En chamboulant le temps
En bousculant l'histoire
En martyrisant la chronologie
En travestissant la vérité
En défiant la logique
Et en grimant les personnages
Le bonimenteur vous invite à le suivre
Lorsqu'il vous déclare avec gravité :
« Il advint une bonne fois pour toute !
Qu'il vous faudra bien accroire »
Il
était une fois une famille de pêcheurs de Loire qui avait été
frappée, comme tant d’autres en cette époque lointaine par le
terrible destin qui guettait les gens de la rivière Un jour de vent
violent, le père était parti sur l'eau pour n’en revenir jamais.
Des mariniers avaient retrouvé son bateau, ses filets mais du
bonhomme, jamais on ne revit trace.
Dans
la petite maison, face à la rivière, la vie était devenue plus
morose. La femme du disparu avait repris le collier comme elle le
pouvait, quand elle n’avait pas trop à faire dans sa maison. Le
père de son mari, courbé par le poids des ans, la suppléait quand
le temps était propice, il avait trop de rhumatismes pour affronter
les flots par mauvais temps.
Quand
le ciel était lourd de menaces, que le vent n’était pas
annonciateur à de bonnes pêches, c’est Berlaudiot, le gamin pas
tout à fait comme les autres, qui héritait de ce qui devenait alors
une corvée avec peu de chance de réussite. Cet enfant était né
après le drame, il avait sans doute perdu une partie de la raison
quand sa mère avait appris le malheur qui la frappait. Les coups du
sort ne sont jamais uniques dans pareille circonstance !
Berlaudiot
était pourtant d’humeur toujours égale. Il avait appris la Loire,
le monde des poissons, il eut été un excellent pêcheur si on
l'avait laissé faire dans de bonnes conditions. Hélas, parce qu’il
ne se rebellait jamais, qu’il souriait toujours, il héritait des
corvées les plus ingrates et n’allait sur l’eau que par mauvais
temps. Lui, gentil, ne s’en formalisait pas !
Ce
jour-là, il faisait grand beau. Le Grand-père était parti avec un
panier rempli de victuailles. Il passerait la journée au carrelet
pour une pêche qui s’annonçait fructueuse. Sa belle-fille lui
avait été généreuse, préparant une merveilleuse tarte aux pommes
qu’il accompagnerait d’une belle rasade d’arquebuse. Tout pour
oublier ses douleurs…
Alors
qu’il allait reprendre une portion de tarte, un vagabond passa sur
la berge. L’homme était épuisé, famélique, avait une voix
caverneuse qui n’augurait rien de bon. Il bouta son grand chapeau
de paille qui le faisait ressembler à un épouvantail. Poliment, le
trimard réclama de quoi manger un peu. Le vieux lui répondit qu’il
avait tout juste assez pour lui, le vagabond se remit en chemin, le
ventre vide.
Curieusement,
dans l’après-midi, le vieux releva à chaque fois un carrelet
désespérément vide. La légère brise venue de l'est et la rivière
qui n’avait pas connu de variation de hauteur ne justifiait en rien
cette mauvaise pêche. Qu’importe, le vieux étant particulièrement
repu, il s’accorda une grosse sieste pour oublier sa déveine.
Le
lendemain, le vent avait cette fois apporté une pluie fine et
pénétrante. C’est la mère qui partit sur le bateau, elle aussi
avec de quoi bien se sustenter à la midi. Les conditions en dehors
de ce petit aquadiau, étaient propices à une belle friture. Elle
avait d’ailleurs connu une matinée pleinement satisfaisante quand
elle se restaura. La scène de la veille se reproduisit en tout point
similaire à la précédente.
Le
vagabond arriva à sa hauteur, se découvrit et fit grande révérence
avant que de réclamer pitance pour apaiser une faim de loup.
La femme, indifférente à son allure, non seulement lui refusa tout
net le moindre morceau de pain tout en le pria de déguerpir sinon
elle appellerait au secours. Le pauvre hère s’en alla sans
demander son reste.
L’après-midi
fut calamiteuse. La femme non seulement ne prit rien de mieux mais
qui plus est, elle renversa le baquet qui contenait ses prises du
matin. Elle perdit presque tout le fruit de sa journée sur l’eau
et rentra de fort mauvaise humeur. La Loire annonçait des signes de
montée des eaux, demain elle enverrait Berlaudiot sur les flots.
Naturellement
ce fut une journée tempêtueuse. Le vent s’était fait grand
clapot, l’eau montait et la pêche risquait d’être fort
mauvaise. La journée idoine pour ce pauvre idiot se dirent son
grand-père et sa mère. Quant à lui, toujours heureux de son sort,
il n’était pas mécontent d’échapper aux corvées domestiques.
Il partit donc en sifflotant avec un pauvre quignon de pain dans sa
musette.
Le
matin ne fut pas fructueux. Le gentil imbécile était bredouille. Ce
n’est pas une raison pour ne pas chanter à tue-tête ce qui
l'empêcha de voir arriver un vieux mendiant à l’allure peu
engageante. L’homme l’interpela d’un coup de sifflet strident
pour se faire remarquer. En dépit de cette manière peu cavalière,
Berlaudiot lui demanda ce qu’il pouvait faire pour lui être
agréable.
Une
fois encore, le chemineux réclama de quoi manger. L’enfant
partagea son pauvre quignon de pain et le lui lança sur la rive.
L’homme le remercia, le dévora avec avidité puis, reprenant son
chemin il lui dit : « Que ta pêche te récompense de ta
générosité ! » Il s’en alla sans même se retourner.
Le
pêcheur se gratta la tête, signe chez lui, d’une profonde
réflexion. Puis, renonçant à comprendre, il se remit à l’ouvrage.
En dépit de la promesse du bonhomme, les conditions étaient bien
trop mauvaises pour prendre quoi que ce soit. La nuit allait tomber
quand il se résolut à revenir chez lui, la casier vide, certain de
se faire tancer.
Il
remonta la chaîne pour décrocher l’ancre. C’était
particulièrement lourd. Il parvint à grand peine à la libérer
pour sortir totalement les deux pelles de leur mouillage. C’est
alors qu’il remarqua accrochée à l’une de ses deux oreilles,
une chaîne brillante, prise par un maillon. Il dégagea cette
étrange épave ; une vieille corde de chanvre avec un gros nœud en
son milieu.
Ce
n’était à la vérité rien qui vaille. N’importe qui aurait
jeté cette curieuse trouvaille, pas notre ami Berlaudiot. Quand il
rentra à la maison, naturellement il essuya une volée de bois vert.
Non seulement il n’avait rien pris, ce qui n’étonnait ni son
grand-père ni sa mère mais qui plus est, il rapportait un trophée
sans valeur qui dans son esprit dérangé était un trésor.
Ils
le laissèrent à ses illusions. Le grand-père, malicieusement lui
dit : « Mon gamin, tu n’as qu’à dénouer ta corde, ça te
passera le temps, ce qui t’évitera de faire des âneries ! »
Le gamin n’attendait que cette demande pour s’isoler et tenter de
défaire ce que l’eau et le temps avaient si solidement noué.
À
force de patience et de persévérance, il arriva à son but. Le nœud
sitôt défait, il vit apparaître devant lui le mendiant à qui il
avait donné un morceau de son pain. L’homme lui sourit, retrouva
en quelques instants apparence plus humaine avant que de prendre la
parole : « Je suis ton père mon enfant, j’ai subi un terrible
maléfice qui me condamna à errer en bord de Loire jusqu’à ce que
se défasse ce nœud, sortilège d’une mauvaise fée de la rivière
! »
L’enfant
eut un tel choc qu’il perdit connaissance. Quand il se réveilla il
avait retrouvé ses esprits, ceux qui lui faisaient défaut depuis le
jour de sa naissance. Il se trouva alors entre son père et sa mère
tandis que son grand-père en larmes, priait le ciel pour le
remercier de ce miracle. Le ciel du reste n’y était pour rien !
C'est bien à Berlaudiot, et à lui seul qu'on devait se miracle. Il
avait su se montrer généreux.
La
corde à dénouer le temps existe peut-être, enfouie encore au fond
d’une rivière ou bien dans des cœurs arides. C’est à vous de
la dénouer pour retrouver un peu de joie et de bonne humeur. C’est
ainsi que le simplet qui ne l’était plus, vécut heureux,
conservant toujours cette joie de vivre qui avait été toujours la
sienne, entouré de parents qui se réjouirent de le marier avec une
gentille fille de son pays. Il vécut heureux et devint cordier,
quittant sans déplaisir le métier de son père, revenu à la
maison. Il fit les plus belles épissures et jamais au grand jamais,
il ne fit de nœuds.
Il
était une fois Gérard un musicien qui allait par les chemins.
L’homme vivait à la limite de deux grandes provinces, deux
traditions si bien qu’on le disait troubadour plus au sud et
trouvère plus au nord, c’était selon où ses pas le menaient.
Lui, qui vivait au cœur de sa chère Saintonge se sentait davantage
barde, allant dans toutes les assemblées avec son psaltérion.
Il
aimait tout particulièrement célébrer les huit grandes fêtes
traditionnelles celtes pour lesquelles il ne manquait jamais
d’honorer les cieux et les forces obscures. Tout d’abord les
quatre grands rendez-vous célestes avec les deux équinoxes : Ostara
et Mabon puis les deux solstices : Yule et Litha. Mais plus que tout
ce sont les quatre fêtes : Samain au 31 octobre, Imbolc au 2
février, Beltaine le 30 avril et Lugnasadh au 1er août qui
mobilisaient toute son énergie et son désir de faire le monde
danser.
Si
Samain est la fête des morts que tous connaissent désormais au
travers d’Halloween, Imbolc célèbre la fécondité, Beltaine les
lumières et Lugnasadh (celle de la fructification). Notre ami était
demandé dans les villages de la région de Cognac pour animer ces
belles soirées où chacun aimait à se retrouver pour raconter des
histoires, chanter, danser et partager un plat de circonstance. Il
aurait vécu ainsi heureux si sa réputation n’était pas arrivée
jusqu’à Mélusine, qui voulut le recevoir dans son château de
Lusignan.
Nous
étions fin avril à quelques jours de la nuit de Walpurgis,
celle où tous les chats se réunissent autour du château de la
terrible fée afin de retrouver toutes les sorcières de la région
et mener grand Sabbat. Gérard ignorait cette légende, il ne voyait
dans cette invite que l’opportunité de rencontrer une dame fort
belle d’après la rumeur et surtout côtoyer le gratin de la
noblesse locale. Il avait accepté la proposition avec enthousiasme
en dépit de quelques mises en garde amicales.
C’est
le cœur en joie que notre musicien poète se présenta devant le
château. Il faisait grand jour ce 30 avril, un soleil printanier ne
présageait en rien la suite de l’aventure. Gérard fut introduit
dans la grande salle de réception, des serviteurs zélés lui
annonçant qu’il n’était pas possible de voir la châtelaine,
dame Mélusine, avant la survenue de la nuit. Ils parlaient d’elle
d’ailleurs avec un ton mystérieux qui pourtant n'incita pas notre
homme à la méfiance.
C’est
entre chien et loup que la grande et belle demeure se remplit
progressivement d’hôtes étranges tout autant que silencieux. Ils
avaient des tenues d’apparat, de belles toilettes pour les dames,
des queues de pie pour les hommes. Ces personnages se taisaient. Pas
un bruit dans la grande salle, le musicien commençait à se poser
des questions. Où avait-il mis les pieds ?
C’était
une nuit sans Lune, le parc du château était plongé dans
l’obscurité quand d’un signal venu d’un domestique en livrée,
tous les invités, sans bruit se dirigèrent vers la terrasses. Ils
descendirent et se regroupèrent sur la pelouse à la lisière d'
arbres vénérables. Il y eut un cri strident, Mélusine apparut sur
le chemin de ronde et d’un bond magistral fondit sur ses hôtes.
À
cet instant, celui qui était sans doute le majordome ordonna à
Gérard de jouer. Le pauvre musicien demeura éberlué. Le spectacle
qui se déroulait sous ses yeux l’avait littéralement pétrifié.
Les convives se métamorphosèrent tous en chats, belettes, fouines,
renards et autres mammifères fort peu appréciés des humains. Les
animaux firent alors grande ronde autour d’une Mélusine, prise de
transe, qui ne cessait d’ordonner au musicien de divertir le
Sabbat.
Le
malheureux Gérard en était incapable. Pire, même il voulut prendre
la poudre d’escampette ce qui ne fut, vous devez vous en douter
fort mal perçu par la maîtresse du bal. Elle pointa vers lui un
doigt vengeur et tandis qu’il pensait avoir échappé à ce
rendez-vous de tous les diables, il se trouva transformé en
Ganipote.
Je
pense que je vous dois une explication. Vous connaissez tous le
loup-garou de sinistre mémoire. Créature malfaisante associée à
l’univers des ténèbres et de la sorcellerie. La Ganipote quant à
elle est une bête monstrueuse qui hante les bois sombres, parcourt
la campagne les nuits sans lune. Volontiers facétieuse, elle aime à
changer d’apparence pour tromper son monde. Parfois loup, mais
aussi chien, mouton, chèvre, chat ou lièvre cornu, elle s'amuse à
terroriser les passants en leur sautant violemment sur le dos, toutes
griffes dehors. Elle s'y agrippe et pèse de tout son poids jusqu'à
ce qu'ils périssent étouffés. Parfois, à l’inverse, elle se
donne un air parfaitement inoffensif, invitant alors les enfants à
la suivre afin de mieux les perdre.
Si
jamais il vous arrivait de croiser la terrible Ganipote, n’oubliez
jamais que c’est notre pauvre Gérard envoûté par la maléfique
Mélusine. Avant que de succomber sous ses coups mortels, ayez la
présence d’esprit de la rappeler à sa passion première. Chantez
lui une aimable complainte ou mieux encore, jouez d’un instrument
de musique.
La
Ganipote retrouvera alors dans l’instant la forme du gentil
troubadour avec lequel vous passerez alors une fort agréable soirée
pour peu que vous l’invitiez autour d’une bonne table. Il a plus
d’un tour dans sa musette et sera capable de vous enchanter en
jouant d’une bonne douzaine d’instruments différents. Mais gare
à ne pas le respecter, il pourrait reprendre du poil de la bête et
vous sauter à nouveau sur le dos.