mercredi 31 mars 2021

Conversation avec un poisson rouge.

 

En toute liberté.






Tout a commencé d’une bien banale manière. J’écrivais comme bien souvent, penché sur mon clavier, regardant à peine l’écran quand, sans doute en quête d’un mot qui se dérobe, je levai la tête, les yeux dans le vague. C’est alors que je le vis, juste devant moi, qui me fixait avec une étrange intensité …


Un poisson rouge, prisonnier de son bocal s’enquérait alors de ce que pouvait faire cet étrange individu qui, il me le confia plus tard, avait l’habitude de se noyer dans un verre d’eau. Manifestement, l’animal voulait établir une communication avec celui en qui il avait vu un possible truchement, un porte-parole de son espèce.


Pourquoi moi ? Les raisons de son choix, il me les livra plus tard, ne sont guère à mon honneur. Il avait compris qu’un homme qui tourne si consciencieusement en rond ne pouvait que comprendre sa cause et adhérer à son combat. Je ne m’en offusquai pas d’autant que j’aime à nager entre deux eaux. Je me sentis en affinité avec mon nouvel ami.


Après un long échange de regard, je vis le poisson rouge se mettre de profil, me présentant alors sa face gauche. J’eus clairement le sentiment qu’il clignait de l’œil, tentant vraisemblablement de me signifier quelque chose par un code, mystérieux pour moi. Ce premier contact fut infructueux, je n’avais pas les clefs pour le comprendre.


Ce n’est que quelque temps plus tard, après avoir lu le livre Le scaphandre et le papillon de Dominique Bauby que je compris que le poisson m’envoyait des messages en morse. L’apprentissage fut laborieux, j’ai grand peine à aborder un autre langage. Mais finalement, entre mon nouvel ami et moi, le courant passa.


Je suis contraint de vous avouer que nos premiers échanges ne furent que des banalités. Le poisson rouge ne diffère en rien des autres espèces, tout emprisonné qu’il est, il voulait s’enquérir du temps qu’il fait. N’étant pas expert dans l’art de parler de la pluie et du beau temps, je le laissai vite sur sa faim de dialogue. Il me battit froid quelques jours avant que de reprendre le fil de notre conversation.


C’est ainsi qu’il alla droit au but, sans plus tourner en rond lui aussi. Sa demande ressemblait à un caprice à moins que ce ne fut un fantasme : « Je veux passer au verre ! » Je m’y repris à plusieurs fois avant que de saisir le sens de cette revendication. Dans un premier temps et sans doute influencé par mon passé de dyslexique et la couleur de ses écailles, je crus à la faute d’orthographe. Le poisson finit par saisir les raisons de ma méprise et précisa que lui avait une parfaite maîtrise de l’orthographe, science qui convient tout particulièrement à ceux de son espèce.


Je devais exhausser son vœu, lui trouver un verre digne de lui, afin qu’il n’y fût pas trop à l’étroit. C’est un ami charentais, natif précisément de Cognac qui me fournit l’objet ad-hoc, un verre de dégustation de fort beau diamètre. Mon poisson en fut enchanté. C’est dans ce nouveau contenant qu’il devint parfaitement immobile, entrant dans une phase de méditation intense à moins qu’il ne voulût se faire ermite dans sa caverne, le verre étant son tonneau.


C’est au bout d’un long processus durant lequel il avait totalement coupé les ponts, me présentant même son autre face qu’il se passa enfin quelque chose. Le poisson vira de bord pour à nouveau discuter avec moi. Ce n’est d’ailleurs pas le verbe qui convient. Il venait clairement de passer dans le champ de l’injonction. Le poisson rouge me donnait des ordres. J’en restai muet comme une carpe.


Il exigea de moi que je me fasse le porte-parole de sa lutte. Il avait ouïe dire que j’avais contribué à la lutte de libération des nains de jardin par l’entremise d’un conte : Laissez venir à moi les plus petits de nos jardins, issus de la légende de Saint Hérie de Matas. C’est ainsi que je devins la voix des poissons rouges.


Mon poisson finit par disparaître. Sa longue période de méditation l’avait conduit à acquérir des dons prodigieux. Il mit son verre en mouvement et c’est à cloche-pied qu’en quelques bonds, il alla se jeter dans l’Antenne, cette charmante rivière affluent de la Charente. C’est de là qu’il entendait mener sa guérilla contre les aquariums de toutes formes et de toutes tailles.


Le poisson rouge aspire à la liberté. Mon ami me prie d’en avertir les enfants afin qu’ils libèrent tous ses congénères et les déposent délicatement dans la rivière. Je ne vais que répondre à sa requête. « Les enfants, n’ouvrez plus la cage aux oiseaux, la grippe aviaire pourrait une nouvelle fois sévir. Pour mener une belle action sans aucun risque, versez le contenu du bocal dans la rivière, vous lui apporterez un peu d’eau tout en libérant un pauvre prisonnier ! »


J’ai rempli ma mission et vidé mon bocal. Pour l’inspiration, il me faudra trouver autre chose. J’ai sous les yeux une boule de cristal, elle risque parfaitement convenir d’autant mieux du reste que l’avenir est diablement incertain.

 

Halieuthiquement sien 





Librement sien.

mardi 30 mars 2021

La baguette magique

 

La baguette magique

 





J’avais une baguette magique

Pour honorer des fées gourmandes

Avec le temps, c’est bien tragique

Elle ne répond plus sur commande


Les dames, pour de tendres voyages

Tout en délicatesse exquise

Se lovaient dans un doux sillage

À fondre toutes les banquises

Au secret d’un pays enchanté

La baguette faisait des miracles

La douce bergère transportée

Était effigie au pinacle


C’est alors en tutoyant le ciel

Qu’elle perdait sa fleur délicate

Un voyage rien que pour toutes celles

Qui ne se montraient pas ingrates


La baguette a perdu son pouvoir

Elle se plie aux attentes de l’heure

Merlin doit rebrousser son chemin

Ses pouvoirs magiques sont un leurre


C’est la bergère qui de son côté

Dans ce monde qui ne tourne plus rond

Dispose d’une vertu inégalée

Faire d’un enchanteur un cochon


J’avais une baguette magique

Pour honorer des fées gourmandes

Avec le temps, c’est bien tragique

Elle se défile quand on la quémande


MIS À PIED DU PROCHAIN FESTIVAL DE LOIRE ...

lundi 29 mars 2021

J'aimerais vous raconter des histoires

 

J'aimerais vous raconter des histoires








J'aimerais vous raconter des histoires

Vous prendre ainsi par le cœur

Et vous amener à croire

Les boniments du conteur


J'aimerais vous raconter des histoires

Sur un bateau en partance

Bien loin de vos idées noires

Au doux pays de l'enfance


J'aimerais vous raconter des histoires

À contre-courant du temps

Que je vous ferais accroire

L'espace d'un bref instant


J'aimerais vous raconter des histoires

Et vous devrez vous passer

De plain-pied dans l'illusoire

Des ineffables vérités


J'aimerais vous raconter des histoires

Partir au pays des songes

Prenant une trajectoire

Faite de pieux mensonges


J'aimerais vous raconter des histoires

Petits fragments d'éternité

Qui resteront dans vos mémoires

Si vous voulez m'écouter


J'aimerais vous raconter des histoires

Précieux héritage des ainés

Qui par la magie d'un écritoire

S'offrent à votre curiosité


J'aimerais vous raconter des histoires

Curieux voyage dans l'imaginaire

Des amoureux de la Loire

Tous gens, bien ordinaires



 

Je ne suis pas retenu pour le prochain Festival de Loire Que faut-il faire de plus autour de la Loire, son histoire, ses légendes que ce que je fais Le programmateur se ridiculise et je vais faire grande publicité de cette décision totalement injuste alors que je sors un guide du Val d'Orléans

 


 

dimanche 28 mars 2021

Le connecté permanent.

 L'à cran plat !






Il est un homme qui n'a pas une minute à lui, toujours occupé, toujours l'œil sur un écran, il mène son chemin sans perdre de vue l'essentiel à ses yeux. C'est ainsi qu'il méconnait les beautés qui s'offrent à lui, les paysages qui croisent sa route, les autres qui n'ont pas l'heur d'apparaître sur ces cristaux liquides …


Il est le petit fils de l'homme nasal. Son aïeul, bien que gardant en partie la même posture, avait la main baladeuse et le regard fixé sur la ligne bleue des Vosges. Ce sont les fosses nasales qui occupaient l'homme d'alors, curetage en règle, nettoyage précis, quelques poils à arracher, vous permettaient de passer le temps et d'accepter les temps morts.


Il est le lointain ascendant du charretier. Celui-là avait les mains occupées, par le fouet et les rênes. Il ne perdait pas de vue une miette de ce qui défilait devant lui. C'est la langue, qu'il avait vagabonde : jurons, injures, blasphèmes et autres quolibets, fleurissaient son langage et parsemait son chemin d'un crottin magnifique et d'un discours abondant. À hue à dia, fouette coché !


Mais les temps ont bien changé, les mains n'ont plus tant à faire et notre homme d'aujourd'hui a bien d'autres chats à fouetter. Le Monde entier est à sa fenêtre, il défile sous ses yeux sans qu'il ait besoin de se déplacer. Mais la folie lui interdit de rester en place ! C'est en allant son train qu'il va d'écran plat en écran plat, d'occupations diverses en sollicitations parasites !


Il ne peut se déplacer sans faire suivre les mélodies de son cœur. Les oreilles bourdonnent de musique ou de nouvelles, il ne faut rien manquer de l'actualité de la planète ou des nouveautés de la scène. Le curseur ne cesse de se déplacer sur une bande F.M. qui nécessite grande vigilance. Parfois, il dispose, pour lui simplifier la tâche, d'une molette opportune !


Il doit rester en contact avec la bande de ses amis, relations ou clients potentiels. L'oreille collée à son téléphone modulaire, il est en relation quasi permanente avec ceux qui vont une autre route que lui. Il répond, il appelle et quand la farandole cesse, il s'autorise quelques messages qu'il pianote d'un doigt expert.


Il se se satisfait pas de ces seuls écrans. Il a besoin de tout savoir. Homme sans idéologie, il a besoin d'un guide, d'une voix à suivre qui le rassure et le berce de la douce illusion de ne pas se perdre en route. Il lui faut commander la boîte magique, indiquer sa destination, proposer une bifurcation si le flux se fait trop dense. Il pianote encore d'un autre doigt, d'une autre main, avec un œil sur l'un et l'autre, accessoirement sur son chemin.


Il s'est encore doté d'un plus petit écran. Un animal rusé, petit canidé d'Amérique du nord qui l'avertit quand, des humains éponymes cherchent à faire de lui une vache à lait. Il est à l'affut de tout, guette le contrôle inopiné et indique sa présence d'un nouveau doigt disponible pour que ses frères rusés évitent eux aussi de tomber dans le panneau.


Il est le chef d'orchestre de tous ces écrans. Il est contrôleur aérien, réalisateur de télévision, ingénieur ou scientifique. Il faut veiller à tout, rester attentif au moindre signal, au plus petit appel. C'est un emploi à plein temps, une jonglerie virtuose. Passer de l'un à l'autre, ne rien manquer et tout contrôler.


Il en oublie de s'occuper pourtant de ce qu'il était censé faire. Monsieur conduit une voiture, il aime aller vite, ne respecte ni les limitations ni les règles contraignantes qu'on s'échine à vouloir lui imposer. Il va sa route, relier par tous ces fils invisibles qui finissent par le détourner de sa mission première. Il ne regarde pas droit devant lui, un camion se trouve sur son chemin et ses écrans ne lui disent rien. L'à cran de la communication, passe sous le monstre, c'est à son tour d'être tout plat. Hélas, s'en est fini de lui, toutes ces communications sont coupées !


Platement leur.


 


samedi 27 mars 2021

Le Sauvage Blanc

 

Narcisse.

 




Quelque part en Bretagne

Un p'tit gars embarqua

On lui promit le bagne

Il trouva mieux que ça



À quinze ans il devint mousse

S'embarquant sur le Saint-Paul

Il n'avait pas tant la frousse

Que des fourmis aux guiboles

En trois ans sur l'Océan

Découvrant les mers australes

Il fit des pas de géants

Se rêvant vite amiral



Hélas un jour de déveine

On l'oublia sur une île

Au tout début de sa peine

Ne se faisait pas de bile

Les années passèrent ainsi

Sans qu'il vît la moindre voile

Avec ses nouveaux amis

Il vivait sous les étoiles



Des sauvages qu'on nous dit

Allant nus sous le soleil

Lui permirent une autre vie

Dans ce pays des merveilles

Il avait femme et enfants

Oubliant tout du passé

Il vivait tranquillement

Toute mémoire effacée



Le temps s'écoula ainsi

Au rythme bien différent

De celui qu'on mène ici

Le paradis sûrement

Quand bien des années plus tard

Un bateau vint débarquer

On le découvrit hagard

Il venait d'être sauvé



C'est ce que pensaient ceux-là

Qui lui tendirent la main

Pour qu'ainsi il embarqua

Et qu'au pays il revint

Jamais il ne retrouva

Le plaisir laissé si loin

C'est sûrement pour cela

Qu'il redeviendra marin …



Quelque part en Bretagne

Un p'tit gars embarqua

On lui promit le bagne

Il trouva mieux que ça

 





en attendant le conte ...




vendredi 26 mars 2021

Un mal étrange

 

Je suis venu j’ai vu et me voilà vaincu

 




Quel est ce mal étrange, quelles sont ces douleurs ?
Je m’enfonce dans les tourments sans nul secours
Et les flots en furie de tous côtés m'entourent,
Bientôt mes amis m’offriront d'ultimes fleurs.


Jadis, la rivière était pour moi douce fête,
J’y vécus librement mes plus belles amours
Elle m'offrait ses charmes en mes plus heureux jours
Et de tendres rencontres que je gardais secrètes

Aujourd’hui cette crue fait de moi un vaincu ;
Oubliées à jamais demoiselles aux joues roses,
Dans les profondeurs de la Loire je repose
Moi qui toujours près d’elle, ai aimé, ai vécu.

C’est désormais le temps de quitter cette terre.
Sans frisson, je dirai au Seigneur, me voici.
Combien mon existence a été adoucie,
Par ma rivière qui m’offrit son beau mystère.



Chaque instant de ma vie, la Loire m’a veillé,
Effaçant tendrement chacune de mes peines .
Elle m'a préservé de cette odieuse haine,
La rongeuse qui sur terre peut vous travailler.

Grâce à elle je me suis octroyé des ailes,
Certes bien plus utiles que mes pauvres mains
Quand bien même je m’éloignais du genre humain,
C’était pour gagner une espérance éternelle.

Maintenant, mon espoir ne s'ouvre qu'à demi
Car la postérité ne veut pas qu’on me nomme
Je n'ai pas place dans la mémoire des hommes
Troublé par un cauchemar, je n'ai pas dormi

Je succombe à cette redoutable paresse
Ce mal sournois qui hante mes jours et mes nuits.
Qui tout au long de mon existence m’a nui
Avant que je me meure et que je disparaisse !



jeudi 25 mars 2021

Laver son linge sale en famille.

 

Les mésaventures d’un marinier





Il était une fois un brave homme qui gagnait sa vie en faisant commerce sur le grand chemin de l’eau qui partait de chez lui, à Roanne, pour aller s’il le fallait jusqu’à Nantes. La Loire, puisque c’est d’elle qui s’agit, venait de plus loin encore, hélas, il n’était guère possible de l’emprunter sans risquer de se rompre le cou au pire et au mieux de perdre tout son chargement. Le redoutable saut du Perron, rebutait les plus vaillants et décourageait ceux qui se montraient avisés et prudents.

 

 

Edmond partait donc, deux sapines à couple, pour un long périple. Il achetait auprès des voituriers de terre qui arrivaient de Lyon, les chariots regorgeant de précieuses marchandises. Il s’était fait le spécialiste du savon de Marseille, un produit relativement simple à transporter, facile à vendre sur la route et d’un bon rapport. Il se préparait ainsi à effectuer un long périple, il attendait le mois d’octobre pour se lancer sur les eaux, sachant qu’il pouvait très bien rencontrer des conditions défavorables avec les mauvais jours à venir. Ainsi allait la vie du gentil voiturier !


Chaque fois qu’il partait, les adieux avec sa femme étaient déchirants. C’est du moins ainsi qu’il percevait les choses. La belle Fernande se lamentait, prétendait que l’attente serait trop longue, qu’elle s’ennuierait de lui et se ferait un sang d’encre, craignant toujours le pire pour son cher époux. Leur fils unique, Pierre, était désormais un grand jeune homme qui allait bientôt quitter le cocon familial. La femme se voyait déjà veuve et seule pour le reste de son existence, c’est du moins la belle sérénade qu’elle jouait à son niaiseux d' Edmond.


Sitôt l’homme parti, la drôlesse, se réjouissait alors de n’avoir plus sur le dos, cet être taciturne et bougon. C’est la dureté de son métier qui l’avait rendu ainsi, Edmond passait de longues heures, seul sur ses deux bateaux, avec la rivière pour unique compagne. Quant aux escales, il ne pouvait guère traîner dans les tavernes, il devait rester à proximité de son chargement, la rapine était toujours possible tandis que quelques ventes pouvaient se faire et qu’il importait de ne pas les manquer. L’homme avait donc un commerce peu amène, Fernande n’était sans doute pas une femme heureuse en ménage.


Cette fois-là le voyage se déroula sans difficultés notoires. La descente fut rapide, les ventes excellentes et la cargaison entièrement partie dès avant Tours. Edmond avait deux options, vendre ses sapines et rentrer de suite ou bien trouver un nouveau chargement pour aller jusqu’à Nantes. C’est ce qu’il fit, trouvant l’aubaine d’une livraison de vin d’Amboise, fort réputé en cette époque, pour un grossiste du quai de la Fosse. Il reprit la rivière avec des tonneaux cette fois, sans avoir à jouer les démarcheurs lors de ses escales. Trois jours lui suffirent pour arriver et décharger. Il mit une bonne journée à trouver preneur pour ses sapines qui devinrent des bachots pour un train de bateaux remontant jusqu’à Orléans, chargé de mélasse.


Il avait un long trajet à rebrousser chemin, c’est à pied qu’il le faisait. Edmond avait le mollet galbé, la marche sûre et résistante. Depuis des années qu’il pratiquait ainsi, depuis ses quinze ans, il ne rechignait pas à marcher des douze heures de rang, avalant les lieues tout autant que les chopines, car cette fois, il pouvait se permettre quelques arrêts gourmands. Qu’importe s’il buvait une partie de son gain, il fallait bien profiter de l’existence. Le retour lui demanda trois semaines, si bien que Noël allait cette année se passer en famille, c’est du moins ce qu’il pensait quand il arriva chez lui, à Roanne.


Quelle ne fut pas sa surprise de trouver maison close. Il s’enquit de la raison de ce curieux phénomène auprès de voisins qui expliquèrent que le gamin, le gars Pierre avait été embarqué de force pour la conscription navale. Il se disait dans le voisinage que c’était sa propre mère qui avait prévenu les marins que son rejeton avait l’âge de partir et aucune obligation à rester sur place. La gourgandine, une fois seule, avait été aperçue avec un tonnelier d' Iguerande. Il se murmurait qu’elle était allée mettre ses jupons en perce. Pour imagée qu’elle était, cette formule désespérait le pauvre Edmond qui venait de découvrir son infortune.


Le bonhomme, ne mettrait pas le petit Jésus dans la crèche comme il s’en était réjoui sur la route. Pire même, il allait tenir le rôle de l’âne et être la risée de toute le corporation, bien prompte à se gausser des malheurs conjugaux des autres en espérant ne jamais avoir à souffrir de la chose. C’est assez curieux de la part de lascars si prompts à trousser des femmes mariées sur leur trajet qu’ils devaient bien se douter que la réciprocité pouvait être de mise.


Edmond n’avait qu’une hâte, reprendre la rivière, organiser un nouveau voyage pour quitter au plus vite une ville où on lui montrait les cornes quand il était dans la rue. Il se demandait quel chargement il pouvait bien embarquer quand une curieuse occasion en fit un larron en foire. Une cargaison d’armes de Saint-Étienne était destinée à l’Arsenal d’Orléans. La caserne des Arquebusiers, située dans le quartier Madeleine attendait avec impatience cette livraison, la Loire serait un moyen plus rapide et plus sûr de mener l’opération.


Edmond accepta l’offre, trouva au plus vite une sapine en bon état et chargea les armes. Il allait, chose inhabituelle pour lui, être en duo avec un compagnon d’armes, un gardien du précieux chargement. L’homme allait découvrir les affres du voyage hivernal, des nuits glaciales passées sous un pauvre abri sur le pont. Le marinier avait prévenu le soldat que les conditions seraient rudes, plus délicates encore que sur un champ de bataille. L’autre s’en amusa, il avait connu des conditions plus épouvantables encore, lui qui avait survécu en 1812, à la terrible retraite de Russie.


C’est ainsi que les deux hommes embarquèrent au premier jour de janvier, pour filer sur Orléans. L’affaire devait, si le temps restait au froid mais sans aller à l'embâcle, se passer l’espace d’un bon mois pour l’aller et le retour. La chance n’accompagna pas celui qui malheureux en amour était en droit d’attendre plus de bienveillance de la destinée. Le trajet cumula les retards, la glace d’abord, la débâche ensuite, une crue et une grosse avarie les mirent considérablement en retard. Le soldat, tout habitué qu’il se prétendait aux rudes conditions, ne cessait de geindre. Edmond quant à lui n’était guère pressé de revenir dans sa maison, désertée par sa luronne.


Finalement c’est à la fin du mois de février qu’ils purent enfin livrer les armes à Orléans. L’énervement fut sans doute la cause d’une circonstance qui s’avéra dramatique pour le voiturier. Dans l’empressement, le soldat lors de la livraison, laissa un fusil et de quoi le charger dans une caisse. Edmond, toujours en proie à l’envie de se venger du tonnelier et de sa femme, saisit l’occasion pour dissimuler l’arme. Elle tenait parfaitement dans son coffre de marine, celui qu’il portait sur le dos quand il rentrait à pied.


La disparition ne fut pas signalée. C’est ainsi que le Cocu revint, avec de quoi laver l’affront et son honneur. Iguerande étant sur le chemin, il fit halte dans une taverne, mena son enquête, et s’occupa à trouver alibi pour se couvrir. Renseigné sur le nid d’amour, il s’embarqua sur un bateau, un coche d’eau qui se rendait à Nevers. C’est du moins ce que chacun sur le port avait remarqué. Il profita de la nuit pour revenir sur ses pas, entra dans la demeure du voleur de femme et accomplit sa vengeance de deux coups de feu.


Dans la nuit, il refit le trajet inverse, reprit sa place sur le coche d’eau où les voyageurs dormaient profondément. Lui qui n’avait pas fermé l’œil de cette longue nuit, ne fut pas très gaillard durant la journée sans que personne ne le remarquât. Arrivé à Nevers, Edmond trouva embarquement sur un bateau qui transportait de la faïence jusqu’à Paris en empruntant le canal de Briare. Sur la route, l’homme se débarrassa de l’arme, en la glissant une nuit au pied d’un ivrogne aviné du côté de Digoin.


Plusieurs mois plus tard, Edmond était de retour chez lui. Il reçut la visite de la maréchaussée qui lui confia son malheur, le décès de sa femme tuée par un rôdeur alors qu’elle était en galante compagnie. Le policier lui expliqua encore qu’un homme avait été trouvé, ivre mort, sur les quais de Digoin avec à ses côtés l’arme du crime, un fusil de l’armée qu’il avait sans doute volé en traînant dans un port.


Edmond se trouvait ainsi veuf et blanchi. Il recommença son négoce du savon de Marseille, il avait lavé son linge sale en famille, il ne voyait pas meilleur activité pour lui. Si la morale n’est pas sauve dans cette histoire, le mari trompé avait néanmoins recouvré en son for intérieur son honneur. On peut s’en satisfaire et fermer les yeux sur cette sombre histoire de vengeance. La vie d’Edmond reprit son cours, son fils ne revint jamais de ses expéditions lointaines.


Il acheva son existence seul et sans doute porteur d’un secret qui devait lui peser sur la conscience. Ironie de l’histoire, c’est en ouvrant un bateau lavoir à Roanne quelques années plus tard, que l’homme cessa sa vie nomade. Les laveuses n’eurent jamais à se plaindre de lui, il avait depuis belle lurette cessé de jeter des yeux doux aux femmes. Chat échaudé craint l’eau froide, Edmond avait retenu la leçon.


Savoneusement sien.

 


 

mercredi 24 mars 2021

Confession d'un vélo qui se déchaîne.

 

Loin des cadres dynamiques !

 

 



Je suis un pauvre vélo, un de ces engins qui ne ressemble à rien, bien loin de mes frères les fiers coursiers, à des encablures de mes homologues tout terrain, si éloigné de cette aristocratie de la gente bicyclette : petites reines ou grands bis qui  trônent en maîtres. Je suis de ceux que l'on qualifie de vieux clous, engin de brique et de broque qui ahane sur les routes de France.

De Plogogg à Fessenhiem en un long chemin de croix, je dois transporter la vilaine fleur de la rébellion à l'ordre nouveau de mon cousin le vélo nucléaire. Je suis pris en otage pour servir une cause qui ne sera jamais mienne. De pauvres idéalistes, de simples penseurs, d'affreux rétrogrades me forcent à rallier les deux extrémités du pays au nom d'un combat dérisoire, d'une réaction qui ne déchaîne pas les foules.

Que n'ai-je pas connu le bonheur immense d'être la propriété d'un être ordinaire, un cadre EDF, un employé modèle de l'industrie thermonucléaire. J'eusse alors bénéficié d'une technologie de pointe, d'un générateur électrique, d'une batterie aux métaux rares, d'un éclairage sans frottement. Au lieu de quoi, je dois supporter ce contact répugnant d'une dynamo archaïque et de la sueur de celle qui pédale vraiment !

J'aurais encore bien d'autres privilèges. Je ne traînerais pas ma misère et des kilos superflus. Je serais équipé d'alliages légers et résistants, de peintures rutilantes et de tous les gadgets qui s'imposent aujourd'hui. Avec un peu de chance, je serais même porteur d'un système GPS pour ne jamais ne perdre en route.

Tout cela n'est que rêve et illusion perdue. Je me trimbale l'arrière garde de la pensée passéiste. Tout ce qui se fait de militants hostiles au progrès et à l'énergie nucléaire se relaie pour me faire souffrir et grincer de mille et une manières. Car, non seulement ces gens refusent la modernité mais ils sont pingres et négligent les entretiens courants que l'on doit à un véhicule respecté.

Pas d'huile ni de lavage, pas de révision ni de changement régulier de pneumatique. Je vieillis, je me décrépite et plus je suis vieux et cabossé, plus ils semblent m'adorer. Je suis si lamentable que, humiliation suprême, ils ne prennent jamais la peine de m'attacher d'un solide cadenas lorsqu'ils font une pause.

N'ayant que fort peu le sens de la propriété, ils changent de monture comme d'autres changent de chemise. De ce côté là non plus ce n'est pas la joie, l'écologiste se néglige et je dois supporter des tenues excentriques, des odeurs caractéristiques, des conduites atypiques, des traitements sadiques. Jamais je n'ai le même cycliste et pourtant, ils ne prennent pas la peine de changer la hauteur de selle. J'ai honte d'être dans un tel équipage !

Le plus affreux à mes yeux c'est que je suis entraîné, à mon cadre défendant, dans une aventure au long cours, une histoire revendicatrice sans moyen ni organisation. Je dois me coltiner des sacoches affreuses, porter en sus des bagages si mal attachés que je risque à tout instant de perdre équilibre ou rayon. Jamais, au grand jamais, on ne me taille la route, me proposant un haie d'honneur et de barrières pour m'ouvrir le chemin.

Ces gueux avancent au petit bonheur la chance, sans plan ni circuit établi. Ils vont à l'aventure et qui croyez-vous qui se tape le boulot ? C'est bibi naturellement. J'en soupe de leur lutte antinucléaire moi qui serais plutôt pour une petite pile atomique, une source d'énergie inépuisable pour soulager mon pauvre pédalier martyrisé par tant de pieds plus habitués à battre le pavé qu'à caresser la pédale.

Car voyez-vous, s'ils se réclament plein d'égards et de prévenance pour la nature, ils sont d'une négligence sans nom pour les biens matériels. La prochaine fois, je vous le jure, je refuse de me mettre au vert. Je me ferai vélo de circulation collective dans un grande citée polluée et encombrée. Ras le bol de l'écologie, vive la pollution sous toutes ses formes !

Bicyclettement vôtre.


 

mardi 23 mars 2021

Les marins arsouillés

 

Le vin au pichet




Ça sent le vin, tiré au pichet

Pour des gredins, qui sont s'enivrer

Ça sent le vin, vidé par lampées

Par des marins qui sont arsouillés


Quelques catins, qu'ils veulent enlacer

De gros chagrins, qu'il faut oublier

Un p'tit rouquin, bu à ta santé

Un gros câlin, presque dérobé


Jusqu'au matin, des chants entonnés

Pour un refrain, et peu de couplets

Des mots malins, des airs plus légers

Tous les copains, le cœur enchanté


Quand un vilain, bien trop éméché

D'un coup de poing, se fait étaler

Les rires en coin, se mettent à fuser

Les plus coquins, lui paient une tournée


Quand la putain, aux charmes fanés

Prend par la main, un chtiot délaissé

Le bon gamin, qu'il faut déniaiser

Sera marin, en fin de soirée


Un vendéen, parti en bordée

Joue l'aigrefin, devant la chambrée

Prend un filin, pour l'entortiller

D'un tour de main, en fait une poupée


Un argousin, venu s'abreuver

Paie du Chenin, quand c'est sa tournée

Refus hautain, de cette assemblée

C'est trop commun, pour l'amirauté


Ça sent le vin, tiré au pichet

Pour des gredins, qui sont s'enivrer

Ça sent le vin, vidé par lampées

Par des marins qui sont arsouillés

 


 

lundi 22 mars 2021

Prochainement un polar de Loire ...

Deux indices pour découvrir son argument



Le Héron et les corneilles

 



Une fable à en perdre le sommeil


Un oiseau se mirant, devint jaloux
De toux ceux qui n'avaient pas un long cou.
Survolant la rivière.
Il se promit qu'à son tour ;
Les humains pour lui feront un détour
C'est pour satisfaire sa commère
Que le héron se lança un défi :
Puisque ses pattes semblaient si tendres
C'est vers le ciel qu'il devait s'étendre
Construire au plus haut son paradis.
Le mettrait à l'abri des prédateurs.
C'était oublier certains oiseaux
De la famille des passereaux
Survolant à toute heure sa demeure.
Pour s'offrir repas plus copieux
Les assaillantes font de leur mieux
Sans cesse elles le tracassent
Pour qu'il en perde la face
Ces méchantes qui oseront
Gober les œufs ou les oisillons
Le héron qui fait repas du goujon
À son tour ne lui déplaise
De celles-là sera le dindon
Rien moins qu'un pauvre poisson.
Retour du bâton, quelle foutaise
Lui qui n'a jamais mordu à l'hameçon !

C'est au milieu de la ville, ici
Que ce drame se joue sur le duit
Si le plus souvent le vainqueur est l'échassier
Sa défaite est parfois proclamée
Quand du combat, en fin de conte
C'est l'agresseur qui triomphe du poltron
Les spectateurs ainsi se rendent compte
Que la morale se moque des dictons

Et qu'à trop bayer aux corneilles

Le Héron en a perdu le sommeil
 
 

Flétrissure sur les flots

 
 

 

Les malotrus des flots


Sur la rivière j'allais tranquille,
Quand retentirent des moteurs :
Des furieux me prirent pour cible,
Moi qui n'étais qu'un rameur.

J'ignorais que ces équipages,
Que la vitesse toujours enivrait
N'acceptaient pas le voisinage
De ceux que la nature enchantait.

Ils me renversèrent pour se distraire
Sur mon radeau : deux enfants
Un détail pour ces vulgaires
Chevaliers dans le vent

Ignorant les codes maritimes
Se sauvèrent sur leurs engins
Espérant sans doute des victimes,
Pour se distraire : les gredins

Un marinier à la main sûre
Sur son fûtreau surgit
Pour effacer la flétrissure
De ces fous du jet-ski

Un à un il repêcha
Les gamins de la rivière
Puis il les réconforta :

Délicatesse marinière


Tandis que sur la rive

Des témoins invectivèrent

Ces vaniteux à la dérive

Et tous leurs congénères


Leur furie n'a pas sa place

Sur la Loire en majesté

On n'y laisse pas sa trace

Par une vague démesurée


La nature se passera d'eux

Pour conserver le décor

D'un univers merveilleux

Bien loin de ces pécores


Ils bravent aisément l'interdit

Pour un plaisir déplacé

Avec la complicité de leurs amis

Des gens toujours haut placés


Quand l'accident surviendra

Les mêmes s'indigneront

Que la police baisse les bras

Pour arrêter ces larrons






Des mots qui chantent

  Un livret qui chante … Si vous tendez l'oreille En parcourant ses pages Il n'aura pas son pareil Pour sortir ...