mardi 28 février 2023

Un grand constructeur contrarié

 

Brébos, mon ami …





Il était une fois un couple de brébos qui élut domicile sur les bords de Loire. Autrefois en pays de Nièvre, on appelait l'animal bièvre avant qu'il ne se fasse castor en arrivant au port. Nos deux jeunes végétariens avaient été invités à reconquérir, en compagnie de quelques congénères, un espace que leur aïeux avaient dû fuir sous l'action malveillante des braconniers d'alors et des amateurs de fourrure de tous poils.


Notre couple s'installa sur une boucle de la rivière. Entourés de saules et de peupliers, les deux amoureux avaient choisi un endroit bien commode avec un bras de Loire étroit et une île arborée, des conditions parfaites pour mettre au monde quelques solides enfants. Les deux castors se mirent à la tâche sans remord pour se faire un peu les dents en ce nouveau cadre de vie.


Ils s'attaquèrent à quelques tendres végétaux qui poussaient non loin de là. De jeunes arbres fruitiers qui avaient trouvé dans le val des conditions parfaites pour croître et fructifier en paix. La réaction de l'arboriculteur fut terrible. Il éleva des protestations véhémentes, entoura chaque arbre de protections métalliques et mit même, contre toutes les règles en vigueur, des pièges, pour mettre un terme à ce prélèvement inacceptable.


Les rongeurs reconnurent leurs torts. Ils devaient se consacrer aux seuls arbres du fleuve. L'homme ne supporte guère qu'on vienne lui prendre le pain dans la bouche. Il est peu « partageux » et use souvent d'expédients fâcheux. Désormais, il faudrait se méfier de ces mauvais coucheurs, la propriété privée est chose sacrée pour ceux qui vont sur leurs deux pattes arrières !


Leur seconde expérience les conduira à édifier un magnifique terrier. Ils avaient mis tout leur cœur à ce joli labeur. Il leur semblait ainsi ne pas entraver les activités humaines. Ils se trompaient une fois encore. Il y avait là un pêcheur local qui prétendait posséder ce littoral. Il avait droit de poser nasses et engins pour attraper brochets et carpins. Il détruisit le terrier qui ne lui avait rien fait. Il ne faut pas chatouiller celui qui a payé un octroi.


Le gentil couple trouva l'aventure de mauvais alois. Voilà maintenant qu'il ne fallait pas faire de l'ombre aux braconniers d'aujourd'hui. Ils se dirent que le fleuve était parfois très mal fréquenté, il fallait revenir aux fondamentaux de l'espèce, pour ne plus encourir le courroux des jaloux.


Ils s'attelèrent immédiatement à la construction d'un barrage. Voilà un édifice qui fit la gloire de leurs cousins d’Amérique. Ils ne rechignèrent pas au travail et firent tant et si bien qu'ils barrèrent un petit bras de Loire. Mais voilà qu'une fois encore, ils commirent une maladresse. Le passage était emprunté par des hommes en canoë. L'obstacle les contrariait au delà du supportable, il leur imposait détour compliqué. Le barrage fut mis à bas par une armée de bras.


Les castors étaient colère. Le fleuve est devenu surtout un lieu de loisir. Celui qui travaille ne doit pas y gêner celui qui s'amuse. Nos amis s'éloignèrent encore plus loin. Ils partirent la queue basse, se promettant de bien y regarder avant que de tenter nouvelle aventure.


Pour accueillir les enfants qui étaient en route, les deux amants se décidèrent pourtant, à bâtir une hutte pour leur offrir un point de chute. Ils firent bel et grand ouvrage, une cabane tout confort avec vue sur la Loire. Des portes dérobées, des chambres éclairées, de l'espace et des commodités. Ils avaient pris grand soin de choisir un endroit discret à l'écart du passage. Cette fois, à n'en point douter, ils auraient enfin la paix.


Hélas, rien n'est désormais plus comme avant. Notre monde est sous l'emprise des règles administratives. Un indélicat voisin, sans doute un ragondin, mauvais coucheur et sacré délateur fit une lettre traitresse pour avertir l’échevin du village voisin, qu'un bâtiment avait été dressé sans permis officiel. Pire encore, les castors qui n'étaient pas d'ici (le ragondin peut bien faire le malin lui qui est venu d'encore plus loin), ignoraient sans doute qu'ils avaient mis leur maison en terre d'inondation !


De zélés contrôleurs vinrent s'enquérir de la véracité de la lettre du corbeau des eaux. Ils constatèrent le délit et exigèrent la destruction immédiate de cette maison sauvage. Les Castors serrèrent les dents, firent profil bas et partirent une fois encore loin de tous ces tracas. Ils comprirent qu'ils n'y avait pas de place pour eux dans ce pays hargneux. Nos amis la queue basse choisirent la clandestinité. Ils vivent désormais la nuit à l'abri des regards de ces vilaines gens.


Depuis cette aventure, vous pouvez arpenter la rivière, si vous voyez de nombreuses traces de leur présence, bien rares sont les castors qui se montreront à vous. Ne leur en tenez pas rigueur, depuis ces quelques malheurs, ils savent désormais qu'il est préférable de se faire discrets. De cette lamentable histoire, il ne faut retenir que la morale de la Loire. Pour vivre heureux, vivons cachés ! Elle vaut pour le castor comme nombre d’entre nous.



lundi 27 février 2023

La poupée en laine.

 

Il a perdu le fil …





Il était une fois un pauvre bonhomme qui avait perdu le fil de sa mémoire. Tout s’effilochait dans sa tête, la vie perdait son sens sans qu’il n’y puisse rien faire. Impuissant devant cette perte inexorable de lui-même, il se laissait aller, ne mangeait plus, attendait que la Camarde vienne le délivrer de son triste état.


Dans son entourage, il était des amis qui ne se résignaient pas à le voir ainsi dépérir. Mais que faire pour le ramener un tant soit peu au réel, l’accrocher à une petite parcelle de son passé ? Bien souvent, le hasard, puisque c’est ainsi que nous nous plaisons à désigner les pirouettes du destin, vient brouiller les cartes et changer la donne. Ce fut ce qui arriva pour lui.


Un familier du malheureux avait déniché dans un grenier une tapisserie, un canevas plus exactement, tissé patiemment sans doute par un de ses proches, une grand-mère ou bien une tante vraisemblablement. À partir d’une photographie sur laquelle notre homme, enfant, était représenté dans son univers de l’époque, un tableau de fils multicolores était né. Ce vestige d’un passé oublié allait peut-être réveiller la conscience de notre ami, se dit le chineur qui s’empressa de le lui offrir.


L’homme sans passé fut interloqué par ce cadeau. Il resta longuement à le fixer, sans la moindre réaction apparente quand une lueur se fit ! Il venait non point de réaliser qu’il s’agissait de lui enfant ou bien d’identifier quelqu’un mais tout simplement de découvrir qu’un fil avait été mal noué. Il le tira délicatement …


Le canevas se défit sous ses yeux. Avec une patience dont il n’avait jamais fait preuve auparavant, il enroula les fils un à un, les reliant par un nœud, pour conserver la logique de cet effilage méthodique, constituant alors un bel écheveau. Ceux qui assistèrent à la scène n’osèrent intervenir, pensant sans doute qu’il devait aller au bout de son étrange activité.


Quand la toile fut entièrement dénuée de fils, le chineur, homme aux intuitions surprenantes, tendit à notre amnésique un Tricotin, objet qu’il avait découvert dans une malle à jouets. L’homme se mit immédiatement en action, reprenant le fil enroulé, se rappelant les gestes de son enfance, il se mit en demeure de tricoter avec cet ustensile. Il allait retrouver le reste avec une facilité déconcertante, n’hésitant pas une seule seconde.


Le temps passa, l’homme tricotait pratiquement sans prendre de repos. Ce qui ne cessait de surprendre les observateurs, c’est qu’il ne se contentait pas de réaliser des tubes tressés de laine. Non, il semblait à tous que le fruit de son labeur prenait des formes qui échappaient à la logique de l’appareil. Ils y voyaient tous une énigme qu’il convenait de ne pas entraver.


Bientôt la logique apparut. Sous le Tricotin, on percevait nettement les formes d’une poupée de laine. Il y avait magie là-dessous. Chacun attendait avec impatience de voir comment allait se terminer l’aventure. La poupée avait la taille d’un enfant déjà grand. C’était manifestement une jeune fille puisque des cheveux longs ornaient son cou, descendaient sur son dos. Les couleurs s’harmonisaient incroyablement bien, donnant le sentiment que tout avait été conçu pour réaliser cette merveille.


La poupée achevée, l’homme la libéra du Tricotin. Il lui déclara : « Bonjour Virginie, je m’appelle Paul et je t’ai toujours aimée ! » Ceux qui étaient présents n’en revenaient pas. Non seulement il avait parlé mais il avait retrouvé son prénom. C’était miraculeux. Il fallait absolument retrouver cette Virginie pour renouer les fils de la mémoire.


Ce ne fut pas chose facile. Remonter dans le passé n’est pas simple surtout quand on manque d’éléments. Une photographie de classe permis de réaliser ce miracle. Une année inscrite sur une ardoise, les prénoms et les noms de famille des élèves de cette classe unique, notés au dos. Il y avait côte à côte, se tenant par la main Paul et Virginie. La recherche pouvait débuter.


Les archives ne sont pas toujours muettes. Virginie, après bien des tribulations, sortit du passé pour se présenter un jour, en chair et en os devant Paul. Ce fut immédiat, l’homme sans mémoire la reconnut, en dépit des années, en dépit des transformations que le temps fait subir aux gens. Virginie était émue, elle tendit les bras à Paul, il se lova tout contre elle. Non seulement il avait retrouvé la mémoire mais plus encore, celle qu’il avait toujours chérie.


L’histoire ne dit pas si l’amour entre eux fut possible. C’est à chacun de se déterminer. Les destinées sont complexes, les parcours de vie conduisent souvent sur des chemins divergents. Paul avait renoué avec son passé, ne lui restait plus qu’à se conquérir un présent. Il avait renoué les fils de sa mémoire, plaise à Dieu que le bonheur s’offre aussi à lui !


À contre-temps



dimanche 26 février 2023

Une icône est tombée

 

Hallali





Une icône est tombée

Les deux pieds dans le paf

C'est alors la curée

Pour l'affreuse gaffe


Ceux qui l'ont adulée

Sonneront l'hallali :

« Soyons tous sans pitié

Après l'avoir chérie ! »


Le peuple versatile

Réclame vengeance

Sa vie tient à un fil

Sans nulle indulgence


La toile se déchaîne

Les mots sont orduriers

L'amour puis la haine

Il faut bien varier


Des coups et des horions

Une pluie d'insulte

Par procurations

Se joindre au tumulte


Tribunal médiatique

Les réseaux sociaux

Médiums dramatiques

Remplacent le bourreau


L'étoile tombée à terre

Ne s'relèvera pas

La défense doit se taire

Nul besoin d'avocat


Pour la vox populi

Point d’échappatoire

Le coupable banni

En un bel exutoire


Chacun jette sa pierre

Tels des charognards

Point besoin de prière

Rien qu'un coup de poignard


La fin sera tragique

Tous les pouces abaissés

La proie satanique

N'a plus qu'à s'effacer

•••





samedi 25 février 2023

Comment reprendre le collier ...

 


Le pauvre bourrelier.






Il était une fois un modeste bourrelier, un pauvre homme qui avait bien du mal à joindre les deux bouts. Il est vrai que ce métier qu’il chérissait, tant il aimait travailler le cuir, avait un incroyable inconvénient. L’artisan qui travaillait exclusivement pour les paysans, n’était payé qu’une fois l’an, lors de la foire à la louée. C’était là une tradition liée aux pratiques anciennes qui lui compliquait grandement l’existence.


Le cuir et les matières premières pour réaliser un collier de trait étaient de plus en plus onéreuses tandis que les chevaux se faisaient plus rares dans nos campagnes où le tracteur prenait de plus en plus de place. Le pauvre homme se demandait à chaque nouvelle commande s’il disposerait d’assez d’argent pour remplir sa tâche et plus encore, il s’inquiétait sur la manière de nourrir sa famille qui elle, mangeait tous les jours.


Il venait de recevoir une curieuse demande. Une bourgeoise du pays était venue à lui pour qu’il confectionne un collier de trait destiné non pas à atteler un Percheron mais à se trouver suspendu au mur d’une salle à manger rustique. Le temps était donc venu pour la bourrellerie de rentrer dans les activités d’antan. L’homme se mit au travail, partagé qu’il était entre l’inquiétude du lendemain et la satisfaction de travailler pour une cliente qui paierait à la livraison.


Il fit un fort bel ouvrage, choisissant le meilleur cuir et les plus beaux bois pour en faire un objet d’apparat. Il mit tout son cœur et réalisa un fort beau collier d’épaule, trop fragile sans doute pour servir à l’attelage mais si fin et élégant qu’il allait enchanter sa curieuse cliente. Il était terminé, le collier reposait sur son établi. L’homme pouvait aller dormir du sommeil de celui qui a bien travaillé.


Au matin, il se réveilla de fort bonne humeur, désireux de mettre en vitrine son bel ouvrage, persuadé qu’il était que la cliente allait être imitée par d’autres clients. Il voyait là une reconversion qui lui permettrait de supporter l’intrusion de ce maudit tracteur dans son existence. Arrivé dans sa boutique, le bourrelier n’en crut pas ses yeux, le collier avait été orné de boucles dorées, agrémenté de passementeries et de divers éléments décoratifs qui en faisaient cette fois un objet luxueux. Qui donc avait bien pu agir ainsi dans la nuit ?


Qu’importe. L’artisan exposa le collier de parade. Il n’attendit pas longtemps pour recevoir une autre commande. L’imitation est le moteur de bien des actions humaines, il n’allait pas manquer de travail. Quant à la cliente, elle fut si satisfaite qu’elle paya d’un fort bon prix ce merveilleux collier rutilant. Ses invités seraient enchantés.


L’artisan se remit du mieux qu’il put au travail pour réaliser un beau collier. Il n’avait certes pas les moyens de reproduire à l’identique celui qui avait subi une étrange métamorphose mais il mit tout son cœur à faire au mieux, selon ses moyens. Une fois achevé, le collier était élégant certes mais n’avait pas la délicatesse du premier. Il alla se coucher, inquiet de ce que serait la réaction du client.


Au matin, une fois encore, le miracle avait eu lieu. Les modifications étaient différentes. Le mystérieux visiteur nocturne avait installé un miroir au centre de l’objet décoratif. Curieuse idée, il est vrai, qui ne serait jamais venu à l’esprit de ce brave sellier. Une fois encore, c’était le client qui déciderait tandis qu’il ne manquât pas d’exposer dans sa vitrine cette pièce unique.


Cette fois, deux commandes supplémentaires arrivèrent de suite tandis que le client, enchanté, déclara que ce miroir était justement ce qu’il comptait placer au centre du collier. L’artisan sourit et n’oublia pas d’avertir ses nouveaux clients qu’il s’accordait le droit d’apporter à chaque commande une innovation de son cru.


Ainsi fut fait. Le collier souvent se trouva flanqué dans la nuit d’un système électrique, le transformant en applique murale. L’autre fut transformé afin de recevoir en son cœur des photographies sur un tapis de velours. Le visiteur nocturne avait l’âme d’un décorateur même si pour notre bourrelier, tout n’était pas du meilleur goût. Qu’importe puisqu’à chaque fois, les clients étaient ravis tandis que le prix ne cessait de croître. L’inquiétude du lendemain s’estompait de commande en commande.


Pourtant, l’homme voulut comprendre ce mystère. Le collier suivant, une fois terminé, il ferma boutique et alla se coucher. Au milieu de la nuit, il revint sans faire de bruit pour savoir de quoi il en retournait. Il vit sur son établi des lutins qui maniaient l’alène, l’aiguille courbe, la scie et le marteau. Ils oeuvraient avec une rapidité incroyable et une dextérité sans pareille.


L’artisan s’en retourna sans trahir sa présence. Il était un homme simple, il ne se soucia pas de comprendre ce qu’il venait de découvrir et décida de jouir de cette miraculeuse collaboration tant que les petits êtres voulaient bien travailler pour lui. Les commandes affluèrent, les colliers de décoration se vendirent comme des petits pains, l’argent rentrait dans la caisse sans que l’artisan raisonnable ne s’enrichisse véritablement.


La foire à la louée arriva. Le bourrelier reçut son dû pour les travaux de l’année écoulée. L’homme avait un pressentiment. Le lendemain matin, les lutins travailleurs n’étaient pas venus. Le dernier collier resta à l’état et curieusement c’était là le souhait de son commanditaire. Le client demanda à celui qui jusqu’alors était bourrelier et sellier s’il acceptait de couvrir un fauteuil et de lui tapisser son intérieur.


L’artisan vit là l’occasion de se reconvertir. Il accepta de changer d’activité, laissant son matériel de bourrellerie pour devenir tapissier. Alors qu’il acceptait la nouvelle commande, il aperçut dans le reflet de sa vitrine les lutins qui lui firent un grand signe d’approbation. Ils s’étaient fait agents de reconversion, leur mission accomplie, ils pouvaient s’en aller aider une autre victime de la modernité.


Le nouveau tapissier découvrit combien il était agréable d’être payé à la réception de son travail. Décidément, les traditions anciennes ne sont pas toutes à conserver. Il y avait là, une pratique qu’il convenait d’oublier au plus vite. Il fit son travail du mieux qu’il put et ne revit jamais les merveilleux petits lutins. Il n’en avait pas besoin.



vendredi 24 février 2023

Donnez moi un promontoire

Promontoire

 






Donnez moi un promontoire

Pour combler mon auditoire

À moins que sur l'échafaud

Je recueille vos bravos


Un tonneau fera l'affaire

Perché sur une barrique

C'est là que je déblatère

Quelques aventures épiques


Je déclame sur l'estrade

Dans une école communale

De délicates ballades

Si loin d'un cours magistral


Il me suffira d'un perchoir

Pour ouvrir grandement mon bec

Narrant des histoires de Loire

Dans une bibliothèque


Montant dessus une table

Pour que cessent les agapes

Singeant le grand connétable

Me gausse de votre pape


Les deux pieds posés sur un pont

D'un bateau au bord arrimé

Je prendrai le large pour de bon

Sans quitter le long de ce quai


Plus rarement sur la scène

Je raconterai tout mon saoul

La Garonne ou bien la Seine

Pour une assemblée sans le sous


Une planche et deux tréteaux

Comme Jean Baptiste Poquelin

Un jardin et un cour d'eau

Pour y jouer les aigrefins


Perché sur le dos d'une mule

L'âne bâté épicurien

Fera de nombreux émules

Dans le doux pays des chiens


Mais sans connaître le succès

Pour le prix de mes sornettes

L'épilogue sur le bûcher

F'ra la joie des gens honnêtes


Donnez moi un échafaud

Pour combler votre auditoire

À moins que sur un promontoire

Je recueille vos bravos

 


 

jeudi 23 février 2023

Le cercle endeuillé des lecteurs distingués.

 

À Robert





C’était un petit cercle comme il en existe un peu partout dans le pays : un repère pour amoureux du livre et de la littérature. Ils se réunissaient pour partager ce bonheur d’un joli texte, l’offrir à haute voix à leurs comparses et compagnons. C’était un moment d’écoute et de silence, suivi d’un échange, toujours agréable, sur le passage sélectionné mais aussi sur la manière de restituer l’extrait choisi aux autres.


Il y avait d'abord Robert, le lecteur parfait. Une voix placée, pas une faute de lecture, une intonation qui en impose. Il déroule inlassablement son récit, met le ton, nous accorde quelques pauses par des silences judicieux et des regards rassurants. Il y a une parfaite technique chez ce lecteur, habitué depuis si longtemps à l’exercice. Il est devenu, au fil du temps, un équilibriste, certain de ne pas tomber, d’accrocher son auditoire et de l’entraîner dans ses pages avec jubilation. Il choisit des textes gourmands, l’homme devait l’être tout autant et me faisait souvent le cadeau de choisir l'un de mes billets.


Il y avait bien des manières de donner sa lecture. Il y avait celle-ci qui l’intériorisait totalement, qui la livrait d’un souffle, lentement, délicatement. Il fallait forcer l’oreille pour pénétrer dans cette intimité qui ne se donne pas aisément. Elle s’excusait presque de venir ainsi nous accorder quelques moments d’un plaisir le plus souvent solitaire. Elle ne s’attardait pas trop sur les remarques et les commentaires ; ça la gênait, elle voulait vite regagner sa place pour se fondre discrètement dans le groupe !


Il y avait celle qui joue sa lecture, parfois la surjoue. Actrice plus que lectrice, elle forçait le trait, nous donnait à voir et à entendre sa conception des personnages. Elle était impitoyable pour celui qu’elle condamnait, joyeuse et drôle pour ceux qu’elle mettait au premier plan. C’était un tourbillon, une lecture haletante, un moment qui ne pouvait laisser indifférent. On lui faisait remarquer son parti-pris ; elle ne s’en offusquait pas et acceptait immédiatement de nous livrer une nouvelle version du chapitre. C’est un autre texte qui se déroulait alors ; c’est tout autant du théâtre que de la lecture. Quelle énergie !


Il y avait une lectrice tout en douceur. Elle commençait sa lecture par quelques caresses ; les mots se succédaient lentement, une connivence s’établissait avant que nous entrions pleinement dans la situation. Ses textes étaient courts, émouvants, tendres. Elle se faisait gourmande, mutine, coquine. Le partage était alors une invitation à l’émotion, à l’admiration. Une musicalité parfaite accompagnait ce qui devenait une interprétation délicate. Le moment était rare, toujours goûté par tous.


Puis lui succédait la lectrice poétesse. Elle avait toujours sur elle des petits carnets sur lesquels elle a recopié d’une petite écriture soignée, des poèmes de nos grands auteurs. Elle les connaît par le cœur, les ressort souvent pour se les dire. Elle nous en livrait un avec ce mélange de dévotion et d’exaltation qui nous collait sur place. Nous étions fascinés ; nous redevenions des écoliers qui avaient l’immense privilège d’avoir adorable maîtresse passionnée de poésie.



Mais non, cette fois, elle n’a pas sorti un de ses carnets... Elle s’est cachée, nous a dissimulé l’objet qu’elle veut nous offrir. Elle fait sa lecture derrière un paravent pour lui donner plus de force, plus de mystère. Dès le premier mot, mon cœur fit des bonds. La vieille lectrice classique, l'amoureuse de Hugo et de Verlaine, avait choisi un de mes contes. Je ne savais plus où me mettre.


Elle le laissa couler, lui octroya cette délicatesse que j’avais voulu lui donner. C’est un texte né d’une collaboration avec un enfant particulièrement bègue. Je revois les séances consacrées à sa composition. La vieille dame avait le pouvoir d’abolir le temps : elle m’a transporté dans cette petite salle de classe, désertée par les autres élèves. J'étais avec mon petit prince, ce garçon magique qui ne parvenait pas à parler. Les autres écoutent, ils ne pouvaient comprendre mon trouble. Ils se contentaient d’être emportés par ce récit si simple, si naïf qu’il fallait la douce bienveillance de notre poétesse pour l'interpréter ainsi. Un ange venait de passer.


Puis une ancienne bibliothécaire prit la parole. Elle susurrait, elle récitait presque. Elle avait ce don unique d’avoir une voix, un timbre si particulier, mutin, enfantin, piquant par moment, un timbre qui à lui seul est un enchantement. Nous nous laissions bercer par sa lecture comme durent le faire les enfants qu’elle recevait dans sa bibliothèque. Qu’importe si elle se montre un peu rigide, si elle manque de souffle parfois ; la grâce est dans sa voix, ce miracle qui ne s’explique pas, qui se constate tout simplement. Voilà une lectrice idéale pour les contes pour enfants !


Le cercle se referme puisque Robert a pris le chemin du paradis des lecteurs. Sa voix résonnera longtemps encore tout autant que nous nous garderons en mémoire sa gourmandise des mots qu'il savait se mettre en bouche avec délicatesse, prévenance, bienveillance. Je ne sais qu'elles seront les lectures qui seront dites lors de son dernier tour de piste, j'ose espérer qu'elle seront à la hauteur de ce merveilleux lettré.


Les écrits cette fois s'envolent, une voix manquera désormais pour qu'ils vibrent dans nos cœurs par le truchement de Robert. Sa voix chaleureuse alors se fera évanescente à jamais...


 


mercredi 22 février 2023

Lire à haute-voix

 

Lecture à haute-voix




Ô qu'il est loin le temps du Bé A Ba

Lorsque nous ânonnions à chaque mot

Le déchiffrage prenant alors le pas

Sur la compréhension à fleur de peau 

 



La fierté nous donnait rendez-vous

Avec l'étape ultérieure

Quand, sans hésitation, d'un seul coup

Toute la phrase surgissait par bonheur 

 



Alors, le maître impitoyablement

Reprochait les fautes de liaison

Nous recommencions patiemment

En signalant ces pièges d'un pont

 



Survenait ensuite la ponctuation

Notre empressement trop souvent fautif

Empêchant de prendre respiration

Nous demeurions approximatifs

 



L'intonation réclamait son tour

Nous devenions alors des acteurs

Déclamant en de curieux détours

Pour rendre les intentions de l'auteur

 



Fortes de ces vocalises, nos voix

Nous distrayaient au fil du chemin

Nous égarant loin de la bonne voie

Nous en perdions le sens, c'est pas malin 

 



Il fallut bien des années de labeur

Pour apprivoiser cet art délicat

Qui restitue la magie de l'auteur

Grâce à la lecture à haute-voix

 



Lorsqu'enfin nous touchions au but

Nous gardâmes en notre fort intérieur

Tous ces sons dans notre seul occiput

Par crainte des moqueries extérieures 

 



La lecture se tut, silencieuse

Pour le seul plaisir de son usager

Oubliant alors que : partageuse,

Elle enchanterait toute l'assemblée !

 



Enfin, osant rompre le silence,

Pour enchanter tout un auditoire

Nous déclamons devant l'assistance

Ce qui jadis, naquit d'un écritoire

 

 


mardi 21 février 2023

Divagation poétique

 

Au creux de la vague





Une vague coulait des jours heureux

Le long d'une plage charmante

Tout en écumant à qui mieux mieux

 



Seul désagrément de la chose

Toutes vos crèmes accablantes

Favorisent bien ses nécroses

 



Plongée dans ses macérations

Le relief d'une plage en pente

Mit en danger son hydratation

 



Soudain, elle bascula dans un creux !

Quand elle voulut remonter la pente

Les forces lui manquèrent quelque peu ...

 



Songea alors à prendre du repos

Le long de cette côte charmante

Réputée pour ses énormes rouleaux



Quand soudain elle vit un grain de sable

Au cœur de cette grève accueillante

Elle se sentit alors trop friable

 



Ne pouvant réaliser son désir

Le ressac lui fit prendre la tangente

Se refusant à lui faire plaisir



Depuis lors, cette vague écume

Dans la brise ou bien la tourmente

Tout en ressassant son amertume



Il est bien plus simple de s'éclater

En une splendide déferlante

Que sur le sable, se laisser rouler



Dans l'Océan point de vague à l'âme

Pour celle que s'imaginait dolente

Ne lui reste plus qu'à verser des lames


 

lundi 20 février 2023

Le Rugby expliqué aux béotiens

 

Rugby

 

Qui de l'œuf ou de la cocotte

Enfanta un jour une tortue ?

Ils furent huit dans la cohorte

Unifiant leurs forces en vertu

 



L'éteuf ainsi prestement pondu

S'offrit un demi sous la pression

Un pilier de bar a confondu

La poussée à la pénétration

 


Un ouvreur éclaira les débats

D'une lumineuse chandelle

Quand sa réception échoua

Dans les deux bras d'une gazelle

 



Prenant ses guiboles à son cou

Ainsi qu'une flèche se planta

Le nez dans le gazon, mauvais coup

Qu'une p'tite cuillère lui infligea

 



Le ballon resta sur le terrain

Bien qu'il ait une drôle de touche

Tout en changeant aussitôt de main

Pour se mettre un bouchon en bouche

 



Un verre à pied sur les talons

Le centre avait un coup dans l'aile

Par la faute d'un œuf de pigeon

Issu d'un vilaine querelle

 



Pour ménager ses arrières

Le porteur rejoignit les avants

Faisant de leur corps barrière

Afin d'écarter leurs poursuivants


 

En une collective poussée

Pointèrent en terre promise

Ils s'aplatirent tous emmêlés

Devant une chambrée conquise

 



Quand un étrange échassier

Se mit alors à creuser un trou

Prenant la forme d'un coquetier

Afin d'y faire tenir son joujou

 



D'un formidable coup de chausson

Envoya le ballon tout là-haut

Sous les perches sans nulle façon,

Deux lascars agitaient des drapeaux


 



S'en retournant au milieu du pré

Le référentiel rebondissant

En un fort aérien coup de pied

Redevint l'enjeu des combattants

 


Tableaux de Jean-Luc LOPEZ
 



Des mots qui chantent

  Un livret qui chante … Si vous tendez l'oreille En parcourant ses pages Il n'aura pas son pareil Pour sortir ...