mercredi 30 novembre 2022

Séparons le bon grain de l’ivraie.

 

Le bon pain.





Alors que dans nos grandes villes se multiplient les officines vendant du pain à grande échelle tout en prétendant être de joyeux artisans qui mettent scrupuleusement la main à la pâte, il me vient l’envie de célébrer le bon pain : celui à la croûte craquante, qui reste présentable le lendemain et qui a du goût sans l’apport douteux de graines, fruits et autres ingrédients, tous plus surprenants les uns que les autres, pour faire grimper le prix et redescendre le plaisir gustatif.


Le bon pain a de la tenue. C’est d’ailleurs là sa qualité première. Il ne cède pas à la mode du tout mou, de l’insipide, du spongieux que nous impose un diktat venu d’outre-Atlantique. Il nécessite, c’est là son défaut, d'avoir de bonnes dents. Mais accordons-lui le droit de subir le trempage au petit déjeuner ou dans la soupe si, par malheur, vous n’aviez pas la dent dure.

 



Le bon pain a de la couleur. Fuyez donc les pains pâles, incolores, tristes et moroses. Je frémis à chaque fois que j’entends dans la file d’attente :«Pas trop cuit, je vous en prie ! » Autant aller se réfugier dans le monde sous plastique des pains de mie qui ne sont pas mes amis. Le pain doit démontrer son amour du four ; il doit porter en lui quelques traces de ce combat, mené avec le bois qui lui a donné des teintes en lesquelles on puisse avoir confiance.


Le pain est dense. Sa mie ne fait pas semblant d’occuper l’espace. Elle s’impose, se gonfle de sa majesté, accepte quelques bulles qui démontrent sa vigueur et le travail d’un levain qui sait se tenir. Elle a de jolis reflets et ne se donne pas entièrement à un blanc de pacotille. Elle aime se teinter de gris, de brun, de jaune et ne se refuse jamais à d’autres céréales ni au sarrasin, ce faux frère jumeau.

 



Le pain fleure bon ou bien il n’est qu’un ersatz de fripouilles habillées de blanc. Il est issu des meilleures farines :celles qui n’acceptent pas de subir les traitements honteux de céréaliers indignes qui font pousser la graine à coup de produits toxiques. Il convient de ne pas fréquenter les farines douteuses ; le pain réclame de la qualité en toute chose et surtout pour sa matière première.


Le pain a ses pudeurs également. Refusez donc la théatralisation du four en devanture. À supposer vraiment qu’on y fasse réellement du pain destiné à la vente, demandez-vous si la pâte supporte aisément les courants d’air, si l’hygiène y est garantie, si le travail, sous le regard de la clientèle, est acceptable et agréable. Le pain doit se maturer dans le secret du laboratoire et ne pas jouer les vedettes sous le regard amusé de curieux en goguette.

 



Le pain enfin se plaît dans les mains d’une vraie boulangère. Il a besoin de passer en douceur de sa boulangerie à votre domicile par une joyeuse transaction. La dame saura vous parler de la pluie et du beau temps, prendra des nouvelles du petit dernier et surtout vous calculera de tête le montant de la commande. Refusez donc les boîtes à pain où la vendeuse ou le vendeur est incapable du moindre calcul mental. C’est un pain sans tenue que celui qui exige la retenue électronique.


Le pain est enfin un métier à part entière. Il exige temps et formation, patience et amour. Si votre boutique multiplie les offres de vente, c’est qu’il y a un doute sur la qualité de sa fonction première. Repoussez ceux qui font de la restauration rapide : ce sont des marchands de fric. L’épicerie n’est guère plus compatible avec le métier . Seule la pâtisserie peut justifier une double toque, à condition qu’elle ne soit ni pompeuse ni prétentieuse.


Le bon pain a besoin d’une vraie boulangerie. Éloignez-vous donc de ces grosses boutiques rutilantes. On veut vous pétrir pour que vous y dépensiez le plus d’argent possible. Ce sont des margoulins qui tiennent pareil endroit. Le bon pain se vend à prix raisonnable ; les prix fantaisistes relèvent de la grivèlerie organisée par des bandits qui veulent vous mettre le nez dans la farine. Seul le petit artisan vous prépare amoureusement du bon, du vrai, du goûteux pain comme autrefois, servi sans artifice d’emballage et à un prix raisonnable.


À contre-croûte.



mardi 29 novembre 2022

Accordéon

 

Accordons lui cet hommage






Écoute au loin la plainte langoureuse

Le souffle inquiet d’un profond soupir

Se mêlant de notes mélodieuses

Venues d’un râle qu’on entend gémir

De ce bel instrument étrange

Soufflet de la forge à Vulcain

J’entends le murmure des anges

Et les gémissements des catins




Soudain il entre en transe

Coule comme une source de vie

Les couples sont dans la danse

Pour aller jusqu’au bout de la nuit

Tous les doigts de ce musicien

Glissent à un rythme endiablé

Pour que devenu magicien

Il nous envoûte dans ses filets




Pour retrouver un peu de calme

Celui qu’on nomme accordéon

Nous émeut jusqu’à l’âme

Quand il souligne la chanson

À lui seul, il se fait orchestre

Portant les mots du chanteur

Aux confins des limites terrestres

Pour son plus grand bonheur




Il geint, rit, pleure, chante

Il joue de toutes les mélodies

Sans cesse il nous enchante

Dans sa célébration de la vie

Il bat le rythme et la cadence

Joue la valse ou la Tarentelle

Se moque de la dernière tendance

Sa majesté Piano à bretelles

 



Sa musique ouvre le bal

Nous prend ainsi par le cœur

Quand la raison s’emballe

Et que nous chantons en chœur

Ses mélopées sans pareil

Nous font verser une larme

Quand de cet étrange appareil

Vibrent toutes les lames




 

dimanche 27 novembre 2022

Madame je vous en conjure ...

 

La chanson offerte







Madame je vous en conjure

Oh ne me faites pas l'injure

De refuser cette chanson

Que j'ai écrite sans façon

Madame je vous le demande

Faites-vous donc un peu gourmande

Accordez-lui sa mélodie

Pour enchanter ma poésie

 



Par un matin très ordinaire

Un de ces jours sans manière

Moi qui voyageais sur la toile

Sans avoir sorti la grand voile

J'allais au hasard du destin

Il m'est apparu en chemin

Prenant la forme d'un message

Quelques pauvres mots sans ambages

 


Madame je vous en conjure

Oh ne me faites pas l'injure

De refuser cette chanson

Que j'ai écrite sans façon

Madame je vous le demande

Faites-vous donc un peu gourmande

Accordez-lui sa mélodie

Pour enchanter ma poésie

 



Oui c'était un presque inconnu

Que j'avais à peine entrevu

Juste un bateleur de passage

Un baladin pas vraiment sage

Qui me fit ce joli cadeau

Qui me confia tous ses mots

Certes une offrande magnifique

Ne manque plus que la musique




Madame je vous en conjure

Oh ne me faites pas l'injure

De refuser cette chanson

Que j'ai écrite sans façon

Madame je vous le demande

Faites-vous donc un peu gourmande

Accordez-lui sa mélodie

Pour enchanter ma poésie

 



Je me suis demandé pourquoi

Il s'adressait ainsi à moi

Je n'ai pas cherché à comprendre

Ce bonheur, il fallait le prendre

Sans repousser sa quémande

M'emparant de son offrande

Sans plus tarder je lui consens

Ce qu'il espère intensément

 




Madame je vous en conjure

Oh ne me faites pas l'injure

De refuser cette chanson

Que j'ai écrite sans façon

Madame je vous le demande

Faites-vous donc un peu gourmande

Accordez-lui sa mélodie

Pour enchanter ma poésie

 



La mélodie s'est imposée

Des notes que j'aime chanter,

Fredonnées souvent en silence

Pour combler mon impatience

C'est vrai qu'il me fallait bien vite

Répondre à sa touchante invite

En lui envoyant par la toile

Quelques poussières d'étoile

 



Madame je vous en conjure

Oh ne me faites pas l'injure

De refuser cette chanson

Que j'ai écrite sans façon

Madame je vous le demande

Faites-vous donc un peu gourmande

Accordez-lui sa mélodie

Pour enchanter ma poésie






samedi 26 novembre 2022

La chaîne brisée

 

La chaîne brisée




Lorsque j'étais un p'tit mioche

Près d' la cabane au bord de l'eau

Je rêvais les mains dans les poches

Que j' partais seul sur un bateau

Mais il y avait une chaîne

Qui entravait mon pauvre espoir

Et un cadenas quell' déveine

Me clouait sur la rive du Loir

C'est en brisant ta lourde chaîne

Que tu deviendras capitaine


Je m'asseyais su'l banc de nage

Échappant à la surveillance

J'oubliais dans l'instant mon âge

Pour me retrouver en partance

L'aventure se moque des fers

De toutes les interdictions

Ce sont les songes qui libèrent

Notre belle imagination

C'est en brisant toutes tes chaînes

Que tu deviendras capitaine


J'inventais des voyages sans fin

Des aventur' au fil des flots

Je n'étais plus un p'tiot gamin

Mais un grand et fier matelot

J'naviguais jusqu'au bout du Monde

Au d'là des territoir's connus

Si la Terre était toujours ronde

J'explorais d'nouveaux coins perdus

C'est en brisant ce qui t'enchaîne

Que tu deviendras capitaine


Et le temps était suspendu

À mes merveilleuses histoires

La barque soudain devenue

Le grand théâtre de ma gloire

Je croisais de vilains pirates

Et de plus terribles corsaires

Pour remonter le bel Euphrate

Ou naviguer jusqu'au Caire

C'est en brisant tes pauvres peines

Que tu deviendras capitaine


Soudain la chaîne se tendait

Me rappelant ma condition

Pour toujours prisonnier du quai

Sans espoir de navigation

Heureux celui qui s'escape

Comme Jonathan le goéland

L'horizon pour ultime cap

La liberté sans les parents

C'est en brisant ta pauvre chaîne

Que tu deviendras capitaine


Je file soudain au gré du vent

Capitaine d'un rêve éveillé

Seul maître à bord ; c'est du nanan

Personne pour m'en empêcher

Dans mon esprit je voyage

Au-delà de ce lourd carcan

J'embarque pour un beau voyage

Jusqu'au fabuleux Orient

C'est en brisant l'ultime chaîne

Que tu deviendras capitaine

••


 

vendredi 25 novembre 2022

Grand Saint Nicolas, notre saint patron

 

Au bon Saint Nicolas !





Grand Saint Nicolas, notre saint patron

Bénis ce voyage, nous t'en supplions

Quoique équipage peu respectable

Nul n'y fait commerce avec le diable


Au temps jadis des bordées marinières

Les marins lui adressaient toutes leurs prières

Ils naviguaient les yeux tournés vers le ciel

Guettant le vent, un signe ou bien un pieux conseil

Quand leurs femmes à la maison pratiquaient itou

Espérant le retour de leurs curieux époux


Bon Saint Nicolas, leur grand patron

Permet le retour de nos bons lurons

Malgré leur conduite peu honorable

Ce ne sont que de pauvres diables


Épargne-nous les flétrissures du mauvais temps

Tout comme les meurtrissures du cabestan

Détourne nous toujours de la colère du flot

Que nulle avarie n'entrave notre bateau

Garde-nous tous sous ta tendre bienveillance

Nous t'offrirons des cierges en Recouvrance



Bon Saint Nicolas, notre bon patron

Préserve nos marchandises des vils larrons

Même si le marchand n'est guère redevable

Il ne fait pas commerce avec l'diable


Indique-nous la route loin de tous les écueils

Que ce navire ne devienne pas un cercueil

Promets-nous de revenir sauf en notre port

Ferme les yeux sur nos indignes réconforts

Qui agrémentent nombre de nos escales

La vie est si difficile pour la Navale !


Bon Saint Nicolas, notre cher patron

Écoute ce que nous te demandons

Si nos prières paraissent minables

Exauce nos vœux d'pauvres diables


Saint Nicolas dans sa grande mansuétude

Pour se concilier toute leur gratitude

Accorda ce que réclamaient les matelots

À la condition qu'ils descendent de leurs bateaux

Le 6 décembre pour défiler dans les rues

Lors d'une procession en portant sa statue …


Grand Saint Nicolas, vénéré patron

Exauce nos prières, nous t'en conjurons

Quand bien même guère fréquentables

Ne sommes pas de pas de mauvais diables


•••




jeudi 24 novembre 2022

Il rêve de trouver chaussures qui lui sied

 

Trouver sabots à son cœur




Il allait pieds nus sur son beau bateau

Cœur gros de n'avoir point de fiancée

Rêvant de trouver chaussures qui lui sied

Gentille épouse lui donnant des marmots


Pour lui l'homme de la rivière

Il espérait une fille en sabot

Francette, Jacquenote ou encore Margot

Pourvu qu'elle vienne de la terre


Pour l'homme de ce merveilleux trait d'union

Cette Loire qui réunit nos terroirs

Il se nourrissait de son fol espoir

S'unir à une beauté de la région


Il allait pieds nus sur son beau bateau



En Berry, la choisirait pour la vie

Femme de devoir et de quelques pouvoirs

Qui l'envoûterait sans même le savoir

Quoique sorcière, elle serait sa mie


Dans la Gâtine, la choisirait coquine

Belle fleur récoltant le safran

Sans prendre la poudre d'escampette céans

Viendrait cueillir la douce mutine


Cœur gros de n'avoir point de fiancée



En Sologne, sans aucune vergogne

Lui manderait un ballet de genets

Pour se perdre avec elle dans les fourré

Guettant la venue d'une cigogne


Dans la Beauce, à l'image du bon Argos

N'aura d'yeux que pour cette semeuse

Qu'il tacherait de rendre heureuse

Volant vers elle tel un albatros


Rêvant de trouver chaussures qui lui sied



En Touraine, ne peut être vilaine

Celle qui cultive si bien la vigne

Il lui faudrait se montrer fort digne

De la délicieuse Madeleine


En Anjou, lui écrirait des mots doux

Gravés au stylet sur une ardoise

Pour que cette merveilleuse Françoise

Accepte un marinier pour époux


Gentille épouse lui donnant des marmots



En Bretagne, pays de cocagne

Il se chargera de fleurs de sel

Désirant en remplir les deux sabots

De celle qui choisira pour compagne


Qu'importe la province de sa mie

Il attend qu'elle ait les pieds sur terre

Car pour qui vogue sur la rivière

Son amarre doit demeurer au pays


Toujours pieds nus sur son beau bateau

Son cœur se réjouit de son épousée

La mère qui s'occupe de sa maisonnée

Jamais les deux pieds dans le même sabot

 




 

 

mercredi 23 novembre 2022

Catharsis pour un ballon

 Catharsis pour un ballon

 


 

Prendre des vessies pour des lanternes.



De l'harpastum à la soule

Il a remué les foules

Référentiel désolant

Causant des combats de titans

Il a toujours su rebondir

Afin de nous divertir

En entraînant à sa suite

Qui s'inscrit dans ses limites


Éteuf ou modeste slot

Les chats lui donnèrent leurs boyaux

Puis désirant qu'on fut perplexes

Il se revêtit de latex

Pour rouler alors sa bosse

Sur des prairies qu'il cabosse

Désirant atteindre son but

Du pied ou bien de l’occiput


Il n'oublie jamais cependant

Qu'une vessie fut son parent

Se laisse gonfler pour avoir l'air

De toujours la satisfaire

Fort étrange artifice

Loin de certains sacrifices

Quand il revendique haut et fort

Qu'il provient d'un gentil porc


Le ballon rond ou ovale

Ne supporte pas la cabale

Si fier de ses origines

Qu'on qualifie de porcines

Quoiqu'en pleine compétition

Sans la moindre affectation

Il change très souvent de camp

Allant sans relâche vers l'avant


Me semblait bon de rappeler

Ce qu'il ne faut pas évoquer

Si tout est bon dans le ballon

Il le doit au brave cochon

N'oublions jamais d'où il vient

Cette faribole lui va bien

« De la vessie à la lanterne

Pour une catharsis vilaine !»

••


 

mardi 22 novembre 2022

Coup de foudre devant le Bec

 Annette, la nivernaise

 





Il advint cette fois-là qu' en bord de Loire du côté de Nevers, sur la rive gauche, celle qui conduit au bec d' Allier, une charmante jeune fille vaquait à son ouvrage. Vint à passer un marinier à pied qui, revenant de Nantes, s'en retournant à Roanne pour un nouveau voyage à bord d'une salambarde. Victor était son prénom, « Le jeune coq ! » était un sobriquet qu'il avait hérité de ses compagnons toujours prompts à dépeindre les petits travers des uns et des autres.


Annette n'était pas fille comme les autres. Son père, Claude, était un homme redoutable, mauvais coucheur et d'humeur versatile. Partout à la ronde on craignait les colères de ce personnage lugubre sur lequel circulaient bien des légendes. Sa mère était bien vieille, si bien que des voisins, la médisance coutumière, se demandaient par quel miracle cette femme avait pu donner naissance à une telle beauté. Cependant, la réputation des parents d'Annette était telle que nul ne s'aventurait à venir élucider ce mystère.


Annette, la pauvrette, pâtissait des bruits circulant à propos de ses parents. Pour charmante qu'elle fût, pas un garçon à marier du voisinage ne songeait à venir batifoler dans les parages. Les hommes ne sont pas aussi courageux qu'ils veulent bien le laisser supposer par leurs vantardises ! C'est ainsi qu'Annette craignait de coiffer sainte Catherine comme cela se pratiquait ici comme dans nombre de régions.


Victor avait marché depuis de longues heures. Il n'avait pas trouvé à se faire embaucher au halage ; il lui tardait de rentrer à Roanne pour embarquer de nouveau et aller sur l'eau. Marinier à pied, il trouvait la situation humiliante et bien lourd ce coffre de bois qu'il portait sur l'épaule et qui contenait tous ses effets. La vue au loin, sur le chemin des ânes, d'une jeune fille tout attentive à son ouvrage, lui redonna force et vigueur.


Victor ne savait rien de la réputation des parents de la demoiselle. Il ne voyait que ses yeux, le dessin de sa bouche, l'élégance de sa silhouette et la grâce de ses gestes. Il eut envie d'entamer la conversation avec cette inconnue. Le jeune coq avait trouvé une belle poulette qui lui faisait rougir la crête. Ses compagnons mariniers n'eussent pas manqué de se moquer de lui, s'ils avaient été présents.


Le destin, fort heureusement, l'avait laissé seul sur son chemin. Sans les niaiseries de ses camarades, il put se montrer à son avantage et attirer l'attention de la brodeuse. De fil en aiguille, évoquant tour à tour le temps qu'il faisait, la beauté de la rivière, les difficultés de la navigation depuis l'arrivée récente du chemin de fer, les nouvelles de la capitale et d'autres sornettes encore, la conversation prit des tournures plus intimes.


Annette posa son ouvrage, Victor son lourd coffre. Elle lui proposa de venir s'asseoir à côté d'elle ; ils échangèrent leurs prénoms, ils se plurent, sans se connaître pourtant, ce qu'on désigne mystérieusement par Coup de foudre. Victor confia ses espoirs et ses envies, Annette ses rêves et son désir de partir loin de là, en bord de mer et même, si c'était possible, au milieu de l'eau.


Victor sentait la fin prochaine de la marine de Loire ; l'idée de changer de destin avec cette jeune fille si agréable s'imposa à lui comme une évidence. Fini son sobriquet ridicule, abandonné ce métier qui vous transforme en vagabond la moitié du temps, oubliées, peut-être, sa misère et cette vie monotone. Annette voyait en ce garçon l'occasion de rompre le cordon, de partir loin de ses vieux parents qui n'avaient jamais montré beaucoup de tendresse à son égard.


En bien plus de regards que de mots, ils se comprirent, se plurent et enfin s'embrassèrent pour dire ainsi ce que leurs bouches séparément n'auraient jamais si bien exprimé. Ce fut un moment merveilleux, une fusion immédiate qui bouleverse l'existence, donne des ailes et repeint le monde en rose quand on en est l'acteur.

 

Il était clair qu'une passion folle couvait en ces instants. Tous deux avaient d'ailleurs compris l'évidence. Jean n'était pas inquiet ; personne ne l'attendait du côté de Roanne : le garçon était orphelin ; son père, boulanger, s'était retrouvé le nez dans la farine et sa mère avait préféré la compagnie d'un joli berger. Il n'avait ni biens ni attaches. Libre comme l'air, il pouvait suivre la nouvelle voie que semblait lui indiquer sa destinée.


Anne redoutait, quant à elle, la réaction de ses parents. Comment allaient-ils recevoir ce garçon qui allait sur les chemins ? Elle avait déjà entendu son père qui pensait pis que pendre des mariniers : ces gars qui traînaient sur les routes. Pour lui, ce n'était pas une profession d'avenir ; on parlait de ce train qui allait mettre au rancart ces sacrés lascars.


Alors qu'ils en étaient là de leurs interrogations et que les bouches continuaient de se mêler avec ferveur, le père fit une apparition fracassante. Cris, injures, menaces ; l'homme vitupérait ce chenapan qui « becoquait » sa fille, la prunelle de ses yeux. Il exigeait des excuses et le départ immédiat de ce traîneux d'grève.


Victor se dressa face à lui ; l'homme ne lui faisait pas peur : sa détermination soudaine se renforçait du désir de n'être pas ridicule face à celle que la destinée lui avait choisie. Sans préambule ni circonvolutions langagières, le garçon déclara sa flamme et son désir d'épouser la belle. Anne était tout aussi interloquée que ravie.


Le père fut brisé dans son élan belliqueux. Il se radoucit quelque peu, cogitant sans doute une parade à ce coup inattendu. Bien vite, ayant repris ses esprits, il déclara à ce garçon éhonté qu'il lui fallait d'abord remplir une épreuve pour démontrer à sa fille ses vertus. La demande pour surprenante qu'elle fût ne parut pas désarçonner le tout récent cavalier d'Anne.


Le père lui demanda alors d'aller quérir sur-le-champ trois œufs d'oie sauvage dans une île au milieu de la rivière, là où précisément se mêlent les eaux de la Loire et de l'Allier. Le garçon, porté par la force de sa passion, traversa sans coup férir le bras de rivière, pourtant profond en cet endroit, et se mit à la recherche de ce qui semblait impossible à trouver.


Quelques minutes plus tard, il revenait trempé et souriant. Il avait trouvé ce que le méchant bonhomme lui avait mandé. L'autre ne se démonta par pour si peu ; il grogna plus qu'il ne demanda que dans l'instant le marinier sépare le blanc du jaune sans la moindre trace de mélange. Il lui tendit deux saladiers qui justement étaient là et ne demandaient qu'à servir de réceptacles.


Victor était adroit : il avait souvent aidé son père dans le fournil. Il s'appliqua grandement à cette tâche délicate, craignant que les œufs ne fussent pas de première fraîcheur ou bien pire encore. Le miracle eut lieu et jamais on n'avait vu des œufs aussi frais que ceux-là. Alors l'homme tendit une fourchette au garçon et exigea de lui qu'il batte le blanc en neige et les jaunes en mousse onctueuse.


Il l'en croyait incapable et fut bien attrapé de voir qu'il réalisa parfaitement ces gestes dignes des meilleurs cuisiniers. Sa fille avait bien de la chance d'avoir trouvé un marinier qui sût faire autre chose de ses mains que des nœuds marins et des tours pendables. Mais le Claude ne voulait pas s'avouer vaincu. Il était maraîcher, il savait les légumes de saison ; il demanda à son postulant de gendre d'aller quérir des oignons sauvages afin de lui préparer une omelette onctueuse.


Victor savait les plantes : sa grand-mère l'avait initié à la science herboriste. Il partit à la recherche de ce que l'homme à convaincre pensait impossible à trouver en bord de Loire. Il en profita pour ramasser une épervière, cette fleur rare et sauvage, qu'il offrit à Annette à son retour avec cinq bulbes d'oignons sauvages.


Il se mit en cuisine, prépara une omelette comme nul n'en avait jusqu'alors mangé. Il dressa la table pour servir, le père, la mère et leur fille. Ceux-ci se régalèrent tant et si bien que tous les obstacles furent levés pour accorder ce que les deux jeunes gens désiraient tant. Victor Poulard épousa Anne Boutiaut que tous appelaient Annette.


Ils s'installèrent au Mont Saint-Michel où le couple ouvrit une auberge. La réputation de l'omelette de la mère Poulard fit la fortune de la maison. Qu'importe si c'est son Victor qui en fut le créateur. On ne fait pas d'omelettes sans casser quelques œufs et, pour épouser une belle oie blanche, un marinier était prêt à tous les prodiges et à accepter bien des concessions à la vérité.


Coquillement leur.


 


lundi 21 novembre 2022

Oh Hisse

 

Oh Hisse

et haut







Oh hisse et haut

Les gars du bateau

Chantons la chanson

Oh hisse et haut

Joyeux matelots

Levons le torchon


Oh hisse et haut

La toile en drapeau

Glisse sur les flots

À rebrouss' courant

Porté par le vent

Toujours vers l’avant


Oh hisse et haut

Les gars du bateau

La Loire est afflot

Oh hisse et haut

Joyeux matelots

Le vent dans le dos


Oh hisse et haut

Vogue le bateau

Crisse le bachot

La drisse se tend

D'un souffle puissant

File sous le vent


Oh hisse et haut

Les gars du bateau

À contre-courant

Oh hisse et haut

Joyeux matelots

Allons de l'avant


Oh hisse et haut

Bien mieux que l'eau

L’excellent pinot

Glisse gouleyant

Ce nectar charmant

Plaisir de gourmand


Oh hisse et haut

Les gars du bateau

Buvons du pinard

Oh hisse et haut

Joyeux matelots

Rien que des soiffards


Oh hisse et haut

Le jupon d’Margot

La fille du bordeau

Délice de caresses

Désir et tendresse

Pour c’te diablesse


Oh hisse et haut

Les gars du bateau

Reluquent ses seins

Oh hisse et haut

Joyeux matelots

Aiment la catin


Oh hisse et haut

Jette ton chapeau

Dessus le tonneau

La tête à l'envers

Mœurs marinières

Dont tu es si fier


Oh hisse et haut

Les gars du bateau

Le vent dans le dos

••

Oh hisse et haut

Joyeux matelots

Aimons la Margot

••

Oh hisse et haut

Les gars du bateau

Buvons du pinot

••

Oh hisse et haut

Joyeux matelots

Sur notre fûtreau

••

Oh hisse et haut

Les gars du bateau

La Loire est afflot 

••


 

dimanche 20 novembre 2022

La band'à Pochtron

 

La bourrée du Pochtron





Accrochez-vous tous au bastingage

Il y aura grand remue-ménage

D'énormes vagues et du tangage

Avant de pathétiques naufrages


V'la la band'à Pochtron

À ce bal du ponton

Rien moins que des poivrots

Qui ne boivent jamais d'eau


Tu guinches en cadence

Tu t'berdilles c'est facile

Tu entres dans la danse

Pour séduire les filles

Te voilà de guingois

Retourne vite au bar

C'est juste quand tu bois

Que tu fais le jobard


V'la la band'à Pochtron

À ce bal du ponton

Rien moins que des poivrots

Qui ne boivent jamais d'eau


Tu la prends par la taille

Elle t'envoie valdinguer

La drôlesse en bataille

Te trouve trop aviné

Jusqu'au bout d'la soirée

La trogne rubiconde

Tu préfères te bourrer

De bières blondes


V'la la band'à Pochtron

À ce bal du ponton

Rien moins que des poivrots

Qui ne boivent jamais d'eau


Laisse donc les jupons

C'est pas pour toi à c'heure

Vide encore un cruchon

Au bout de ta noirceur

Tu cuves en solitaire

Toi qui finira rond

Restant célibataire

Marié à ton cruchon


V'la la band'à Pochtron

À ce bal du ponton

Rien moins que des poivrots

Qui ne boivent jamais d'eau


Accrochez-vous tous au bastingage

Il y a eu grand remue-ménage

D'énormes vagues et du tangage

Avant ces déplorables naufrages

•••


 

Des mots qui chantent

  Un livret qui chante … Si vous tendez l'oreille En parcourant ses pages Il n'aura pas son pareil Pour sortir ...