jeudi 31 août 2023

Après des années d'enfer

 

Après des années d'enfer




Après des années d'enfer

Combattant pour notre roi

Sur les vaisseaux de guerre

Ces détestables anglois

Reviens sur ma rivière

Retourne à mon bateau

Exaucée est ma prière

J’offrirai un ex-voto


Point n'avons besoin de gloire

Laissez nous aller en paix

Vos rêves de victoires

Pour nos vies n'ont pas respect

Vos rêves de victoires

Nous promettent d'autres gibets

Point n'avons besoin de gloire

Laissez nous aller en paix


Au nom de la liberté

De pauvres gars innocents

Me fallut les trucider

Les jetant dans l'Océan

Lors de ce combat naval

J'ai perçu la vacuité

Des ordres de l'amiral

Pour cette guerre sans pitié


Revenu au village

Je maudis le souverain

La haine pour bagage

Contre ces nobles marins

Pour ceux-là nous n'étions

Les malheureux enrôlés

De la chair à leurs canons

Pour servir la royauté


Vint la révolution

J'ai porté notre parole

Contre la conscription

De tous ceux qu'on enrôle

Mes propos tombèrent à l'eau

Pour de nouveaux combats

La mort réclamait son lot

De ceux qu'elle nommait soldats


Après des années de guerre

Pour notr' République

J'ai connu d'nouveaux enfers

D'autres destins tragiques

Puis survint l'Empire

Pour la gloire de la patrie

D'un tyran qui aspire

Au sacrifice de nos vies

•••

Retrouvez nous sur la Grand Remontée




 

 

 

mercredi 30 août 2023

La course des nayons du pays

 

A la manière de Gaston Couté






« C'dimanche là, jour pour s'enfeignater, je m'avons pourtant déyeucher dès le chant du coq ! J''avions cassé la croûte de boumn heur , pouill'é ma biaude et quéri moun couémiau et mon palquiot, j'afisltole en dimanche. Point d'affutiaux s'l''dos pour journée de fête ! Dès l'ver du jour, j'm'étons mis en route ! J'm'en allons, pauv' mariniers de Loire, me distraire un brin, à la foire à la louée.


Tout c'monde du bourg et d'alentours se pressera comme à confesse pour s'encanailler au bord du grand fleuve royal, not'Loire parfois si brutale, était en ces biaux jours de Saint Jean, gentille comme une charlusette ! Grande et belle assemblée qu'voil'à, nous autes, les gens de peu on va Gouépailler et s'abasoudir pour not'seul contentement ! An huit, c'est le grand concours' des nayons du pays : des vieilles plates, des barquasses ben usées par les ans et les fâcheries du fleuve.


Tantôt les gars d' not bourg ligérien , j'en suis certain, vont régler leu' compte à ceusses de la gran'ville et à qulques feremiers de biauce qui vont s'enseayer à ramer ! Tout l'monde est ben gaitiau au futur spectacle des rames qui vont s'cabosser, des corps qui s'culbuteront des caberioles de tout' ceusses qui vont se ramasser dans l'eiau . Nous les gars du fleuve, on s'ra ben benaise, on va s'berlancer sur la rive tandis d'aut' vont biger nos garnazelles !


On s'retrouve là pour s'encanailler sur' l'dos des culterreux, les mangeux de terre aux gros sabiots de bois et ces malembouchés d' bourseoisiaux d'la ville En attendant, y'a un p'tit vent ben frisquet sur not' berge et qu'à s'accoter sur la levée on pourrait ben attraper la mort avnt qu'not' heur ait sonnée.


Alors on s'presse pour se mett'e dans le gosiers queques godets de vin : une bonne saoulée de no't goutteux Baccou ça vous r'met d'aplomb un houmm' qui va passer l'après midi dehor'. Le breuvage vous réchauffe les boyaux du vent'e et délie itou les langues. Y'a à c't'heure ben plus de boniments sans queue ni raison que d'propos sensés, mais en c'repos festif, on a ben l'drouet de se laisser aller. Y'a même Mounsieur l'Maire qui vient s'en bagosser un brin avec nous aut', preuv'qu'il était pas fierot not' jollet !


De bons p'tits gars font leur arrivée sur le fleuve à grands coups de rame, on abandonne à r'gret not' bordée de barique et on s'agglutine le long du quai. On s'demande ben pourquoi ces pe'tios soufflent comme de beufs, qu'ils su', qu'ils geingnent, qu'ils quintent pour gangner l'bout de gâtiaux qui récpmpensera les vainqueurs d'an 'huit. Un malfaisants s'est entr'aponté avec l'équipage d'à côté, ça fait grand chahut de bois qui s'entrechoque. Les barquasse s'en vont à Hue ou à Dia au gré du vent et du courant . À la grosse vague du pont, nos ouésieaux brancillent, tersautent un grand coup avant qu'd'chavirer itou le bec dans l'iau. Pas si tôt sur la berge que l' plu ingarmenté de la bande insole à plaisir le berlaud d'en face. Dans l'iau y'en a encore qui s'berdille, l'a pas l'air de savoir nager. C'est avec un grand aveniau qu'il faut le hisser sur la berge pour l'tirer de ce mauvais pas ...


 


D'autres, s'emanche sous le pont, quand la Loir' s'enfâche et fait gros bouillon et belle écume. Y'a p'us moyen de les reconnaître Y sont pareillemnt trempés l' tête aux pieds. Faut dire qu'elle est bien mouiollante not' tbelle fille Liger ! Depuis d'début de leur vadrouill', z'on pris des siaux d'iau sur le coin d'leur nez. Z'ont même pris sur l'dessus leur tête, une grosse secouée rien que pour eux, ceusse qu'étaient sur le fleuve. C'est ben l'charme de ce fleuve de vous virer le temps qui fait, de faire la pluie comme le joli temps et de ne jamais être partageux pour les eaux du ciel.


Mais rentournons-nous à la course de nos bateaux. V'las ti pas que deux barques s'accotent et nos péquits s'lancent des coups de boxe et l'moins malin s'retrouv' le cul par dessus bord. En v'la des aubourgs qui nous font ben rire, nous qui avons les pieds ben au sec. À la fin partie, c'est un gars d'chez-nous qui passe tout fierot la marque d'arrivée.


Nous les aime-bouillons, étions tous gaïtieaux et forts content du triomphe du plus ficelle alentour. Et tertous, l'pésan coumme el'riche, l'amrinier tout coumme l'pauv' pésan, on s'met à beugler à plein poumons pour l'encourager. C'est ti drôle ce tas d'gens qui braill'nt coumm' des vieaux sur les bords d'l'ieau !


La cours' terminé, nous vl'a ben embernés ! Nous aut ' nous n'avons eu de cesse d embistrouillés les petiots gars qui bagaraient sur la Loire. Maintenant qui sont à quais, alors nous reste qu'à clabauder, nous les geigneux du canton, sur cesse qui sont pas à portée d'zoreilles !


Tout ça va finir au Commerce autour d'la Manille et des billards pour toute la pratique du dame Madeleine Elle nous abreuve d'une armée de bocks que toute la troupe alave à p'tites lampées et de grandes lichées de vin du pays.


Sur les quais, y'sont plantés un parquet pour la guinche. Qu'ils ont l'air heureurs nos piquit's. Regardez les gueuler et danser la gigue avec leurs belles ! Faire du chahut jusqu'à la nuit ! Et don', coumm'ça, bras-d'ssus, bras-d'ssous, l's vont gueulant des cochonn'ries. Pus c'est cochon et pus i's rient, et pus i's vont pus i's sont saoûls.


Ah ! la bell' jeuness' ! Les uns ont des mœurs a fair' reverdir la muse à Coppée. avant qu'd'aller s'coucher quand il est onze heures à la nuit. Les autr's à la fin' vadrouill' y sont ti pas saoul' à renifler dans un chalumeau " C'est à c't'heure qu'ils s'en vont chez eux'autres et nou' itou.


Ah ! mes bonn's gens ! J'ai ben grand'peine d'm'en retourner à ma demeure !

Demain j'reprends les jours de peine et j'oublierai ben vite c'dimanche, jour de fête Y' a grand ouvrage sur la Loire et n' faudra pas pâter en chemin pour rattraper le temps perdu à ses amuseries du dimanche.



 



mardi 29 août 2023

Le prévôt des marchands et le mendiant …

L'un ne va pas sans l'autre.






Il était une fois une ville bourgeoise riche et prospère. Elle fondait sa richesse sur le commerce au travers d'une marine de Loire qui transportait presque toutes les marchandises du royaume. En cette ville, était le prévôt des marchands, personnage puissant et opulent. Il tenait l'Argenterie, cette grande institution qui, sous l'impulsion de Charles VII et Jacques Cœur, était devenue le supermarché des produits de luxe pour les grands du pays.

Notre prévôt possédait une telle fortune qu'il pouvait prétendre rivaliser avec son illustre prédécesseur. Il faisait métier du commerce et de l'usure, cette position lui donnant un pouvoir considérable sur tous ceux qui étaient ses débiteurs. C'est ainsi que bien vite, il s'arrogea sur la ville des droits dignes d'un seigneur, se permettant d'établir décrets et taxes.

Le Prévôt s'ennuyait cependant. La richesse finit par lasser quand elle offre tout ce qu'on désire et même ce à quoi on ne songeait même pas mais que d'autres, par flagornerie, esprit courtisan ou intérêt, viennent vous proposer. Il avait ouï dire que, dans sa ville, vivait un mendiant, homme de peu qui était connu de tous pour sa bonne humeur et sa joie de vivre.

C'était un sujet d'interrogation pour notre prévôt. Comment pouvait-il être heureux, cet homme qui ne possédait rien ou si peu ? Il voulut s'enquérir du secret de ce personnage qui, chose insupportable, semblait plus respecté que lui dans sa propre cité. Il décida un soir de se grimer en vagabond et d'aller voir de ses yeux ce qui rendait heureux ce pauvre homme.

Le prévôt frappa à la porte de la masure du mendiant : une cabane de planches disjointes, installée sur les quais, à la merci des fantaisies de la Loire et du vent. Le mendiant s'était préparé un brouet : une soupe épaisse pour unique repas. Accueilli comme un roi, le faux vagabond se vit offrir de partager le repas du mendiant.

Le prévôt n'en revenait pas, lui si prompt à faire donner du bâton aux quémandeurs qui ne manquaient pas de se presser devant sa demeure. Il partagea ce repas et s'enquit de l'origine de ce plat. Diogène, le mendiant comprit la préoccupation du vagabond et lui avoua que c'était le salaire de sa journée de labeur : il avait proposé ses services à un pêcheur de Loire dont, toute la journée, il démêla ses filets.

Le lendemain, le prévôt qui avait retrouvé sa tenue et son statut, édicta un décret interdisant aux pêcheurs de sa ville d'employer des hommes de peine à la journée. Il leur fallait désormais trouver compagnons ou se débrouiller seul. Ce mauvais homme, se disait qu'ainsi le mendiant serait moins heureux.

Il voulut s'en rendre compte quelques jours plus tard. Vêtu des mêmes loques, il se présenta à la cabane. Cette fois, c'était le fumet d'un bon ragoût qui embaumait la modeste demeure. Diogène offrit une nouvelle fois le partage de sa pitance à ce visiteur à la triste mine et, une fois encore, il dut lui expliquer comment il avait gagné de quoi casser la croûte.

Au matin, il avait rendu visite aux mariniers. Sur le quai, des calfats, gens de peine qui enduisent de goudron la coque du navire, avaient besoin d'un assistant pour passer la journée à chauffer cette affreuse mélasse, sans cesser de la tourner. Il avait fait ce travail repoussant et avait bien mérité son ragoût.

Le lendemain, le prévôt à nouveau édictait une règle interdisant à qui n'était pas calfat de venir travailler sur le pierré sous prétexte que les corporations devaient rester figées. L'homme puissant voulait abattre le simple, celui qui se contentait de si peu et qui pourtant lui disputait la renommée et le respect dans sa propre ville.

Quelques jours passèrent ; à nouveau le prévôt se grima pour se rendre compte des conséquences de ses décisions sur cet homme dont le bonheur lui semblait intolérable. Diogène, ce mendiant bien nommé car chaque jour il quémandait un travail nouveau à qui voulait bien lui offrir sa pitance vespérale, reçut avec un curieux sourire son visiteur du soir.

Une fois encore, il partagea le fruit du travail du jour. Il avait aidé au déchargement des tonneaux d'un train de bateaux qui venait d'Orléans. Mais le mendiant qui n'était pas dupe, ne s'arrêta pas en si bon chemin dans ses explications. Il fit la longue liste de tous les travaux qui pouvaient, au fil des saisons, lui procurer chaque soir de quoi manger.

Le prévôt, se rendant compte qu'il était démasqué, coupa court à cette longue énumération des petits travaux dédaignés par tous et qui ne rebutaient pas le mendiant jovial. Il demanda à son hôte les raisons de cette litanie sans fin. Diogène lui dit alors : « Monsieur le Prévôt, j'ai dévoilé vos manigances. Vous voulez savoir comment peuvent survivre ceux que la providence n'a pas dotés d'un métier ou bien d'une fortune, d'une bonne naissance et d'une position sociale. Vous voulez sans doute extirper la pauvreté de votre cité car vous considérez qu'elle fait tache à votre richesse !

Rassurez-vous, vous êtes un précurseur : dans l'avenir, beaucoup des vôtres voudront chasser les miséreux des grandes villes. Ne plus voir les pauvres sera leur idée fixe. Comme si la misère était contagieuse ! Ne vous y trompez pas : la présence des humbles et des démunis est la seule qui puisse vous donner l'illusion de votre puissance. Sans nous, une cité de riches deviendrait bien vite une jungle aseptisée, un espace inhumain et impitoyable.

Laissez-nous survivre dans votre ombre et vous aurez au moins le bonheur de vous sentir supérieurs. C'est ce que vous avez à retenir de cette expérience et il ne sert à rien de vouloir m'effacer. Rappelez-vous : c'est ma présence qui justifie votre puissance. Quant à moi, je suis heureux de ne pas subir les tourments qui vous rongent et jamais l'argent ne me servira de substitut au bonheur ! »

Le prévôt rentra dans sa demeure et fit chaque jour porter un repas à ce Diogène qui lui avait appris à ouvrir les yeux ; cette leçon en effet valait bien un plat chaud. Et puis, en cette bonne ville de Tours, Saint Martin avait montré la voie du partage.

A notre époque encore, bien des puissants ne supportent pas le spectacle de la misère autour d'eux, misère qu'ils aggravent encore chaque jour pour satisfaire leur appétit de richesse au détriment de tous les autres. Qu'ils imitent le prévôt des marchands et se donnent la peine de rendre visite aux exclus de leur si belle société et qu'ils donnent la moitié de leur manteau à ceux qui ont froid ! Je connais ici des notables à qui cette recommandation serait salutaire pour la sauvegarde de leur âme.


 



lundi 28 août 2023

La pêche miraculeuse.

La corde à dénouer le temps






Il était une fois une famille de pêcheurs de Loire qui avait été frappée, comme tant d’autres en cette époque lointaine par le terrible destin qui guettait les gens de Loire. Un jour de vent violent, le père était parti sur la rivière pour n’en revenir jamais. Des mariniers avaient retrouvé son bateau, ses filets mais du bonhomme, jamais on ne revit trace.


Dans la petite maison, face à la rivière, la vie était devenue plus morose. La femme du disparu avait repris le collier quand elle le pouvait, quand elle n’avait pas trop à faire dans sa maison. Le père de son mari, courbé par le poids des ans, la suppléait quand le temps était propice, il avait trop de rhumatismes pour affronter les flots par mauvais temps.


Quand le ciel était lourd de menaces, que le vent n’était pas annonciateur à de bonnes pêches, c’est Berlaudiot, le gamin pas tout à fait comme les autres, qui héritait de ce qui devenait alors une corvée avec peu de chance de réussite. Cet enfant était né après le drame, il avait sans doute perdu une partie de la raison quand sa mère avait repris le malheur qui la frappait. Les coups du sort ne sont jamais uniques dans pareille circonstance !


Berlaudiot était pourtant d’humeur toujours égale. Il avait appris la Loire, le monde des poissons, il eut été un excellent pêcheur si on l'avait laissé faire dans de bonnes conditions. Hélas, parce qu’il ne se rebellait jamais, qu’il souriait toujours, il héritait des corvées les plus ingrates et n’allait sur l’eau que par mauvais temps. Lui, gentil, ne s’en formalisait pas !


Ce jour-là, il faisait grand beau. Le Grand-père était parti avec un panier rempli de victuailles. Il passerait la journée au carrelet pour une pêche qui s’annonçait fructueuse. Sa belle-fille lui avait été généreuse, préparant une merveilleuse tarte aux pommes qu’il accompagnerait d’une belle rasade d’arquebuse. Tout pour oublier ses douleurs…


Alors qu’il allait reprendre une portion de tarte, un vagabond passa sur la berge. L’homme était épuisé, famélique, avait une voix caverneuse qui n’augurait rien de bon. Il bouta son grand chapeau de paille qui le faisait ressembler à un épouvantail. Poliment, le trimard réclama de quoi manger un peu. Le vieux lui répondit qu’il avait tout juste assez pour lui, le vagabond se remit en chemin, le ventre vide.


Curieusement, dans l’après-midi, le vieux releva à chaque fois un carrelet désespérément vide. La légère brise d’ouest et la rivière qui n’avait pas connu de variation de hauteur ne justifiait en rien cette mauvaise pêche. Qu’importe, le vieux étant particulièrement repu, il s’accorda une grosse sieste pour oublier sa déveine.


Le lendemain, le vent avait cette fois apporté une pluie fine et pénétrante. C’est la mère qui partit sur le bateau, elle aussi avec de quoi bien se substanter à la midi. Les conditions en dehors de ce petit aquadiau, étaient propices à une belle friture. Elle avait d’ailleurs connu une matinée pleinement satisfaisante quand elle se restaura. La scène de la veille se reproduisit en tout point similaire à la précédente.


Le vagabond arriva à sa hauteur, se découvrit et fit grande révérence avant que de réclamer pitance pour apaiser une faim de loup. La femme, indifférente à son allure, non seulement lui refusa tout net le moindre morceau de pain tout en le pria de déguerpir sinon elle appellerait au secours. Le pauvre hère s’en alla sans demander son reste.


L’après-midi fut calamiteuse. La femme non seulement ne prit rien de mieux mais qui plus est, elle renversa le baquet qui contenait ses prises du matin. Elle perdit presque tout le fruit de sa journée sur l’eau et rentra de fort mauvaise humeur. La Loire annonçait des signes de montée des eaux, demain elle enverrait Berlaudiot sur les flots.

Naturellement ce fut une journée tempêtueuse. Le vent s’était fait grand clapot, l’eau montait et la pêche risquait d’être fort mauvaise. La journée idoine pour ce pauvre idiot se dirent son grand-père et sa mère. Quant à lui, toujours heureux de son sort, il n’était pas mécontent d’échapper aux corvées domestiques. Il partit donc en sifflotant avec un pauvre quignon de pain dans sa musette.


Le matin ne fut pas fructueux. Le gentil imbécile était bredouille. Ce n’est pas une raison pour l’empêcher de chanter à tue-tête ce qui l'empêcha de voir arriver un vieux mendiant à l’allure peu engageante. L’homme l’interpela d’un coup de sifflet strident pour se faire remarquer. En dépit de cette manière peu cavalière, Berlaudiot lui demanda ce qu’il pouvait faire pour lui être agréable.


Une fois encore, le chemineux réclama de quoi manger. L’enfant partagea son pauvre quignon de pain et le lui lança sur la rive. L’homme le remercia, le dévora avec avidité puis, reprenant son chemin il lui dit : « Que ta pêche te récompense de ta générosité ! » Il s’en alla sans même se retourner.


Le pêcheur se gratta la tête, signe chez lui, d’une profonde réflexion. Puis, renonçant à comprendre, il se remit à l’ouvrage. En dépit de la promesse du bonhomme, les conditions étaient bien trop mauvaises pour prendre quoi que ce soit. La nuit allait tomber quand il se résolut à revenir chez lui, la casier vide, certain de se faire tancer.


Il remonta la chaîne pour décrocher l’ancre. C’était particulièrement lourd. Il parvint enfin à dégager la verge qui allait lui permettre de sortir totalement les deux pelles de son mouillage. C’est alors qu’il remarqua accrochée à l’une de ses deux oreilles, une chaîne brillante, prise par un maillon. Il dégagea cette étrange épave ; une vieille corde de chanvre avec un gros nœud en son milieu.


Ce n’était à la vérité rien qui vaille. N’importe qui aurait jeté cette curieuse trouvaille, pas notre ami Berlaudiot. Quand il rentra à la maison, naturellement il essuya une volée de bois vert. Non seulement il n’avait rien pris, ce qui n’étonnait ni son grand-père ni sa mère mais qui plus est il rapportait un trophée sans valeur qui dans son esprit dérangé était un trésor.


Ils le laissèrent à ses illusions. Le grand-père, malicieusement lui dit : « Mon gamin, tu n’as qu’à dénouer ta corde, ça te passera le temps, ce qui t’évitera de faire des âneries ! » Le gamin n’attendait que cette demande pour s’isoler et tenter de défaire ce que l’eau et le temps avaient si solidement noué.


À force de patience et de persévérance, il arriva à son but. Le nœud sitôt défait, il vit apparaître devant lui le mendiant à qui il avait donné un morceau de son pain. L’homme lui sourit, retrouva en quelques instants apparence plus humaine avant que de prendre la parole : « Je suis ton père mon enfant, j’ai subi un terrible maléfice qui me condamna à errer en bord de Loire jusqu’à ce que se défasse ce nœud, sortilège d’une mauvaise fée de la rivière ! »


L’enfant eut un tel choc qu’il perdit connaissance. Quand il se réveilla il avait retrouvé ses esprits, ceux qui lui faisaient défaut depuis le jour de sa naissance. Il se trouva alors entre son père et sa mère tandis que son grand-père en larmes, priait le ciel pour le remercier de ce miracle. Le ciel du reste n’y était pour rien, Berlaudiot ne le devait qu’à lui seul qui avait su se montrer généreux.


La corde à dénouer le temps existe peut-être, enfouie encore au fond d’une rivière ou bien dans des cœurs arides. C’est à vous de la dénouer pour retrouver un peu de joie et de bonne humeur. C’est ainsi que le simplet qui ne l’était plus, vécut heureux, conservant toujours cette joie de vivre qui avait été toujours la sienne, entouré de parents qui se réjouirent de le marier avec une gentille fille de son pays. Il vécut heureux et devint cordier, quittant sans déplaisir le métier de son père, revenu à la maison. Il fit les belles épissures et jamais au grand jamais, de nœuds.


Matelotagement sien. 


 

dimanche 27 août 2023

Il faut savoir se mouiller ...

 

Renversement de situation.




Il était une fois deux chemineux, deux traîne-la-misère qui allaient sur les chemins de l’errance à la recherche d’un larcin, d’un mauvais coup ou bien de quelques bonnes occasions de se remplir la bourse ou bien la panse sans trop se fatiguer. Il n’étaient ni très méchants ni très gourmands, se contentant de menus forfaits pourvu qu’ils puissent ainsi profiter d’une vie oisive et contemplative.


Ne leur jetons pas la pierre d’autant que ces deux-là avaient fait le choix de rester en bord de Loire, par opportunité sans doute puisque grande alors était l’activité commerciale sur la rivière tout autant que les occasions de chaparder ou bien de jouer vilain tour à des ligériens de bonnes conditions. Ils vivaient d’expédients certes mais dans le plus beau décor qui soit tout en ne jetant leur dévolu que sur des marchands, des touristes aisés, des seigneurs.


Le premier, Gustave était petit et vif, brun de visage, il avait des yeux inquiets et perçants, des traits nettement marqués par la vie au grand air. Ses mains potelées et fortes, précédaient des bras minces non dépourvus d’une force importante. Son nez aquilin et osseux lui conférait une allure mystérieuse. De lui émanait à la fois roublardise et intelligence, rouerie et ruse.


Léonard quant à lui, son compagnon souffre-douleur était un doux colosse innocent aux mains gigantesques, véritables battoirs, lourdes de menaces. Personnage gigantesque aux larges épaules tombantes. Sur son visage informe, on remarquait surtout ses grands yeux pâles qui semblaient ne rien comprendre du monde qui l’entoure. Il est vrai que la nature avait fait de lui un simple, un gentil attardé avec esprit d'enfant. Doux comme un agneau en dépit de sa force impressionnante, il obéissait aveuglement à son compagnon.


Ces deux-là avaient parfois maille à partir avec la maréchaussée. À chaque fois Gustave s’arrangeait pour que Léonard fut le dindon de la farce. Si la chose peut sembler inélégante de sa part, le rusé avait rapidement compris que son compagnon suscitait souvent la pitié et la mansuétude. Une nuit au poste, une bonne rodomontade et le simplet était relâché sans autre forme de procès.


Cependant, les événements pour eux prenaient une tournure qui déplaisait fortement au plus malin des deux. Leur manège avait été repéré, les mariniers se méfiaient désormais de ces deux-là qu’ils appelaient les Rats des champs. Leurs chapardages avaient fini par excéder les marchands. Depuis quelque temps, les commanditaires imputaient les vols à la responsabilité de l’équipage en retirant de leur solde, le montant du chapardage.


Gustave s’interrogeait. Devait-il continuer à faire équipe avec ce pauvre Léonard qui passait si peu inaperçu que désormais, il contribuait à les montrer du doigt quand ils apparaissaient dans un port ? Il fallait changer de stratégie. Gustave se dit qu’il devait exploiter la naïveté de son compagnon à son seul profit, quitte à mettre dans la panade le berlaudiot.


Ce jour-là, le plus malin avait remarqué un chargement de tonneaux vides ayant quelques années de bouteille, destinés sans nul doute à remonter sur Orléans afin de servir au transport du vinaigre. Le chaland qui allait charger cette marchandise sans grande valeur avait à son bord des produits qui attiraient la convoitise du malin. Il convainquit Léonard de se glisser dans une barrique et de n’en sortir qu’à la nuit venue afin de dérober tout ce qui avait de la valeur sur le bateau.


Le doux géant se glissa avec grand peine dans sa cachette. Les effluves de vieux vin étaient aussi désagréables qu’inconfortable l'exiguïté de ce tonneau qui tout comme son passager n’était pas un foudre. Le malheureux bredin fut roulé, chahuté, secoué pour que son odorante cachette se retrouve à bord. Il eut dans son tourment la chance de ne pas être posé à l’envers. À la nuit venue, il put enfin sortir de ce cachot odieux. La tête lui tournait, il chancela, tituba et tomba dans la Loire sans rien avoir dérobé …


Sur la rive, Gustave l’attendait et fut fort mécontent du fiasco d’une entreprise pourtant fort bien imaginée. Il battit comme plâtre le pauvre colosse, déjà trempé et maintenant roué de coups. Léonard ne riposta pas tant l'emprise de son camarade était forte sur lui. Tout penaud, il lui demanda même pardon, proposant de recommencer sans tarder si son ami trouvait une nouvelle idée.


Gustave, jamais à court d’inventions pourvu qu’elles ne le mettent pas en péril proposa dans l’instant une autre solution. En fin stratège qu’il était, la mission périlleuse était confiée à un comparse, en l'occurrence, le gentil géant. Il le pria de se tapir au fond d’une « allège », sous une voile secours destinée au grand chaland à laquelle cette petite embarcation était accrochée. Là encore, il lui faudrait attendre le début de la nuit, quand l’équipage irait se restaurer dans une taverne pour monter à bord et voler ce qui avait de la valeur.


Léonard obtempéra sans même un regard critique sur la proposition. Il passa alors une nouvelle journée d’inconfort, engourdi car dans l’impossibilité de bouger. Il dut même, à sa grande honte, mouiller ses braies, faute de pouvoir pointer le bout de son nez sur la rivière. Il commençait à s’interroger sur son compagnon, bien tranquille sur le chemin de halage à suivre la progression du Chaland.


À proximité du pont de Blois, le courant étant violent en cet endroit et le vent pas suffisant pour franchir l’obstacle à la volée, un marinier tira le bout qui reliait l’Allège afin de monter à son bord pour envoyer une corde aux « gobeux » du bout du pont. Ces hommes allaient à la force de leurs bras puissants, tirer la corde pour permettre le franchissement de cette chaussée.


Il surprit le malheureux clandestin, profondément endormi. Sans ménagement, il réveilla Léonard, qui abruti de sommeil, se laissa prendre par la peau du cou et jeter à l’eau sans ménagement. Une fois encore l’aventure se terminait dans les flots et ce coup-là en un endroit où le courant était particulièrement violent. Le malheureux eut beaucoup de peine à regagner la rive, là où, ulcéré, l’attendait celui qui se prétendait son ami.


Durant deux jours, les deux compagnons se firent la tête. Ils suivaient la progression de ce bateau sur lequel il espéraient faire main basse. Le vent contrariait sa progression, le Chaland n’était qu’en vue du port de Beaugency quand Gustave proposa une nouvelle combine pour parvenir à leurs fins. Léonard bougonna, il devinait qu’il serait encore mis à contribution par celui qui avait véritablement l’étoffe d’un chef. Tout imbécile qu’il pouvait être, il avait néanmoins un bon jugement.


Cette fois, le beau parleur et homme d’excellent conseil lui suggéra de se faire passer pour un porte-faix sur le port et de monter à bord avec un objet encombrant sur l’épaule, puis de se cacher jusqu’à la nuit, par exemple dans le tas de grains de blé qui se trouvait sur l’arrière du bateau. Quoique dubitatif, le gros costaud se laissa faire. Sur le quai il y avait là une malle très lourde qu’un premier marinier n’avait pu hisser sur son dos, Léonard en profita pour lui proposer de le suppléer et monta ainsi à bord.


Sur le Chaland, le matelot qui deux jours auparavant l’avait jeté à l’eau, reconnut sans peine le colosse. Il était même impressionné par sa force. Il en toucha deux mots au Capitaine, qui en homme avisé, trouva bien vite le parti qu’il y avait à embaucher un tel personnage. Il suffisait de savoir pourquoi il avait agi de la sorte auparavant.


Léonard fut interrogé par le Capitaine dans le secret de la cabane. Sur le quai Gustave n’en vit rien. Ayant commencé par lui offrir à boire, de ce redoutable breuvage alcoolisé que les mariniers appellent le « Bouillon », l’homme apprit bien vite les tenants et les aboutissants de tout cela. Il remercia son nouveau membre d’équipage de sa franchise et lui proposa de jouer un vilain tour à celui qui le prenait pour un couillon depuis toujours …


Tout l’équipage au crépuscule feignit de partir. Un bon quart d’heure après, Léonard, plaça une planche de rive pour que Gustave puisse le rejoindre. Sur le pont, le nouveau venu fit comme à son habitude des reproches à son camarade, cette fois il lui reprochait d’avoir attendu aussi longtemps après le départ des hommes. Léonard, tout simplet qu’il était, sourit à cette remarque qui une fois encore, démontrait le peu de respect que son tourmenteur avait pour lui.


L’équipage arriva sur ces entrefaites. Gustave, alors qu’il réprimandait vertement le pauvre géant ne se rendit compte de rien. Attrapé sans ménagement, le gredin fut d’abord jeté à la Loire, une demande que Léonard avait formulé. Récupéré sur la rive par deux marins, ligoté promptement, il se retrouva sur le dos de celui qui jusqu’alors lui servait de couverture. Car c’est Léonard en personne qui conduisit celui qui se pensait rusé à la Prévôté. Le malfaisant fut jeté dans un cachot humide peuplés de souris qui allaient le tourmenter tandis que le benêt, adopté par les hommes d’équipage, devint le plus costaud porte-faix de la marine de Loire. Ce renversement de situation servira de chute à cette histoire.


Parodiquement leur.

Bientôt sur la Grande Remontée

à partir du 4 septembre au Pont de Cé

 

Pour les Souffleurs de Vent


 


samedi 26 août 2023

Descendre la Loire en canoë.

 

Conseils d’un béotien pour les néophytes.





Une aventure au long cours en canoë sur la Loire ou un de ses affluents réclame quelques précautions préalables. L’hiver va arriver à propos pour vous laisser le temps de vous préparer à ces vacances originales.


La première consiste dans le choix de votre embarcation. Un compromis entre poids, taille, stabilité et maniabilité s’impose. Chacun trouvera midi à sa porte mais l’essentiel est d’essayer votre futur compagnon de route au risque d’un divorce ou d’un chavirement inopiné. Votre position à son bord doit être confortable, vous allez y passer des heures. À titre personnel, j’ai toujours pensé qu’une rame symétrique avec pagaie était préférable à la pelle du canoë même si en disposer d’une permet de varier les plaisirs. Les spécialistes et les puristes s’insurgeront contre cette hérésie.


Essayer votre canoé ou votre kayak suppose de le faire en conditions réelles avec tout le barda. Ce n’est qu’ainsi que vous jugerez de la faisabilité de votre projet. N’ayez aucune crainte, comme pour les grandes randonnées pédestres, vous embarquez toujours beaucoup trop et vous finissez par vous délester au fil du voyage. Pensez donc à user des conseils d’une personne ayant effectué un raid comme celui que vous envisagez.


Le matériel transporté doit supposer un examen rationnel de la chose. Non seulement il faut des bidons étanches mais vous devez apprendre à les repérer, à organiser un rangement dans cette étrange valise mal commode. Vous devez encore penser à l’amarrage des bidons afin de ne pas les voir disparaître en cas de chavirement. Pour moi, la chambre à air de motocyclette découpée en lanières est l’objet idéal à l’utilisation rapide et efficace.


Autre gros problème, la sécurité de vos trésors. S’éloigner du bateau c’est prendre le risque de tout voir disparaître. Il convient non seulement de trouver une chaîne et un cadenas pour votre destrier mais également un dispositif dissuasif pour les petits larcins. Pour les véritables actes de pirateries, vous serez totalement démunis, le mieux étant de ne jamais trop vous éloigner de votre compagnon.


Ce qui suppose donc des roulettes afin qu’il puisse vous suivre dans un terrain de camping ou bien un passage trop délicat qui nécessite une sortie de l’eau. Là encore le choix est primordial et la qualité en ce domaine très inégale suivant les modèles. À vous de penser la chose solide, efficace et surtout d’une mobilité aisée.


Maintenant, sur l’eau il convient de ne jamais oublier le gilet de sauvetage en dépit de la tranquillité supposée de la rivière. Choisissez un modèle confortable, seyant, capable de vous permettre d’aller dans les villages traversés sans passer pour un extra-terrestre. Ceci est une question d’esthétisme mais aussi de capacité à ne pas être repoussé par les autres.


Les chaussures étanches et sécurisées s’imposent. Aller pieds-nus pour une telle aventure est pure folie. Cailloux, verres, canettes et autres surprises sont là qui attendent sournoisement leur heure. Un pied blessé, c’est la fin du parcours. La crème solaire est également dans l’indispensable panoplie de l’aventurier ligérien. Méfiez-vous des ciels trompeurs et n’oubliez pas non plus les lunettes de soleil qu’il convient d’attacher.


Tout attacher, c’est la règle sinon tout finit immanquablement par tomber à l’eau. Chacun trouvera ses petites astuces qui vous viendront au gré des sorties préparatoires. Le sac à dos étanche est indispensable lui aussi pour avoir avec vous vos trésors personnels : carte bleue, argent liquide, appareil photo, ordinateur ou téléphone.


Maintenant place à la navigation. Ne soyez pas galérien. Donnez-vous un programme qui laisse le temps aux rencontres, à la flânerie et aux visites. Ce n’est pas une épreuve sportive. Six heures de navigation sont assez, au-delà ce n’est plus du plaisir surtout si c’est ainsi des semaines durant. N’oubliez pas non plus que toutes les opérations de la vie quotidienne demandent dans pareille aventure plus de temps, de la toilette aux besoins pressants, des repas aux achats pour le ravitaillement. Un véhicule d'assistance vous simplifiera la vie mais vous fera sortir du cadre aventureux. C’est à vous de voir.


L’hébergement réclame une grande capacité d’adaptation. Des opportunités se présenteront à vous pour un hébergement, une nuit sur une toue, un campement sauvage ou bien une proposition insolite. Il convient de ne pas se couper de tels bonheurs par un plan de route trop rigide. Les campings sont pour autant des points de chute très convenables.


Dormir sur une île n’est pas toujours recommandé ni même autorisé. Vous risquez encore de déranger la faune et de provoquer quelques désagréments. Vos besoins naturels supposent alors respect et organisation. Je doute que chacun soit disposé à faire ce qui convient en ce domaine. Même si le sujet peut prêter à rire, il est fondamental et ne pas y songer c’est devenir à votre tour un souilleur de rivière.


La navigation demande connaissances et prudence. Des guides existent, nous pourrions vous les conseiller mais nous préfèrons que vous alliez vous renseigner auprès d’un club de canoë Kayak. C’est ainsi que vous aurez en plus des conseils bien plus précis que ce bref petit texte. La distance que vous allez parcourir est si grande que bien peu pourront vous enseigner tous les pièges qui seront sur votre trajet. C’est ainsi qu’il vous faudra souvent interroger ceux qui connaissent les lieux.


Le passage des ponts est parfois périlleux. Un repérage s’impose quand ceux-ci sont anciens. N’hésitez jamais à accoster en amont et vous rendre sur le pont pour voir d’en haut ce qui vous attend en bas. Si le passage vous parait trop dangereux, les roulettes vous sauveront la mise car un chavirement dans pareil cas peut tout remettre en cause.


Voilà, vous pouvez préparer votre aventure. Elle mérite d’être vécue. Nous sommes de ceux qui pensent qu’elle mérite d’être réalisée en solitaire. Si vous préférez un compagnonnage, choisissez bien votre ami et disposez d’un bateau chacun. Pensez à votre confort. Bien dormir est nécessaire, pouvoir s'assoir confortablement durant les repas et les pauses aussi. N’oubliez pas de nous raconter votre périple, de partager clichés et sensations, rencontres et anecdotes. Votre voyage deviendra alors une occasion d’évasion pour ceux qui n’ont ni la possibilité ni les moyens de le faire. Le partage sera un cadeau que vous leur ferez.

 

Avalaison ligérienne





Pour qui veut se changer les idées

Rien n'est plus plaisant que d'embarquer

Se laisser guider par le courant

Pour naviguer jusqu’à l’Océan


Un canoë ou bien un radeau

Qu'importe votre embarcation

Tout ce qui flotte ira sur l'eau

Jusqu'à votre destination


Tout au long de ce beau voyage

Faudra se passer de bagage

Les amis de la rivière

Vous recevront sans manière


Intégrant alors la confrérie

Des seigneurs de la rivière

Vous trouverez belle compagnie

Lors de vos pauses portuaires


À toutes les étapes c’est certain

Il y aura un morceau de pain

De bonnes et grasses cochonnailles

Afin de pouvoir faire ripaille


Tout en honorant leur compagnon

Les riverains se feront devoir

De lui octroyer réception

À la hauteur des gens de Loire


Avec dans un panier d’osier

Pour se mettre dans le gosier

Quelques délicieux vins de Loire

Des plus agréables à boire


Il n'est plus belle hospitalité

Que celle des amoureux du fleuve

Reconnaissant en fraternité

L'ami qui affronte l'épreuve


Vous trouverez à n’en point douter

Un bateau où vous réfugier

La pratique de joyeux lascars

Des mariniers, tous grands fêtards


La Loire pour seule compagne

Durant votre longue avalaison

Vous filerez jusqu’en Bretagne

Gardant la ligne de flottaison


Tout au bout de cet aventure

Le cœur gonflé par la nature

Vous reviendrez en votre maison

Avec des histoires et des chansons


L'épopée n'a pas besoin d'ailleurs

L'exotisme s'exprime au quotidien

Pour des souvenirs bien meilleurs

Osez le périple ligérien

•••


 


vendredi 25 août 2023

Le grand voyage

 

Le grand voyage





Pour quelques grains de sel mon destin bascula

Car ainsi, je tombais pour la seconde fois

Sous la coupe d'un maudit gabelou du roi

Mon sort scellé, la justice me condamna


Je marchai jusqu'à Marseille, les fers aux pieds

Pour durant trois années être galérien

Partageant l'existence d'autres vauriens

Pour l'odieux crime qu'il me fallait expier


J'avais voulu adoucir le quotidien

De pauvres gens accablés par la gabelle

Pour moi, le gentil marinier rebelle

Qui désormais ne valait pas plus qu'un chien


Durant le trajet je reçus tant de crachats

Que j'en viens à douter de cette humanité

Pour qui avait agi par solidarité

Le peuple ne voyait plus que le renégat


Puis, arrivé à la chiourme, je compris

Que je me trouvais au ban de la société

L'Arsenal privé de toute salubrité

Bien plus que les galères, menaçait nos vies


Attachés à la brancarde nous ramions

Cinq compagnons privés de toute dignité

Que des bêtes de somme pour l'amirauté

Qui subissaient coups de fouets et horions


Mais en dépit de ce traitement inhumain

La chiourme demeurait notre mouroir

Abandonnés dans ses geôles sans nul espoir

Ni le souffle vivifiant de l'air marin


Lorsque notre destin prit une autre inflexion

Tous, nous devenions désormais des forçats

Qui à Brest devaient se rendre de ce pas

En un trajet aux quatre navigations


Par la mer gagnâmes le canal du midi

Pour rejoindre la Garonne à Toulouse

Embarquâmes jusqu'à Bordeaux la jalouse

Pour rallier la rade de Brest sans soucis


Pour les travaux de fatigue des arsenaux

La tenue ne portait pas à confusion

La vareuse et les souliers faisaient illusion

Tandis que le bonnet rouge était un fardeau


Pauvres esclaves sous le joug tyrannique

Conservions l'espoir d'une libération

Issue refusée sans nulle rémission

Aux bagnards qui partirent en Amérique


 

mercredi 23 août 2023

Un bateau sur un rond

 

Des ronds : point !





Moi le bateau bien trop vieux

Je me languis sur mon rond point

Le mat tourné vers les cieux

Mais la coque au ras du foin


Jadis parfumé des embruns

Me faut respirer leur goudron

Pas celui du calfat marin

L'affreux bitume des camions

 



Ma voile demeure en berne

Sans nul espoir d'évasion

Prisonnier d'la terre ferme

Loin de la navigation


J'aimerais qu'un batelier

Discrètement s'autorise

À libérer le prisonnier

Au nom de sa bell' devise 

 



N'étais-je pas : « Le diablotin ! »

Qui défie les coups de tabac

Les tempêtes et les grains

Dont souvent on ne revient pas


J'aurai toujours le mal des flots

La nostalgie des épopées

Avec de vaillants matelots

Le cœur si souvent en bordée

 



Alors que maintenant je sombre

Pauvre épave sans eau

Se contentant d'une tombe

Loin des cimetières à bateaux


Ces voitures impavides

M'ignorent souverainement

Faut-il qu'elles aient le cœur vide

Pour naviguer sans armement 

 



Dire que la circulation

Pour eux doit être fluide !

J'en perds ma belle fonction

Avec ce bouchon stupide


Car pour eux un navigateur

N'a rien d'un commandant de bord

Ce n'est que leur ordinateur

Qui les dépose à bon port 

 



Qu'ils tournent tous en bourrique

Tous ces buveurs de pétrole

Pour qui la moindre barrique

Vaut des points et leur pactole 

•••


 


mardi 22 août 2023

Femmes de Loire : Les Poissonnières de Blois

Les Dames de la Halle aux Poissons de Blois

Retour vers le passé




Il existait à Blois parmi les « Dames de la Halle aux Poissons » — la « Poissonnerie », comme on l'appelait jusqu’au tournant de la première guerre mondiale. Prenons le pari de remonter le temps et de les rencontrer comme si nous étions au début du siècle précédent. Cette étonnante tradition blésoise, vaut bien une évasion temporelle.

La communauté marchande qui subsiste depuis un temps immémorial, s’est perpétuée durant des centaines d’années. Elle conserva jusqu’à sa disparition les mêmes caractères et les mêmes traits que sous l'ancien régime.

A vrai dire, la communauté dont il s'agit est d'allure assez mystérieuse —on ne trouve à son sujet aucune trace de document écrit et d'autre part ces « Dames » ne livrent pas au premier venu les secrets de leur organisation.

Ce qui, à Blois, est de notoriété publique, c'est que l'on a toujours vu les Dames poissonnières se recruter dans les mêmes familles, habiter depuis toujours la même rue, se vêtir de façon assez identique... garder la coiffe blanche, se grouper dans leur église paroissiale du même côté de la nef latérale et chanter les offices religieux avec une ardeur et une voix comparables à celles qu'elles employaient dans la rue pour crier naguère : Sardines fraîches, sardines tout en vie.

Descendantes des anciens bateliers et des pêcheurs de la Loire, corporations à peu près disparues, elles ont continué à vendre le poisson en ajoutant à celui des rivières, des étangs et du fleuve le poisson de mer, la « marée ». Toutefois, si elles ont augmenté et développé leur commerce, elles n'ont abdiqué pour cela ni l'esprit qui les anime, ni les traditions qui les soutiennent. 

 


 

Elles continuent à faire le signe de la croix avec le premier sou qu'elles reçoivent au commencement de la journée et on les surprend à murmurer en même temps :

« Que le Bon Dieu bénisse la main qui m'étrenne. »

Elles conservent fidèlement dans leur « poissonnerie » la statue de la Vierge qui préside à leur commerce et qu'elles ornent avec soin. Elles vont prier la bonne Dame «des Aydes » en son sanctuaire avant de se rendre au travail —et chaque année, le 16 août, elles font dire une messe pour les victimes du choléra en 1849 ; les honoraires de cette Messe ont été généralement payés par une souscription dont le surplus servait, par les soins de ces « Dames », à orner l'autel de l'antique pèlerinage de Notre-Dame des Aydes et ce n'est pas sans regret qu'elles voient que le temps ayant effacé le souvenir de ces calamités lointaines, il n'y a plus le même empressement à se rendre à leurs pieux désirs; le lendemain 17 août elles font célébrer une autre messe pour les défunts de la Poissonnerie mais elles estiment que cette messe ne porte tous ses fruits que si elles y assistent.

Au point de vue économique et social, le côté le plus original de cette organisation est l'absence même de toute organisation. La communauté vit de tradition: de trésorière officielle et attitrée, il n'y en a pas —pas plus que de présidente ni de statuts. Elles mettent en commun ce qu'elles vendent, le déposant dans de modestes boîtes à sardines qu'elles baptisent, on ne sait pourquoi, du nom de casseaux — c'est leur coffre-fort. Chaque samedi elles se partagent les bénéfices et lais- sent le reliquat dans la caisse commune. On puise dans cette caisse, dont nul ne connaît le contenu exact, pour acquitter tous les relevés de compte des fournisseurs qui n'auront jamais —c'est entendu —aucun effet à tirer. Et la communauté continua ainsi à vivre comme autrefois de sa vie propre, avec ses lois et coutumes, sans qu'il y ait jamais entre les membres aucune discussion ni aucune difficulté graves.

Depuis combien d'années, combien de siècles cette « communauté » fonctionne-t-elle ? La réponse ne fut pas très précise.

« Je ne sais pas, déclarait l'une d'elles... Ce qui est certain, ajoute- t-elle, c'est que ma belle-mère qui vendait jusqu'à l'année dernière a maintenant quatre-vingt-sept ans, elle y est entrée à l'âge de quatorze ans, et ça fonctionnait déjà. Depuis longtemps... Tenez..., cette bonne vieille a quatre-vingt-un ans et elle vend encore... »

Celle-ci s’exprime alors :

«  Ma mère est morte à quatre-vingt-deux ans (on vit vieux décidément dans la corporation). Elle faisait partie de la Poissonnerie depuis l'âge de douze ans, sa mère elle-même en é́tait membre... »

Pour vagues que puissent être ces données concernant l'état-civil de la communauté́, elles nous montrent que son origine est tout au moins fort reculée pour ne pas dire, selon l'expression consacrée, qu'elle se perd dans la nuit des temps.

Faute de renseignements plus précis il était du moins intéressant de chercher à savoir quels statuts pouvaient régir ces « Dames ».

Une femme répond alors à la curiosité d’un passant :

« Nous ne sommes ni ne voulons être une association, non plus qu'une coopérative, ni un syndicat... Nous nous arrangeons entre nous, voilà tout... Ainsi par exemple les vieillards et les malades touchent leur part des bénéfices hebdomadaires tout autant que les vendeuses effectives, et malgré qu'elles ne travaillent pas. C’est une organisation sociale modèle qui n'a attendu ni la loi des retraites, ni les lois d'assistance pour résoudre les gros problèmes du travail ; c'est aussi l’expression d'une belle et touchante preuve de mutuelle confiance... »

Le passant l’interroge :

« Que se passerait-il si l’une d’entre-vous s'abstenait de venir vendre ?

    • Le cas ne s'est jamais présenté. On ne s'absente que pour une cause légitime... Chacun remplit consciencieusement sa tâche... Nous n'avons jamais de difficultés, jamais de disputes — quelques discussions car on n’est pas parfaites.

    • Avez-vous une trésorière ?

    • Pour quoi faire ? Chacun fait son compte devant toutes les autres. Ça suffit bien.

    • Combien êtes-vous en cette année 1909 ?

    • Nous sommes actuellement dix. Par le passé, nous fûmes jusqu’à vingt-deux. La concurrence a eu raison de nous malgré la protection de Notre Dame des Aydes »




Le sujet mérite bien une petite explication. Le curieux veut en savoir plus et la dame explique avec flamme :

« Rendez-vous compte qu’en 1903, lors de la reconstruction de notre poissonnerie, on a voulu nous retirer notre bonne vierge. Nous avons fini par avoir gain de cause en dépit d’une campagne de presse qui réclamait la laïcité des lieux. Foutaise que tout ça ... »

Il est vrai que l'anticléricalisme avait le vent en poupe. Un journaliste écrivit : «  Rendez-vous compte que ces dames, chaque matin, avant d’ouvrir les grilles de leur poissonnerie, s’agenouillent sur les dalles humides pour prier une idole ! »




L’homme laissa-là ces dames. Elles finirent par disparaître de Blois, la grande guerre eut raison de cette tradition millénaire. Il était bon de la réveiller pour quelques instants.

 

Fin du feuilleton de l'été

 


 

Un écureuil s'éprit d'une taupe

  Amours énantiotropes Un écureuil s'éprit d'une taupe Comble d'un amour énantiotrope Lui perché sur son gra...