En chamboulant le temps
En bousculant l'histoire
En martyrisant la chronologie
En travestissant la vérité
En défiant la logique
Et en grimant les personnages
Le bonimenteur vous invite à le suivre
Lorsqu'il vous déclare avec gravité :
« Il advint une bonne fois pour toute !
Qu'il vous faudra bien accroire »
Lucie-Rose-Séraphine-Élise est la fille du Président de la
République Félix Faure et de Marie-Mathilde
Berthe Belluot. Son père doit sa notoriété à son décès
dans l'exercice de ses fonctions le 16 février 1899, à l'âge de 58
ans au Palais de l'Élysée en galante compagnie.
Lucie-Félix et sa sœur Antoinette sont amies de jeunesse de
Marcel Proust ; il est même question un temps de l'union de Lucie et
Marcel. C'est le scandale provoqué par la mort président qui met
un terme à ce projet.
En 1903, Lucie Faure épouse Georges Goyau : un
intellectuel né à Orléans en 1869, grand spécialiste de
l'histoire religieuse. Ne se contentant pas de rester dans
l'ombre de son mari Lucie fonde la « Ligue fraternelle des
enfants de France » tout en se consacrant à l'écriture sous
le nom de plume de « Lucie Félix-Faure Goyau » Très croyante, la
plupart de ses écrits portent sur des sujets catholiques même si on
lui doit :
La vie et la mort des fées.
L'arbre des fées
Ombres et paysages d'Amboise
Elle sera jurée du premier prix Femina, Femme très cultivée,
elle lit le latin, le grec, l'anglais ; elle voyage beaucoup même si
elle est toujours restée très attachée à Amboise et à la Loire.
« La Loire traverse le paysage d'Amboise, comme un signet
traverse une page de missel, un beau signet d'or où seraient
incrustées des turquoises. Le sable dessine le cours du fleuve. Il y
reste assez d'eau pour refléter des nuages, de grands morceaux
d'azur, la dentelle blonde des peupliers.
De cette page, le château formerait la vignette avec ses bases
formidables, ses toits légers, dont les dents aigues mordent en
plein ciel.
Malgré ses fabriques, Amboise a toujours l'air de se reposer.
Elle est fière d'offrir au soleil le miroir de son fleuve, la
corbeille de ses jardins, la draperie onduleuse et verdoyante de ses
treilles …
Le quai d'Amboise file entre sa bordure de maisons, de jardins,
de terrasses et la Loire, la molle et paresseuse Loire.
Il y a des visions d'Îles, de coteaux, de peupliers ; dans
le recul de ses perspectives, il laisse deviner de jolis caprices,
des enfoncements vaporeux …
Autour du château s'étirent quelques ruelles sombres et
fraîches comme des couloirs ? Des siècles ont défilé entre
leurs murs ; au clair de lunen elles prennent des airs de
mystère, presque inquiétants. Les murailles géantes du château
qui, de son rocher, domine la ville, contrastent avec ces vues
lilliputiennes ; et là-haut, comme une fleur posée sur une
armure, la fine chapelle ajoute à ses grâces – si délicates, si
suaves, si aérienne, que sa flèche a l'air de s'élancer pour
échapper aux vulgarités d'ici-bas ... »
Pour ces quelques lignes exhumées ici, elle a sa place dans ce
panthéon des femmes de Loire.
La
Bonne dame de Nohant est parfois considérée comme une écrivaine de
Loire. Il est vrai qu'elle relata un voyage dans le Forez qui laissa
un goût amer aux gens du pays. Par contre c'est au cœur du Berry
qu'elle coula des jorus heureux aimant à se baigner dans sa petite
rivière de l'Oizenotte ou dans l'Indre. Elle fit de très belles
descriptions de ces décors rivières. Attachons-nous ici à son
domaine de Nohant, un extrait de « Histoire de ma vie ».
Je
dirai quelques mots de cette terre de Nohant où j’ai été élevée,
où j’ai passé presque toute ma vie et où je souhaiterais pouvoir
mourir.
Le revenu en est peu considérable, l’habitation est simple et
commode.
Le pays est sans beauté, bien que situé au centre de la vallée
Noire, qui est un vaste et admirable site. Mais précisément cette
position centrale dans la partie la plus nivelée et la moins élevée
du pays, dans une large veine de terre à froment, nous prive des
accidens variés et du coup d’œil étendu dont on jouit sur les
hauteurs et sur les pentes. Nous avons pourtant de grands horizons
bleus et quelque mouvement de terrain autour de nous, et, en
comparaison de la Beauce et de la Brie, c’est une vue magnifique ;
mais, en comparaison des ravissans détails que nous trouvons en
descendant jusqu’au lit caché de la rivière, à un quart de lieue
de notre porte, et des riantes perspectives que nous embrassons en
montant sur les coteaux qui nous dominent, c’est un paysage nu et
borné.
Quoi qu’il en soit, il nous plaît et nous l’aimons.
Ma grand’mère l’aima aussi, et mon père y
vint chercher de douces heures de repos à travers les agitations de
sa vie. Ces sillons de terres brunes et grasses, ces gros noyers tout
ronds, ces petits chemins ombragés, ces buissons en désordre, ce
cimetière plein d’herbes, ce petit clocher couvert de tuiles, ce
porche antique, ces grands ormeaux délabrés, ces maisonnettes de
paysan entourées de leurs jolis enclos, de leurs berceaux de vigne
et de leurs vertes chenevières, tout cela devient doux à la vue et
cher à la pensée quand on a vécu si longtemps dans ce milieu
calme, humble et silencieux.
Le château, si château il y a (car ce n’est qu’une médiocre
maison du temps de Louis XVI), touche au hameau et se pose au bord de
la place champêtre sans plus de faste qu’une habitation
villageoise. Les feux de la commune, au nombre de deux ou trois
cents, sont fort dispersés dans la campagne ; mais il s’en
trouve une vingtaine qui se resserrent auprès de la maison, comme
qui dirait porte à porte, et il faut vivre d’accord avec le
paysan, qui est aisé, indépendant, et qui entre chez vous comme
chez lui. Nous nous en sommes toujours bien trouvés, et, bien qu’en
général les propriétaires aisés se plaignent du voisinage des
ménageants, il n’y a pas tant à se plaindre des enfants, des
poules et des chèvres de ces voisins-là qu’il n’y a qu’à se
louer de leur obligeance et de leur bon caractère.
Les gens de Nohant, tous paysans, tous petits
propriétaires (on me permettra bien d’en parler et d’en dire du
bien, puisque, par exception, « je prétends que le paysan peut
être bon voisin et bon ami » ), sont d’une humeur facétieuse
sous un air de gravité. Ils ont de bonnes mœurs, un reste de piété
sans fanatisme, une grande décence dans leur tenue et dans leurs
manières, une activité lente mais soutenue, de l’ordre, une
propreté extrême, de l’esprit naturel et de la franchise. Sauf
une ou deux exceptions, je n’ai jamais eu que des relations
agréables avec ces honnêtes gens. Je ne leur ai pourtant jamais
fait la cour, je ne les ai point avilis par ce qu’on appelle des
bienfaits. Je leur ai rendu des services et ils se sont
acquittés envers moi selon leurs moyens, de leur plein gré, et dans
la mesure de leur bonté ou de leur intelligence. Partant, ils ne me
doivent rien, car tel petit secours, telle bonne parole, telle légère
preuve d’un dévouement vrai valent autant que tout ce que nous
pouvons faire. Ils ne sont ni flatteurs ni rampans, et chaque jour je
leur ai vu prendre plus de fierté bien placée, plus de hardiesse
bien entendue, sans que jamais ils aient abusé de la confiance qui
leur était témoignée. Ils ne sont point grossiers non plus. Ils
ont plus de tact, de réserve et de politesse que je n’en ai vu
régner parmi ceux qu’on appelle les gens bien élevés.
Telle était l’opinion de ma grand’mère sur leur compte.
Elle vécut vingt-huit ans parmi eux, et n’eut jamais qu’à s’en
louer.
Un
livre sur les femmes sans la présence d'une militante de la cause
féministe eut manqué à son devoir. Il se trouve que l'occasion est
belle de rendre hommage à une des pionnières nationale de ce juste
combat.Née
en 1848 au sein d’une famille aisée de l’Allier, Hubertine
Auclert est rapidement envoyée suivre ses études dans les couvents
de Montluçon avant que de partir pour Paris.
Marquée
profondément par un discours de Victor Hugo en 1872, comparant les
femmes à des esclaves tout en déplorant qu'elles n'aient pas accès
à la citoyenneté, elle consacre son existence à l'intégration des
femmes dans la vie civique ce qui fera d'elle l'une des premières
suffragettes.
Elle
meurt meurt en 1914 sans avoir jamais vu la concrétisation de sa
principale revendication : le droit de vote des femmes. Elle a su
néanmoins imposer le sujet des droits civiques et politiques des
femmes dans le débat public en France.
Elle
est l'une des premières militantes françaises à revendiquer le
terme de féministe. Hubertine Auclert ouvre la voie aux combats de
ses successeures par l’inventivité et l'opiniâtreté qu'elle met
dans ses modes d’action. Elle ne se contente pas de discours et de
manifestes, elle se lance dans des gestes militants particulièrement
subversifs qui seront les moyens qui finiront pas faire plier plus
tard les hommes. Elle se comporte comme une combattante de la cause,
effectuant des recours en justice, éditant de timbres promouvant les
droits des femmes, renversant les urnes de vote, interromptant de la
lecture du Code lors d’un mariage civil. Elle boycote le
recensement : « Si nous ne comptons pas, pourquoi nous
compte-t-on ? » et refuse de payer les impôts « je ne vote pas,
je ne paie pas d’impôts ».
« Il
n’y aura de bonheur pour l’humanité que dans l’égalité des
droits pour tous, et l’équitable répartition des fonctions entre
tous, hommes et femmes indifféremment. »
« Beaucoup
de femmes, sous prétexte qu’elles n’ont ni domaines, ni maisons
de rapport, ni titres de rente, omettent, en se mariant, de passer un
contrat. Elles ont cependant, plus encore que les favorisées de la
fortune, intérêt à sauvegarder leur modeste mobilier, leurs
vêtements et les ressources que produisent leurs dix doigts. Or,
pour voir échapper à la confiscation maritale leurs hardes et leur
salaire, pour se soustraire à la communauté légale, où tout ce
qui appartient à la femme est la propriété du mari, où rien de ce
qui appartient au mari n’est la propriété de la femme, elles
doivent - n’auaient-elles absolument que le produit de leur
travail - elles doivent, en se mariant, passer le contrat de
séparation de biens. »
Un
caractère bien trempé qui en fait indubitablement une femme de
Loire et d'Allier
Née
à Nantes en 1765, elle devient de ce fait une femme de Loire qui
dans les siècles passés écrivit de la poésie. Il convient de
déplorer le peu d'écrits attribués à des femmes disponibles en
ces temps lointain, comme si les femmes n'étaient qu'amante ou
princesse.
L'Amour
Passer ses jours à
désirer, Sans trop savoir ce qu'on désire ; Au même instant
rire et pleurer, Sans raison de pleurer et sans raison de rire
; Redouter le matin et le soir souhaiter D'avoir toujours droit
de se plaindre, Craindre quand on doit se flatter, Et se
flatter quand on doit craindre ; Adorer, haïr son tourment ; À
la fois s'effrayer, se jouer des entraves ; Glisser légèrement
sur les affaires graves, Pour traiter un rien gravement, Se
montrer tour à tour dissimulé, sincère, Timide, audacieux,
crédule, méfiant ; Trembler en tout sacrifiant, De n'en
point encore assez faire ; Soupçonner les amis qu'on devrait
estimer ; Être le jour, la nuit, en guerre avec soi-même ; Voilà
ce qu'on se plaint de sentir quand on aime, Et de ne plus sentir
quand on cesse d'aimer.
Le
Besoin d'aimer
Pourquoi depuis un temps, inquiète
et rêveuse, Suis-je triste au sein des plaisirs? Quand tout
sourit à mes désirs, ¨Pourquoi ne suis-je pas
heureuse?
Pourquoi ne vois-je plus venir à mon réveil
La foule des riants mensonges? Pourquoi dans les bras du sommeil
Ne trouvé-je plus de doux songes?
Pourquoi, beaux-arts,
pourquoi vos charmes souverains N'enflamment-ils plus mon
délire? Pourquoi mon infidèle lyre S'échappe-t-elle de mes
mains?
Quel est ce poison lent qui pénètre mes veines, Et
m'abreuve de ses langueurs?
Quand mon âme n'a
point de peines, Pourquoi mes yeux ont-ils des pleurs ?
… Mon fils est parti cette nuit d’Orléans par la diligence,
qui part tous les jours à trois heures du matin, et arrive le soir à
Paris ; cela fait un peu de chagrin à la poste. Voilà les
nouvelles de la route, en attendant celles de Danemark.
Nous sommes montés dans le bateau à six
heures par le plus beau temps du monde ; j’y ai fait mettre le
corps de mon grand carrosse, d’une manière que le soleil n’a
point entrée dedans : nous avons baissé les glaces ;
l’ouverture du devant fait un tableau merveilleux ; celle des
portières et des petits côtés nous donne tous les points de vue
qu’on peut imaginer. Nous ne sommes que l’abbé et moi dans ce
joli cabinet, sur de bons coussins, bien à l’air, bien à notre
aise ; tout le reste, comme des cochons sur la paille. Nous
avons 1680 mangé du potage et du bouilli tout
chaud : on a un petit fourneau, on mange sur un ais dans le carrosse,
comme le Roi et la Reine : voyez, je vous prie, comme tout s’est
raffiné sur notre Loire, et comme nous étions grossiers autrefois
que le cœur étoit à gauche : en vérité, ma fille, le
mien, ou à droit ou à gauche, est tout plein de vous. Si vous me
demandez ce que je fais dans ce carrosse charmant, où je n’ai
point de peur, j’y pense à ma chère enfant, je m’entretiens de
la tendre amitié que j’ai pour elle, de celle qu’elle a pour
moi, de la sensibilité que j’ai pour tous ses intérêts, des
ordres de la Providence qui nous sépare, de la tristesse que j’en
ai ; je pense à ses affaires, je pense aux miennes ; tout cela
forme un peu l’humeur de ma fille, malgré l’humeur de
ma mère, qui brille tout autour de moi. Je regarde, j’admire
cette belle vue qui fait l’occupation des peintres. Je suis touchée
de la bonté du bon abbé, qui, à soixante et treize ans, s’embarque
encore sur la terre et sur l’onde pour mes affaires ... .
Je voudrois bien causer avec quelqu’un ; je viens d’un
lieu où l’on est assez accoutumé à discourir : nous
parlons, le bon abbé et moi, mais ce n’est pas d’une manière
qui puisse nous divertir. Nous passons tous les ponts avec un plaisir
qui nous les fait souhaiter : il n’y a pas beaucoup d’ex
voto pour les naufrages de la Loire, non plus que pour la
Durance : il y auroit plus de raison de craindre cette dernière,
qui est folle, que notre Loire, qui est sage et majestueuse. Enfin
nous sommes arrivés ici de bonne heure ; chacun tourne, chacun
se rase, et moi j’écris romanesquement sur le bord de la rivière,
où est située notre hôtellerie : c’est la Galère ;
vous y avez été.
J’ai entendu mille rossignols ;
j’ai pensé à ceux que vous entendez sur votre balcon. Je n’ose
vous dire, ma 1680 fille, la tristesse que l’idée
de votre délicate santé a jetée sur toutes mes pensées :
vous le comprenez bien et à quel point je souhaite que cette santé
se rétablisse ; si vous m’aimez, vous y mettrez vos soins et votre
application, afin de me témoigner la véritable amitié que vous
avez pour moi : cet endroit est une pierre de touche. Bonsoir,
ma très-chère ; adieu jusqu’à demain à Tours.
À Tours, vendredi 10e mai.
Toujours, ma fille, avec la même prospérité. Je n’ai jamais
rien vu de pareil à la beauté de cette route. Mais comprenez-vous
bien comme notre carrosse est mis de travers ? Nous ne sommes
jamais incommodés du soleil ; il est sur notre tête, le levant
est à la gauche, le couchant à la droite, et c’est la cabane qui
nous en défend. Nous parcourons toute cette belle côte, et nous
voyons deux mille objets différents, qui passent incessamment devant
nos yeux, comme autant de paysages nouveaux, dont M. de Grignan
seroit charmé : je lui en souhaiterois un seulement à
l’endroit que je dirois.
On attendoit, le lendemain de mon départ, la belle Fontanges à
la cour : c’est au chevalier présentement à faire son
devoir ; je ne suis plus bonne à rien du tout : si vous ne
m’aimiez, il faudroit brûler mes misérables lettres avant que de
les ouvrir. Adieu donc, ma très-aimable enfant ; adieu,
Monsieur de Grignan.
Nous
l'avons constaté, seule la chanson peut rendre hommage aux humbles
et aux femmes anonymes. Entrer en littérature, ce n'est pas donné
aux femmes du peuple, du moins dans les époques sur lesquelles
portent nos recherches. Quelles soient poétesses ou romancières,
qu'elles tiennent une correspondance épistolaires ou bien un récit
de voyage, elles ne sont pas très nombreuses à être entrées en
postérité. C'est là la marque d'une société patriarcale qui
confinait la femme dans le rôle de la séductrice mais certes pas
dans celui de la narratrice, témoin de son temps.
Il
nous faudra donc chercher plus attentivement pour mettre en lumière
ces dames qui ont sillonné la rivière ou qui se sont inspirées de
sa merveilleuse présence. Loin de la vie de château, le voyage
n'était pas une sinécure. C'est ainsi qu'elles rendent compte d'un
monde pour le moins pittoresque, souvent étonnant, parfois violent,
grossier ou bien rude. Nous sommes loin de l'image d'Épinal, la vie
quotidienne en bord de Loire n'était pas de tout repos. Pour les
femmes, il faut ajouter aux vicissitudes de l'existence, les
pressions peuvent ont à subir de la part de compagnons qui ne sont
pas des parangons de vertus. C'est sans doute ce qui rend plus
difficile de trouver trace d'écrits féminins sur un monde qui n'est
pas tendre.
Marguerite
de Navarre
Marguerite
de Navarre, appelée également Marguerite d’Angoulême ou
Marguerite d'Alençon, est la fille de Louise de Savoie et du comte
Charles d'Angoulême,. Elle est la sœur aînée de François Ier.
Elle se marie deux fois. En 1509, elle épouse Charles IV, duc
d'Alençon. Elle devient alors duchesse d'Alençon, mais continue de
vivre à la Cour, auprès de son frère François. Charles IV décède
en 1525. Deux ans après, elle se remarie avec le roi de Navarre,
Henri II d'Albret. Par ce second mariage, elle devient donc reine de
Navarre. Leur fille Jeanne III d'Albret naît en 1529. À la mort de
François Ier, elle se retire dans le château de Nérac. Elle décède
e 1549.
Amie des lettres, des sciences et des arts,
protectrice des persécutés, proscrits et autres victimes de la
Sorbonne, du Parlement et de l'intolérance de l'époque, la reine de
Navarre vit arriver auprès d'elle les plus grands esprits de son
temps. Ouverte aux idées nouvelles (elle soutint notamment
l'université de Bourges où étudiait Calvin), elle joue à la cour
de France un rôle politique et moral important : elle protège des
écrivains comme Marot ou Rabelais en butte aux poursuites de la
Sorbonne. Rabelais, qui éprouvait à son égard un mélange de
fascination et d'effroi, la surnommait la Dame à la Licorne.
Un
texte qui évoque une batelière
Au
port à Coulon près de Niort, il y avait une batelière, qui jour et
nuit ne faisait que passer chacun. Advint que deux cordeliers dudit
Niort, passèrent la rivière tous seuls avec elle. Et pource que ce
passage est un des plus longs qui soit en France, pour la garder
d’ennuyer vinrent à la prier d’amours : à quoi elle fit telle
réponse qu’elle devait. Mais eux qui pour le travail du chemin
n’étaient lassés, ni pour froideur de l’eau refroidis, ni aussi
pour le refus de la femme honteux, se délibérèrent de la prendre
tous deux par la force : ou si elle se plaignait la jeter dans la
rivière. Elle aussi sage et fine, qu’ils étaient fous et
malicieux, leur dit : « Je ne suis pas si mal gracieuse que j’en
fais le semblant, mais je veux vous prier de m’octroyer deux
choses, et puis vous connaîtrez que j’ai meilleure envie de vous
obéir, que vous n’avez de me prier. » Les cordeliers lui jurèrent
par leur bon saint François, qu’elle ne leur saurait demander
chose qu’ils ne lui octroyassent, pour avoir ce qu’ils désiraient
d’elle. « Je vous requiers premièrement, dit-elle, que vous me
juriez et promettiez,que jamais à homme vivant nul de vous ne
déclarera notre affaire » : ce qu’ils lui promirent très
volontiers.
Ainsi
leur dit : « Que l’un après l’autre veuille prendre son plaisir
de moi, car j’aurais trop de honte, que tous deux me vissiez
ensemble : regardez lequel me veut avoir la première. » Ils
trouvèrent très juste sa requête, et accorda le plus jeune que le
vieux commencerait : et en approchant d’une petite île, elle dit
au beau-père le jeune : « Dites là vos oraisons, jusques à
cequ’aie mené votre compagnon ici devant en une autre île : et si
à son retour il se loue de moi,nous le laisserons ici, et nous en
irons ensemble. »
Le
jeune sauta dedans l’île, attendant le retour de son compagnon,
lequel la batelière mena en autre : et quand ils furent au bord,
faisant semblant d’attacher son bateau, lui dit : « Mon ami
regardez en quel lieu nous nous mettrons. » Le beau-père entra en
l’île pour chercher l’endroit qui lui serait plus à propos :
mais sitôt qu’elle le vità terre, donna un coup de pied contre un
arbre, et se retira avec son bateau dedans la rivière,laissant ces
deux beaux-pères aux déserts, auxquels elle cria tant qu’elle put
: « Attendez messieurs,que l’Ange de Dieu vous vienne consoler,
car de moi n’aurez aujourd’hui autre chose qui vous puisse
plaire. »
Ces
deux pauvres cordeliers connaissant la tromperie, se mirent à genoux
sur le bord de l’eau la priant ne leur faire cette honte, et que si
elle les voulait doucement mener au port, ils lui promettaient de ne
lui demander rien. Et s’en allant toujours leur disait : « Je
serais folle si après avoir échappé de vos mains, je m’y
remettais. » Et en retournant au village appelé son mari, etceux de
la justice, pour venir prendre ces deux loups enragés, dont par la
grâce de Dieu elle avait échappé de leurs dents. Eux et la justice
s’y en allèrent si bien accompagnés, qu’il n’y demeura ni
grand ni petit, qui ne voulut avoir part au plaisir de cette chasse.
Ces
pauvres fratres voyant venir si grande compagnie se cachèrent chacun
dans son île, comme Adam quand il se vit devant la face de Dieu. La
honte mit leur péché devant leurs yeux, et la crainte d’être
punis les faisait trembler si fort qu’ils étaient demi morts. Mais
cela ne les garda d’être pris et menés prisonniers, qui ne fut
pas sans être moqués et hués d’hommes et de femmes. Les uns
disaient : « Ces beaux-pères nous prêchent chasteté, et puis la
veulent ôter à nos femmes. » Le mari disait : « Ils n’osent
toucher l’argent la main nue, et veulent bien manier les cuisses
des femmes, qui sont plus dangereuses. » Les autres disaient : «
Sont sépulcres par dehors blanchis, et dedans pleins de morts et de
pourriture. »
Et une
autre criait : « A leurs fruits connaissez-vous quels arbres sont. »
Croyez que tous les passages, que l’Ecriture dit contre les
hypocrites, furent là allégués contre les pauvres prisonniers
:lesquels par le moyen du gardien furent recoux et délivrés, qui en
grande diligence les vint demander, assurant ceux de la justice qu’il
en ferait plus grande punition que les séculiers n’en sauraient
faire. Et pour satisfaire à partie, protesta qu’ils diraient tant
de suffrages et prières qu’on les voudrait charger. Par quoi le
juge accorda sa requête et lui donna les prisonniers, qui furent si
bien chapitrés du gardien (qui était homme de bien) que oncques
puis ne passèrent rivière sans faire le signe de la croix, et se
recommander à Dieu.
Marguerite
a écrit une multitude de textes, des contes, des poèmes, des
pièces. Le texte ci-dessus est un conte qui naturellement ne se
déroule pas sur la Loire mais la Sèvre Nantaise. Elle trouve sa
place ici, alors qu'elle fut une grande voyageuse, changeant souvent
de résidence, parce qu'elle séjourna à Ambroise auprès de son
frère le Roi.
"N’insulte pas
le crocodile avant d’avoir traversé la rivière".
Ce principe de précaution m’est
arrivé du fin fond des Afriques avec tant d’autres trouvailles et
parlures des palabreurs africains. « Ce n’est pas parce qu’il a
traîné cent ans dans de l’eau qu’un morceau de bois peut
devenir crocodile » et aussi « L’eau ne peut pas cacher qu’elle
est nue ». Nos écrivains patentés devraient se prosterner devant
ces paroles qui sont sorties du puissant alambic textuel des
Afriques, ces textures sont pour moi sacrées dans leur mélange
d’humour, d’amour et de philosophie. Cette philosophie qui se
frotte au quotidien des hommes et des femmes et qui met en scène les
animaux mythiques de la forêt et du fleuve et que des perroquets
chamarrés répercutent d’arbre en arbre. Que soient remerciés ces
sages qui, à force de pratiquer la parole, ont semé des graines
dans nos cerveaux occidentaux. « Quand le blanc bégaie,
l’interprète a beaucoup de travail ». J’aimerais vivre mille
ans pour explorer la sagesse textuelle de tous les peuples du monde,
la faire passer dans mon gueuloir et la projeter sur les scènes de
la planète afin que ne meure pas " l’Esprit ". Le grand
" Esprit ", celui qui mène la danse et qui triomphera de
toutes les barbaries. Il convient de remercier aussi les arbres à
paroles qui inspirent les palabreurs assemblés les soirs de verve et
de plaisir quand chacun lance à la volée sa répartie et que les
rires fusent, tandis que coule des calebasses le vin de palme et que
les oiseaux de la forêt se font silencieux pour se laisser bercer
par la voix des astres.
Julos Beaucarne
Comment
ne pas rendre hommage à ces femmes qui ont navigué sur la Loire
pour diverses raisons et qui n'ont pas laissé leur nom dans
l'histoire. Il en est une qui est devenue emblématique par une
photographie ressuscité pour un Festival de Loire.
La
mère Paluche était en réalité installée à vieux bourg de
Saint-Jean-de-Braye. Elle tenait avec son mari une auberge célèbre
pour sa tête de veau et proposait la traversée du chenal pour aller
sur la petite Loire, surtout l'été. Les enfants profitaient de sa
générosité pour aller se baigner.
Un
câble dont le souvenir demeure sur le duit avec un poteau métallique
aujourd'hui rouillé, assurait sa barque. La dame inspira un conte
qui pour les besoins de la fiction et du récit se glissa à deux pas
de là, au Cabinet Vert où en réalité c'est Gaétan Frogier qui
œuvrait.
Mais
laissons cette femme de Loire nous emmener sur l'autre rive …
Il
était une fois une brave femme, une passeuse de Loire que chacun ici
surnommait la mère Paluche. Elle avait des mains aussi larges que
des battoirs et elle eût pu tout aussi bien être lavandière que
navigatrice émérite, allant d’une rive à l’autre pour le plus
grand bonheur de ceux qui n’avaient pas envie de faire le détour
pour prendre un pont ou bien désiraient simplement retrouver le
plaisir ancestral de la navigation ligérienne.
La
mère Paluche maniait la bourde avec dextérité ; elle
connaissait son travers comme personne, menant toujours ses passagers
à bon port même si, en la circonstance, il n’y avait pas de port
mais des rives ordinaires : l’une donnait sur une plage
accueillante et bienfaitrice quand les chaleurs survenaient, l’autre
débouchait sur une auberge réputée qui proposait un petit service
supplémentaire que nous garderons sous silence, dans la grande
tradition des bordeaux d’autrefois.
La
mère Paluche ne mangeait pas de ce pain-là : elle était
passeuse et pas entremetteuse même si elle avait toujours un petit
sourire en coin pour recevoir à son bord un client de ces dames.
Elle avait dépassé, depuis belle lurette, l’espoir de séduire
ceux qui étaient en manque d’affection ; elle était
vieille : d’un âge qu’on ne cherche plus à définir. Ceux
qui empruntaient ses services l’avaient toujours connue ainsi ;
le vieillissement n’avait plus prise sur elle.
Un
jour, il y avait bien longtemps, la mère Paluche avait transporté
un étrange personnage : un vert galant, un homme mystérieux .
Au milieu de la traversée, soudain, pour une raison inconnue de
tous, il était tombé à la renverse dans les flots qui, ce
jour-là, ne présageaient rien de bon sur l’issue de sa trempette
intempestive. La mère Paluche n’avait jamais perdu un passager ;
celui-ci n’allait pas inaugurer une liste macabre. Elle l’empoigna
par le col et le ramena promptement sur son bac.
L’homme,
en guise de remerciement, lui proposa d’exaucer trois vœux ;
il était, vous l’avez deviné, un peu sorcier et capable de
transformer le plomb en or tout en coulant comme une pierre quand il
tombait à l’eau. La formation des sorciers a de tous temps été
incomplète : celui-ci détestait davantage l’eau que le feu :
c’était une particularité assez commune à ce genre d’individu.
La
mère Paluche lui demanda des choses tout ordinaires. Elle n’avait
pas de goût de luxe : les passeurs étaient, jusqu’à il y a
peu de temps, des gens simples et non avides de richesses. Elle lui
dit : « J’aimerais que celui qui s’assoit sur mon bateau ne
puisse s'en relever que lorsque je lui en aurai donné la
permission ! » La première demande parut on ne peut plus
raisonnable au mage qui l’exauça d’un tour de bras. « Je
voudrais ensuite que celui qui agrippe ma bourde s’en trouve
prisonnier alors qu’elle se planterait au milieu de la Loire ! »
L’homme devina une facétie, une mauvaise plaisanterie propre à
égayer une traversée et y consentit sans difficulté.
Enfin,
la mère Paluche se gratta une tête où les cheveux étaient
clairsemés. »j’aurais envie encore que celui qui se fourre
dans mon tablier ne puisse plus en sortir sans que je l’y invite.
J’aime rester maîtresse en mon bateau, il ferait mauvais temps
qu’un margoulin vienne me marcher sur les pieds et faire profession
de mon petit commerce ». Le sorcier sourit de voir la vieille
ainsi pleine de vitalité et du désir de ne pas rendre son tablier
de sitôt. Il avait promis trois vœux et il devait reconnaître que
ceux-là étaient parmi les plus simples qu’il ait eus à
satisfaire depuis qu’il exerçait dans la corporation.
L’homme
disparut non sans aller du côté du cabinet vert, répondre à un
besoin que même les sorciers ne parvenaient pas toujours à
satisfaire sans payer leur écot. La mère Paluche ferma les yeux sur
ce travers très masculin. La braguette n’est pas toujours magique
au pays des mages et des birettes. Les années passèrent, immuables
et heureuses : la brave vieille continuait à faire la traversée
plus souvent pour un sourire que pour deux sous sonnants.
Un
jour pourtant, un homme étrange au teint blafard, portant large
chapeau noir, vint entre chien et loup réclamer le passage alors que
la vieille était bien décidée à amarrer son bateau. Elle n’avait
jamais su dire non et pour celui-ci encore, malgré son air peu
catholique, elle consentit à une ultime traversée. L’homme pour
tout remerciement lui décocha un sourire sarcastique qui aurait dû
éveiller la suspicion de notre brave vieille.
C’est
au milieu de la rivière qu’il se décoiffa. Il avait une paire de
cornes sur le front. La mère Paluche le reconnut aussitôt. Le
Diable en personne était venu réclamer la passeuse pour la conduire
sur l’autre rive. La vieille n’en parut pas troublée. Elle lui
dit qu’il n’avait qu'à se lever pour venir la chercher si
l’envie lui prenait d’agir ainsi. Le diable, malgré tous ses
efforts, resta cloué sur le banc et la mère Paluche empoigna une
bourde pour le gaffer comme plâtre.
Rossé,
humilié, couvert de bleus, le diable réclama la pitié de cette
diablesse et lui promit de la laisser sur terre pour une dizaine
d’années supplémentaires. « Parole tenue », lui dit
la vieille qui se débarrassa avec plaisir d’un si déplaisant
passager. Les années passèrent et la mère Paluche, malgré le
poids des ans, restait en place quand ses clients vieillissaient.
Dix
ans passèrent comme un songe. Sans crier gare, le Diable revint,
s’étant grimé en diablotin. Il était jeune, espiègle, d’humeur
joyeuse et pourtant, sous les apparences du larron en foire, la
vieille avait perçu les signes avant-coureurs du Maudit. C’est
encore au milieu de l’eau que l’homme se dévoila pour réclamer
sa prise. La mère Paluche, sans se démonter, lui dit « Puisque
ma dernière traversée est venue, j’aimerais être pour cette
ultime fois, passagère de mon bateau. Prenez la bourde et menez-moi
sur l’autre rive ! »
La
dernière requête d’un futur défunt se respecte surtout quand
elle comporte ainsi une part de plaisir. Le diablotin mourait d’envie
de mener la manœuvre : il s'exécuta avec délice. Il empoigna
la bourde, ce grand bâton ferré et le planta au fond de l’eau
tant et si bien qu’il se ficha dans le sable sans pouvoir en
ressortir. L’homme, sans bien comprendre pourquoi et comment, se
retrouva en équilibre au milieu de la Loire sur ce bâton, loin
d’une embarcation où la bonne vieille riait aux éclats.
Le
diablotin ne savait pas nager : il implora sa proie, lui jura de
ne pas la saisir cette fois encore. Il fit pitié à la passeuse qui
obtint, une fois encore, dix années de sursis sur cette terre. Chose
promise, chose due, qu’on fût un bon chrétien ou bien un suppôt
de Satan. La vieille reprit à son bord le pauvre garçon et récupéra
la bourde. Elle venait de gagner une nouvelle parcelle d’éternité.
Les
années passèrent et plus rien en semblait avoir prise sur la
vieille femme. Elle continuait son ouvrage quand un client réclamait
le passage. La chose était si rare maintenant qu’elle se faisait
désormais un point d’honneur à ne point faire payer le candidat à
la traversée. C’est ainsi que dix ans étaient passés comme dans
un rêve et que ce jour-là une troupe de petits hommes étranges
réclama le passage.
La
mère Paluche comprit immédiatement que le Diable avait envoyé une
escouade pour être certain de se saisir de la vieille. Elle sourit
sous cape : elle n’allait pas se laisser tirer par le bout du
nez, tout diables qu’ils étaient. C’est au milieu de la Loire
qu’elle prit la parole en premier : « Je vous ai reconnus,
envoyés du Vilain. Vous êtes venus en nombre pour vous saisir de
moi. Vous me faites grand honneur. J’aurais une demande à vous
faire : j’aimerais que vous endossiez tous mon tablier ;
ce doit être en votre pouvoir, il me semble, de vous fondre en une
seule personne ! »
Les
envoyés de Lucifer se firent prendre au piège. Ils se firent un
seul pour endosser l’habit de la passeuse. La mère Paluche rit aux
éclats, découvrant son unique dent. Son piège, une fois encore,
avait fonctionné. Cette fois, pour ne pas être prise au dépourvu,
elle exigea qu’on lui fiche à jamais la paix. Pour sortir de ce
tablier, le Diable en personne accepta le marché. Il signa un pacte
avec la vieille qui continue toujours à faire traverser les braves
gens avec la bénédiction du Bon Dieu.
Le
conte se referme sur une vie éternelle. Si vous rencontrez la dame,
restez debout et ne la contrariez pas. Elle ne s'en prend qu’aux
mauvais diables : vous ne risquez pas grand chose.
Le
triste envers du décor ; d'une marine de Loire qui voit les
hommes partir longtemps de chez eux.
Histoire
à ne pas mettre entre toutes les oreilles.
Il
était une fois, sur la plus grande rivière naviguée du royaume, la
vie bien ordinaire des mariniers. En ce temps-là, la plus grande
part des marchandises qui allaient d'un point à l'autre du pays
faisait transit sur notre Loire majestueuse. Il y avait grande presse
pour mener à bien tout ce qui pouvait trouver place sur une
embarcation. Les bateaux allaient en tous sens sur une onde qui était
en ce temps là tout comme aujourd'hui, bien délicate à la
navigation.
Il
en fallait des hommes pour assurer la manœuvre, tirer sur la corde,
monter ou descendre le mât, charger et décharger la marchandise,
assurer le quotidien de ce trafique incessant. Les pauvres bougres
avaient alors des conditions fort dures, des journées longues et
épuisantes. La pitance était maigre, la solde pas plus épaisse et
les conditions de vie à vous faire préférer les travaux de la
terre.
Étaient
compagnons mariniers pour le compte d'un autre ceux qui n'avaient pas
lopin à cultiver ou bien bateau personnel pour réaliser un petit
négoce plus tranquille. Nos forçats du fleuve faisaient le grand
voyage de Roanne à Nantes en partie dans les deux sens, d'autres
venaient de plus bas encore pour un chemin à sens unique de Saint
Rambert jusqu'à l'estuaire avant de s'en retourner à pied, leur
sapine vendue comme bois de chauffe ou bien de charpente.
La
vie sur le trajet n'était pas toujours facile. Le labeur était
rude, les compères avaient la querelle facile et le coup de poing
valait mieux que de trop grands palabres. Mis à part la chopine, la
distraction était rare et bien qu'ils aient la goule bien grande,
qu'ils prétendent tous que les filles leur jetaient, dans toutes les
villes traversées, de jolies œillades à vous renverser les sens,
les mariniers étaient bien seuls sur leurs rafiots de bois.
Quoiqu'ils
puissent en dire, les filles du pays ne regardaient pas de travers
ces lascars avinés qui n'en voulaient qu'à leur fleur pour s'en
sauver ensuite bien loin de monsieur le curé. Le marinier pouvait
avoir, avec beaucoup de chance, une fiancée qui l'attendait au pays.
La demoiselle devait être patiente, elle ne voyait son promis au
mieux que tous les deux mois. Toujours le pied en l'air, il ne
tardait pas à repartir la laissant se désoler et maudire cette
satanée marine.
Il
y avait donc dans le lot bien plus de vieux garçons que de jolis
cœurs. La rude tâche ingrate, la solitude et le poids des fatigues
les rendant souvent acariâtres, ils rebutaient même les moins
délicates. Si vous passez encore de nos jours le long du fleuve,
vous vous apercevrez que ceux d'aujourd'hui ne différent en rien de
ceux d'autrefois. La Loire est maîtresse exigeante, elle se prête
mais ne se donne jamais à tous ses galants délaissés.
Ainsi,
nos trimardiers avaient tous vague à l'âme et regrets éternels.
Ils cherchaient dans les tavernes des consolations qui n'attirent
jamais le moindre jupon. Ils avaient la vergue en berne et le cœur
aussi gros que trop vide. De tous temps quand pareille chose arrive,
qu'une troupe de vieux grivois arpente le pays, un petit négoce peu
avouable pointe le bout d'une frimousse trompeuse et gouailleuse.
Au
fin haut d'Orléans, à la pointe Saint Loup, il y avait là, petite
maison accorte qui brillait tous les jours et une partie de la nuit,
d'une petite lanterne en guise de fanal. Chacun savait ce que
signifiait le message et tous les gars du chemin l'avaient marqué de
quelques rêves fripons ! Celle qui n'a jamais vu le loup ignore tout
du commerce charnel que de pauvres filles perdues devaient exercer
avec ces vilains dépenaillés.
Elles
avaient bien du mérite à tenir la manœuvre. Il y avait souvent
grand tangage et gros coups de beuglerie. Les clients, jamais
reconnaissants, les appelaient du nom peu amène de grues ou bien
encore, dans la langue du pays de gaupes ou gouèpes. Elles aussi
devaient avaler bien des contrariétés et essuyer parfois des
vilains coups de tempête. Si elles ne voyageaient pas, bien lourde
était leur charge pour une carrière qui ne durait jamais très
longtemps.
Elles
aussi étaient le fruit blette de la misère et des temps durs pour
les miséreux. Filles sans biens, un incident, une erreur, une
famille qui leur tourne le dos, la
bienpensance qui se plait à juger alors que c'est si facile quand on
est à l'abri et voilà ces femmes sans joie qui rejoignent le
grand bataillon des damnées de la terre. Mais tout cela n'arriverait
pas si marinier ou bien soldats, traîneux et trimards ne réclamer
pas chair fraîche en pâture pour satisfaire désirs bien pires que
ceux des gouris !
Hélas,
il en sera partout ainsi, les poques doivent perssurer les
aiguillettes délaissées avec leurs divartissouères. Pire encore,
le marinier n'avait pas d'argent, il était assez radin pour tirer
sur les prix. Comme il faut bien vivre, en ce lieu pitoyable, le
passage du marinier à cale était bradé pour la modique somme de
quatre sous. La venelle en a gardé ce nom, sans qu'il ne fut jamais
mentionné ici, l'origine de ce patronyme peu glorieux. Pire même,
le Roy, jamais satisfait, prenait sur ces amours tarifés, une taxe à
la taille qui se laissait glisser.
Voilà
vous savez tout d'un épisode peu glorieux de toutes les marine du
monde. Les hommes sont ainsi faits, il ne faut jamais croire en leurs
vantardises. Ils se prennent pour des fiers à bras quand ils ne sont
que de pauvres bonshommes perdus et ben paillards. C'est hélas de
malheureuses filles qui trinquent et paient fort cher le sacrifice
qu'elles leur font. De cette lamentable histoire, retenez qu'il ne
fait jamais croire les belles paroles enjôleuses des mariniers,
bateliers et matelots, ils vous mènent en bateau puis vous
abandonnent sur un cul de grève comme une vieille épave.
Tant
mieux si elles peuvent vivre sans rien faire,
Car
comme dit l’autre, il n’y a pas de sots métiers,
Toutes
n’ont pas la même veine,
Car
pendant qu’elles se baladent,
Nous,
laveuses, chaque jour d’la semaine,
On
va rincer la « bujade »
Levées
de bon matin,
La
brouette en mains,
Nous
prenons le même chemin.
C’est
à Cournauron,
Que
nous descendons,
Laver
les ch’mises, les cal’çons,
Notre
métier est ingrat,
Nous
souffrons quand il fait froid,
Mais
si le temps est chaud,
Faut
pas oublier l’lolo !
Une
bonne bouteille,
Quand
il fait soleil,
J’vous
assure qu’çà vous réveille !
Perlante,
Cournauron et les Rivalles,
De
Néris sont les plus grands lavoirs,
C’est
d’vant chaque pierre que l’matin s’installent
Nous
les chevalières du battoir !
Toutes
ont la langue bien pendue,
Et
les potins, les cancans,
Pour
nous ne sont pas perdus,
Car
on en parle constamment.
Un
grand coup d’battoir,
Qu’est
ce qui a le crachoir ?
Tiens,
mais c’est madame Micard.
Une
bonne friction !
La
Sourde, attention !
Ecoute
la conversation.
Si
Perlante a Valentine,
Aux
Rivalles y a Caroline,
Et
tous les jours nous voyons
La
Fanny à Cournauron !
A
genoux dans l’cabas,
On
ne s’ennuie pas,
Au
milieu d’toutes ces femmes là !
J’allais
omettre, mon Dieu quelle affaire
L’lavoir
des Chaudes, dont on change le cadre,
Car
tels jadis nos braves mousquetaires,
Les
trois lavoirs de Néris sont quatre.
Le
croiriez vous, ça renserse,
Mais
des hôtels, des villas,
Dans
ce dernier se déversent,
Les
reliefs de tous les r’pas.
Me
direz-vous vraiment,
Que
c’est appétissant,
D’voir
flotter d’la chose là-dedans,
Et
d’penser aussi,
Que
les égouts de Néris,
Se
donnent rendez-vous ici.
Les
bourgeois feraient bien mieux,
De
garder leur… miel chez eux.
Et
par mesure hygiénique,
D’installer
des fosses sceptiques.
Sans
faire d’embarras,
Nous,
on ne tient pas,
A
laver dans l’bouillon gras.
Pour
être laveuse faut du matériel,
L’cabas,
la benne, la brosse à chiendent,
La
bassine, le bleu et l’eau de Javel,
L’savon,
le battoir, c’est évident,
L’hiver
c’est le brasero,
Et
le sac de charbon de bois.
Malgré
tout l’métier s’rait beau,
Si
on pouvait l’faire chez soi !
Ecoutez
M’sieur le Maire,
C’est
une prière,
Que
vous font les lavandières,
Faites
une bonne action,
En
r’montant du fond,
Le
lavoir de Cournauron.
Ne
pourriez-vous par hasard,
Le
placer au camp d’César,
Ou
bien alors pour y aller,
Faire
une ligne de tramway.
Sans
être exigeant,
Quelque
chose d’épatant,
Ce
serait le tapis roulant.
En
orléanais,
les membres des compagnies d'Ô et du Battement d'Elle se sont
lancées dans le collectage des souvenirs de nos lavoirs, quand
ceux-ci résonnaient des papotages des dames au battoir et à la
langue bien pendue.
Elles
ont recueilli de jolis fragments de vie, de belles histoires
personnelles, simples et émouvantes. Elles proposent un spectacle
magnifique qui nous entraîne au cœur d'une France qui n'est plus et
qu'il convient de voir si c'est encore possible.
Elles
sont quatre à battre le linge tout en nous prenant par la main et le
cœur. Elles cancanent, elles papotent, elles se livrent, elles se
confient, elles s'encolérent, elles se gaussent.
Elles
sont tout à la fois, tous les visages de ces femmes simples qui
étaient les petites mains de nos rivières. Elles nous livrent ainsi
une quinzaine de portraits, des instants de vie, des fragments
émouvants et d'une grande justesse.