fini par m'arriver jusqu'aux oreilles en faisant un curieux détour par la Gaspésie, cette région de la fin de la Terre. Il se murmure qu'elle était contée par Donnacona,le chef de Stadaconé, le village qui devint Québec. L'oie avait dû faire une halte en ce lieu …

Que les esprits trop cartésiens nous laissent croire ce récit. Nous ne faisons de mal à personne en allant aux sources de nos rêves. C'est ainsi que se façonnent les plus beaux destins et celui de Jacques fut de ceux-là.


 

Albert, une tête d'étourneau !

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