mercredi 31 juillet 2019

Le conte courant.



À Marcel Marceau 

 

Il était une fois, Marceau, un raconteur d’histoires, un diseur de sornettes qui aimait à manger ses mots. L’appétit lui vint en narrant : drôle de manière de remercier ceux qui buvaient ses paroles. Devant ce flot inaudible de propos désarticulés, de phrases incomplètes, de récits démembrés, les auditeurs, pourtant, ne s’enfuyaient pas à toutes jambes. Il y avait dans ce verbiage incompréhensible quelque chose de magique : un étrange envoûtement saisissait ceux qui écoutaient le conteur pressé.

Sa voix devait les charmer car vraiment aucun sens ne pouvait être tiré de la folle succession de mots avalés, triturés, déformés, malaxés et régurgités de manière anarchique. La syntaxe y perdait son latin, le lexique se couvrait de nouveaux termes ; des sonorités incongrues surgissaient de la gorge du parleur incertain. Le conte allait grand train, il filait à la vitesse du vent, il dévalait à grand fracas d’interjections et d’onomatopées.

Le récit n’avait plus d’importance ; le conteur était bruiteur, compositeur d’une mélodie de syllabes mêlant diphtongues éraillées et consonnes gutturales qui avait un charme étrange sur ceux qui s’étaient regroupés autour du babilleur. Plus celui-ci perdait haleine à ainsi prolonger sa logorrhée folle, plus les spectateurs ouvraient de grands yeux, exprimant une émotion intense, faite de peurs, de joie et de fous rires. Il faut bien reconnaître que le spectacle à lui seul justifiait l’enthousiasme de ces gens.

L’homme gesticulait, sautait, se roulait par terre, dansait une folle farandole, mimait une histoire que sa bouche ne permettait pas de comprendre, tout en lui donnant miraculeusement une présence tangible, une véracité extrême. Il était pantin bruyant, danseur à la mélodie vocale, cinémascope sans écran. Il avait inventé un genre : l’épopée corporelle et il faut avouer que son succès était largement mérité.

C’est alors que survint le drame : alors qu'il était au sommet de sa gloire dans une aventure épique, un récit plus haletant que les autres, le conteur buta sur un son qui refusait de s’épanouir comme les autres. Il lui resta en travers de la gorge alors que les suivants se pressaient déjà pour jaillir à leur tour. Ce fut un bouchon qui devint barrage, un embouteillage qui étouffa le beau parleur. Il se congestionna, se figea, cessa sa transe pour tomber comme une feuille morte, lentement, très lentement, comme s’il se mettait soudain à flotter dans un univers de points de suspension.

Ce que les spectateurs prirent pour une chute, était en fait l’agonie d’un homme qui avait dit son dernier mot. C’en était fini des contes courants, des histoires haletantes, des aventures au pas de charge. Le silence qui suivit saisit les personnes qui assistèrent à ce moment incroyable. Après de longues secondes d’inquiétude, ils virent Marceau se relever sans un mot, sans un soupir. Il semblait désormais incapable d’émettre le moindre son …

Il était livide, pâle et les traits creusés. Une larme coulait sur sa joue. Le conteur avait compris qu’il était devenu muet. Malgré tout, il avait en lui cette histoire qu’il devait achever : il en exprimait un besoin irrépressible. Qui n’a jamais raconté une histoire, ne peut comprendre le drame que constitue un récit interrompu pour une raison quelconque ; un incident, un importun, un bruit parasite, une maladresse …

Il lui fallait finir. Sans ces mots qui dévalaient de sa bouche, son corps trouva une nouvelle maîtrise, une grâce miraculeuse. Lentement, majestueusement, il se mit à traduire en gestes amples, éloquents, envoûtants, une aventure à laquelle ses mimiques expressives donnaient véritablement vie. Marceau venait d’inventer le mime : l’art le plus élaboré du discours, la forme la plus aboutie du conte.

Lui qui avait été jacasseur impénitent, lui dont les mots s’entrechoquaient, lui qui avait été un ouragan de sons se transformait alors en un Pierrot lunaire, un être de rêve et de songe. Il planait devant les spectateurs sidérés. Jamais émotion ne fut plus forte ; sans un mot, Marceau racontait la plus belle, la plus grande, la plus extraordinaire histoire. Le conte avait cessé de courir, il enveloppait les auditeurs, les prenait par le cœur, les emportait dans des contrées merveilleuses où chacun pouvait enfin prendre le temps de regarder une histoire en silence.

Il n’est plus grand talent que de raconter une épopée sans un mot, sans une image. Marceau avait atteint le sublime, l’expression la plus aboutie de la sensibilité. Il méritait bien ce petit récit, écrit avec de pauvres mots. Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir l’immense talent de traduire avec son corps les mots qui se bousculent dans la tête … Le mime va à contre-courant de cette société qui court à sa perte !

Mimiquement sien.


mardi 30 juillet 2019

Descendre la Loire en canoë.



Conseils d’un béotien pour les néophytes.



Une aventure au long cours en canoë sur la Loire ou un de ses affluents réclame quelques précautions préalables. L’hiver va arriver à propos pour vous laisser le temps de vous préparer à ces vacances originales.

La première consiste dans le choix de votre embarcation. Un compromis entre poids, taille, stabilité et maniabilité s’impose. Chacun trouvera midi à sa porte mais l’essentiel est d’essayer votre futur compagnon de route au risque d’un divorce ou d’un chavirement inopiné. Votre position à son bord doit être confortable, vous allez y passer des heures. À titre personnel, j’ai toujours pensé qu’une rame symétrique avec pagaie était préférable à la pelle du canoë même si en disposer d’une permet de varier les plaisirs. Les spécialistes et les puristes s’insurgeront contre cette hérésie.

Essayer votre canoé ou votre kayak suppose de le faire en conditions réelles avec tout le barda. Ce n’est qu’ainsi que vous jugerez de la faisabilité de votre projet. N’ayez aucune crainte, comme pour les grandes randonnées pédestres, vous embarquez toujours beaucoup trop et vous finissez par vous délester au fil du voyage. Pensez donc à user des conseils d’une personne ayant effectué un raid comme celui que vous envisagez.

Le matériel transporté doit supposer un examen rationnel de la chose. Non seulement il faut des bidons étanches mais vous devez apprendre à les repérer, à organiser un rangement dans cette étrange valise mal commode. Vous devez encore penser à l’amarrage des bidons afin de ne pas les voir disparaître en cas de chavirement. Pour moi, la chambre à air de motocyclette découpée en lanières est l’objet idéal à l’utilisation rapide et efficace.

Autre gros problème, la sécurité de vos trésors. S’éloigner du bateau c’est prendre le risque de tout voir disparaître. Il convient non seulement de trouver une chaîne et un cadenas pour votre destrier mais également un dispositif dissuasif pour les petits larcins. Pour les véritables actes de pirateries, vous serez totalement démunis, le mieux étant de ne jamais trop vous éloigner de votre compagnon.

Ce qui suppose donc des roulettes afin qu’il puisse vous suivre dans un terrain de camping ou bien un passage trop délicat qui nécessite une sortie de l’eau. Là encore le choix est primordial et la qualité en ce domaine très inégale suivant les modèles. À vous de penser la chose solide, efficace et surtout d’une mobilité aisée.

Maintenant, sur l’eau il convient de ne jamais oublier le gilet de sauvetage en dépit de la tranquillité supposée de la rivière. Choisissez un modèle confortable, seyant, capable de vous permettre d’aller dans les villages traversés sans passer pour un extra-terrestre. Ceci est une question d’esthétisme mais aussi de capacité à ne pas être repoussé par les autres.

Les chaussures étanches et sécurisées s’imposent. Aller pieds-nus pour une telle aventure est pure folie. Cailloux, verres, canettes et autres surprises sont là qui attendent sournoisement leur heure. Un pied blessé, c’est la fin du parcours. La crème solaire est également dans l’indispensable panoplie de l’aventurier ligérien. Méfiez-vous des ciels trompeurs et n’oubliez pas non plus les lunettes de soleil qu’il convient d’attacher.

Tout attacher, c’est la règle sinon tout finit immanquablement par tomber à l’eau. Chacun trouvera ses petites astuces qui vous viendront au gré des sorties préparatoires. Le sac à dos étanche est indispensable lui aussi pour avoir avec vous vos trésors personnels : carte bleue, argent liquide, appareil photo, ordinateur ou téléphone.

Maintenant place à la navigation. Ne soyez pas galérien. Donnez-vous un programme qui laisse le temps aux rencontres, à la flânerie et aux visites. Ce n’est pas une épreuve sportive. Six heures de navigation sont assez, au-delà ce n’est plus du plaisir surtout si c’est ainsi des semaines durant. N’oubliez pas non plus que toutes les opérations de la vie quotidienne demandent dans pareille aventure plus de temps, de la toilette aux besoins pressants, des repas aux achats pour le ravitaillement. Un véhicule d'assistance vous simplifiera la vie mais vous fera sortir du cadre aventureux. C’est à vous de voir.

L’hébergement réclame une grande capacité d’adaptation. Des opportunités se présenteront à vous pour un hébergement, une nuit sur une toue, un campement sauvage ou bien une proposition insolite. Il convient de ne pas se couper de tels bonheurs par un plan de route trop rigide. Les campings sont pour autant des points de chute très convenables.

Dormir sur une île n’est pas toujours recommandé ni même autorisé. Vous risquez encore de déranger la faune et de provoquer quelques désagréments. Vos besoins naturels supposent alors respect et organisation. Je doute que chacun soit disposé à faire ce qui convient en ce domaine. Même si le sujet peut prêter à rire, il est fondamental et ne pas y songer c’est devenir à votre tour un souilleur de rivière.

La navigation demande connaissances et prudence. Des guides existent, nous pourrions vous les conseiller mais nous préfèrons que vous alliez vous renseigner auprès d’un club de canoë Kayak. C’est ainsi que vous aurez en plus des conseils bien plus précis que ce bref petit texte. La distance que vous allez parcourir est si grande que bien peu pourront vous enseigner tous les pièges qui seront sur votre trajet. C’est ainsi qu’il vous faudra souvent interroger ceux qui connaissent les lieux.

Le passage des ponts est parfois périlleux. Un repérage s’impose quand ceux-ci sont anciens. N’hésitez jamais à accoster en amont et vous rendre sur le pont pour voir d’en haut ce qui vous attend en bas. Si le passage vous parait trop dangereux, les roulettes vous sauveront la mise car un chavirement dans pareil cas peut tout remettre en cause.

Voilà, vous pouvez préparer votre aventure. Elle mérite d’être vécue. Nous sommes de ceux qui pensent qu’elle mérite d’être réalisée en solitaire. Si vous préférez un compagnonnage, choisissez bien votre ami et disposez d’un bateau chacun. Pensez à votre confort. Bien dormir est nécessaire, pouvoir s'assoir confortablement durant les repas et les pauses aussi. N’oubliez pas de nous raconter votre périple, de partager clichés et sensations, rencontres et anecdotes. Votre voyage deviendra alors une occasion d’évasion pour ceux qui n’ont ni la possibilité ni les moyens de le faire. Le partage sera un cadeau que vous leur ferez.
 


 

lundi 29 juillet 2019

Un tout autre fleuve ...



Quand c'est trop beau …



Il était un vagabond, un trimard qui allait de ferme en ferme louer ses bras pour chercher la pitance. Ce chemineux, on ne sait pourquoi, avait élu belle étoile le long de la Loire. Toujours à portée de sabot et de senteur, elle était son réconfort et sa seule richesse. Il ne s'en éloignait guère que pour quelques heures de labeur dans un domaine du Val avant de rejoindre un de ses fossés et dormir à son aise en écoutant murmurer la rivière.

La vie n'était pas toujours simple pour cet homme humble ; il ne demandait rien d'autre qu'un peu de pain et de soupe mais recevait pourtant plus souvent des cailloux que des pièces d'argent. Les humains sont ainsi faits qu'ils craignent ceux qui ne vivent pas comme eux. La chose a toujours été la règle et gare à celui qui s'écarte des sentiers battus !

L'homme l'avait bien compris, lui qui se plaisait plus que tout à s'éloigner de nos villes pour se réfugier dans la quiétude des taillis et des bosquets, des varennes et des berges désertes. Il se posait et regardait la nature, son bien le plus précieux. Grâce au savoir ancestral qu'il avait hérité des siens, il était capable de reconnaître tous les animaux , toutes les plantes, et savait guérir ou bien soulager avec les herbes sauvages, mais jamais il n'aurait songé à en faire commerce ,

Il avait choisi la pauvreté et la solitude comme d'autres font don de leur vie à la prière et à la réclusion monastique mais il ne croyait ni à Dieu ni au diable . Nul n'aurait dû le lui reprocher mais elle était bien passée, la mode des ermites qui avaient constellé notre Loire.



Il allait ainsi, la musette bien vide depuis quelque temps car la saison n'était guère propice à trouver un petit emploi. Dans sa gibecière juste un vieux quignon de pain noir et rassis . Il était las ; grand faim lui tenaillait le ventre, qui lui donnait étourdissements et troubles d'esprit accompagnés d'étranges visions. Il était grand temps de trouver un gîte, de tenter de trouver le sommeil.

C'est contre un beau saule blanc qu'il s'adossa. De cet arbre majestueux , à la prestance quasiment surnaturelle, semblait émaner on ne sait quel magnétisme particulier. L'homme savait reconnaître les signes de la nature. À n'en point douter, cet arbre avait un pouvoir magique ou bien devait servir de refuge à quelques lutins malicieux … Il s'y accola et ferma les yeux, cherchant dans le sommeil ce repas qu'il ne pouvait faire.

Il allait s'assoupir quand il vit, comme en songe, une table remplie de victuailles. Sa privation lui jouait-elle encore des tours ? Il y avait pourtant quelque chose de tangible dans cette vision. Elle était accompagnée d'effluves magnifiques. Jamais encore, il n'avait eu des délires olfactifs ; il voulut s'en assurer en ouvrant les yeux.

Devant lui se dressait une table de fête pour qui ne mange jamais à sa faim. Il y avait de quoi rassasier une troupe de miséreux. Se sentant bien seul devant tant d'abondance, il aurait aimé que d'autres compères bénéficient aussi de ce miracle. Sans se poser plus de questions, il se mit en demeure de se remplir la panse. Il eut bien l'impression que d'autres partageaient son repas, mais son esprit était confus ce jour-là. Il serait grand temps, après avoir mangé tout son saoul, de songer à retrouver des idées plus claires. Il s'endormit, la bedaine proche de l'éclatement et quand il se réveilla, il n'y avait plus rien.

Il avait été victime d'une hallucination : rien de ce qu'il avait imaginé ne s'était produit en vrai, se disait-il quand un énorme rot vint lui remettre les idées en place. Cette manifestation interne depuis longtemps inconnue , lui prouva qu'il n'avait pas rêvé, il était repu : une sensation dont il avait oublié l'existence. La nuit approchait ; toujours adossé à son arbre, il désira un bon lit pour passer la nuit après un tel festin.

Cette fois encore-l'arbre en était-il la raison?- son souhait fut exaucé. Devant lui, alors que quelques minutes auparavant , il n'y avait que ronces et broussailles, se dressait une simple maison de toile à la porte entrouverte. Il se frotta les yeux, se leva et pénétra en cette curieuse demeure. Elle était vide, seul un lit trônait dans cette pièce ronde. Au milieu brûlait un feu qui venait d'une incroyable cheminée. Le lit avait été fait, il lui tendait les bras …

Il s'en approcha, glissa sa main sous l'édredon épais. Des draps de lin, des draps frais comme il n'en avait plus souvenir. Il allait succomber à ce plaisir, se glisser dans ce cocon douillet quand la raison lui revint. Céder ce soir à ce luxe magnifique, c'était remettre en doute sa vie de privation et d'austérité. Après ce bonheur, pourrait-il reprendre à nouveau la route ?

Il sentit qu'il lui fallait renoncer à moins qu'on ne lui lui conseillât de déguerpir au plus vite de là. Cette fois encore, il ne savait plus faire la part du vrai et du faux. Il sortit et retourna se blottir contre cet arbre magique. Ce fut là son erreur et sa faute. Jamais il ne se pardonnerait ce geste. Que ne s'était-il ensauvé bien vite, le plus loin possible de cet arbre maléfique ! Il se lova contre le saule à souhaits en se jurant de ne songer à rien d 'autre qu'à la vie qu'il s'était choisie. Il trouva bien difficilement le sommeil ;son esprit était tourmenté et sa raison vacillait.

Dans ses songes, lui survint l'idée que cet arbre recélait diablerie et tentation , qu'on cherchait à le leurrer, à lui faire accroire des mensonges . Ne croyant ni à Dieu ni au diable pourtant, il se demanda quels hommes pouvaient ainsi promettre la Lune aux pauvres vagabonds comme lui ?

C'est à son réveil qu'il découvrit la réalité du cauchemar. Une troupe de soldats entourait son arbre et c'était dans le camp d'une armée napoléonienne en marche qu'il avait passé la veille et la nuit . On lui avait tendu un contrat que sa folie lui avait fait accepter. Sa folie ? plutôt cette faiblesse extrême , cet état proche de l'inconscience dans lequel il avait succombé à cette orgie de victuailles si néfaste pour les pauvres hères. L'avait-on enivré ? Il n'en avait gardé aucun souvenir . Toujours était-il qu'il s'était endormi vagabond mais se réveillait soldat ; il venait de pactiser avec le diable …



Très longtemps il continua à arpenter les chemins et les sentiers, toujours à pied mais plus jamais seul cette fois. A jamais il abandonna sa chère Loire pour un nouveau fleuve, funeste celui-là , un de ceux que personne ne voudrait connaître. C'est au bord de ce fleuve de sang et de larmes qu'il passa le reste de son âge. Il mangeait à sa faim, certes, mais appétit et joie de vivre l'avaient définitivement quitté . C'est d'ailleurs avec un immense soulagement qu'il reçut ce boulet qui mit fin à son calvaire.

Que cet engin mortel fût fabriqué dans les forges de Cosnes, n'était qu'un terrible clin d'œil de l'histoire. Pourtant rien de tragique dans cette fin : notre soldat eut le bonheur de s'allonger sous un arbre: un saule blanc, tout aussi beau que celui qui avait causé son malheur. Après les années d'enfer qu'il venait d'endurer tandis qu'il rendait son dernier souffle, lui fut enfin rendu son paradis perdu : sa belle Loire ; ainsi pour l'éternité, reprendrait-il sa vie de trimard.

Si d'aventure vous croisez le long de la rivière, sur une berge ou bien un chemin de halage, un vagabond allant à pied, souriant et paisible, faites-lui bon accueil. C'est peut-être notre bonhomme qui a retrouvé son destin. Ne lui faites pas l'injure d'un regard noir ou d'une parole blessante, offrez-lui de quoi manger, tout simplement. Accordez -lui aussi un mot gentil et, qui sait, il vous dira peut-être un de ses secrets.

Pacifiquement sien.

dimanche 28 juillet 2019

Le prévôt des marchands et le mendiant …

La Chasse aux miséreux 

Jean Miel : le mendiant
 


Il était une fois une ville bourgeoise riche et prospère. Elle fondait sa richesse sur le commerce au travers d'une marine de Loire qui transportait presque toutes les marchandises du royaume. En cette ville, était le prévôt des marchands, personnage puissant et opulent. Il tenait l'Argenterie, cette grande institution qui, sous l'impulsion de Charles VII et Jacques Cœur, était devenue le supermarché des produits de luxe pour les grands du pays.

Notre prévôt possédait une telle fortune qu'il pouvait prétendre rivaliser avec le roi Il faisait métier du commerce et de l'usure, cette position lui donnant un pouvoir considérable sur tous ceux qui étaient ses débiteurs. C'est ainsi que bien vite, il s'arrogea sur la ville des droits dignes d'un seigneur, se permettant d'établir décrets et taxes.

Le Prévôt s'ennuyait cependant. La richesse finit par lasser quand elle offre tout ce qu'on désire et même ce à quoi on ne songeait même pas mais que d'autres, par flagornerie, esprit courtisan ou intérêt, viennent vous proposer. Il avait ouï dire que, dans sa ville, vivait un mendiant, homme de peu qui était connu de tous pour sa bonne humeur et sa joie de vivre.

C'était un sujet d'interrogation pour notre prévôt. Comment pouvait-il être heureux, cet homme qui ne possédait rien ou si peu ? Il voulut s'enquérir du secret de ce personnage qui, chose insupportable, semblait plus respecté que lui dans sa propre cité. Il décida un soir de se grimer en vagabond et d'aller voir de ses yeux ce qui rendait heureux ce pauvre homme.

Le prévôt frappa à la porte de la masure du mendiant : une cabane de planches disjointes, installée sur les quais, à la merci des fantaisies de la Loire et du vent. Le mendiant s'était préparé un brouet : une soupe épaisse pour unique repas. Accueilli comme un roi, le faux vagabond se vit offrir de partager le repas du mendiant.

Le prévôt n'en revenait pas, lui si prompt à faire donner du bâton aux quémandeurs qui ne manquaient pas de se presser devant sa demeure. Il partagea ce repas et s'enquit de l'origine de ce plat. Diogène, le mendiant comprit la préoccupation du vagabond et lui avoua que c'était le salaire de sa journée de labeur : il avait proposé ses services à un pêcheur de Loire dont, toute la journée, il démêla ses filets.

Le lendemain, le prévôt qui avait retrouvé sa tenue et son statut, édicta un décret interdisant aux pêcheurs de sa ville d'employer des hommes de peine à la journée. Il leur fallait désormais trouver compagnons ou se débrouiller seul. Ce mauvais homme, se disait qu'ainsi le mendiant serait moins heureux.

Il voulut s'en rendre compte quelques jours plus tard. Vêtu des mêmes loques, il se présenta à la cabane. Cette fois, c'était le fumet d'un bon ragoût qui embaumait la modeste demeure. Diogène offrit une nouvelle fois le partage de sa pitance à ce visiteur à la triste mine et, une fois encore, il dut lui expliquer comment il avait gagné de quoi casser la croûte.

Au matin, il avait rendu visite aux mariniers. Sur le quai, des calfats, gens de peine qui enduisent de goudron la coque du navire, avaient besoin d'un assistant pour passer la journée à chauffer cette affreuse mélasse, sans cesser de la tourner. Il avait fait ce travail repoussant et avait bien mérité son ragoût.

Le lendemain, le prévôt à nouveau édictait une règle interdisant à qui n'était pas calfat de venir travailler sur le pierré sous prétexte que les corporations devaient rester figées. L'homme puissant voulait abattre le simple, celui qui se contentait de si peu et qui pourtant lui disputait la renommée et le respect dans sa propre ville.

Quelques jours passèrent ; à nouveau le prévôt se grima pour se rendre compte des conséquences de ses décisions sur cet homme dont le bonheur lui semblait intolérable. Diogène, ce mendiant bien nommé car chaque jour il quémandait un travail nouveau à qui voulait bien lui offrir sa pitance vespérale, reçut avec un curieux sourire son visiteur du soir.

Une fois encore, il partagea le fruit du travail du jour. Il avait aidé au déchargement des tonneaux d'un train de bateaux qui venait d'Orléans. Mais le mendiant qui n'était pas dupe, ne s'arrêta pas en si bon chemin dans ses explications. Il fit la longue liste de tous les travaux qui pouvaient, au fil des saisons, lui procurer chaque soir de quoi manger.

Le prévôt, se rendant compte qu'il était démasqué, coupa court à cette longue énumération des petits travaux dédaignés par tous et qui ne rebutaient pas le mendiant jovial. Il demanda à son hôte les raisons de cette litanie sans fin. Diogène lui dit alors : « Monsieur le Prévôt, j'ai dévoilé vos manigances. Vous voulez savoir comment peuvent survivre ceux que la providence n'a pas dotés d'un métier ou bien d'une fortune, d'une bonne naissance et d'une position sociale. Vous voulez sans doute extirper la pauvreté de votre cité car vous considérez qu'elle fait tache à votre richesse !

Rassurez-vous, vous êtes un précurseur : dans l'avenir, beaucoup des vôtres voudront chasser les miséreux des grandes villes. Ne plus voir les pauvres sera leur idée fixe. Comme si la misère était contagieuse ! Ne vous y trompez pas : la présence des humbles et des démunis est la seule qui puisse vous donner l'illusion de votre puissance. Sans nous, une cité de riches deviendrait bien vite une jungle aseptisée, un espace inhumain et impitoyable.

Laissez-nous survivre dans votre ombre et vous aurez au moins le bonheur de vous sentir supérieurs. C'est ce que vous avez à retenir de cette expérience et il ne sert à rien de vouloir m'effacer. Rappelez-vous : c'est ma présence qui justifie votre puissance. Quant à moi, je suis heureux de ne pas subir les tourments qui vous rongent et jamais l'argent ne me servira de substitut au bonheur ! »

Le prévôt rentra dans sa demeure et fit chaque jour porter un repas à ce Diogène qui lui avait appris à ouvrir les yeux ; cette leçon en effet valait bien un plat chaud. Et puis, en cette bonne ville de Tours, Saint Martin avait montré la voie du partage.

A notre époque encore, bien des puissants ne supportent pas le spectacle de la misère autour d'eux, misère qu'ils aggravent encore chaque jour pour satisfaire leur appétit de richesse au détriment de tous les autres. Qu'ils imitent le prévôt des marchands et se donnent la peine de rendre visite aux exclus de leur si belle société et qu'ils donnent la moitié de leur manteau à ceux qui ont froid ! Je connais ici des notables à qui cette recommandation serait salutaire pour la sauvegarde de leur âme.

Partageusement sien.

 Gilbert Alexandre de Severac : le mendiant


samedi 27 juillet 2019

La couleur des échelles …



L'histoire Auguste le charron.



Nous sommes, il y a bien longtemps, avant l'électricité et l'automobile. La France est alors une nation rurale et, quelque part en Val de Loire et Sologne, un petit village vit paisiblement à l'ombre de son clocher. Toutes les maisons y sont bâties sur le même modèle. Elles sont faites de briques rouges, de tuiles et de beaucoup d'amour. Elles sont basses, avec un grenier en soupente auquel on accède par une échelle posée sur le devant de la bâtisse.

Le héros involontaire de cette histoire se prénomme Auguste, comme son père avant lui et son grand-père auparavant. Son fils a respecté cette belle tradition qui marquait l'immuabilité de la transmission alors. Auguste donc est charron de son état. C'est lui qui ferre les chevaux de trait, qui recercle les roues des charrois, qui fabrique charrues et outils pour travailler la terre.

Ce jour-là, Auguste a été appelé pour ferrer les chevaux dans une grande ferme entre Villemurlin et Viglain, le long de la petite rivière du Bec d'Abble. Il sait qu'un charretier doit lui apporter un lourd chargement de fer pour son ouvrage. Il a mandé à un gamin du village de surveiller la venue du bonhomme sur la route de Sully et de lui dire que l'échelle est posée sur la façade et qu'il n'a qu'à tout ranger dans le grenier.

Le gamin remplit sa mission. Il aperçoit le convoi, interpelle le livreur et lui fait sa commission sans se soucier de le mener devant la bonne maison. Il fait grand beau et le gamin a envie de courir la lande. Hélas, le charretier habituel a eu un deuil dans sa famille et s'est fait remplacer par un novice.

Inutile de vous mener en bateau, vous avez déjà deviné les conséquences de ce concours de circonstances. Le livreur occasionnel avança et vit sur la place de l'église une bonne dizaine de maison avec la porte du grenier ouverte et une échelle posée devant celle-ci. Devant l'une des maisons pourtant, il y avait un tombereau et notre homme pensa qu'il était chez le charron dont l'atelier, pour son malheur, était de l'autre côté.

Il maudit ce client négligent, absent pour l'aider à décharger sa lourde commande. Il peinait grandement à porter sur l'épaule ses blocs métalliques. L'échelle était instable et plusieurs fois il manqua de se rompre le cou. Épuisé et fourbu, il terminait sa besogne quand Auguste arriva à sa rencontre, l'air furieux.

« Mais bougre d'âne, où as-tu mis ma commande, grand nigaud que tu es ? » L'autre n'était plus en état de défaire ce qu'il avait fait à grand peine et répondit sèchement :  «  A-t-on idée de n'être point là quand on reçoit une livraison. J'ai remplacé le père Gaston et j'ai fait comme le gamin m'a dit. Je vous souhaite le bon soir et dépatouillez-vous comme vous pourrez ! » Sur ce, le livreur remonta sur son siège, claqua le fouet et repartit en laissant Auguste les bras ballant.

L'affaire fit grand bruit dans le village d'autant plus que la marchandise avait été livrée chez le seul mauvais coucheur du bourg. Un gars qui vit d'un très mauvais œil Auguste pénétrer dans son grenier pour récupérer son bien. Il y eut bel esclandre sur la place du village et tout dut se calmer autour de quelques chopines dans le troquet du coin.

Finalement Auguste et quelques autres se mirent à l'ouvrage pour que tout rentrât dans l'ordre. Mais la leçon avait été retenue. Le charron passa la nuit à maudire le livreur et à s'interroger pour trouver un moyen de remédier à cette bévue qui pourrait bien se reproduire une autre fois. Les maisonnettes sont toutes semblables, les échelles itou. Point de numéro ni d'enseigne dans un pays ou chacun connaît son voisin et les autres, mais voilà ce qui peut arriver quand un étranger vient de se mêler de nos affaires !

Auguste, qui avait connu un engagement militaire en Bretagne, se rappela que la couleur des volets de bon nombre de maisons était définie par le métier du propriétaire. Pour les marins, ils étaient bleu marine ; pour les sauniers, gris , pour les paysans, jaunes. Une belle idée que voilà dans ce code couleur. Il y a avait que quoi distinguer les échelles et leurs propriétaires dans ce petit village solognot.

La proposition d'Auguste recueillit l'adhésion de tous. Peindre son échelle n'était pas une grosse contrainte et allait égayer un peu le bourg. Le boucher, la charcutier et le tueur eurent droit au rouge, les agriculteurs se virent attribuer le marron, les bûcherons et les fabricants de balai eurent droit au jaune de nos genêts, le gris revint au médecin, au notaire, et au garde champêtre, le rebouteux reçut le vert, le charron se réserva le bleu.

Pour Auguste, ce fut ainsi un mélange composé de bleu de Prusse, de sulfate de baryte et de blanc de titane, qu'il utilisait également pour peindre les machines agricoles. On ne faisait pas de vaines économies en Sologne, ou bien ailleurs, en cette époque. L'utile pouvait se joindre à l'agréable sans jamais contrarier le raisonnable.

Ainsi les gens de Villemurlin virent la vie en couleur et s'élevaient dans leur grenier en sachant ce qu'ils faisaient. La chose aurait pu durer ainsi, de génération en génération mais les turbulences de l'histoire vinrent semer le désordre dans le bel agencement de la vie locale. Ce fut d'abord la guerre de 70 qui vit les Prussiens venir jusqu'au pont de Sully qu'ils brûlèrent sans pouvoir le franchir. On avait tremblé dans la Sologne voisine.

Puis, les échelles cessèrent d'être peintes par les jeunes gens. La terrible ponction des hommes de la grande guerre fit qu'il n'y avait plus grand monde pour tenir le pinceau. Dans bien des maisons, le noir du deuil aurait sans doute eu la préférence des veuves et des mères inconsolables. Seule la famille du charron continua à peindre en bleu son échelle : une tradition à laquelle il convenait de ne pas déroger chez eux autres.

Villemurlin serait resté dans l'ombre si quelques conteurs ne s'étaient donné rendez-vous pour une belle animation : « Berdigne, berdongne » dont ils ont le secret. Nous étions en 2005 et l'histoire de l'échelle bleue de la famille du charron fit florès ! Il y avait sans doute dans la mémoire des gens du pays quelques réminiscences du passé : chacun voulut peindre son échelle, en bleu, tout comme le charron d'autrefois.

Ce fut un mouvement unanime, un grand coup de pinceau dans la monotonie du temps pour ce charmant village qui s'endormait dans l'indifférence. Un petit rafraîchissement qui vous redonne bonne mine. Villemurlin devint le village des échelles bleues ! Un livre sur la vie de ce petit coin de Sologne redonna le goût aux gens d'ici de savoir l'histoire de jadis. Un autre conteur se chargea d'ajouter sa petite touche multicolore.

Ainsi vont les légendes. Qu'elles soient vraies ou bien pas tout à fait inexactes, elles apportent de la couleur à la vie. C'est bien là l'essentiel. Si jamais vous passez par Villemurlin, vous verrez partout des échelles bleues. Pensez donc à Auguste et à tous ces anciens qui vécurent un jour ici.

Colorement vôtre.



vendredi 26 juillet 2019

Férolles sur loire.



Ou la colère des lieux !



Il était une fois, il y a bien longtemps de cela, au temps de ceux qu'on prétend nos ancêtres : les gaulois, une ville, alors en bord de Loire. C'était un important centre celtique où se réunissaient druides et artisans. Férolles était alors le pôle métallurgique de notre région, d'où ce patronyme. On y extrayait le fer qu'on transformait sur place avant que de le confier au fleuve pour aller vivre le reste de son âge de bronze …

Tout se passait fort bien entre les habitants et le fleuve jusqu'à ce qu'un vilain grain de sable, une paillette de fer ou un contre-temps fâcheux ne vienne briser le charme et interrompre le cours de l'histoire. Il ne faisait alors pas bon provoquer la colère des Dieux ou bien celle des forces indomptables de notre fleuve sauvage.

Mais revenons à nos forgerons. Ils avaient bien de l'adresse dans les mains et un sens aiguisé de la technicité. Pour aller sur des chemins qui n'avaient pas attendu les romains pour être tracés, ils ferraient leurs chevaux, c'est même en cette science qu'ils étaient devenus les maîtres. Tant et si bien que des Carnutes, de Biturgie, d'Arvenes, de Namnètes et de Segusaves, les chevaux de tous les peuples d'alors venaient en notre pays trouver fers à leurs sabots.

La gloire ne dure hélas qu'un temps, il y a toujours un dérèglement étrange pour venir interrompre les cycles heureux. Le succès peut nourrir les germes de la décadence, un détail suffit parfois à rompre le charme d'une période faste. Mais, n'allons pas si vite en besogne. Il faut d'abord dresser le décor et présenter les protagonistes de la fable.

Ogmios était en ces temps druidiques un fieffé bavard et un guerrier d'une force colossale. Ce vieillard, malgré le poids des années, n'avait rien perdu de sa force musculaire. Il était redouté de tous tant par sa capacité à mener des joutes verbales que par sa rudesse dans le combat. Son crâne était dégarni, les rares cheveux qui lui restaient étaient tout à fait blancs. Sa peau était rugueuse, brûlée jusqu'à être tannée comme celles des vieux marins à force de manier la massue et la forge. Notre charron était respecté dans tous le pays et sa réputation n'était plus à faire.

Condatis quant à lui n'avait rien de particulièrement impressionnant. C'était un marin hors pair, c'est à lui que revenait la lourde responsabilité de guider les embarcations quand les eaux étaient basses. Il savait tout de la Loire et de ses affluents. Mais jamais notre homme n'était si heureux que lorsque qu'une rivière s'offrait en mariage à son fleuve. Il ne se lassait pas de ce spectacle merveilleux des eaux qui se mêlent.

Atepomarus n'était pas un homme facile à trouver. Toujours en selle, il aimait sillonner le grand chemin qui menait de Cenabum à Gortona (Sancerre). C'est lui qui faisait venir de toutes les nations des chevaux pour les confier aux charrons, ses amis. À son initiative, la ville de Férolles était devenue une immense écurie au grand dame des femmes du village tant les manières de ces charretiers étaient déjà déplorables !

Les bêtes étaient gardées à l'écart du village sur la rive Sud au lieu dit le gué-gaillard. Il y en avait tant que bien vite, se posa un problème de salubrité. Les déjections animales ne cessaient de s'amonceler, sans que personne ne songe à nettoyer l'écurie. Il n'était désormais plus possible de les évacuer avec les moyens du bord. Nos Celtes s'étaient montrés négligents et désormais, il fallait trouver une solution pour nettoyer ces lieux immondes.

Les trois sages de la tribu tinrent conciliabule pour examiner ce problème insoluble. Chacun avait une idée en tête pour, en un tour de main, effacer des années de négligences. Des femmes qui assistaient à leur débat le firent remarquer qu'il eut été plus simple de ne pas se laisser surprendre par tant de de fainéantise. Les commères furent promptement sommées de se taire, chez les gaulois aussi, il ne fait pas bon d'avoir raison quand on n'est pas un garçon !

C'est Atepomarus qui prit la parole en premier. L'homme était rusé, il avait aussi souvent le pied en l'air que la langue bien pendue. Pour lui, pas de souci, il n'y avait qu'à quitter les lieux et aller ailleurs pour oublier ce qui ne fut pas fait tant qu'il était encore temps. Les femmes riaient cette manière cavalière. Elles se disaient qu'avec de telles idées, les jours seraient sombres quand les romains se hasarderaient dans le coin. Sa proposition ne fut pas même retenue, il fallait laisser le fer au feu …

Condatis se montra plus malin. Il connaissait le pays et ses secrets. Le soul-sol d'ici est capable de bien des sortilèges. Il fit grande excavation dans la terre pour que jaillisse une rivière : « La Marmagne » résurgence de la Loire, sortie ici à sa demande. Mais, son débit n'était pas assez puissant pour repousser cette montagne de fumier. Un ruisseau était né sans que le problème ne fut résolu. Les femmes ne se moquèrent pas, elles se dépêchèrent de réclamer un lavoir qui leur paraissait plus commode.

Ogmios pour une fois prit la parole en dernier. Ce grand bavard était aussi un homme très avisé. Il prit ce qu'il y avait à prendre et jeta ce qui ne valait rien. Ce que Condatis n'était pas parvenu à faire faute d'ambition, lui, se faisait fort de le réussir avec plus grande action. Ce qu'un ruisseau ne pouvait faire, le fleuve tout entier allait le réussir. Les femmes riaient sous cape mais se gardèrent bien de dire le fond de leur pensée.

Ogmios s'en alla remonter la Loire et choisit un goulet qui lui fit bonne impression. Il banda ses muscles surpuissants et jeta dans le lit de notre fille Liger d'énormes pierres en nombre si important qu'elles bouchèrent son cours. En peu de temps, la pression des eaux fut si forte qu'un torrent furieux se fit et trouva un nouveau chemin pour poursuivre sa route.

Les hommes de ces temps-là étaient capables de prouesses et les Dieux bienveillants leur accordaient bien des faveurs. Les eaux furieuses passèrent miraculeusement au milieu de l'écurie et chassèrent d'un seul coup des années d'incuries. Les écuries d'Augias étaient nettoyées et le véritable exploit, on le doit à un gars de chez nous qui s'appelait Ogmios. Les romains, qui comme l'avaient prédit les braves lavandières, ne tardèrent pas à mettre au pas cette joyeuse bande d'incapables. Ils s'emparèrent du pays mais aussi de la légende car le prénom du vieil homme n'était autre qu'Hercule.

Mais l'aventure ne se résume pas à ce plagiat romain. La Loire prit ses aises et trouva un nouveau lit qui lui convint bien mieux. Puisque les gens de Férolles avaient joué avec le feu, la Loire irait faire l'andouille du côté de Gergolium qui devint bien plus tard Jargeau. On ne détourne pas l'histoire ni le cours d'une rivière et malheur à ceux qui s'y frottent. Retenez la leçon et surtout écoutez les femmes, elles se doutaient bien que l'aventure tournerait en eau de boudin ...

Mythologiquement vôtre


jeudi 25 juillet 2019

Marcher dans sa tête



Un stylo dans la main.



En assistant quelques heures seulement à un colloque bien trop savant, voire pédant parfois, sur les écrivains marcheurs, pour échapper aux propos abscons d’une jeune universitaire qui n’a jamais sans doute mis un pied devant l’autre, ni même accordé un regard à son auditoire, j’ai pris la fuite mentalement, un stylo en main. Cela me rappelait mes escapades lointaines, quand le chemin n’avait d’autre but que celui de la rencontre et du portrait, l’ailleurs ayant toujours été pour moi, l’autre !

Marcher, ce n’est certes pas s’ouvrir des horizons. La géographie n’a pas besoin de cette lenteur de l’homme qui avance à son pas pour découvrir pleinement la diversité de la planète. D’autres en ont fait leur fonds de commerce, certains même sont devenus écrivains à succès ou ministres, sans jamais avoir pris le temps ni le plaisir de découvrir véritablement leur prochain, fut-il, paradoxalement, lointain.

Ceux-là regardent à travers un œilleton de caméra qui a l’incroyable capacité de ne renvoyer que sa proche image. Différer son regard, le mettre en conserve par le truchement d’un objectif, c’est perdre à coup sûr toute forme d’objectivité. Le regard se passe d’une focale quand il ne se contente pas seulement des yeux. Marcher c’est aller de l’avant vers un inconnu quiacceptera éventuellement de vous tendre la main. Voir en marchant c’est prendre le temps de la pause, de l’arrêt pour converser avec celui qui se trouve sur le trajet sans interférer avec le moindre objet de la modernité différée.

Converser mais pas seulement car il convient en la circonstance d’user de tous ses sens pour appréhender une parcelle de la vérité de cet inconnu qui se livre ou se propose quelques minutes. Bruits, odeurs, sensations diverses sont autant d'éléments qui viennent ajouter à la compréhension de cette infime parcelle d’éternité, de celui ou de celle qui a accepté, un bref instant ou un long moment, d’entrer en relation avec celui qui ne fait que passer, emportant ainsi, ce qu’il aura retenu de cette miraculeuse communion.

Puis, les adieux effectués, l’un reprendra son chemin tandis que l’autre restera à son état de sédentaire. Celui qui avance poursuivant alors, longtemps encore cette rencontre, la revivant, l’ordonnant, la transformant, pour écrire mentalement, tout en marchant, le récit qu’il en fera, quand il aura trouvé un point de chute. C’est du moins ainsi que je faisais, lors de mes pèlerinages intérieurs, avant que d’envoyer à la toile le récit subjectif de la journée écoulée.

J’aurais sans doute dû prendre le microphone et parler sans lire de notes, évoquer ce bonheur de la pérégrination pour écrire. Mais auraient-ils compris ces doctes personnages, qui pour exister un tant soi peu, ont besoin de convoquer les grands hommes, citant leurs propos, parsemant leurs citations de commentaires savants alors que le sentier n’est fait que de cailloux et de poussière. L’humilité sied au marcheur qui ne cherche pas la performance, fut-elle résolument artistique.

Mettre un pied devant l’autre n’a à mon sens de raison que pour trouver quelqu’un sur sa route surtout quand ce quelqu’un finit immanquablement par être soi-même. C’est le miracle de cette aventure qui n’est pas sans souffrance, cors aux pieds, ampoules et crampes, jambes lourdes et douleurs diverses. En restituer un récit chimérique, une ode trompeuse à la nature et à la spiritualité, est une escroquerie morale.

Je marche dans ma tête tandis que la brillante universitaire débite des sornettes qu’elle a pris soin de glisser sur le papier. Tout en restant bien sagement à ma place, j’ai rongé mon frein avant que de lâcher les chevaux de ma pensée vagabonde. Je suis resté en équilibre sur mon petit carnet, retrouvant les senteurs de mes longues marches personnelles. Marcher, ce n’est pas suivre le pas d’un tiers qui vous invite à une balade commune. La véritable aventure est individuelle et curieuse, aventureuse et imprévue. Ni programmation, ni prévisions, le vent ou le hasard pour unique guide ! Marcher c’est encore rester en vie et n’être qu’envie et désir de découverte.

Pérégrinement vôtre.

Notre chemin de halage défiguré 

mercredi 24 juillet 2019

À ne pas coucher sur le papier !



Un billet à dormir debout



On me prie de bien vouloir évoquer un sujet capital qu’il me convient ici de coucher sur le papier. Ce n'est pas sans émotion que je retire mon bonnet d’âne pour enfiler son homologue de nuit afin de venir vous bercer de quelques propos lénifiants. Tout fils de matelassier que je fus, j’ignorais tout alors de ce que faisaient les clients de mon père sur les matelas que nous leur livrions. Depuis, le poids des ans et de l’expérience me permet d’avoir un regard plus distancié sur la chose ce qui m’autorise ici à tenter d’éclairer votre lanterne.

Qu’il soit dans de beaux draps ou pas, le quidam ordinaire a sans doute trois manières de faire son lit et de s’y coucher. Tout le reste ne serait que littérature érotique, ce que je laisse volontiers à ma collègue d’écriture, plus prompte que moi à narrer ce qui se passe sous ou bien à côté de la couette. Mon grand âge sans doute me pousse à ne me préoccuper que de l'enveloppe charnelle du dormeur.

Pour se mettre au lit celui qui cherche le sommeil peut se vêtir d’un pyjama. Voilà bien là la forme la plus guindée qui soit, l’objet se déclinant en deux parties, une veste boutonnée rappelant sans doute la tenue de travail portée dans la journée accompagnée d’un pantalon le plus souvent assorti et parfois muni d’une braguette pour pousser la ressemblance avec l’état de veille plus loin encore.

Le pyjama diffère cependant de son grand frère le costume de jour dans sa volonté d’être toujours de mauvais goût et de rester dans le quant-à-soie. Qu’il soit à rayures ou bien à petits pois, il mélange les couleurs et les matières avec un sens inégalable du ridicule. Sortir dans la rue pareillement grimé vous met immédiatement sous le feu des regards amusés de vos voisins. Même lors d’un petit déjeuner entre amis, vous pouvez vous sentir ridicule.

La chemise de nuit conserve bien des adeptes à commencer par votre serviteur qui se met à nu pour satisfaire votre curiosité. Elle a le mérite de vous laisser libre la région pubienne qui peut parfois être sollicitée si par chance vous ne dormez pas seul. La chemise de nuit n’a pas de col, elle est d’une conception sommaire mais hélas, il est de plus en plus délicat d’en trouver sans les inévitables dessins grotesques que ne peuvent s’empêcher de déposer sur l’étoffe des fabricants sans nuance.

La chemise de nuit vous contraint par décence de revêtir un caleçon au lever du corps si vous ne voulez pas arriver par trop triomphant au petit déjeuner. C’est là, la seule limite qu’elle impose, nous ne pouvons lui en tenir rigueur et je lui garde éternellement ma préférence.

Les moins frileux, les plus amoureux, les mieux faits de leur personne ont renoncé à ces oripeaux nocturnes. Ils ont la nudité majestueuse, se privent de toute lingerie pour dormir du sommeil du juste et du stakhanoviste des turpitudes. Ils confondent ainsi le puits et le lit, sans doute parce qu’ils partagent leur couche avec une fontaine. Ils ne dorment à poings fermés qu’après avoir célébré le bonheur d’être deux dans un lit au milieu duquel la rivière est Durance. 
 
Si vous échappez à ces trois catégories c’est que vous dormez habillé. Il convient de s’en désoler. Non seulement ce n’est pas très bon pour votre hygiène corporelle mais de plus cela atteste sans aucun doute d’une situation précaire. Les gens de la rue n’ont pas cette chance de pouvoir se vêtir d’une tenue de nuit, c’est là le privilège de ceux qui possèdent un domicile. À ce titre, il convient d’en apprécier la chance, la vie est rapidement à même de vous dépouiller totalement et de vous contraindre paradoxalement à dormir tout habillé. C’est un des nombreux paradoxes de l’existence.

Voilà, j’ai rempli ma mission. J’ai couché quelques lignes sur le papier pour évoquer ce sujet incontournable. J’espère que celui qui m’a mis au défi en sera satisfait. Je n’ai plus qu’à aller me coucher sur mes deux oreilles, le cœur léger et la conscience tranquille. Bonne nuit à tous !

Littéralement vôtre.


mardi 23 juillet 2019

Chanteur et conteur des rues


Rue des 3 pucelles



Rue des trois pucelles
Y’avait une donzelle
Qu’aurait donné son corps
Pour une pièce en or
Mais son modeste cul
Ne valait qu’un écu
Mais son modeste cul
Ne méritait pas plus

Elle y comblait pourtant
Tout ses nombreux amants
Qu’elle eut bien mérité
D’être récompensée
Hélas chez les manants
On n’a guère d’argent
Hélas chez les manants
On est fauché tout l’temps

Si elle s’en contentait
C’est qu’elle se doutait
Y mettant tout son cœur
D’leur donner du bonheur
Bien plus qu’leurs épouses
Frigides et jalouses
Bien plus qu’leurs épouses
Quand elles quittent leu’ blouses

Elle était généreuse
Ses formes avantageuses
Promettaient du plaisir
Pour qui aime à jouir
De la satisfaction
Tout le temps de l’action
De la satisfaction
Sans aucune exception

De son pauvre tarif
Bien peu prohibitif
Elle tirait malgré tout
D’quoi joindre les 2 bouts
C’est un sacré turbin
Que celui de putain
C’est un sacré turbin
Le métier de catin

Rue des Trois pucelles
Ils sont venus vers elle
Trois charmants matelots
Oh dieu qu’ils étaient beaux
Elle se donna par jeu
Pour encore moins que peu
Elle se donna par jeu
Et partit avec eux



lundi 22 juillet 2019

Canicule



L'été sera chaud …



Je sors de ma troisième douche, je suis dans une tenue que je me refuse à vous dévoiler même s'il ne reste plus grand chose à retirer. Je ne me suis pas essuyé, comptant sur ces quelques instants de répit pour goûter un peu de fraîcheur. Je sens déjà l'effet désastreux de la chaleur sur ma peau. Il est inutile de lutter, je vais passer la journée entre transpiration collante et odeurs aigres. Mon adiposité se paie cash en période de canicule.

La soirée d'hier avait fini par la même quête désespérée. Une ultime douche avant de me coucher. Il était tard, l'ouverture de toutes les fenêtres de la maison était un espoir déraisonnable de trouver enfin un peu de fraîcheur dans cette étuve. Rien n'y a fait pourtant, une simple illusion de mieux être le temps que de sournois et trompeurs courants d'air se glissent à l'intérieur.

Ce matin, il faut en toute hâte fermer fenêtres et volets. Le soleil n'a pas attendu d'être à son zénith pour darder ses rayons de feu. Je vis dans l'obscurité. La lumière électrique apporte elle aussi une chaleur qu'il faut fuir. Je suis condamné à l'immobilité. Ne rien faire et transpirer quand même. Dire qu'il y en a qui pensent que je m'amuse. L'été est une corvée torride !

Manger est encore une autre affaire pénible. Ne rien faire chauffer surtout. Tant pis pour cette belle récolte de haricots verts. Ils auraient été délicieux en salade avec quelques tomates mais la seule idée de faire bouillir de l'eau m'électrise. J'attendrai la nuit prochaine pour tenter l'aventure. En attendant, tomates crues, concombre et pêches constitueront le menu du jour.

Sortir est une épreuve plus redoutable que toutes les autres. Il faut entrer dans la fournaise, subir cette vague de chaleur qui vous étouffe et vous submerge. Il n'est pas question d'aller à pied par ce temps, s'exposer à la brûlure et au ridicule du maillot mouillé d'une longue et humiliante traînée humide qui court dans le dos.. Prendre la voiture alors ? Pas plus raisonnable. Mes stupides convictions m'ont fait choisir un véhicule sans climatisation, je suis condamné à me brûler les cuisses et à cuire à petit feu dans cette caisse en fusion !

Car, vous devez le comprendre maintenant, il n'y a dans ma maison aucun instrument pour échapper à ce supplice. Ni climatiseur, ni ventilateur. Je suis un incorruptible de l'écologie et c'est au prix fort que je paie cette posture absurde. L'été, quand il est caniculaire, devrait vous exonérer de vos croyances imbéciles. Les pragmatiques, les sans convictions fixes, les nantis ne vivent pas mon calvaire actuel. Ils profitent de tous les instruments que cette consommation du réchauffement climatique met à leur disposition pour éviter le piège dans lequel ils nous plongent par de tels excès.

La chaleur me fait délirer. Je me mets à écrire n'importe quoi. Il me faut pourtant sortir pour avoir un peu de pain. Je me lamente et ne pense même pas à ce pauvre boulanger qui a sué sang et eau pour remplir sa mission quotidienne. Faire du pain par ce temps est une pure folie. Je me dois de lui marquer ma solidarité en me rendant dans sa boutique. Mais comment ? En scooter ? Ce ne serait pas écologique et porter un casque par ce temps, c'est risquer l'apoplexie. Alors, le vélo, à allure modérée, en allant chercher un peu de fraîcheur en bord de Loire semble être la meilleure solution.

Mon ordinateur sur les genoux, j'écris ce billet inutile. La machine apporte elle aussi des degrés supplémentaires. Rien désormais dans tout ce que nous faisons n'échappe à la folle production de chaleur. Regarder la télévision donnerait le même résultat et en plus, je risquerais l'abrutissement. Lire est sans doute la dernière possibilité qui échappe à la sur-consommation énergétique !

Je sens à nouveau des gouttes perler sur mon front. J'ai beau avoir choisi la pièce la moins chaude, je suis à nouveau victime d'une bouffée de chaleur n'en déplaisent aux tenant de la théorie du genre. Je n'en puis plus. Vivement cet hiver que je grelote tout à mon aise. J'ai besoin de douceur, de fraîcheur et de repos. La canicule est l'exact contraire. Je devine une fois encore les ravages que fera ce coup de chaud dans les rangs de nos anciens. J'ai une pensée émue pour eux. N'avez-vous pas remarqué que pas une seule petite minute de silence n'avait été demandé pour les quinze mille victimes de la fois précédente ? Les vieux, ça compte moins que les victimes des tours jumelles qui en eurent trois alors qu'ils étaient cinq fois moins nombreux !

Je déraisonne. La chaleur sans doute. Il est grand temps que j'abandonne ce billet brûlant. Je vais le confier à la toile, cette grande vague qui m'apportera peut-être un peu de fraîcheur venue du large. Bonne journée à vous dans la douceur de vos foyers équipés, climatisés, ventilés et piscinisés. Le mien n'a jamais aussi bien porté son nom, c'est une fournaise diabolique. À la douche !

Chaudement vôtre.

Le mystère de Menetou.

  Le virage, pour l’éternité. Il est des régions où rien ne se passe comme ailleurs. Il semble que le pays soit voué aux...