lundi 31 mai 2021

"Pour quelques grains de folie" à l'honneur

Pour quelques grains de folie

 

 


Cette plume alerte et sauvageonne se retrouvera aussi dans un autre ouvrage, paru fin 2020, et co-signé avec Nadine Richardson, une brestoise installée en orléanais, aimant à baguenauder sur les rives ligériennes. Interviewée pour un précédent ouvrage par un autre bonimenteur orléanais, Jean-Louis Riguet, elle expliquait puiser son inspiration dans son imagination. “Je passe mon temps à m’inventer des histoires que je couche ensuite sur le papier“, tout en écoutant Adèle. En cet ouvrage commun, préfacé par Antoine Waechter, se déroulant en 2080, le choix de la trame romanesque n’est pas innocent, prompt à emmener le lecteur vers des horizons imaginaires pour mieux dessiner la réalité, et faire prendre conscience du devenir incertain de nos décisions immédiates. De la “politique-fiction” au message environnemental omniprésent, où la Loire est un personnage à part entière, avec ses couleurs et ses odeurs. “Bien sûr, elle eut de véritables amoureux, des passionnés sincères qui restaient dans l’ombre à la contempler. Hélas, de fieffés gredins voulurent la mettre à leur merci et à leur profit tout autant que des opportunistes exploitant la vague de sympathie. Des individus en mal d’inspiration cherchèrent en elle les idées qui leur manquaient cruellement. Avec les humains, c’est toujours ainsi, le bon grain côtoie l’ivraie et c’est souvent cette dernière qui parvient à sortir la tête de l’eau“, lit-on dans le prologue.

De quoi donner un bel aperçu de ce que vont découvrir les héros de l’aventure, sans ressemblance garantie avec des faits connus (c’est trop loin dans le temps, disent-ils). Au fil des pages et des chapitres, au rythme savamment contrôlé, on y appréciera par ailleurs quelques chansons de marins (elles sont éternelles), trouvant aussi matière à réflexion sur l’amour et la nature, et prenant ainsi conscience que même la vie est loin d’être un long fleuve tranquille, il faut tout faire pour qu’elle soit la meilleure possible, au plus près de nous.

Alors, franchement, sans les bonimenteurs et autres raconteurs d’histoire, bien terne serait l’existence, pas vrai ?



Jean-Luc Bouland



samedi, 29 mai 2021 Mag Centre

dimanche 30 mai 2021

Le Guide du Roublard à l'honneur

 Mag Centre

Le bel article

Première partie



Livres-raisons à bon conte pour C”Nabum









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Entre croyances et réalités, fadaises et vérités fallacieuses, seul un bonimenteur expérimenté saura vous conter fleurette sur un chemin bordé d’épines. Ainsi en est-il de Bernard Ringuet, dit C”Nabum, livreur à bons contes de deux récents opuscules jubilatoires propres à nous embarquer savamment au fil de l’histoire et de la Loire.

En toute immodestie, baragouineur et débonnaire, l’homme aime parler de la Loire, de ses amis les mariniers, et un peu de lui. C”Nabum est un individu au pas tranquille et à la plume acerbe autant qu’au parler imagé. Un curieux ligérien faisant son miel de la grande Histoire et des légendes de jadis, ne reculant devant aucune menterie, dit-il, pour “broder à sa fantaisie d’incroyables tissus de mensonges ourlés de quelques vérités qui finissent par se grimer en contes ou en fables en prenant les habits de la farce“. Sans conteste, voilà un beau programme, qu’il égraine avec compères et comparses au fil des fêtes et des festivals (1), mais aussi dans quelques ouvrages vendus en ligne, peu avares de poissons d’eau douce certainement nés un premier avril.

Le dernier en date est un recueil de contes des plus jobards, judicieusement intitulé “Val d’Orléans, le guide du roublard“, paru chez Book Editions, et nous offrant en quelques 342 pages et moults contes ou chapitres toute une épopée fantastico-humoristico-mélancolique de l’histoire de la Loire, de ses villes et de ses habitants. Au hasard des pages, dans un langage fleurant bon le parler médiéval et le patois local, on y retrouvera quelques gaulois, quelques romains constructeurs et quelques mécréants navigateurs, sans oublier, bien entendu, bourgeois et nobliaux autant qu’adorateurs d’une certaine Jehanne d’Arc, dont on ne déflorera pas ici l’histoire.

A l’unisson de ses harangues publiques, en cet ouvrage sauvage et impétueux, l’auteur “se fait, tour à tour, compagnon de Merlin, barde gaulois, ermite de la grotte Béraire, jeune mousse partant à l’aventure, marin revenant de l’enfer, historien approximatif ou tourneur de phrases alambiquées“, comme il aime à l’écrire sur son blog éponyme. Alambiquées jusqu’à l’ivresse, pourrait-on ajouter, saluant itou les hommages rendus à Maurice Genevoix et Annick Sénotier, pour ne citer qu’eux. Et notant un étrange clin d’oeil à la Bamboche, l’un des derniers grands carnavals d’Orléans, parait-il, en 1639, Louis XIV s’empressant ” d’interdire de tels évènements susceptibles de servir d’exutoire à un peuple qu’il convenait d’asservir“. C’est fou comme l’histoire peut aimer à se répéter.

 



samedi 29 mai 2021

La dame aux dés d'argent !

 

La boîte à ouvrage s'est refermée pour toujours.





Elle nous a quittés au crépuscule de la plus longue journée de l'année il y a bien longtemps déjà. La vie lui a fait le dernier cadeau, de s'en aller sans vraiment trop attendre. Elle qui depuis longtemps voulait rejoindre celui qui s'était éteint il y a déjà trente et un ans, son cher époux. En ce jour de fête des mères, son histoire à sa place ici ...


Tout a commencé en 1922, dans un pays de cocagne, un monde d'enfance qu'elle ne quittera jamais. L'affection des siens, de cette famille soudée autour d'une terre de Beauce qu'il fallait travailler. Un père vénéré comme un véritable Dieu, une mère courage qu'elle suppléait pour élever ses deux frères et ses trois sœurs. Ainée des filles, sa vie sera vouée au service et au travail.


Elle n'eut guère le temps de se consacrer à l'école. Elle avait tant à faire pour tenir la maison. Bien vite elle se mit à manier l'aiguille et débuta un apprentissage à Oucques la Joyeuse auprès d'une couturière qui lui traça sa vie. Même si elle ne termina pas sa formation, elle avait tout appris et gardera sa vie entière cette adresse inimitable de l'aiguille qui court sur une grande variété d'étoffes.


De la Haie Malterre à la Joignière, la famille a vécu au rythme des travaux de la ferme. Une guerre mondiale est venue perturber le cours des choses pourtant si tranquilles. Robert et Ness, deux réfractaires au travail obligatoire en cette Allemagne honnie, s'y sont cachés, partageant les peines, les travaux et la pitance, en ces temps difficiles. L'un d'eux eut sa préférence et le gars Robert épousa Bernadette.


De cette union secrète naquit un peu vite peut-être un enfant. Le jeune couple a connu les débuts difficiles de la reconstruction avec le départ vers Sully sur Loire où il s'installa. Il ouvrit pignon sur rue. L'après-guerre était un temps compliqué, les restrictions, la désolation et pourtant, une solidarité sincère soudaient ceux qui avaient échappé au chaos..


La boutique s'agrandit au fil des reconversions. Le bourrelier qu'on payait une fois l'an se fit sellier. Il devint par la suite matelassier et l'expansion aidant, devint tapissier. Elle suivit le mouvement, du matin au soir, elle était à son ouvrage. Cent fois sur le métier, elle créa des merveilles, merveilles de patience et de précision ; couvre-pieds en duvet et double-rideaux soyeux.


L'aiguille courait sur le tissu et la ville entière venait converser auprès de la couseuse accueillante. Elle abandonna un temps son travail pour donner sur le tard, un frère et une sœur à sa première fille qui trouva un jeune homme pour l'aider à pousser la voiture d'enfant. L'arrivée des deux tardillons lui causa bien du tracas et des ennuis de santé qui allaient l'accompagner tout au long de sa vie.


Les deux petits derniers profitèrent pourtant des années dorées. Un commerce prospère, une vie plus facile, la première télévision et la première auto. Une estafette qui devint La terrible pour sillonner la route. Un camping Car avant l'heure qui nous permit de découvrir la mer et retrouver le compagnon de cachette du côté de Fougères.


C'est le travail qui tenait la couturière. Jamais inoccupée, elle s'activait de l'aube au crépuscule sur l'aiguille ou la serpillière. Elle était de ces femmes qu'on dit d'intérieur. Nul loisir, nulle sortie, le labeur était toute sa vie et le restera jusqu'à la fin.


Elle eut la douleur de perdre trop tôt son époux. Avant qu'il n'atteigne la soixantaine, le cœur lui manqua. Elle dût garder le cap, conserver la boutique, faire bonne figure dans ce magasin bien trop grand. Elle a tenu courageusement plusieurs années, loin de ses enfants. Mais le commerce déclinait, cela ne pouvait plus durer. La mort dans l'âme, elle abandonna cette immense bâtisse, porte de la ville historique.


Elle eut alors le bonheur de sa vie. Ses petits-enfants arrivèrent dans la ronde. Ils allaient donner un sens à cette dernière partie de son existence qu'elle terminera à Saint jean de Braye.


La rue des œillets remplaça le boulevard du Champ de Foire. Au creux de sa maisonnette, elle reçut ses petits-enfants. À chaque problème de santé, de garde ou de sortie nocturne, elle se faisait nourrice bienveillante, grand-mère gâteau et mamie affectueuse mais un peu trop soucieuse.


Sa vie se régla aux rythmes de sa descendance. Travaux de couture en premier lieu pour eux mais aussi généreusement offerts à tout le quartier, les amis des amis, le rugby de son fils et tous ceux qui passaient par-là. Le stock inépuisable de la boutique sullyloise permettait des miracles,

l'ingéniosité de maman étant sans pareille.


Elle aimait réunir la famille Duraton chez l'un de ses enfants avec les compagnons de ses enfants. Et par dessous-tout, son plus grand bonheur ses petits enfants


Les aléas de santé jalonnèrent son parcours. Il fallut refaire les deux hanches et les articulations du pouce usées par les travaux d'aiguille. Les prothèses succédèrent aux coups durs. Elle se faisait alors apprécier par sa gentillesse de tout le personnel des cliniques et des maisons de repos où elle séjourna souvent.


Tant bien que mal, elle se remettait au travail. Seule dans sa maison, elle tenait le cap et gardait le sourire pour tous les visiteurs en quête d'un menu service de voisinage. Pour les siens seulement, elle montrait parfois triste mine quand les douleurs dominaient sa volonté fragilisée par cette ombre profonde qu'on nomme dépression. Le quotidien se faisait morose le temps d'un nouveau traitement.


L'action la remettait en selle. Un service, des travaux de couture, le repas dominical pour ses petits enfants lui permirent d'égrainer les ans pour ne jamais rester à ne rien faire ! Son quotidien se peupla de personnes serviables qui chaque matin partageaient ses confidences et son incontournable part de gâteau au yaourt. Elles s'offraient une pause au milieu de leurs missions ménagères. Bernadette était hospitalière pour toutes celles qu'elle appelait « ses filles ! ».


Entourée elle le fut même si elle était, parfois exigeante. Elle trouva ses bâtons de vieillesse, sa famille resta à ses côtés et dans sa maisonnette, elle termina sa vie.


Sa santé déclinait, elle s'offrit son unique véhicule. Un escalier électrique pour monter se coucher. Chaque jour néanmoins, elle s'activait au-delà du raisonnable, le balai à la main ou dans son petit jardin. Aucun nettoyage ne la faisait reculer, même si, elle l'avouait bien souvent :

« Je ne peux plus courir …. ! »


Les pauses sur son fauteuil Voltaire étaient plus nombreuses. Le souffle court et les douleurs diffuses préfiguraient l'issue inéluctable. Elle n'eut plus le cœur d'attendre que ses petits enfants lui offrent le bonheur de devenir arrière grand-mère. Il lâcha au premier jour de l'été, cette saison qu'elle redoutait tant pour de multiples raisons !


Nous n'aurons jamais plus ses pommes de terre sautées ni ne retrouverons le rituel de la boîte à ouvrage ouverte pour des travaux d'aiguilles en fin de repas. C'est un point final qui s'est noué ce jour-là !


À Ma Mère que par un curieux mystère je n'ai jamais su appeler maman …


Filialement sien.


 

vendredi 28 mai 2021

Sur le chemin qui va sur l’eau

 

Le pauvre voiturier






Sur le chemin qui va sur l’eau

Je suis un pauvre voiturier

Qui conduit un train de bateau

Pour l’grand commerce négrier

Sur le chemin qui va sur l’eau

On en m’a jamais expliqué

Ce que faisaient les bateaux

Pour lesquels j’ai commercé


J’arrivais dans le port Nantes

Des marchandises par milliers

Sur ma belle Marie-Galante

Toute la Loire j’avais chargé

De verroteries de Roanne

Et de faïences de Nevers

Tous ces beaux rubans idoines

Qui vous mettent la tête à l’envers


-


Sur de mystérieux trois mâts

Sans savoir ce que je faisais

Je déchargeais tout mon barda

Tandis que je restais à quai

J’attendais que d’autres arrivent

Bondés de ces fèves magiques

Qu’on produisait sur l’autre rive

Elles nous venaient des Amériques


-


Il y’avait des grains de café

De grosses balles de coton

L’armateur était très discret

Sur le négoce des colons

Mais c’est de toute cette mélasse

Que je remplissais mes chalands

Du sucre qui allait en masse

Aux raffineries d’Orléans


Sur le chemin qui va sur l’eau

On en m’a jamais expliqué

Ce que trafiquaient ces salauds

Et pour lesquels j’ai navigué

Sur le chemin qui va sur l’eau

Je suis un pauvre voiturier

Qui conduit un train de bateau

Pour l’grand commerce négrier



jeudi 27 mai 2021

Compagnons de Mandrin

 

Compagnons de Mandrin





Nous sommes compagnons de Mandrin

Traînant par les côtes et la lande

De la Bretagne au Cotentin

Résonne le nom de notre bande


Au soir de la nouvelle Lune

Tapis cachés dans les fossés

Nous combattons notre infortune

Avec violence et sans pitié

La nuit sans bruit nous avançons

Sur le chemin des douaniers

Tu comprendras mon garçon

Pourquoi nos mères nous ont reniés


Refrain


Nous les bandits de grand-chemins

Futurs gibiers de vos potences

Naufrageurs, pilleurs, aigrefins

Nous vivons au bonheur la chance

Détroussant des pauvres pêcheurs

Qui se font prendre à nos signaux

Vers les rochers ils prennent peur

Quand se déchirent leurs bateaux


Refrain


Nous travaillons comme paludiers

En touchant un maigre salaire

Nous devenons contrebandiers

Pour améliorer l’ordinaire

Nous irons pourrir aux galères

Si les gabelous nous reprennent

Aux pieds, nous passeront les fers

Afin de purger notre peine


Refrain


Les soldats nous attraperont

Un guet-apens nous a perdu

C’est une odieuse trahison

De l’un des nôtres pour trois écus

Pris sous le feu des mousquetons

Beaucoup tombèrent dans les bruyères

Pour tous les autres, la pendaison

Nous finirons tous en enfer !


Nous sommes compagnons de Mandrin

Traînant par les côtes et la lande

De la Bretagne au Cotentin

Résonne le nom de notre bande

 


 

mercredi 26 mai 2021

Chapeau de paille

 Pour un accord majeur








Chapeau de paille

Vaille que vaille

Ou bien de son

Pour une chanson


Quand les mots s'unissent

Pour un accord majeur

Nos deux corps frémissent

D'une troublante torpeur


Soleil de plomb

Blond et tout rond

Au coin du feu

Nous sommes heureux


Quand les mots s'unissent

Dans cet accord hâbleur

D'autres corps frémissent

Parmi les spectateurs

Château de sable

Fable du diable

Mieux que la pierre

Fais ta prière

Rêve de gosse

Touche ma bosse

Deviens un grand

C'est le printemps


Quand les mots s'unissent

Avec cet accord torpeur

La douceur s’immisce

Dans le creux de vos cœurs


Tourne la page

et sois bien sage

Bientôt la fin

Du parchemin


Quand les mots frémissent

Sur un accord farceur

Des images surgissent

Des délires du chanteur


Chapeau de paille

Y'a plus de faille

Coupe le son

De ma chanson

 


 


mardi 25 mai 2021

Les Vikings et la Loire

 

Nos gens du nord

 





Nos gens du Nord sont venus par la Loire

Sur leurs bateaux en fendant les courants

Surgissaient avant qu'on ait pu les voir

Pour devenir de terribles conquérants


Ces hommes venus du tréfonds des âges

Des guerriers tant farouches que redoutables

Brûlèrent tout sur leur maudit passage

Eux qui ne furent jamais respectables.


On a fait d'eux des monstres repoussants

Des êtres ignobles sans pitié ni foi

Dans la grande épopée des faits sanglants

Celle des envahisseurs du Norrois


Pourtant sans ceux-là nous ne saurions rien

De l'art délicat d'aller sur les flots

De l'assemblage des bateaux à clin

Bâbord, tribord seraient encore à l'eau


Inventeurs de la grand voile carrée

Allant de l'avant contre le courant

La bouline, les haubans les bordées

Marins formidables, maîtres du vent.


C'est à bord de leurs drakkars magnifiques

Que les Vikings remontaient la rivière

On les prétendait fort peu sympathiques

On n'a cessé de leur jeter la pierre


Qui ne s'agenouille pas devant Dieu

A le plus mauvais rôle dans l'histoire

Pour les Vikings, le soleil et le feu

Étaient leurs divinités sur la Loire


Ils nous ont enseigné tout leur savoir

Leur devons d'être d'honorables marins

Ils méritent grande place en nos mémoires

Tandis que leur gloire résonne enfin


L'église les a voués aux Gémonies

Eux qui pillaient toutes ses richesses

Faisant ainsi main basse sur un pays

Auquel ils accordaient bien des largesses

 

Nos gens du Nord sont venus par la Loire

Sur leurs bateaux en fendant les courants

Surgissaient avant qu'on ait pu les voir

Gloire à ces magnifiques conquérants 

 


 

lundi 24 mai 2021

Le ménétrier du diable

 

Le violon infernal.





En ce temps-là, le règne de Bonaparte vivait ses derniers instants et les français n’en avaient pas encore conscience. Dans une chaumière isolée, au cœur de la forêt, à l’écart des bruits de guerre, vivait seul un humble bûcheron. Les rares personnes qui eurent le loisir de le connaître le décrivaient d’abord comme si taciturne qu’il repoussait ceux qui venaient à lui. Ce grand échalas rêveur était d’une maigreur inquiétante, ce qui ajoutait au mystère qui l’entourait.


Vieux gars de plus de soixante quinze printemps, il était connu de tous comme le ménétrier du diable. Il est vrai que notre homme quittait quelquefois son bois de la forêt de Goumat pour aller faire le monde danser dans le château de Montpipeau du côté de Huisseau-sur-Mauves.


Un soir, le bal dura, s’éternisa plus qu’à l’accoutumée. C’était une époque où les gens travaillaient aux premières heures du jour et ne s’attardaient que rarement au cœur de la nuit. Minuit était sonné depuis bien longtemps quand le ménétrier, ragaillardi par ce qu’il avait bu abondamment s’en retourna chez lui, son violon dans son étui. Il devait traverser des bois sombres, coupant par des sentiers étroits et sinueux.


Le bûcheron savait pourtant que la nuit, la forêt est le siège de bien des bruits mystérieux. Les animaux y sont alors tranquilles et vaquent sans la crainte de croiser les humains. Cependant cette fois, ce n’était ni le cerf dans son brame, ni les cris de la chouette, ni le mouvement du vent dans les branches. Il se tramait quelque-chose…


Son violon semblait même répondre aux murmures inquiétants de la nuit. Quoique dans l’étui, ses cordes vibraient. Le ménétrier pensa naturellement à la présence d’un esprit, crut que la forêt était hantée, il jugea préférable de hâter le pas. Plus il filait, plus les bruits s’imposaient à lui. Il perçut même des voix qui se mêlaient à ce vacarme à vous glacer les sangs.


C’est en arrivant dans une trouée, une croisée de plusieurs sentiers dont le nom, il faut l’avouer n’avait rien d’engageant dans les circonstances présentes, la Clairière des Sorciers qu’il découvrit un spectacle qui restera à jamais gravé dans sa mémoire et qu’il n’aura de cesse de raconter le reste de son existence au point de passer pour un dément.


Une clarté rouge, comme celle qui enveloppe la nuit le four banal éclairait le grand sabbat qui se déroulait là. Tous les personnages légendaires de la forêt s’étaient donné rendez-vous pour cette grande cérémonie : diablotins, fées, sorcières, lutins, farfadets et elfes. De grands brasiers brûlant dans des marmites de fonte formaient un cercle maléfique pour délimiter la clairière.


Du faîte des arbres, des voiles, des draperies, des lustres et des lampions étaient tendus au-dessus de cet îlot de lumière. Satan en personne avait dû diriger la décoration de l’endroit. Le ménétrier était pétrifié, incapable de faire un pas de plus. Il se trouvait à la lisière de ce bal satanique quand celui qui devait être le maître de cérémonie s’approcha de lui.


C’était un être immonde, à la face blême, aux yeux injectés de sang, habillé comme un enfant. Ses gambettes n’avaient pourtant rien de réjouissant, velues et couvertes de pustules, elles se prolongeaient par des pieds fourchus aux ongles d’une longueur sidérante. En dépit de son aspect rebutant, la créature s’adressa avec une extrême politesse au bûcheron : « Nous vous attendions avec impatience mon ami. Auriez-vous, cher musicien, l’obligeance de jouer pour nous afin que chacun puisse profiter de votre virtuosité légendaire ? »


L’homme n’en croyait pas ses oreilles. Non seulement, ce monstre parlait de manière distinguée mais qui plus est, lui attribuait un talent qui était loin d’être le sien. S’il jouait du violon, c’était comme un amateur qui n’avait jamais appris la technique. Il se contentait d’animer les soirées du château sans avoir la prétention d’être un virtuose. Il s’exécuta cependant, ne voyant pas comment se dérober à pareille invite.


Il s’installa au centre du carrefour, sortit son violon de son fourreau, prit son archet et se mit en demeure de faire ce que cette terrifiante assemblée attendait de lui. Le vieil homme n’en revenait pas, sa main gauche volait littéralement sur le manche, retrouvant une agilité dont il n’avait plus le souvenir. L’archet semblait être mu par une force qui lui était étrangère. De son violon il émanait une musique que le ménétrier aurait qualifiée de céleste en d’autres circonstances.


Les participants entrèrent alors en transe, poussés par une mélodie endiablée. La folle farandole dura jusqu’aux premières lueurs du jour. Le musicien ne ressentait aucune fatigue, ne cherchant pas à comprendre d’où surgissaient ses mélodies extraordinaires. Il jouait, envoûté et poussé par une inspiration qui le dépassait totalement.


De temps à autre, il ouvrait les yeux pour regarder bien malgré lui les danseurs. Il lui sembla parfois reconnaître des voisins, des habitants de Gidy et de la région, des parents perdus de vue depuis si longtemps, des défunts qu’il avait conduits jusqu’au champ de naviots. S’ils étaient tous grimés, il ne faisait pourtant aucun doute que sous un aspect démoniaque se dissimulaient des connaissances. La sarabande infernale s’acheva au premier chant d’un coq dans le lointain.


Celui qui l’avait mandé, revint vers lui et le remercia chaleureusement de sa participation. Puis, à la grande surprise du ménétrier, il lui donna rendez-vous à la prochaine nouvelle lune. Le bûcheron promit de revenir et s’en retourna dans sa masure. Ce jour-là, il s’accorda une matinée sans labeur, dormant d’un sommeil profond jusqu’à ce que le soleil soit à son zénith.


Durant une année, l’homme tint sa promesse et se rendit dans la clairière maléfique à chaque nouvelle lunaison. Il trouva même dans ce qui lui arrivait une grande satisfaction. La virtuosité n’était pas réservée qu’aux seuls danseurs de la clairière. Il avait acquis une technique et un répertoire qui fit un temps sa bonne fortune.


Malgré tout, il était envahi de cauchemars épouvantables qui ne le laissaient jamais en paix. Pesant le pour et le contre, il finit par se rendre auprès du vieux curé de Chaingy dont la réputation d’exorciste circulait dans tous les pays orléanais. L’homme de dieu ne fut pas surpris de la confession du bûcheron, comme bien souvent par ici, la rumeur avait précédé sa visite.


Le prélat tenta en premier lieu de rasséréner cette brebis égarée, l’invita à la confession et à quelques prières dans l’église. Puis, il le pria de suivre à la lettre le conseil qu’il allait lui donner, si le pêcheur voulait retrouver la paix de l’âme et le chemin du Dieu tout puissant : « Mon fils, pour que ta conscience cesse de tourmenter de la sorte, tu honoreras comme les fois précédentes ton prochain rendez-vous avec les suppôts de Satan. Mais au plus fort de la farandole, tu cesseras de jouer ces airs insufflés par le diable pour à la place entamer l'air du Pange Lingua. Va maintenant ; je prierai pour toi. »


Ainsi réconforté par la bénédiction du vénérable prêtre, le ménétrier attendit sereinement cette fois, la prochaine nuit endiablée. Comme les fois précédentes, il rejoignit la clairière où l’attendait la terrible troupe. Puis comme il avait prit l’habitude, il laissa aller ses doigts sur l’instrument.


Emportés par la musique, les diablotins et leurs invités se mirent en transe. Au bout d’un long moment, le musicien changea soudain de registre. Il passa imperceptiblement du registre profane à la mélodie sacrée que lui avait conseillée l’homme de Dieu. Au milieu de la clairière ce fut alors un désordre sans nom, une débandade indescriptible, des cris d’effrois et des mouvement erratiques.


Des démons, totalement désorientés se précipitèrent à la périphérie de la clairière cherchant dans la fuite d’échapper aux notes sacrées. Dans leur fuite, ils renversèrent les chaudrons et le feu gagna la couverture lumineuse qui se trouvait sur leurs têtes. Ce fut une répétition de l’apocalypse, pas un démon n’échappa au brasier infernal.


Seul le ménétrier fut miraculeusement épargné, protégé qu’il était par la mélodie céleste qu’il n’avait pas cessée de jouer. Tout en continuant de jouer, l’homme se mit en marche et rentra paisiblement chez lui. De cette nuit si particulière, il perdit l'habileté qui fut la sienne, une année durant, il se contenta de retrouver son répertoire d’avant.


Quant à la Clairière des Sorciers, elle demeura à jamais stérile. Là où le feu était passé, nulle végétation ne repoussa. Longtemps après la mort du ménétrier qui fut appelé le violoneux du diable, ses collègues bûcherons et tout ceux qui allaient faire du bois dans la forêt, faisaient un grand détour pour éviter ce carrefour maléfique. Seuls les conteurs désormais perpétuent la mémoire de cette histoire pour peu qu’ils parviennent à accorder leurs violons.


Violonnement sien.


 


Un très mauvais conte

 


Le pont de la discorde.





Il était une fois, ici ou ailleurs, une rivière qui séparait les gens, se dressait tel un obstacle infranchissable. Il fut une autre fois, un petit ruisseau qui coulait de part et d'autre des domaines de deux frères. Dans le premier cas, l'eau était un mur qui se dressait, empêchant la réunion des riverains ; dans le second, un mur devait être bâti pour entériner à jamais la terrible fâcherie fraternelle.


Le bureau des légendes avait jusqu'alors toujours la même réponse. Pour relier, pour concilier, pour réunir les êtres, rien n'était plus aisé. Il suffisait d'une arche d’alliance, d'un lien tout autant qu'un pont entre ceux qui jusqu'alors s'ignoraient ou se tournaient le dos. Oh, bien sûr, si la réponse était toujours la même, les procédures différaient selon l'imagination de celui qui menait la fable.


Le plus souvent, à tout seigneur tout honneur, le diable en personne prenait la place du grand architecte. L'espace d'une nuit, sans se soucier des appels d'offres légaux, des enquêtes d'utilité publique, des lois du travail, ni des financements, il jetait un magnifique ouvrage d'art d'une berge à l'autre avec pour seule exigence, l'âme du premier utilisateur. Les animaux en firent souvent les frais, le diable ne retenant jamais la leçon se faisant gruger à chaque fois. C'est ainsi que dans notre Val, les ponts de Jargeau et de Beaugency sont ???? sortis du même constructeur sans qu'il n’en coûte rien aux contribuables.


À d'autres occasions, ce sont des fées qui mirent la main à la pâte. Les dames ayant des envies inavouables, pour lever lestement la jambe, elles étaient disposées à enjamber une rivière pour le bon plaisir de celui dont elles espéraient les faveurs ?. Curieusement dans pareil cas, nul marché de dupe. Le pont était jeté et l'amour consommé. Les bourses vides, l'octroi était malgré tout nécessaire pour financer les faux frais.


Ailleurs, d'effroyables monstres se proposèrent de venir au secours d'un brave artisan chargé de relier deux rives inaccessibles. Pour le prix d'un enfant, des yeux ou bien d'une quelconque contre-partie, le démoniaque créateur suppléait le malheureux qui, pour l'édification des masses, finissait toujours par se sortir de ce mauvais pas, par une astuce digne des fables.


Quant au conflit de famille, la bouderie était telle qu'un des frères embaucha un vagabond pour construire un mur afin de ne plus voir son rival avant que de partir pour ne pas entendre les jérémiades de l'autre. Le chemineux, soucieux de rétablir la concorde entre les adversaires de l'heure bâtit un pont plutôt qu'une palissade. Au retour du querelleur, l'évidence lui sauta aux yeux, le pont rétablit la concorde entre les frangins.


Jusqu'alors, joindre deux rives opposées avait toujours été un acte bénéfique, une mesure pacificatrice et bienfaitrice. Les riverains étaient si heureux que certains même, se mirent à danser sur les ponts. Il est vrai que réunir deux cités qu'une rivière éloigne avait toujours paru être un trait d'union qui joint l'utile à l'agréable. Cette fois, au bureau des légendes, c'est avec la plus grande perplexité qu'est arrivé un nouveau dossier à traiter.


Un pont au milieu de nulle part, à l'écart des routes et des habitations et, qui plus est, est dans un endroit béni des dieux et miné par le diable. Comment faire avaler la couleuvre, quelle sornette mettre en avant pour justifier ce qui ne se comprend pas de prime abord ? Il y a forcément anguille sous roches d'autant plus que la roche est ici un gruyère qu'il n'est pas raisonnable de miner davantage.


Seul point à ne pas prendre en compte, ledit pont sera entièrement financé par le département des affaires roulantes. Aucune participation extérieure, tout est merveilleusement bouclé, comme par miracle pour cacher sans doute, des intentions moins louables. On ne prête qu'aux riches et dans ce cas, pour construire un château de cartes de crédit, le maître d'œuvre a cassé sa tirelire. Le pont de la discorde, celui qui sépare à jamais les tenants de l'ancien monde qui veulent toujours plus de camions dans une nature exsangue et les doux rêveurs pour une planète qu'on respecte enfin. Les positions sont irréconciliables, le pont se fera en dépit des évidences, des inquiétudes, des études géologiques, du classement au patrimoine mondial qui se plie volontiers au pragmatisme économique.


L'écologie, l'environnement, le développement durable, les humains ont tous ces mots magiques dans la bouche pour colorer de vert et d'espoir la catastrophe à venir. Le pont de la discorde sera un des tous premiers véritablement bâti par un diable qui a perdu la main. Le projet ne se fera pas en une nuit, les obstacles sont multiples, les tracasseries innombrables. Les empêcheurs de traverser d'un bond ont tout fait pour mettre des bâtons dans les roues des camions de quelques bons amis. Mais au bout du conte, il ne faudra sans doute qu'une nuit pour que ces beaux rêves s'effondrent tel un château de sable. On ne joue pas impunément avec le réseau karstique.


Au bureau des légendes, les scénaristes se frottent les mains. Voilà une chute qui changera des récits anciens. Ce n'est pas une mauvaise chose, il est bon parfois de sortir des sentiers battus.


Poncifement leur.

vendredi 21 mai 2021

Cycles Helyett

 



Une histoire ligérienne.

 

 

 


Alphonse Picard, un garagiste de Sully-sur-Loire : charmante ville ligérienne, vendait des cycles Peugeot quand il lui prend l’envie de voler de ses propres ailes. L’homme aimait sortir du cadre et n’était pas de ceux qui restent les deux mains sur le guidon. Il construit sa première bicyclette vers 1900  l’Arcatène  et se lance également dans l’organisation de courses régionales. C’est le plein essor du sport avec notamment beaucoup de canotage sur les bord de Loire.


En 1910, notre entrepreneur sullylois achète un bâtiment dans le faubourg Saint-Germain pour installer des ateliers mécaniques. Avec ses deux fils Gabriel et Raymond, il fabrique ses premiers modèles auxquels il convient de donner un nom. C’est parce que la femme de Raymond apprécie une opérette de Boucheron et Audran du nom de « Miss Helyett » que la firme prend ce nom ! "Helyett" devient ainsi la raison sociale de l’entreprise et une marque déposée en 1919. La Manufacture des Cycles Helyett-Picard frères est née.


Après la grande guerre, la bicyclette a le vent en poupe. Le succès commercial favorise le développement des ateliers d’Alphonse. Suivant le modèle d’Auguste Poulain : le célèbre chocolatier de Blois, c’est par la publicité que la marque se fait connaître surtout en s’appuyant sur les succès des sportifs avec les vélos de course maison.


En 1933, Raymond Picard finance une équipe professionnelle avec les vedettes de l’époque. Nous pouvons citer René Vietto un grimpeur d’exception. Des succursales sont ouvertes à Caen en 1924, Tours en 1930 et Orléans en 1935. Les cycles Helyett sont vendus dans le monde entier. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, 12 000 vélos sortent des usines des bords de Loire chaque année.


Les Allemands, mauvais joueurs, les réquisitionnent. L'usine roule, bien malgré elle pour le troisième Reich jusqu'à la débâcle. C'est durant cette période de grande panique pour l'armée allemande en déroute que survient une plaisante anecdote. Les chaînes de montage ont été interrompues, des vélos sont a différents niveaux de finition. Mais pour tous, un accessoire indispensable manque à l'appel, faute de cuir dans un contexte de grand désordre. Qu'à cela ne tienne, dans la débandade, les soldats de la Wehrmacht en fuite devant la progression alliée enfourchent les engins en état de rouler. Seuls parmi les fuyards ceux qui sont restés disciplinés pourront aller plus loin. En effet, ce sont les selles qui font défaut et avoir conservé son casque pour ceux-là sera d'un grand réconfort.



Après la guerre, la famille Picard récupère son bien et remet l'outil industriel en état de marche. Les succès sportifs s'enchaînent : le champion José Beyaert remporte la « médaille d'or Course en Ligne » aux Jeux olympiques de Londres en 1948 et en 1952. À Helsinki, le jeune Jacques Anquetil remporte une médaille de bronze sur un vélo Helyett. Il passera professionnel et sera fidèle à la marque de ses débuts.


Raymond Picard meurt en 1940, suivi par son épouse Gabrielle en 1945. Leurs fils reprennent la production qui atteint alors 1 200 vélos par mois. L’usine de Sully donne du travail à plus de 100 ouvriers. Malgré les victoires de Darrigade et d’Anquetil sur le Tour de France sous le maillot Helyett, le succès populaire des vélos à moteur et la démocratisation de l’automobile mettent à mal ce fleuron local. L’usine Helyett est contrainte de fermer en 1962.


L’usine a connu ses heures de gloire dans les années 1950 et 1960 en remportant notamment trois Tours de France avec Jacques Anquetil sous le fameux maillot vert flanqué du nom de la chicorée Leroux. Estimée des connaisseurs et de ceux qui ont vécu l'âge d'or des courses cyclistes, Helyett est longtemps restée méconnue du grand public après la disparition des Établissements Picard en 1962, malgré une notoriété auprès des spécialistes et un palmarès qui la place parmi les plus grands noms avec Alcyon, Bianchi, Gitane ou Peugeot.


Helyet est tombé dans l’oubli durant de longues années, seuls quelques sullylois et des nostalgiques de la petite reine se rappelaient ce nom.


La marque renaît au début des années 2000, d'abord par l'édition en 2009 de maillots de cyclisme inspirés des fameux designs vert et blanc, puis avec la parution en juin 2017 de « Dans le progrès, toujours en tête », le livre hommage qui retrace son histoire. En 2017, un entrepreneur s’est lancé dans la construction de cadres de vélo de course fabriqués en France sous cette marque tandis que le département du Loiret rend enfin hommage à ce fleuron local et qu'un musée privé à la gloire de la marque est ouvert à Sully-sur-Loire.

jeudi 20 mai 2021

En bordée marinière

Souvenirs inavouables




Il fait nuit et froid sur les quais déserts de Gien. Trois personnages interlopes sont en quête d'une table et éventuellement d'un contact batelier. La ville est un port accueillant, les Fils de Galarne, la confrérie locale, portent haut et fort la tradition ligérienne. Ils ont redonné ses lettres de noblesse à la culture marinière. Leurs chansons ont fait le tour du fleuve. Il y a bien dans le lot quelques bonnes âmes disponibles pour nous ouvrir un bouchon !


Nous marchons dans les rues. Notre allure fait se retourner les rares passants. Nous n'avons pas, loin de là, le costume traditionnel. Pas de chapeau ni de belle chemise blanche, pas de veste ni de pantalon côtelé. Nous avons adopté le mode de l'oignon, multipliant les couches. Nous sommes « afistolés » comme des « traîneux », des trimardeurs. Nous sommes en odeur de « crasseté ».


Qu'importe nos mines patibulaires, nous avons bien l'intention de trouver bonne table accueillante à notre envie furieuse de repas chaud. Tout en cherchant la bonne adresse, le portable de Bertrand cherche un homme de quart sur le port. Il ne tarde pas à trouver oreille chaleureuse. «  Venez donc boire une bouteille de Chinon à la maison ! » Voilà une réponse qui réchauffe des marins pour peu de temps encore frigorifiés …


Nous accostâmes chez Jean-Michel, guitariste émérite, bon vivant et gourmet, amateur des vins de Chinon au point de s'en faire le chantre sur toute la vallée. Il appelle son alter ego de la bordée merveilleuse « Coco» le poète de la troupe. La soirée va prendre des allures déraisonnables ! Deux bouteilles succombent à notre premier contact.


Nos deux amis ne peuvent nous laisser partir ainsi. Le marinier giennois est un bon compagnon. Il n'est pas question de laisser filer les marins de passage. Ils nous accompagnent vers une bonne table réservée par leurs soins. Le « Régency » est l'une de ces tables à la cuisine maison qui fait encore honneur à notre gastronomie. Pas de produits sous vide ni de préparation au micron-onde, le chef fait tout lui-même avec le souci de la qualité et des assemblages.


Le verbe de la troupe est un peu haut. Les tables voisines ne s'en offusquent pas. Il faut reconnaître qu'il n'est pas banal d'entendre déclamer du Baudelaire dans un restaurant. « Coco », mémoire intarissable nous sidère par sa connaissance des « Fleurs du Mal ». Puis c'est vers Bernard Dimay qu'il va naviguer avec le même talent de comédien. Son œil brille de sa gourmandise des mots.


C'est naturellement vers la toue cabannée que nous conduiront nos pas de noctambules rassasiés. Jean-Michel a pris sa guitare, le duo va nous faire son numéro. Quel bonheur ! Quelle truculence ! Quel plaisir à donner ainsi sans se soucier de l'heure ni du froid ! Notre troupe s'est gonflée de deux jeunes gens qui ont senti que ce groupe de personnes bien plus âgéés qu'eux avaient de la ressource festive. Ils ne furent pas déçus ….


Jusqu'à bien tard, dans notre caverne, retentirent des chants mariniers. Il y avait là un bel ensemble de trognes colorées, de verres vidés, de bonheur partagé. Nous vivions l'une de ces belles soirées qui se passent de manière impromptue. La spontanéité lui donne une dimension inégalée. Nous en avons oublié notre fatigue !


Il faut bien finir par nous séparer. Il est fort tard et demain, chacun a à faire. Nous nous séparons à regret, nous jurant bien de reprendre le fil de cette conversation enchantée lors de la prochaine Saint Nicolas. Nous laissons partir nos duettistes à regret pour nous calfeutrer dans notre taverne. La nuit sera courte.


Mes camarades ne voulaient sans doute pas que la fête s'achève ainsi et toute la nuit, ils m'ont gratifié d'un concert de ronflements tonitruants. Je finis par trouver à mon tour la clef des songes en espérant que la journée du lendemain soit aussi riche d'émotions que celle-ci ..


Bacchanalement vôtre.


 

Le mystère de Menetou.

  Le virage, pour l’éternité. Il est des régions où rien ne se passe comme ailleurs. Il semble que le pays soit voué aux...