samedi 31 juillet 2021

L'étourneau sansonnet

 

Albert





Père siffleur renommé

Albert, oiseau étourdi

Quoique ainsi prénommé

N'avait rien d'un colibri

 



À rebours de l'oiselet

Ne prenait jamais sa part

Lorsqu'il fallait œuvrer

Pour sortir d'un traquenard 

 



L'étourneau pareil au merle

Se pare d'un plumage noir

Quand il vole des perles

Pour entrer dans l'histoire

 



Comme c'est la pie qu'on accuse

Albert se croit tout permis

Sans vergogne il abuse

Expert en grivèlerie



Voleur devant l'éternel

Quand chez vous il s'insinue

Il dérobe à tire d'aile

Lui qui n'est pas bienvenu

 



Le fin mot de l'histoire

Il convient d'y songer

L'étourneau c'est notoire

Entre chez vous sans sonner

 








vendredi 30 juillet 2021

Un canon qui fait long feu …

 

Le temps de finir la bouteille





« Entrez-donc, soyez les bienvenus. Vous allez bien boire un petit verre ! » C'est alors que débute la chaîne des interrogations, des supputations et des tergiversations qui vous conduiront à vider une bouteille et pourquoi pas une seconde avec ces visiteurs de l'improviste. Mais en attendant, il est bon de reprendre le fil des questionnements qui vous pousseront jusqu'au si nécessaire tire-bouchon …


Vos amis s'installent et vous allez descendre en cave. Il y a ceux qui méritent l'honneur de vous suivre et de choisir eux-mêmes le doux flacon qui les régalera. Il y a les autres, ceux qui ne sont pas assez intimes pour découvrir les sous-sols de vos secrets et ceux pour lesquels vous n'avez pas très envie de montrer la diversité de vos ressources.


Qu'importe, il faut bien sélectionner le doux breuvage qui accompagnera cette visite impromptue. Rouge ou blanc (le rosé chez moi est banni de la liste des possibles), vous devez d'abord juger de la préférence supposée de vos hôtes. Ils n'ont d'ailleurs guère le choix. Chez vous, seul le vin se boit à l'apéritif. Les alcools sont proscrits et le vin ne fait pas partie de cette liste d'infamies …


Vous affrontez votre cave. Il faut se décider. De cette initiative dépend vraiment la suite de la soirée. Une bonne bouteille, un vin rare et gouleyant et tout le monde sera heureux. Dans le cas contraire, les convenances vous sauveront du fiasco mais rien ne sera vraiment comme il convient. Les questions sont nombreuses : sa provenance, sa couleur, son âge, sa nature … Nous allons tenter d'y répondre puisque je vous devine suspendus à mes lèvres !


Je n'ai pas une cave immense contrairement à certains mariniers de ma connaissance. La question de la provenance se limite donc à trois destinations : la vallée de la Loire, le Sud Ouest et l'ailleurs occasionnel. Les vins de chez nous ont naturellement ma préférence si les visiteurs sont liés à notre Loire. Le Sud Ouest sera un clin d'œil au soleil si celui-ci vient à nous manquer. L'ailleurs est plus rarement de la fête sauf s'il permet d'évoquer un souvenir commun.


La couleur est fondamentalement la question de fond de cette expédition souterraine. Le blanc, naturellement vient en premier à notre esprit de ligérien, attaché au Sauvignon, au Chardonnay et au Chenin pour ne citer que les trois principaux cépages qui nous enchantent. Mais l'âge allant, ce blanc si gouleyant vient à se faire traître. Des crampes ou bien des indélicatesses digestives peuvent nous détourner de la coutume pour quérir un petit rouge de soif.


L'âge ne se pause guère pour les blancs qui en pays de Loire ont la fâcheuse habitude de ne jamais prendre la peine de s'installer durablement dans les casiers à bouteilles. La rotation des blancs est si rapide qu'il n'est pas rare qu'ils restent dans leur carton d'arrivage, déjà ouvert lors de l'expédition initiale et qui sera vidé avant que d'être rangé. Pour les rouges, c'est différent. Il se peut que quelques bouteilles vénérables sommeillent en arrière plan et trouvent alors l'occasion rêvée d'être réveillée d'un baiser qui ne sera certainement pas princier.


La nature, je ne trouve pas le terme que les spécialistes véritables ne manqueront pas de me signaler, consiste alors, dans mon esprit pas encore embrumé par l'alcool à trouver le breuvage qui convient à l'état d'esprit de mes hôtes impromptus. Le vin léger, le blanc plus subtil, le rouge de soif, le vin qui résiste un peu et celui qu'il faut conquérir. En quelques secondes, il vous appartient de choisir ce que sera la dégustation à venir.


Vous pensez en avoir fini avec les préliminaires. Vous remontez, la mine réjouie des entrailles de votre demeure, une (ou quelques) bouteille(s) à la main. Vous dépoussiérerez le flacon si c'est un rouge. Vous tendez la merveille du moment à vos hôtes, espérant une exclamation, un acquiescement prometteur. Toujours un peu taquin, vous tendez la bouteille encore forclose à l'un de vos visiteurs.


Pendant que vous vous affairez à choisir le contenant le plus adapté à votre sélection, vous ne résistez pas au plaisir de l'épreuve du tire-bouchon. Les plaisirs sont innombrables, l'ingéniosité des buveurs n'a pas de limite dans ce domaine. Toutes les ressources technologiques peuvent se mettre au service de notre vice. Du plus simple au plus complexe, du manuel au presque automatique, de la traction humaine à d'autres ressources complémentaires, l'outil œnologue ne cesse de nous surprendre.


Dans notre pays de Loire, il y a les coquins qui aiment à proposer un instrument bizarre. Sur un classique pied de vigne, un pas de vis très ordinaire va vous conduire tout droit en enfer. C'est le tire bouchon de Sancerre … Je vous laisse le plaisir de découvrir sa particularité. Quant à moi, je me plais à mettre en main de mon expert le tire-bouchon à ailettes. J'ai bien souvent le temps de préparer les petits accompagnements avant que de venir au secours du pauvre assoiffé.


Ce qui se passe alors, une fois le bouchon détroussé ne vous regarde plus. C'est une autre histoire, qui vous sera peut-être un autre jour contée. Pour cela, il me faut matière à inspiration. Je ne refuserai d'ailleurs pas quelques invitations afin d'explorer toute la variété des possibles en la matière. À la vôtre.


Modérément vôtre.


 

jeudi 29 juillet 2021

Cartes sur table

 

On ne peut y couper !






Curieuse activité au demeurant que celle qui consiste à poser un tapis sur la table en lieu et place de la nappe habituelle. Nous pourrions en rester là des propositions saugrenues mais souvent la farce continue tandis qu’un chien s’invite lui aussi à la fête. Et que penser alors de la chose quand l’un des participants fait le mort, y compris un jour de Toussaint ? On lui avait promis de lui tirer les cartes, le voilà étendu, du plomb dans la tête, pissant le sang et se refusant à jouer son dernier atout…


Les poings frappent la table, les propos dépassent le seuil tolérable tandis que les regards scrutent le mensonge, le bluff ou bien le signe discret. Voilà des cartes avec lesquelles on se perd en chemin, oubliant la courtoisie pour tromper son monde, le perdre ou le confondre. C’est ainsi que s’achève les repas quand la météo joue des tours aux convives. On se dit qu’une petite belote passera le temps avant de découvrir, bien trop tard hélas, qu’elle met en jeu bien plus que cela.


Le valet se fait cavalier, le roi perd sa couronne, la dame se donne au plus offrant et chacun s’évertue alors à sortir un as de sa manche. Le neuf se la joue, lui qui d’un coup se prend pour un quatorze tandis que la belote cherche à doubler la mise en voulant gagner un autre pli. Je coupe pour gagner une levée, je plie quand on me coupe et j’espère secrètement être sous la goulotte à moins qu’un malotru pisse honteusement sur la table.


On se met en quatre pour faire la paire. Si le nombre ne vous convient pas, il y a encore le tarot pour ajouter un comparse à moins que ces cartes-là ne soient de sortie que pour prédire l’avenir. Chacun cherche une excuse pour justifier ce curieux passe-temps immobile. On pense avoir toutes les cartes en main au lieu de quoi on tue le temps en les jetant sur le tapis.


Les enfants à deux se contentent d’une bataille bien inoffensive, jeu si simple qu’il n’y a pas de quoi se retourner. Puis le temps passe, on pioche, on jette, on écarte, on triche, on bluffe. Tout est permis pourvu que cela se passe les yeux dans les yeux. On n'en voit pas de toutes les couleurs même si elles ne sont que deux, le rouge et le noir pour l’éternité.


Les cartes biseautées sont de la partie, il faut bien aider le destin, mettre tous les atouts dans son jeu quitte à tricher un peu. C’est la règle qui s’accorde quelques libertés, s’octroie des largesses et se donne toute latitude pour leurrer l’adversaire. Les cartes en main, il est trop tard, c’est avant que tout se joue et se dénoue. Je distribue de main de maître, je mêle le vrai et le faux pour ne pas rester sur le carreau !


Il ne faut pas avoir de cœur pour agir de la sorte. Je me pique quant à moi de ne jamais jouer aux cartes de peur de me laisser prendre à ce jeu de faux semblant. Je laisse les joueurs à leurs vociférations, leurs insinuations et leurs querelles, leurs mimiques et les propos codés. Je préfère de loin ceux qui se prennent pour des agents du planning familial, faisant des couples, des associations, des familles, des parties carrées dans l’univers complexe des têtes couronnées flanquées de leurs vassaux.


Ceux-là pourtant ne se la jouent pas franc-jeu. Ils ont besoin de mettre un comparse dans le coup, un certain joker capable de tenir tous les rôles. D’autres ont eu recours à l’excuse, chacun trouvant nécessaire d’adjoindre une carte de visite. Au final, seuls les onanistes du jeu de cartes trouvent grâce à mes yeux, faisant et défaisant sans cesse leur destinée, cherchant au travers d’un rituel compulsif, les clefs du futur.


Qu’elle réussisse ou bien échoue, la partie se passe à la fois de partenaire et d’adversaire. Elle vous permet au moins de gagner en sérénité. L’ennui venant, vous pouvez encore construire des châteaux, en Espagne ou bien en bord de Loire, constitués d’un patient assemblage des cartes qui s’empilent sans le moindre permis de construire ni de nuire. Tout finit par s’effondrer, métaphore parfaite de nos existences, avec ou sans trèfle à quatre feuilles.


La nuit s’avance, le tapis s’enroule, les cartes retournent à leur sabot. La table reprend ses droits et c’est bien là que je joue au mieux la seule partition que je maîtrise : celle des petits plats que l’on glisse dans les grands. Le valet de pied fera le majordome et tous les invités seront rois et reines, couronnés non d’un couvre-chef mais de quelques taches de bon aloi exprimant leur contentement. Ne prenez pas la peine de présenter votre carte de visite, ma table est ouverte et les jeux sont bien moins faits que les convives en fin de partie !


Cartomanciennement vôtre. 


 

mercredi 28 juillet 2021

Soupe au lait

 


Quelques grimaces dans le potage …





C’est dans les vieux pots qu’on ferait, prétend-on, les meilleures soupes et c’est avec une bonne tête de cochon que l’infâme brouet deviendra une soupe au lait : de celles qui vous font faire des grimaces. Il n’y a rien de mieux qu’un lait qui a tourné au vinaigre pour avoir quelques reproches qui vous caillent sur le jabot.


Quand la colère est consommée, la lippe ne suffit plus à exprimer son mécontentement. On broie du noir, on a quelques aigreurs et la soupe pèse alors son pesant de déception et de rancœur. Il faut mixer le tout, couper en quatre les cheveux d’ange afin de mettre un peu de liant et de douceur dans la marmite. Mais revenons à notre cuisson et examinons l’affaire par le menu.


Il convient de faire mijoter le tout, le cuire à petit feu. Il est primordial de ne pas oublier de saisir vos ingrédients, la flamme ravive les mauvaises pensées. Les oignons ne sont pas seuls responsables ; vos yeux coulent et votre nez est de mèche avec la nécessité absolue de manger chaud. La soupe à la grimace vous remettra d’aplomb en dépit des griefs que lui font les gens d’un naturel optimiste.


Il est bon parfois de passer vos contrariétés à la moulinette de la franchise. Un peu de beurre dans les épinards ne nuira pas à la qualité du mets. Évitez de mettre trop tôt les carottes : elles risquent d’être cuites et de vous pousser dans des abysses de perplexité. Contentez-vous de boire du petit-lait, laissez faire le temps afin que le brouet épaississe tranquillement.


Ne faites pas le poireau devant la marmite : elle n’a pas besoin d’une surveillance permanente. Ayez confiance en vous, mettez un peu de sel et beaucoup de poivre : votre préparation ne manquera pas de piquant. Usez avec parcimonie des épices : il ne faut pas que votre plat vous emporte la bouche ; vous feriez à nouveau la gueule ; ce qui nous ramènerait au point de départ.

 



Si vous aviez été la crème des hommes vous eussiez pu ajouter quelques cuillères de matière grasse mais là, ce n’est pas trop raisonnable,à l'instar de notre pays, vous risqueriez la crise de régime. Ne mettez pas non plus les petits plats dans les grands : ce serait louche et vous en souperiez ! Il faut rester simple quand on joue les marmitons. La frugalité de la soupe vous donnera la patate !


Le beurre rance est la clef de la réussite. Préférez-le à l’oseille ou bien à l’argent, toujours illusoire, à la condition de bien connaître la crémière. Il apportera à votre préparation ce velouté, cette onctuosité indispensables. Ne vous emmêlez pas les pâtes : préférez-les en petit alphabet et ignorez le tapioca et le vermicelle. C’est ainsi que vous donnerez des lettres de noblesse à votre plat ; vous en ferez une grande œuvre et, si vous désirez y ajouter quelques morceaux de fromage, choisissez la tome ; ce qui vous permettra d’en faire plusieurs éditions.


Il en est des soupes comme de toutes les créations humaines :elles sont fugaces, transitoires, et fragiles. Dépêchez-vous de la déguster ; ne vous contentez pas d’une petite cuillère, n’ayez pas peur de voir grand. Avalez à grandes lampées mais surtout ne faites pas de bruit : il paraît que c’est un signe de manque d’éducation. N’y allez pas non plus avec le dos de la cuillère : l’exercice est périlleux et bien peu efficace.


Quand tout sera consommé, quand tout sera digéré, il ne vous restera plus qu’à faire la vaisselle sans vous tromper. Réservez les serviettes pour votre bec, même si vous le faites encore un peu et consacrez les torchons à cet usage. Vous passerez auparavant l’éponge sur mes étranges divagations. Ne faites pas de soupe avec l’eau de vaisselle : j’en serais à coup sûr responsable.


Je fais toujours la soupe à la grimace mais au moins, le temps de ce pauvre billet, j’ai retrouvé le sourire et c’est bien là l’essentiel. J’ai ravaudé les expressions et fait mon miel de ce fatras culinaire. Merci de votre compréhension et ne faites pas le nez, ouvrez grand la bouche, vous en reprendrez bien une autre assiette !

 

Louchement vôtre


 

 

 

mardi 27 juillet 2021

La Pierre Crapaud de Saint Miral

 

Quand vient le solstice d'hiver.

 

 


 

Il est un secret, en nos bords de Loire, qui est fort bien gardé. Les rares privilégiés qui ont eu à le savoir le préserve jalousement dans la gibecière de leurs histoires. Il est vrai que la vérité n'est pas toujours bonne à dire et que grands seront les risques pour les imprudents à qui prendraient l'envie de vérifier par eux-mêmes cette légende. C'est imprudemment que je vous la livre ici, puissiez-vous vous montrer raisonnables ! Gare aux vilains attirés par le lucre ou l'attrait des richesses terrestres, la pierre saura vous punir ! Ce n'est pas faute d'en avoir été prévenu …


Entre Sully et Gien sur notre rive Berry, tout près du village de Lions-en-Sullias, il est une pierre qui se dresse majestueuse non loin d'une grande butte de terre. La Loire n'est guère éloignée de cette Gargouille qui fait depuis des lustres croasser ceux qui ont langue trop pendue. Je souffre de ce maudit travers et ne peut m'empêcher de vous livrer une histoire qu'il ne faut jamais révéler. Soyez tout ouïe …

    La pierre en question, dans des temps immémoriaux, était, prétend-on, promontoire pour un chef Ligure qui avait conduit sa troupe en des terres lointaines.  Il montait sur ce caillou à la forme batracienne pour haranguer sa horde de vilains et de chenapans qui venaient ici, brigander la région. Ils s'étaient fait naufrageurs sur notre Loire, l'histoire est déplorable car, c'est de ces affreux personnages que l'on nomma les gens du pays en les appelant par la suite « les ligériens ». Mais laissons-là cette anomalie étymologique pour s'en revenir à nos lascars italiques de ces temps mégalithiques.



    La Loire était déjà la grande voie fluviale que sillonnaient toutes les marchandises du pays. Les routes n'existaient pas encore, les « frayés » étaient hasardeux et les mauvaises rencontres si fréquentes que c'était folie que de se risquer sur terre avec des biens précieux. L'huile, le blé, les épices et le vin d'Italie circulaient sur le fleuve, loin des détrousseurs des chemins. Les bourses des marins d'alors étaient gonflées du fruit de leurs fructueux négoces ...

    La bande avait monté un petit stratagème fort vilain à vrai dire. Ils avaient planté dans la Loire une rangée de pieux en chêne parfaitement acérés qui affleuraient à peine quand les eaux étaient navigables. Le piège se trouvait au sortir d'une boucle de sorte que les malheureux marins ne pouvaient voir avant que de tomber dessus. Ils avaient élu domicile en un endroit à la triste réputation, un lieu marqué du mauvais œil et où les hommes modernes toujours oublieux des enseignements du passé, ont construit une centrale nucléaire, sans rien savoir savoir de la malédiction qu'il porte en lui.

    Quand une barque ou un bateau plus grand venait à s'empaler, la coque ne résistait pas à ce piège vicieux. Les hommes devaient abandonner bien vite le pont pour « s'ensauver » quand il était encore temps. Sur « l'arivel », il y a avait toujours un homme à guet. Quand le mauvais coup avait réussi, nos lurons lamentables se précipitaient pour prendre tout ce qu'il y avait à sauver des eaux. Quant aux pauvres mariniers, les bandit en eau douce leur faisaient vilain sort !

   

 Ce petit commerce dura longtemps, les nouvelles n'étaient pas aussi rapides et rares étaient ceux qui pouvaient témoigner. La tribu se fit un joli magot, un trésor de guerre qui trouva cachette sous la pierre crapaud. Puis les années passèrent, pour des motifs qui échappent à notre compréhension, la bande abandonna le site en laissant là le fruit de leurs larcins multiples. Il se murmure qu'ils furent à leur tour victime de la vengeance des gens de Loire et qu'ils connurent le sort qu'ils infligeaient à d'autres.


    L'histoire pourrait en rester là et offrir belle occasion de mettre main basse sur un joli magot. Vous n'êtes pas pour rien en pays étrange, il y a des choses qui échappent à la raison. C'est naturellement le cas avec notre pierre crapaud. La demoiselle a, pouvoir magique, un don qui lui fut accordé par un druide de la forêt des Carnutes. Si celui-ci n'aimait pas le brouet, fut-il magique, il était capable d'accomplir de grands mystères et de belles diableries.

    Il aimait à se jouer des hommes et leur faire belle farce à sa manière. Il aimait les ressemblances, se faisait poète à ses heures. Comme par dessus tout, il se passionnait d'astrologie, il accorda à la Pierre un pouvoir mystérieux. À chaque solstice d'hiver, quand la nuit est la plus longue de l'année, à la minuit, la pierre avait des démangeaisons curieuses.

    Au premier coup du changement de jour la Pierre s'en allait en gigantesques bonds s'abreuver pour l'année dans la Loire sa voisine. Cela faisait si grand bruit et forts tremblements sur le sol que personne pendant très longtemps n'eut jamais le courage de venir assister à ce spectacle diabolique. Le sortilège était de courte durée, la Pierre revenait à sa place dés le dernier coup de cloche.



    Des siècles durant, la rumeur circula dans le pays sans que personne n'osa se rendre compte de ses propres yeux de la véracité de la fable. Il fallut qu'un plus gaillard, qu'un moins craintif se débarrasse des vieilles superstitions qui entravaient les esprits de l'époque. C'est le gars Roncieaux qui s'enhardit assez pour venir au soir du 21 décembre de cette année là se cacher dans un fourré à deux pas de notre Pierre Crapiaud.


    Pour dévergondé et fort aviné qu'il était, il avait le cœur battant et des craintes plein la tête. Il ne faisait pas le « fiérôt » mais personne n'était là pour constater qu'il avait mouillé sa culotte. Je sais que ce détail n'apporte rien à notre histoire, il atteste cependant de l'angoisse et des tracas de ce pauvre diable quand la dernière heure sonna.

    Aussitôt ce premier coup de cloche, ce qu'il vit et ce qu'il entendit le laissèrent pantois. Il en fut tout « abaubi » et ne se mit en marche qu'après quelques secondes de perplexité. Puis le courage lui revenant, il se précipita là d'où la Pierre, venait de partir. Il y avait là grande béance au fond de laquelle brillaient d'étranges reflets.

    Roncieaux, bien que pas très rassuré, se glissa dans la « bîme » pour y voir de plus près. Ce qu'il vit, nul ne le saura jamais. Il connut alors le plus grand des bonheurs. Il plongea ses mains dans un trésor somptueux. Il riait, il chantait, il se voyait riche pour le restant de ses jours. Il ne croyait pas si bien dire !

    Tout enivré de ce spectacle et du vin qu'il avait bu exagérément pour se donner du cœur au ventre, il n'entendit pas le bruit qui gronda de plus en plus fort. Le douzième coup de minuit retentit et la Pierre dans son dernier bond reprit sa place, notre Roncieaux pris au piège ! Jamais plus personne ne revit le bonhomme. On le chercha un long moment sur les bords de la Loire, l'homme avait aussi la réputation de poser des nasses pour y prendre des poissons en toute illégalité.

    Les années passèrent et Ronceaux fut oublié de tous. C'est alors qu'une curieuse histoire naquit dans le pays, une belle menterie pour peupler les longues soirées d'hiver. C'est une vieille conteuse qui inventa l'histoire, c'est du moins ce qu'elle prétendit. La dame avait réputation sulfureuse, commandait aux brûlures, guérissait les maladies, reboutait les os ou jetait des sorts quand on lui déplaisait. Beaucoup pensèrent que notre « birette » savait bien plus qu'elle n'en voulait bien dire ...

    Voilà, vous savez ce qui se prétend fable ! Vous pouvez tout aussi bien penser qu'elle est vérité vraie. Prenez bien garde de ne point vous laissez prendre au piège. De ceux qui m'ont écouté la dernière fois, j'en connais un qu'on a jamais revu.




Mystérieusement vôtre.


 

À lire dans ce livre ...


 

lundi 26 juillet 2021

Les Girouettes de Paulette : dossier complet

 Les Girouettes de Paulette.


Une passion dans le vent




Le Girouet grince dans le vent

Indiquant d'où viennent les tourments

La tempête souffle depuis longtemps

Déchirant les souvenirs d'antan



Est-ce parce qu’elle avait toujours un peu la tête dans les nuages que Paulette Rhode a pu se pencher sur un trésor oublié de notre patrimoine ? Nul ne saura jamais, la vieille dame dans le vent nous a quittés, laissant son œuvre inachevée. Si elle a su mener à son terme son recensement des croix des chemins dans notre département, son travail sur les girouettes et les girouets n’en finit pas de tourner dans le vide. Il nous appartient, nous ses amis du Liger Club de l’orléanais de redonner vie à l'infatigable curieuse en exposant son travail.


En juin 1993, Paulette se désolait : « La blanchisseuse a disparu. Endommagée par les intempéries, la girouette enseigne des dernières lavandières, ne surveillera plus les allées et venues du jardin des plantes de sa cité. Qui prend encore le temps de remarquer, d’observer ces silhouettes de tôles ou de zinc placées au faîte des toits pour indiquer l’orientation du vent ? Les unes simples ou naïves, d’autres aux dessins très élaborés ; savamment découpées, elles offrent en même temps une grande diversité de sujets »


C’est ainsi que notre curieuse se pencha sur cette forme d’expression artistique, ce langage en images qui exprime le quotidien d’un passé révolu. Elle partit donc l’appareil photographique en bandoulière pour saisir ces vestiges qui rouillaient dans l’indifférence générale avant qu’elles ne disparaissent à tout jamais.


C’est le nez en l’air qu’elle a sillonné tous les toits de la région, cherchant cet étrange oiseau aussi rare qu’immobile. À pied, à bicyclette ou en voiture, villages, villes, châteaux, fermes, chaumières eurent droit à son passage. En bord de Loire, en Sologne ou bien en Beauce, dans la plaine comme dans les bois, elle n’eut de cesse que de traquer les dernières survivantes de cet art de l’héraldique sans lettre de noblesse à la portée de tous.


Passons sous silence les difficultés techniques pour saisir le bel ouvrage d’un artisan qui fut créé en une époque où ni les antennes, ni les fils de toutes natures ne venaient perturber l’admirable travail de celui qui l’avait fixé là pour qu’il tourne au vent, zéphyr fripon ne manquant jamais de se réveiller pour empêcher la prise de vue. L’essentiel est ce témoignage indirect que la dame a voulu nous léguer afin que nous n’oubliions jamais ce qui fut jadis un privilège de noblesse


Si les girouettes coiffant de rares maisons passent souvent inaperçues, il n’est en pas de même de ce fier volatile qui trône sur nos clochers. Naturellement la question du coq sur les églises mérite d’être posées avec quelques hypothèses pour tenter d’apporter la lumière :

  • Le coq est intimement lié dans les évangiles à l’heure de la résurrection. C’est à son chant que le messie revint du royaume des morts.

  • L’animal a souligné le reniement de Saint-Pierre, il peut nous rappeler à notre modeste condition humaine

  • Les premières assemblées chrétiennes, dans la clandestinité d’une religion alors persécutée se tenaient à l’heure du chant du coq. Quoi de plus naturel que sa présence pour ces assemblées revenues en plein jour.

  • Le coq est un symbole de vigilance. En étant le premier à annoncer le jour, il sonne le réveil pour mettre en fuite les monstres des ténèbres. Il est l’espérance qui pourchasse les démons de nos terreurs.

  • Le coq fut emblématique chez les celtes. Les moines voulant imposer la nouvelle foi, se saisirent de lui comme de bien des divinités gauloises pour imposer l’image de la croix et du christ.

  • L’animal à plume enfin avec sa queue en panache, offrait non seulement une silhouette simple à dessiner et surtout une bonne prise au vent. Arguments simplistes pour satisfaire les agnostiques de tous poils


Pour rendre plus stable notre coq perché sur son clocher, il fallut alourdir sa tête par l’injonction de plomb. L’expression « Avoir du plomb dans la tête » serait donc née à une hauteur qui décourage les chasseurs. Quant aux voleurs, pour leur rendre la tâche plus délicate, des reliques saintes, des pièces de monnaies ou des parchemins auraient été cachés dans les coqs de nos églises.


Les premiers coqs de l’histoire des girouettes furent en métal doré. Dès le Xe siècle, il se perche fièrement au somment de la cathédrale de Winchester. Plus tard, sur la tapisserie de Bayeux, il se présente en majesté, les ailes déployées. Certains coqs eurent droit à un petit coup de pinceau, lui donnant des couleurs vives. Ceux qui paraissent verts sont souvent en cuivre tandis que les plus modestes sont en bronze.


Au XIIIe siècle, des anges de bronze ou des statues de saints remplacèrent le coq pour faire des girouettes d’un nouveau genre. Une sainte vierge de plomb, devenue figurine tournante, put ainsi bénir toute une ville au fur et à mesure de ses rotations éoliennes. Lors de la révolution, les églises vécurent une période délicate. Certaines se firent « Temples de la raison » et le coq perdit ainsi sa place, remplacé par un bonnet phrygien transpercé d’une lance qui assurait le rôle du pivot. L’église d’Escrennes a conservé ce souvenir.


Les belles demeures se parèrent quant à elles d’élégantes girouettes, mises en évidence avec des épis de faîtage. Le tout formait parfois de véritables bouquets de fleurs. Les châteaux de Loire se hérissèrent de ces enluminures ferronnières, raffinements indissociables de la grandeur des hôtes de ces lieux.


L’histoire relève que la plus ancienne girouette connue se trouvait sur la « Tour des vents « à Athènes. C’est un triton d’airain. Au Moyen-âge, la girouette est un privilège de la noblesse pour afficher les armoiries de la maison. Découpée en bannière pour les chevaliers bannerets, elle se contente d’être taillée en pennon pour les simples chevaliers. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que le parlement de Grenoble autorise le vassal gentilhomme à « porter » girouette comme le seigneur. Les gueux en étant privés, ils se firent un malin plaisir à descendre et souvent à détruire les girouettes de leurs nobles toitures lors de la révolution. Le vent avait tourné, et il était mauvais.


Des girouettes énormes portant des personnages grandeur nature furent un temps à l’honneur à la fin du Moyen-Âge. Paulette Rhode, en voyage en Andalousie eut le plaisir de pouvoir en observer quelques-unes dont la célèbre « Giralda » de Séville.


C’est essentiellement au XIXe siècle que la mode des girouettes ornant les toits se généralisèrent dans toutes les catégories sociales, une revanche surtout pour les gens simples alors que la République s’installait enfin durablement. Conservant leur fonction originelle, elles se firent enseignes pour définir la profession de leur propriétaire à moins qu’elles n’indiquent son loisir préféré ou un pan de son histoire personnelle. Pour d’autres, ce sont des animaux familiers qui grimpent sur le toit ; le cheval monta ainsi sur ses grands chenaux, représenté au travail, à la chasse ou au combat.


Les belles demeures bourgeoises se démarquèrent de ces représentations trop communes. Elles purent ainsi se couvrir d’oriflammes découpées des initiales du maître de maison à moins que ce ne fut des figures allégoriques : tête de loup ou chimères tandis que le dragon les garantissait sans doute des feux de cheminée. Dans les campagnes, des girouettes sont encore installées. Elles représentent des engins modernes : tracteur, moissonneuse, voiture et parfois des bateaux comme à Vitry aux Brosses, pourtant assez loin du canal.



Paulette, une femme dans le vent.

Éole dans tous ses états




Quand on a que le vent


Pour aller de l'avant

L'espace d'un instant

Ou encore plus longtemps


Quand on n’a que la voile

Pour suivre une étoile


Un rêve qu'on dévoile


Au milieu de la toile



Éole, dieu du vent montre l’importance de cette force motrice jadis avant que les éoliennes d’aujourd’hui ne viennent rappeler son bon souvenir aux humains en mal d’électricité. Le vent avant que de faire tourner d’immenses pâles, permettait aux moulins de tourner, aux bateaux de voguer. Quant aux éoliennes d’antan, elles permettaient de faire monter l’eau des nappes phréatiques. Rappelons à ce titre la magnifique création des frères Bolet, les célèbres fondeurs de cloches abraysiens.



Les girouettes se contentaient si on ose dire ainsi de montrer la direction du vent pour la simple et bonne raison qu’elles informaient du temps à venir. Le bulletin météorologique n’existait pas tandis que les humains, proches de la nature, avaient grand besoin d’établir des prévisions fiables sans le sourire d’une jeune femme qui n’a sans doute jamais enfilé des bottes en caoutchouc. C’était un temps où le ciel ne faisait pas des caprices ; en examinant le ciel et en connaissant la direction du vent, les anciens pouvaient prédire le temps de manière fiable. Notre territoire était donc couvert de girouettes et celles-ci se trouvaient placées sur un hangar de manière à être visible de la ferme.

« La girouette de ma maison, c’est surtout mon voisin qui en profite. Moi, il faut que je sorte pour la voir ! » Certains moulins disposaient d’un système astucieux : un témoin fixé sur une tige, rendait compte à l’intérieur de l’habitacle, des déplacements de la girouette sur le faîtage.

Le vent était tout particulier l’allier des mariniers de Loire. Le vent de soularne ; celui qui venait d’Est leur assurait une avalaison tranquille quand ils se dirigeaient vers l’Océan. À contrario, pour la remonte, les vents favorables étaient le Galarne ou le Surois. Les vents venant de l’ouest permettaient enfin de revenir au foyer tandis que les femmes des mariniers allaient prier Notre Dame de Recouvrance pour que le vent leur ramène sans encombre leurs époux. La girouette montrait si leurs prières avaient été exhaussées.

Le marin découpait lui-même sa girouette représentant son propre bateau. Le musée de la Marine de Loire de Châteauneuf sur Loire possède une magnifique série de ces petits chefs d’œuvre. La plus remarquable sans doute est ce grand Girouet * sculpté dans le bois représentant un chaland surmonté de l’aigle impérial. Hissé en haut du mât les jours de fête, ce girouet était garni de banderoles de couleur qui flottaient au vent.



* Les mariniers avaient besoin de girouettes sur leurs embarcations. Pour détourner l'interdiction de la girouette pour les manants, ils avaient transformé le mot et le prononçaient « guirouet » pour montrer leur indépendance d’esprit. Les girouets étaient également destinés à conjurer le sort avec par exemple ce monstre marin représenté sur l’une d’elles afin d’intimider les dieux maléfiques responsables des naufrages.



Quand les mariniers allaient jusqu’à Nantes, ils voyaient de superbes goélettes en partance pour des destinations lointaines. Influencés par ces bateaux, désireux eux aussi de faire de grands voyages, nombreux sont ceux qui établirent sur leur demeure des girouettes représentant des navires hauturiers. Une manière d’influencer leur destin peut-être …



Histoire de Girouettes.

Une passion dans le vent




Ma petite girouette
Rien qu'un brin de vent
Te fait tourner la tête.
Ma petite girouette
N'as-tu dans la tête
Que du vent ?



Georges Chelon



Placées sur leur perchoir, elles ont été témoins de tant de scènes qu’il est bon de venir interroger nos belles girouettes sur le comportement de ces êtres si versatiles que sont les humains.

Une femme, isolée dans son exploitation nous raconte : « J’ai été si heureuse dans la ferme où travaillaient mes parents quand j’étais petite que j’ai voulu la même girouette placée sur le toit de mon enfance dans ma ferme afin qu’elle m’apporte autant de bonheur ! » C’était une jolie gerbière tirée par deux chevaux. Les deux fois où Paulette s’est rendue sur place, la girouette était entourée de colombes …

Certaines girouettes sont si naïves que l’on les croirait dessinées par des enfants ! Les détails sont certes scrupuleusement respectés mais avec un tel manque de proportion qu’on en vient à s’interroger. Ainsi une très ancienne girouette vendéenne représente un paysan chouan qui mène une charrue. L’homme est imposant, le bœuf tout petit et que dire de la fillette apportant son repas ? L’imagination des artisans traduit en ce domaine désir et poésie tout aussi que leur rancœur vis-à-vis du pouvoir, de la situation, des contraintes du métier.

Dans ce registre, la girouette de ce fils dont les parents ont refusé l’héritage suite à un remariage qui leur a fortement déplu. Le bafoué a découpé dans la tôle les effigies de sa famille et couvrant ces personnages, il a découpé le texte suivant : « Au déshérité ». Ainsi tout le monde savait le mauvais tour qu’on lui avait joué, il suffisait de lever la tête. L’expression : « On l’a crié sur les toits ! » trouve dans pareil cas sa plus parfaite illustration. Le vent se voit confier ressentiment et colère par le truchement d’une expression qui remplace bien des médications. Le Nivôse supplée à la névrose !


Un maréchal ferrant équipa son toit d’une girouette quelque peu suggestive représentant des fers et un cheval en pleine forme. Nommée « Au cheval gaillard » cette enseigne à tous les vents indiquait à qui voulait bien le comprendre que l’artisan non seulement ferrait les chevaux mais que de surcroit il pouvait aussi les castrer. La période contemporaine n’échappe pas à ces pratiques. Ainsi un employé EDF de Saint Laurent des Eaux a coiffé sa demeure d’une girouette représentant les tours de refroidissement de la centrale. Un ferronnier bien connu dans l’Orléanais a représenté sur son toit toute sa petite famille par des silhouettes découpées à contre-jour. Un artiste peintre quant à lui, se représente près de son chevalet, admirant la Loire sous les différents angles que lui offre le sens du vent. Bel hommage au grand fleuve.


Au cours d’une promenade au bord du Lien (un affluent de la Charente) notre chercheuse à découvert la girouette : « La Belle carriole ». Elle représente une voiture avec cheval et chien évoquant directement la toile du Douanier Rousseau. Dessiné et découpé par son propriétaire, cet équipage a procuré maintes promenades agréables si bien que la photo de la girouette figure dans l’album de famille entourée d’un cœur. L’œuvre de ferronnerie se trouve sur le toit d’une belle maison du XVIIe siècle.



Histoire de Girouettes.

Elles vous font tourner la tête.




Le petit vent

Le petit vent qui nous pousse dans le dos
Nous caresse tout doucement
Car c’est son affaire, au petit vent

De temps en temps

De temps en temps il nous souffle dans le nez
Car il veut nous plaire, le petit vent.


En France on aime à boire, c’est bien connu ! Les girouettes, du haut des toits, président souvent aux rites de la vigne. Elles représentent alors des vendangeurs, des fouleurs de raisin, des transporteurs de barriques. La mythologie paie sa tournée avec un Bacchus en joyeux drille, honorant avec coupe et flacon la pampre de la vigne enfant ant un délicieux nectar.

Des propriétaires récoltants ont choisi de signaler leur négoce en enlaçant leurs initiales autour d’une treille et de trompette de la renommée telles les armoiries de la noblesse d’antan. La coupe est pleine et la girouette fait tourner les têtes y compris en l’absence de vent ?


Les femmes sont rarement représentées sur les girouettes. Si le dicton prétend qu’il n’est que femme qui varie, le vent ne souffle guère en faveur de sa représentation. Elle se trouve dans des tâches simples : fileuses – bergères – blanchisseuses. Le dur labeur de la lavandière, bien loin du folklore la montre brossant ou battant le linge sur sa selle avant que d’aller rincer le linge au fil de la Loire. La girouette tournait à qui mieux mieux pour essorer le linge.

Quand la femme apparaît à côté de son mari pour l’aider dans sa tâche, qu’il soit maréchal-ferrant ou charron, elle porte gaillardement un chapeau de feutre qui lui ne s’envole pas au vent et un long tablier qui atteste de sa féminité.


Les girouettes sont autant de livres d’images sur lesquels les vieux métiers, aujourd’hui disparus, continuent de se raconter par l’intermédiaire de représentations plus ou moins naïves ou richement ouvragées. Ainsi les trépigneurs, aujourd’hui oubliés : un cheval en trépignant sur ses antérieurs, faisait tourner des cylindres de métal. Des courroies transmettaient le mouvement pour actionner des blutoirs qui coupaient les betteraves. Le grand-père de Paulette, fier d’avoir conservé cette machine, l’avait reproduite afin qu’elle orne son toit même si la roue avait tourné, faisant passer l’énergie animale au rang des souvenirs révolus.


Il y aurait tant à dire encore sur les girouettes comme celle du capitaine des pompiers représenté avec son état-major près de la fameuse pompe à bras de sa commune ou bien celle du cheminot perché sur son petit train. Le châtelain du coin n’est pas en reste lui dont les points cardinaux deviennent les initiales de sa devise ou bien encore le beau drapeau de la « Folie Baton » retraçant la vie es ancêtres du nouveau propriétaire.


Les girouettes peuvent encore servir à autre chose qu’à indiquer le sens d’un vent que le père Jules n’avait pas forcément dans le nez. Quand il rentrait, lui qui aimait bien boire le coup, ayant chaussé ses souliers à bascule, il avait grand besoin de sa girouette. Elle lui montrait le chemin, lui qui n’y voyait plus très clair. L’âne a aussi joué ce rôle autrefois de guide des buveurs égarés.



Histoire de Girouettes.

Le vent de l’amitié




Un p’tit vent
Bon p’tit vent
Parle de la vie des gens
Et fait son chemin de bouche à oreille

Paulette Rhode se plaint de la qualité de ses photographies. En dépit des précautions prises, elles sont trop souvent floues ou trop petites pour être agrandies. Si la girouette est intéressante, elle n’en demeure pas moins sur un toit qui n’est parfois pas facile d’approcher. C’est forte de ce constat qu’elle choisit une autre technique de reproduction. Un agrandissement par le truchement d’un dessin sur un bristol épais, découpé ensuite au cutter. La première de ces maquettes lui donna satisfaction, elle persévéra obtenant ainsi une jolie collection d’ombres chinoises qu’elle aimait à exposer


« L’homme au fléau », « les joyeux buveurs de Saint Août » retrouvèrent une seconde jeunesse loin de leurs toitures d’origine. Les buveurs sont en fait un garde champêtre caricatural trinquant avec le bûcheron tandis que l’officier de carrière est équipé d’un fourreau de baïonnette qui assure l’axe de rotation. Du grand art !

La silhouette racée des deux chevaux tirant une charrue menée par un paysan en costume traditionnel a pu grâce à cette technique être exposée et même embellie d’un coucher de soleil réalisé par Daniel, l’artiste agrandisseur qui sait donner une dimension poétique à ces anciens témoins de l’art premier pour la satisfaction des visiteurs des différentes expositions

Paulette se réjouit alors que le vent de l’amitié a soufflé sur ses girouettes. Connaissances et amis se sont mis en quête de ce que les archives ne pouvaient préciser. Les ferronneries d’art ne figurent que très exceptionnellement dans les documents écrits comme si la culture ne se reconnaissait pas dans cette merveilleuse représentation du quotidien.

Les randonneurs levèrent le nez en cadence. Des chercheurs indiquèrent eux aussi à Paulette l’emplacement de ces trésors dont elle était en quête. Elle n’avait plus qu’à se rendre sur place pour photographier la chose. Elle bénéficia aussi d’aides matérielles : matériel d'agrandissement, bois, métal, carton pour permettre la réalisation de maquettes tandis que d’autres fournirent des documents sur le sujet.


La dame se souvient alors d’un souvenir tout particulier qui lui a laissé une forte impression. C’était au mois d’août, elle avait obtenu de se retrouver seule sur les toits du château de Chambord. Dans ce décor extraordinaire, muni d’un sésame officiel, elle pouvait jouir du spectacle fabuleux de l’extravagante toiture royale. Des girouettes portaient des grandes lettres de bronze représentaient les initiales de nobles personnages. Elles couronnaient les cinq clochetons. Le conservateur satisfit alors à sa curiosité pour lui apprendre que le F évoquait François 1er que le H représentait Henry V, le R honorait Robert de Parme tandis que les C et B entrelacés rendaient hommage à Caroline du Berry alors que le comte de Chambord était présent lui aussi avec le D de Dieudonné, son prénom.



Histoire de Girouettes.

L’art et la manière




La girafe et la girouette


La girafe et la girouette,
Vent du sud et vent de l’est,
Tendent leur cou vers l’alouette,
Vent du nord et vent de l’ouest.
Toutes deux vivent près du ciel,
Vent du sud et vent de l’est,
À la hauteur des hirondelles,
Vent du nord et vent de l’ouest.
Et l’hirondelle pirouette,
Vent du sud et vent de l’est,
En été sur les girouettes,
Vent du nord et vent de l’ouest.
L’hirondelle, fait, des paraphes,
Vent du sud et vent de l’est,
Tout l’hiver autour des girafes,
Vent du nord et vent de l’ouest.


Robert DESNOS

Recueil : "Chantefables"



Autrefois, la tôle de fer permettait de réaliser ces ouvrages. La pièce était découpée le plus souvent d’une seule pièce quand parfois d’autres étaient constituées de plusieurs parties assemblées ensuite grâce à des rivets à une époque où la soudure était inconnue.

L’arrivée du zinc, un matériau qui résiste mieux aux intempéries sonna l’abandon du fer. C’est lui qui eut la primauté même si des girouettes en bois tournent aussi sur les toits. Certains petits moulins sont de véritables automates. Les ailes en tournant, actionnent par un système de tiges et de cames, des petits personnages qui lèvent un verre au rythme du vent !



La rotation de la girouette intrigue ceux qui ne sont pas des adeptes de la mécanique. Un des côtés de la girouette, enroulé sur lui-même forme un fourreau fermé à son extrémité supérieure. Ce fourreau prend position sur un axe fixé au toit, une bille d’agate venant s’interposer entre les deux pour faciliter la rotation.

Il est recommandé de prévoir un balancier formant contre-poids pour offrir un meilleur équilibre à la girouette tout en limitant son usure à l’instar de leurs frères humains qui eux aussi ont besoin pour tourner rond de compenser les rigidités de l’existence par une petite dose de rêve et de fantaisie.

Malgré ces précautions, on entend parfois tourner les girouettes.

Elles chantent proclament les poètes. Elles se plaignent, affirment les sensibles. Elles grincent prétendent les grincheux.

 

La girouette

Cri noir, désenchanté,
Elle dit aux nuages les demains rouillés.
Loin d’elle, le sol qu’elle a quitté,
Pour des idées d’azur, de jours ensoleillés.

Elle ne chante plus…a-t-elle jamais chanté?
Elle grince les pleurs de rêves oubliés.
Elle voit les horizons, les campagnes habitées,
Les fumées du village, d’hiver ensommeillé.

Mais parfois, le vent vient la visiter,
Après sa dure journée, dans le ciel brouillé,
Au vieux coq, sur une patte montée,
Discrètement, il pose une bise mouillée.


Daniel Courtois



Plusieurs coqs ont été confiés à Paulette Rhode dont certains en bronze, très racés. D’autres ressemblant bien plus à une grosse poule paysanne se contentaient de zinc. L’un de ces coqs offerts a intrigué la curieuse. Il portait sur le dos et sous le ventre un œilleton de verre muni d’une petite glace par laquelle devait se réfléchir un rayon de soleil. Ce devait être destiné à éclairer un objet mystère un certain jour de l’année par un certain vent. Une girouette digne de Hergé …


Un seul coq de clocher a trouvé grâce aux yeux de la collectionneuse. Elle l’a choisi parce que ses pattes semblaient nous faire comprendre qu’il courait et c’est justement sur le clocher de Cour-sur-Loire qu’il trônait majestueusement. Un artisan malicieux avait sans doute souhaité jouer avec la toponymie du lieu sans que les autochtones ne le remarquent.


La mise en place sur le clocher d’un coq girouette était accompagnée par une coutume qu’il convient de raconter ici. Avant de monter sur son très haut perchoir, les couvreurs prenaient l’animal dans les bras afin de lui faire parcourir toutes les rues de son futur domaine. Naturellement ce tour de village s’accompagnait d’un petit versement en liquide dans une sébile tendue par les aventureux artisans. Le coq était enrubanné tandis que les filles à marier se devaient de couper un morceau du ruban afin de conjurer le sort et trouver dans l’année un jeune coq à mettre dans son lit.


De leur côté, certains joyeux drilles sans doute pour faire les coqs, des soirs trop arrosés, se lançaient dans l’aventure de décrocher la girouette sur le clocher de l’église. Ils devaient reproduire cette prouesse le lendemain pour le remettre en place non sans l’avoir affublé de quelques oripeaux drolatiques.


Histoire de Girouettes.

Hier et aujourd’hui






Ô fins d'automne, hivers, printemps trempés de boue,
Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue
D'envelopper ainsi mon coeur et mon cerveau
D'un linceul vaporeux et d'un vague tombeau.

Dans cette grande plaine où l'autan froid se joue,
Où par les longues nuits la girouette s'enroue,
Mon âme mieux qu'au temps du tiède renouveau
Ouvrira largement ses ailes de corbeau.


Charles Baudelaire



Les recherches de Paulette Rhode l’ont souvent entraînée sur les chemins du passé. Elle se demanda alors s’il y avait place de nos jours pour ce beau témoin du vent qui souffle et si des artisans d’aujourd’hui reprenaient le flambeau et peut-être le poste à souder.


Le hasard lui fit un signe par l’intermédiaire d’un reportage dans le journal local. Elle apprit l’existence d’un groupe de « Compagnons Couvreurs » à Cepoy. Pour les joindre, il lui fallut contacter « Gatinais, la gaîté » un formidable sobriquet pour aiguillonner la curiosité d’une dame insatiable en ce domaine.


Après des démarches auprès de la mairie, elle eut le plaisir de visiter leurs ateliers puis de se rendre à Paris au siège des compagnons, afin d’admirer l’exposition de leurs chefs-d’œuvre. Elle était comblée car dans ces maquettes de toiture, certaines étaient coiffées d’une girouette ouvragée.


Paulette se mit à imaginer un langage des girouettes. Elle pensa qu’elles devaient communiquer entre elles par l’intermédiaire du vent qui avait tourné la tête à notre vieille amie. Elle eut des mirages ; elle vit sur un toit un gentil petit couvreur conter fleurette à une charmante bergère qui lui souffla un baiser. Elle crut apercevoir le gentilhomme châtelain régler ses comptes avec l’incorrigible braconnier …


La réalité vint apporter elle aussi sa dose d’humour. Toujours le nez en l’air, Paulette se rendit compte que le Tribunal Administratif d’Orléans était couvert de parapluies qui devaient lui servir de talismans pour se parer des pépins que constituent les erreurs judiciaires.


Pour sa recherche Paulette a parcouru Val de Loire, Sologne, Berry, Gâtinais à la recherche de ses chères girouettes. Elle a ressenti un pincement au cœur dans une Beauce presque déserte où seuls les engins agricoles se meuvent dans la grande plaine. Elle y a pourtant été accueillie avec une grande gentillesse tant sa démarche provoquait sympathie et curiosité.


Au terme de ce collectage magnifique auquel le Liger Club de l’Orléanais redonnera vie depuis que Paulette a pris la poudre d’escampette pour se rendre sur l’autre rive, voir si le vent souffle aussi de ce côté-là, tout comme elle nous ne comprenons pas pourquoi on traite de girouette les personnes qui se laissent aller à changer d’avis.


Paulette écrivait à ce propos : « Soyons modestes, nous sommes tous un peu girouette …

Reste à savoir si c’est à bon escient … et si notre individualisme ne nous empêche pas de percevoir le petit souffle envoyé par le cœur des autres ! »


Girouettes de fêtes, de prestige, de souvenir, de tendresse ou de rancœur, ombres chinoises sur fond d’azur, « autant en caresse le vent ». Le vent qui avec le temps fait se déliter les girouettes, se décolorer les souvenirs.


Paulette s’est donné la belle tâche de conserver la mémoire de ces majestueuses silhouettes. Elle a redonné vie aux girouettes, à leur histoire, à leur univers authentique. Puissions-nous ne plus nous moquer de ceux qui marchent le nez en l’air !




Girouette, tu peux crier sur les ardoises,
Grincer comme une dent sur d’acides framboises !
Hiver, tu peux lancer aux vitres tes grêlons
Qui bourdonnent comme une averse de frelons,
Qu’importe ! Hiver, brandis tes trompettes de cuivre
Et déchaîne tes chiens sur la route de givre
Et les chevaux des ouragans ! Je m’en bats l’œil !
Je m’en bats l’œil ! Je lis des vers dans mon fauteuil !
Beauté des jours ! Beauté des livres et des lèvres !
À mon coupé, j’attellerai cent douze lièvres.
Sous l’azur plus vibrant qu’une aile de perdrix,
Et j’irai vers les bois que mon rêve a fleuris !


Tristan Derème


Paulette aimait par dessus tout frapper à la porte d’une maison portant girouette, s’enquérir de son histoire, discuter avec les habitants. Souvent, elle remarquait qu’après son passage, la girouette avait été réparée ou entretenue, preuve que sa curiosité avait de belles conséquences. Sa fille Claire se rappelle combien sa mère était heureuse de redonner vie à ce patrimoine si discret qu’il faut lever la tête pour l’apercevoir. Ses conférences étaient toujours l’occasion de belles rencontres et d’un formidable souffle de vent pour les girouettes si chères à son cœur.


Puisse la reprise de son œuvre vous donner à tous l’envie de couvrir votre demeure de ce magnifique témoignage du passé.


Hommage à Paulette




Girouettes



Privilège de la noblesse

Elles indiquaient le mauvais vent

Celui de notre détresse

Nous les manants du temps d'avant


Mais que souffle la tempête

Elles s'emballent à tout venant

Faisant tourner bien des têtes

Pour les odieux ci-devant


Quand elles tombèrent de leur faitage

Le pays en perdit le Nord

Une colère qui prend le large

Et même quelques mises à mort


Le vent rend fou disent les sages

D'une terrible rotation

Les girouettes selon l'adage

Débutèrent leur révolution


Quand le pauvre gueux s'anoblit

Pour oublier la privation

Devint seigneur en son pays

Par cette belle distinction


Soudain c'est alors par milliers

Qu'elles fleurirent sur tous les toits

Illustrant ainsi le métier

D'un plus courageux que le roi


Oubliées au fil des années

Paulette en fit l'inventaire

Parcourant le grenier à blé

Le nez et le regard en l'air


Pour qu'aujourd'hui on expose

Ces témoins de notre passé

Pour que, vous aussi, je suppose

Ayez envie d'en fabriquer

 

C''Nabum








Le mystère de Menetou.

  Le virage, pour l’éternité. Il est des régions où rien ne se passe comme ailleurs. Il semble que le pays soit voué aux...