lundi 31 juillet 2023

Femmes de Loire : Lucie-Félix-Faure-Goyau

 

Lucie-Félix-Faure-Goyau





Lucie-Rose-Séraphine-Élise est la fille du Président de la République Félix Faure et de Marie-Mathilde Berthe Belluot. Son père doit sa notoriété à son décès dans l'exercice de ses fonctions le 16 février 1899, à l'âge de 58 ans au Palais de l'Élysée en galante compagnie.

Lucie-Félix et sa sœur Antoinette sont amies de jeunesse de Marcel Proust ; il est même question un temps de l'union de Lucie et Marcel. C'est le scandale provoqué par la mort président qui met un terme à ce projet.


En 1903, Lucie Faure épouse Georges Goyau : un intellectuel né à Orléans en 1869, grand spécialiste de l'histoire religieuse. Ne se contentant pas de rester dans l'ombre de son mari Lucie fonde la « Ligue fraternelle des enfants de France » tout en se consacrant à l'écriture sous le nom de plume de « Lucie Félix-Faure Goyau » Très croyante, la plupart de ses écrits portent sur des sujets catholiques même si on lui doit :

    • La vie et la mort des fées.

    • L'arbre des fées

    • Ombres et paysages d'Amboise

Elle sera jurée du premier prix Femina, Femme très cultivée, elle lit le latin, le grec, l'anglais ; elle voyage beaucoup même si elle est toujours restée très attachée à Amboise et à la Loire.




« La Loire traverse le paysage d'Amboise, comme un signet traverse une page de missel, un beau signet d'or où seraient incrustées des turquoises. Le sable dessine le cours du fleuve. Il y reste assez d'eau pour refléter des nuages, de grands morceaux d'azur, la dentelle blonde des peupliers.

De cette page, le château formerait la vignette avec ses bases formidables, ses toits légers, dont les dents aigues mordent en plein ciel.

Malgré ses fabriques, Amboise a toujours l'air de se reposer. Elle est fière d'offrir au soleil le miroir de son fleuve, la corbeille de ses jardins, la draperie onduleuse et verdoyante de ses treilles …



Le quai d'Amboise file entre sa bordure de maisons, de jardins, de terrasses et la Loire, la molle et paresseuse Loire.

Il y a des visions d'Îles, de coteaux, de peupliers ; dans le recul de ses perspectives, il laisse deviner de jolis caprices, des enfoncements vaporeux …



Autour du château s'étirent quelques ruelles sombres et fraîches comme des couloirs ? Des siècles ont défilé entre leurs murs ; au clair de lunen elles prennent des airs de mystère, presque inquiétants. Les murailles géantes du château qui, de son rocher, domine la ville, contrastent avec ces vues lilliputiennes ; et là-haut, comme une fleur posée sur une armure, la fine chapelle ajoute à ses grâces – si délicates, si suaves, si aérienne, que sa flèche a l'air de s'élancer pour échapper aux vulgarités d'ici-bas ... »




Pour ces quelques lignes exhumées ici, elle a sa place dans ce panthéon des femmes de Loire.

dimanche 30 juillet 2023

Femmes de Loire : Georges Sand

 

Georges Sand





La Bonne dame de Nohant est parfois considérée comme une écrivaine de Loire. Il est vrai qu'elle relata un voyage dans le Forez qui laissa un goût amer aux gens du pays. Par contre c'est au cœur du Berry qu'elle coula des jorus heureux aimant à se baigner dans sa petite rivière de l'Oizenotte ou dans l'Indre. Elle fit de très belles descriptions de ces décors rivières. Attachons-nous ici à son domaine de Nohant, un extrait de « Histoire de ma vie ».



Je dirai quelques mots de cette terre de Nohant où j’ai été élevée, où j’ai passé presque toute ma vie et où je souhaiterais pouvoir mourir.

Le revenu en est peu considérable, l’habitation est simple et commode.

Le pays est sans beauté, bien que situé au centre de la vallée Noire, qui est un vaste et admirable site. Mais précisément cette position centrale dans la partie la plus nivelée et la moins élevée du pays, dans une large veine de terre à froment, nous prive des accidens variés et du coup d’œil étendu dont on jouit sur les hauteurs et sur les pentes. Nous avons pourtant de grands horizons bleus et quelque mouvement de terrain autour de nous, et, en comparaison de la Beauce et de la Brie, c’est une vue magnifique ; mais, en comparaison des ravissans détails que nous trouvons en descendant jusqu’au lit caché de la rivière, à un quart de lieue de notre porte, et des riantes perspectives que nous embrassons en montant sur les coteaux qui nous dominent, c’est un paysage nu et borné.

Quoi qu’il en soit, il nous plaît et nous l’aimons.

Ma grand’mère l’aima aussi, et mon père y vint chercher de douces heures de repos à travers les agitations de sa vie. Ces sillons de terres brunes et grasses, ces gros noyers tout ronds, ces petits chemins ombragés, ces buissons en désordre, ce cimetière plein d’herbes, ce petit clocher couvert de tuiles, ce porche antique, ces grands ormeaux délabrés, ces maisonnettes de paysan entourées de leurs jolis enclos, de leurs berceaux de vigne et de leurs vertes chenevières, tout cela devient doux à la vue et cher à la pensée quand on a vécu si longtemps dans ce milieu calme, humble et silencieux. 


 

Le château, si château il y a (car ce n’est qu’une médiocre maison du temps de Louis XVI), touche au hameau et se pose au bord de la place champêtre sans plus de faste qu’une habitation villageoise. Les feux de la commune, au nombre de deux ou trois cents, sont fort dispersés dans la campagne ; mais il s’en trouve une vingtaine qui se resserrent auprès de la maison, comme qui dirait porte à porte, et il faut vivre d’accord avec le paysan, qui est aisé, indépendant, et qui entre chez vous comme chez lui. Nous nous en sommes toujours bien trouvés, et, bien qu’en général les propriétaires aisés se plaignent du voisinage des ménageants, il n’y a pas tant à se plaindre des enfants, des poules et des chèvres de ces voisins-là qu’il n’y a qu’à se louer de leur obligeance et de leur bon caractère.

Les gens de Nohant, tous paysans, tous petits propriétaires (on me permettra bien d’en parler et d’en dire du bien, puisque, par exception, « je prétends que le paysan peut être bon voisin et bon ami » ), sont d’une humeur facétieuse sous un air de gravité. Ils ont de bonnes mœurs, un reste de piété sans fanatisme, une grande décence dans leur tenue et dans leurs manières, une activité lente mais soutenue, de l’ordre, une propreté extrême, de l’esprit naturel et de la franchise. Sauf une ou deux exceptions, je n’ai jamais eu que des relations agréables avec ces honnêtes gens. Je ne leur ai pourtant jamais fait la cour, je ne les ai point avilis par ce qu’on appelle des bienfaits. Je leur ai rendu des services et ils se sont acquittés envers moi selon leurs moyens, de leur plein gré, et dans la mesure de leur bonté ou de leur intelligence. Partant, ils ne me doivent rien, car tel petit secours, telle bonne parole, telle légère preuve d’un dévouement vrai valent autant que tout ce que nous pouvons faire. Ils ne sont ni flatteurs ni rampans, et chaque jour je leur ai vu prendre plus de fierté bien placée, plus de hardiesse bien entendue, sans que jamais ils aient abusé de la confiance qui leur était témoignée. Ils ne sont point grossiers non plus. Ils ont plus de tact, de réserve et de politesse que je n’en ai vu régner parmi ceux qu’on appelle les gens bien élevés.

Telle était l’opinion de ma grand’mère sur leur compte. Elle vécut vingt-huit ans parmi eux, et n’eut jamais qu’à s’en louer. 


 

samedi 29 juillet 2023

Femmes de Loire : Hubertine Auclert

 

Hubertine Auclert






Un livre sur les femmes sans la présence d'une militante de la cause féministe eut manqué à son devoir. Il se trouve que l'occasion est belle de rendre hommage à une des pionnières nationale de ce juste combat. Née en 1848 au sein d’une famille aisée de l’Allier, Hubertine Auclert est rapidement envoyée suivre ses études dans les couvents de Montluçon avant que de partir pour Paris.

Marquée profondément par un discours de Victor Hugo en 1872, comparant les femmes à des esclaves tout en déplorant qu'elles n'aient pas accès à la citoyenneté, elle consacre son existence à l'intégration des femmes dans la vie civique ce qui fera d'elle l'une des premières suffragettes.

Elle meurt meurt en 1914 sans avoir jamais vu la concrétisation de sa principale revendication : le droit de vote des femmes. Elle a su néanmoins imposer le sujet des droits civiques et politiques des femmes dans le débat public en France.

Elle est l'une des premières militantes françaises à revendiquer le terme de féministe. Hubertine Auclert ouvre la voie aux combats de ses successeures par l’inventivité et l'opiniâtreté qu'elle met dans ses modes d’action. Elle ne se contente pas de discours et de manifestes, elle se lance dans des gestes militants particulièrement subversifs qui seront les moyens qui finiront pas faire plier plus tard les hommes. Elle se comporte comme une combattante de la cause, effectuant des recours en justice, éditant de timbres promouvant les droits des femmes, renversant les urnes de vote, interromptant de la lecture du Code lors d’un mariage civil. Elle boycote le recensement : « Si nous ne comptons pas, pourquoi nous compte-t-on ? » et refuse de payer les impôts « je ne vote pas, je ne paie pas d’impôts ».

 



« Il n’y aura de bonheur pour l’humanité que dans l’égalité des droits pour tous, et l’équitable répartition des fonctions entre tous, hommes et femmes indifféremment. »

« Beaucoup de femmes, sous prétexte qu’elles n’ont ni domaines, ni maisons de rapport, ni titres de rente, omettent, en se mariant, de passer un contrat. Elles ont cependant, plus encore que les favorisées de la fortune, intérêt à sauvegarder leur modeste mobilier, leurs vêtements et les ressources que produisent leurs dix doigts. Or, pour voir échapper à la confiscation maritale leurs hardes et leur salaire, pour se soustraire à la communauté légale, où tout ce qui appartient à la femme est la propriété du mari, où rien de ce qui appartient au mari n’est la propriété de la femme, elles doivent - n’auaient-elles absolument que le produit de leur travail - elles doivent, en se mariant, passer le contrat de séparation de biens. »

Un caractère bien trempé qui en fait indubitablement une femme de Loire et d'Allier


 

 

vendredi 28 juillet 2023

Femmes de Loire : Adélaïde Dufrénoy

 

Adélaïde Dufrénoy

 

 


 Née à Nantes en 1765, elle devient de ce fait une femme de Loire qui dans les siècles passés écrivit de la poésie. Il convient de déplorer le peu d'écrits attribués à des femmes disponibles en ces temps lointain, comme si les femmes n'étaient qu'amante ou princesse.



L'Amour



Passer ses jours à désirer,
Sans trop savoir ce qu'on désire ;
Au même instant rire et pleurer,
Sans raison de pleurer et sans raison de rire ;
Redouter le matin et le soir souhaiter
D'avoir toujours droit de se plaindre,
Craindre quand on doit se flatter,
Et se flatter quand on doit craindre ;
Adorer, haïr son tourment ;
À la fois s'effrayer, se jouer des entraves ;
Glisser légèrement sur les affaires graves,
Pour traiter un rien gravement,
Se montrer tour à tour dissimulé, sincère,
Timide, audacieux, crédule, méfiant ;
Trembler en tout sacrifiant,
De n'en point encore assez faire ;
Soupçonner les amis qu'on devrait estimer ;
Être le jour, la nuit, en guerre avec soi-même ;
Voilà ce qu'on se plaint de sentir quand on aime,
Et de ne plus sentir quand on cesse d'aimer.





Le Besoin d'aimer

Pourquoi depuis un temps, inquiète et rêveuse,
Suis-je triste au sein des plaisirs?
Quand tout sourit à mes désirs,
¨Pourquoi ne suis-je pas heureuse?

Pourquoi ne vois-je plus venir à mon réveil
  La foule des riants mensonges?
Pourquoi dans les bras du sommeil
Ne trouvé-je plus de doux songes?

Pourquoi, beaux-arts, pourquoi vos charmes souverains
N'enflamment-ils plus mon délire?
Pourquoi mon infidèle lyre
S'échappe-t-elle de mes mains?

Quel est ce poison lent qui pénètre mes veines,
Et m'abreuve de ses langueurs?

 Quand mon âme n'a point de peines,
Pourquoi mes yeux ont-ils des pleurs ?

 


 

jeudi 27 juillet 2023

Femmes de Loire : Madame de Sévigné

 

Madame de Sévigné





LETTRE DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

 

À Blois, jeudi 9e mai.

… Mon fils est parti cette nuit d’Orléans par la diligence, qui part tous les jours à trois heures du matin, et arrive le soir à Paris ; cela fait un peu de chagrin à la poste. Voilà les nouvelles de la route, en attendant celles de Danemark.

Nous sommes montés dans le bateau à six heures par le plus beau temps du monde ; j’y ai fait mettre le corps de mon grand carrosse, d’une manière que le soleil n’a point entrée dedans : nous avons baissé les glaces ; l’ouverture du devant fait un tableau merveilleux ; celle des portières et des petits côtés nous donne tous les points de vue qu’on peut imaginer. Nous ne sommes que l’abbé et moi dans ce joli cabinet, sur de bons coussins, bien à l’air, bien à notre aise ; tout le reste, comme des cochons sur la paille. Nous avons 1680 mangé du potage et du bouilli tout chaud : on a un petit fourneau, on mange sur un ais dans le carrosse, comme le Roi et la Reine : voyez, je vous prie, comme tout s’est raffiné sur notre Loire, et comme nous étions grossiers autrefois que le cœur étoit à gauche : en vérité, ma fille, le mien, ou à droit ou à gauche, est tout plein de vous. Si vous me demandez ce que je fais dans ce carrosse charmant, où je n’ai point de peur, j’y pense à ma chère enfant, je m’entretiens de la tendre amitié que j’ai pour elle, de celle qu’elle a pour moi, de la sensibilité que j’ai pour tous ses intérêts, des ordres de la Providence qui nous sépare, de la tristesse que j’en ai ; je pense à ses affaires, je pense aux miennes ; tout cela forme un peu l’humeur de ma fille, malgré l’humeur de ma mère, qui brille tout autour de moi. Je regarde, j’admire cette belle vue qui fait l’occupation des peintres. Je suis touchée de la bonté du bon abbé, qui, à soixante et treize ans, s’embarque encore sur la terre et sur l’onde pour mes affaires ... .

Je voudrois bien causer avec quelqu’un ; je viens d’un lieu où l’on est assez accoutumé à discourir : nous parlons, le bon abbé et moi, mais ce n’est pas d’une manière qui puisse nous divertir. Nous passons tous les ponts avec un plaisir qui nous les fait souhaiter : il n’y a pas beaucoup d’ex voto pour les naufrages de la Loire, non plus que pour la Durance : il y auroit plus de raison de craindre cette dernière, qui est folle, que notre Loire, qui est sage et majestueuse. Enfin nous sommes arrivés ici de bonne heure ; chacun tourne, chacun se rase, et moi j’écris romanesquement sur le bord de la rivière, où est située notre hôtellerie : c’est la Galère ; vous y avez été.

J’ai entendu mille rossignols ; j’ai pensé à ceux que vous entendez sur votre balcon. Je n’ose vous dire, ma 1680 fille, la tristesse que l’idée de votre délicate santé a jetée sur toutes mes pensées : vous le comprenez bien et à quel point je souhaite que cette santé se rétablisse ; si vous m’aimez, vous y mettrez vos soins et votre application, afin de me témoigner la véritable amitié que vous avez pour moi : cet endroit est une pierre de touche. Bonsoir, ma très-chère ; adieu jusqu’à demain à Tours.

À Tours, vendredi 10e mai.

Toujours, ma fille, avec la même prospérité. Je n’ai jamais rien vu de pareil à la beauté de cette route. Mais comprenez-vous bien comme notre carrosse est mis de travers ? Nous ne sommes jamais incommodés du soleil ; il est sur notre tête, le levant est à la gauche, le couchant à la droite, et c’est la cabane qui nous en défend. Nous parcourons toute cette belle côte, et nous voyons deux mille objets différents, qui passent incessamment devant nos yeux, comme autant de paysages nouveaux, dont M. de Grignan seroit charmé : je lui en souhaiterois un seulement à l’endroit que je dirois.

On attendoit, le lendemain de mon départ, la belle Fontanges à la cour : c’est au chevalier présentement à faire son devoir ; je ne suis plus bonne à rien du tout : si vous ne m’aimiez, il faudroit brûler mes misérables lettres avant que de les ouvrir. Adieu donc, ma très-aimable enfant ; adieu, Monsieur de Grignan. 


 


mercredi 26 juillet 2023

Femmes de Loire : Marguerite de Navarre

 

Les Femmes de lettres




Nous l'avons constaté, seule la chanson peut rendre hommage aux humbles et aux femmes anonymes. Entrer en littérature, ce n'est pas donné aux femmes du peuple, du moins dans les époques sur lesquelles portent nos recherches. Quelles soient poétesses ou romancières, qu'elles tiennent une correspondance épistolaires ou bien un récit de voyage, elles ne sont pas très nombreuses à être entrées en postérité. C'est là la marque d'une société patriarcale qui confinait la femme dans le rôle de la séductrice mais certes pas dans celui de la narratrice, témoin de son temps.


Il nous faudra donc chercher plus attentivement pour mettre en lumière ces dames qui ont sillonné la rivière ou qui se sont inspirées de sa merveilleuse présence. Loin de la vie de château, le voyage n'était pas une sinécure. C'est ainsi qu'elles rendent compte d'un monde pour le moins pittoresque, souvent étonnant, parfois violent, grossier ou bien rude. Nous sommes loin de l'image d'Épinal, la vie quotidienne en bord de Loire n'était pas de tout repos. Pour les femmes, il faut ajouter aux vicissitudes de l'existence, les pressions peuvent ont à subir de la part de compagnons qui ne sont pas des parangons de vertus. C'est sans doute ce qui rend plus difficile de trouver trace d'écrits féminins sur un monde qui n'est pas tendre.


Marguerite de Navarre

 




Marguerite de Navarre, appelée également Marguerite d’Angoulême ou Marguerite d'Alençon, est la fille de Louise de Savoie et du comte Charles d'Angoulême,. Elle est la sœur aînée de François Ier. Elle se marie deux fois. En 1509, elle épouse Charles IV, duc d'Alençon. Elle devient alors duchesse d'Alençon, mais continue de vivre à la Cour, auprès de son frère François. Charles IV décède en 1525. Deux ans après, elle se remarie avec le roi de Navarre, Henri II d'Albret. Par ce second mariage, elle devient donc reine de Navarre. Leur fille Jeanne III d'Albret naît en 1529. À la mort de François Ier, elle se retire dans le château de Nérac. Elle décède e 1549.

Amie des lettres, des sciences et des arts, protectrice des persécutés, proscrits et autres victimes de la Sorbonne, du Parlement et de l'intolérance de l'époque, la reine de Navarre vit arriver auprès d'elle les plus grands esprits de son temps. Ouverte aux idées nouvelles (elle soutint notamment l'université de Bourges où étudiait Calvin), elle joue à la cour de France un rôle politique et moral important : elle protège des écrivains comme Marot ou Rabelais en butte aux poursuites de la Sorbonne. Rabelais, qui éprouvait à son égard un mélange de fascination et d'effroi, la surnommait la Dame à la Licorne.



Un texte qui évoque une batelière





Au port à Coulon près de Niort, il y avait une batelière, qui jour et nuit ne faisait que passer chacun. Advint que deux cordeliers dudit Niort, passèrent la rivière tous seuls avec elle. Et pource que ce passage est un des plus longs qui soit en France, pour la garder d’ennuyer vinrent à la prier d’amours : à quoi elle fit telle réponse qu’elle devait. Mais eux qui pour le travail du chemin n’étaient lassés, ni pour froideur de l’eau refroidis, ni aussi pour le refus de la femme honteux, se délibérèrent de la prendre tous deux par la force : ou si elle se plaignait la jeter dans la rivière. Elle aussi sage et fine, qu’ils étaient fous et malicieux, leur dit : « Je ne suis pas si mal gracieuse que j’en fais le semblant, mais je veux vous prier de m’octroyer deux choses, et puis vous connaîtrez que j’ai meilleure envie de vous obéir, que vous n’avez de me prier. » Les cordeliers lui jurèrent par leur bon saint François, qu’elle ne leur saurait demander chose qu’ils ne lui octroyassent, pour avoir ce qu’ils désiraient d’elle. « Je vous requiers premièrement, dit-elle, que vous me juriez et promettiez,que jamais à homme vivant nul de vous ne déclarera notre affaire » : ce qu’ils lui promirent très volontiers.


Ainsi leur dit : « Que l’un après l’autre veuille prendre son plaisir de moi, car j’aurais trop de honte, que tous deux me vissiez ensemble : regardez lequel me veut avoir la première. » Ils trouvèrent très juste sa requête, et accorda le plus jeune que le vieux commencerait : et en approchant d’une petite île, elle dit au beau-père le jeune : « Dites là vos oraisons, jusques à cequ’aie mené votre compagnon ici devant en une autre île : et si à son retour il se loue de moi,nous le laisserons ici, et nous en irons ensemble. »


Le jeune sauta dedans l’île, attendant le retour de son compagnon, lequel la batelière mena en autre : et quand ils furent au bord, faisant semblant d’attacher son bateau, lui dit : « Mon ami regardez en quel lieu nous nous mettrons. » Le beau-père entra en l’île pour chercher l’endroit qui lui serait plus à propos : mais sitôt qu’elle le vità terre, donna un coup de pied contre un arbre, et se retira avec son bateau dedans la rivière,laissant ces deux beaux-pères aux déserts, auxquels elle cria tant qu’elle put : « Attendez messieurs,que l’Ange de Dieu vous vienne consoler, car de moi n’aurez aujourd’hui autre chose qui vous puisse plaire. »


Ces deux pauvres cordeliers connaissant la tromperie, se mirent à genoux sur le bord de l’eau la priant ne leur faire cette honte, et que si elle les voulait doucement mener au port, ils lui promettaient de ne lui demander rien. Et s’en allant toujours leur disait : « Je serais folle si après avoir échappé de vos mains, je m’y remettais. » Et en retournant au village appelé son mari, etceux de la justice, pour venir prendre ces deux loups enragés, dont par la grâce de Dieu elle avait échappé de leurs dents. Eux et la justice s’y en allèrent si bien accompagnés, qu’il n’y demeura ni grand ni petit, qui ne voulut avoir part au plaisir de cette chasse.


Ces pauvres fratres voyant venir si grande compagnie se cachèrent chacun dans son île, comme Adam quand il se vit devant la face de Dieu. La honte mit leur péché devant leurs yeux, et la crainte d’être punis les faisait trembler si fort qu’ils étaient demi morts. Mais cela ne les garda d’être pris et menés prisonniers, qui ne fut pas sans être moqués et hués d’hommes et de femmes. Les uns disaient : « Ces beaux-pères nous prêchent chasteté, et puis la veulent ôter à nos femmes. » Le mari disait : « Ils n’osent toucher l’argent la main nue, et veulent bien manier les cuisses des femmes, qui sont plus dangereuses. » Les autres disaient : « Sont sépulcres par dehors blanchis, et dedans pleins de morts et de pourriture. »


Et une autre criait : « A leurs fruits connaissez-vous quels arbres sont. » Croyez que tous les passages, que l’Ecriture dit contre les hypocrites, furent là allégués contre les pauvres prisonniers :lesquels par le moyen du gardien furent recoux et délivrés, qui en grande diligence les vint demander, assurant ceux de la justice qu’il en ferait plus grande punition que les séculiers n’en sauraient faire. Et pour satisfaire à partie, protesta qu’ils diraient tant de suffrages et prières qu’on les voudrait charger. Par quoi le juge accorda sa requête et lui donna les prisonniers, qui furent si bien chapitrés du gardien (qui était homme de bien) que oncques puis ne passèrent rivière sans faire le signe de la croix, et se recommander à Dieu.


Marguerite a écrit une multitude de textes, des contes, des poèmes, des pièces. Le texte ci-dessus est un conte qui naturellement ne se déroule pas sur la Loire mais la Sèvre Nantaise. Elle trouve sa place ici, alors qu'elle fut une grande voyageuse, changeant souvent de résidence, parce qu'elle séjourna à Ambroise auprès de son frère le Roi.

 


mardi 25 juillet 2023

Femmes de Loire : la passeuse

 

La mère Paluche : passeuse de Loire





"N’insulte pas le crocodile avant d’avoir traversé la rivière".



Ce principe de précaution m’est arrivé du fin fond des Afriques avec tant d’autres trouvailles et parlures des palabreurs africains. « Ce n’est pas parce qu’il a traîné cent ans dans de l’eau qu’un morceau de bois peut devenir crocodile » et aussi « L’eau ne peut pas cacher qu’elle est nue ». Nos écrivains patentés devraient se prosterner devant ces paroles qui sont sorties du puissant alambic textuel des Afriques, ces textures sont pour moi sacrées dans leur mélange d’humour, d’amour et de philosophie. Cette philosophie qui se frotte au quotidien des hommes et des femmes et qui met en scène les animaux mythiques de la forêt et du fleuve et que des perroquets chamarrés répercutent d’arbre en arbre. Que soient remerciés ces sages qui, à force de pratiquer la parole, ont semé des graines dans nos cerveaux occidentaux. « Quand le blanc bégaie, l’interprète a beaucoup de travail ». J’aimerais vivre mille ans pour explorer la sagesse textuelle de tous les peuples du monde, la faire passer dans mon gueuloir et la projeter sur les scènes de la planète afin que ne meure pas " l’Esprit ". Le grand " Esprit ", celui qui mène la danse et qui triomphera de toutes les barbaries. Il convient de remercier aussi les arbres à paroles qui inspirent les palabreurs assemblés les soirs de verve et de plaisir quand chacun lance à la volée sa répartie et que les rires fusent, tandis que coule des calebasses le vin de palme et que les oiseaux de la forêt se font silencieux pour se laisser bercer par la voix des astres.


Julos Beaucarne

 


 

Comment ne pas rendre hommage à ces femmes qui ont navigué sur la Loire pour diverses raisons et qui n'ont pas laissé leur nom dans l'histoire. Il en est une qui est devenue emblématique par une photographie ressuscité pour un Festival de Loire.


La mère Paluche était en réalité installée à vieux bourg de Saint-Jean-de-Braye. Elle tenait avec son mari une auberge célèbre pour sa tête de veau et proposait la traversée du chenal pour aller sur la petite Loire, surtout l'été. Les enfants profitaient de sa générosité pour aller se baigner.


Un câble dont le souvenir demeure sur le duit avec un poteau métallique aujourd'hui rouillé, assurait sa barque. La dame inspira un conte qui pour les besoins de la fiction et du récit se glissa à deux pas de là, au Cabinet Vert où en réalité c'est Gaétan Frogier qui œuvrait.


Mais laissons cette femme de Loire nous emmener sur l'autre rive …


Il était une fois une brave femme, une passeuse de Loire que chacun ici surnommait la mère Paluche. Elle avait des mains aussi larges que des battoirs et elle eût pu tout aussi bien être lavandière que navigatrice émérite, allant d’une rive à l’autre pour le plus grand bonheur de ceux qui n’avaient pas envie de faire le détour pour prendre un pont ou bien désiraient simplement retrouver le plaisir ancestral de la navigation ligérienne.


La mère Paluche maniait la bourde avec dextérité ; elle connaissait son travers comme personne, menant toujours ses passagers à bon port même si, en la circonstance, il n’y avait pas de port mais des rives ordinaires : l’une donnait sur une plage accueillante et bienfaitrice quand les chaleurs survenaient, l’autre débouchait sur une auberge réputée qui proposait un petit service supplémentaire que nous garderons sous silence, dans la grande tradition des bordeaux d’autrefois.


La mère Paluche ne mangeait pas de ce pain-là : elle était passeuse et pas entremetteuse même si elle avait toujours un petit sourire en coin pour recevoir à son bord un client de ces dames. Elle avait dépassé, depuis belle lurette, l’espoir de séduire ceux qui étaient en manque d’affection ; elle était vieille : d’un âge qu’on ne cherche plus à définir. Ceux qui empruntaient ses services l’avaient toujours connue ainsi ; le vieillissement n’avait plus prise sur elle.


Un jour, il y avait bien longtemps, la mère Paluche avait transporté un étrange personnage : un vert galant, un homme mystérieux . Au milieu de la traversée, soudain, pour une raison inconnue de tous, il était tombé à la renverse dans les flots qui, ce jour-là, ne présageaient rien de bon sur l’issue de sa trempette intempestive. La mère Paluche n’avait jamais perdu un passager ; celui-ci n’allait pas inaugurer une liste macabre. Elle l’empoigna par le col et le ramena promptement sur son bac.

L’homme, en guise de remerciement, lui proposa d’exaucer trois vœux ; il était, vous l’avez deviné, un peu sorcier et capable de transformer le plomb en or tout en coulant comme une pierre quand il tombait à l’eau. La formation des sorciers a de tous temps été incomplète : celui-ci détestait davantage l’eau que le feu : c’était une particularité assez commune à ce genre d’individu.

La mère Paluche lui demanda des choses tout ordinaires. Elle n’avait pas de goût de luxe : les passeurs étaient, jusqu’à il y a peu de temps, des gens simples et non avides de richesses. Elle lui dit : « J’aimerais que celui qui s’assoit sur mon bateau ne puisse s'en relever que lorsque je lui en aurai donné la permission ! » La première demande parut on ne peut plus raisonnable au mage qui l’exauça d’un tour de bras. « Je voudrais ensuite que celui qui agrippe ma bourde s’en trouve prisonnier alors qu’elle se planterait au milieu de la Loire ! » L’homme devina une facétie, une mauvaise plaisanterie propre à égayer une traversée et y consentit sans difficulté.

Enfin, la mère Paluche se gratta une tête où les cheveux étaient clairsemés. »j’aurais envie encore que celui qui se fourre dans mon tablier ne puisse plus en sortir sans que je l’y invite. J’aime rester maîtresse en mon bateau, il ferait mauvais temps qu’un margoulin vienne me marcher sur les pieds et faire profession de mon petit commerce ». Le sorcier sourit de voir la vieille ainsi pleine de vitalité et du désir de ne pas rendre son tablier de sitôt. Il avait promis trois vœux et il devait reconnaître que ceux-là étaient parmi les plus simples qu’il ait eus à satisfaire depuis qu’il exerçait dans la corporation.

L’homme disparut non sans aller du côté du cabinet vert, répondre à un besoin que même les sorciers ne parvenaient pas toujours à satisfaire sans payer leur écot. La mère Paluche ferma les yeux sur ce travers très masculin. La braguette n’est pas toujours magique au pays des mages et des birettes. Les années passèrent, immuables et heureuses : la brave vieille continuait à faire la traversée plus souvent pour un sourire que pour deux sous sonnants.

Un jour pourtant, un homme étrange au teint blafard, portant large chapeau noir, vint entre chien et loup réclamer le passage alors que la vieille était bien décidée à amarrer son bateau. Elle n’avait jamais su dire non et pour celui-ci encore, malgré son air peu catholique, elle consentit à une ultime traversée. L’homme pour tout remerciement lui décocha un sourire sarcastique qui aurait dû éveiller la suspicion de notre brave vieille.

C’est au milieu de la rivière qu’il se décoiffa. Il avait une paire de cornes sur le front. La mère Paluche le reconnut aussitôt. Le Diable en personne était venu réclamer la passeuse pour la conduire sur l’autre rive. La vieille n’en parut pas troublée. Elle lui dit qu’il n’avait qu'à se lever pour venir la chercher si l’envie lui prenait d’agir ainsi. Le diable, malgré tous ses efforts, resta cloué sur le banc et la mère Paluche empoigna une bourde pour le gaffer comme plâtre.

Rossé, humilié, couvert de bleus, le diable réclama la pitié de cette diablesse et lui promit de la laisser sur terre pour une dizaine d’années supplémentaires. « Parole tenue », lui dit la vieille qui se débarrassa avec plaisir d’un si déplaisant passager. Les années passèrent et la mère Paluche, malgré le poids des ans, restait en place quand ses clients vieillissaient.

Dix ans passèrent comme un songe. Sans crier gare, le Diable revint, s’étant grimé en diablotin. Il était jeune, espiègle, d’humeur joyeuse et pourtant, sous les apparences du larron en foire, la vieille avait perçu les signes avant-coureurs du Maudit. C’est encore au milieu de l’eau que l’homme se dévoila pour réclamer sa prise. La mère Paluche, sans se démonter, lui dit « Puisque ma dernière traversée est venue, j’aimerais être pour cette ultime fois, passagère de mon bateau. Prenez la bourde et menez-moi sur l’autre rive !  »

La dernière requête d’un futur défunt se respecte surtout quand elle comporte ainsi une part de plaisir. Le diablotin mourait d’envie de mener la manœuvre : il s'exécuta avec délice. Il empoigna la bourde, ce grand bâton ferré et le planta au fond de l’eau tant et si bien qu’il se ficha dans le sable sans pouvoir en ressortir. L’homme, sans bien comprendre pourquoi et comment, se retrouva en équilibre au milieu de la Loire sur ce bâton, loin d’une embarcation où la bonne vieille riait aux éclats.

Le diablotin ne savait pas nager : il implora sa proie, lui jura de ne pas la saisir cette fois encore. Il fit pitié à la passeuse qui obtint, une fois encore, dix années de sursis sur cette terre. Chose promise, chose due, qu’on fût un bon chrétien ou bien un suppôt de Satan. La vieille reprit à son bord le pauvre garçon et récupéra la bourde. Elle venait de gagner une nouvelle parcelle d’éternité.

Les années passèrent et plus rien en semblait avoir prise sur la vieille femme. Elle continuait son ouvrage quand un client réclamait le passage. La chose était si rare maintenant qu’elle se faisait désormais un point d’honneur à ne point faire payer le candidat à la traversée. C’est ainsi que dix ans étaient passés comme dans un rêve et que ce jour-là une troupe de petits hommes étranges réclama le passage.

La mère Paluche comprit immédiatement que le Diable avait envoyé une escouade pour être certain de se saisir de la vieille. Elle sourit sous cape : elle n’allait pas se laisser tirer par le bout du nez, tout diables qu’ils étaient. C’est au milieu de la Loire qu’elle prit la parole en premier : «  Je vous ai reconnus, envoyés du Vilain. Vous êtes venus en nombre pour vous saisir de moi. Vous me faites grand honneur. J’aurais une demande à vous faire : j’aimerais que vous endossiez tous mon tablier ; ce doit être en votre pouvoir, il me semble, de vous fondre en une seule personne ! »

Les envoyés de Lucifer se firent prendre au piège. Ils se firent un seul pour endosser l’habit de la passeuse. La mère Paluche rit aux éclats, découvrant son unique dent. Son piège, une fois encore, avait fonctionné. Cette fois, pour ne pas être prise au dépourvu, elle exigea qu’on lui fiche à jamais la paix. Pour sortir de ce tablier, le Diable en personne accepta le marché. Il signa un pacte avec la vieille qui continue toujours à faire traverser les braves gens avec la bénédiction du Bon Dieu.

Le conte se referme sur une vie éternelle. Si vous rencontrez la dame, restez debout et ne la contrariez pas. Elle ne s'en prend qu’aux mauvais diables : vous ne risquez pas grand chose.


 Une autre passeuse 

 

Héritage ligérien …


Jeanne, femme de marinier

Le regard tourné vers le fleuve

Attendait son petit dernier

Et son mari dans l'épreuve


Bébé naquit sans problème

Qu'il était mignon cet enfant

La Loire prit celui qu'elle aime

Au cours d'un terrible accident


Jeanne surmonta l'épreuve

Travaillant pour l'orphelin

Lavant le linge dans le fleuve

Des bourgeois et des riverains


Quand le petit fut assez grand

Elle changea le cours de sa vie

Tout en conjurant ses tourments

La veuve défia son ennemie


Désirant alors se venger

Liger ayant pris son chéri

La femme bravant le danger

Se fit passeuse par défi


Rapidement elle excella

Dans l'art de la navigation

Traversant sans nul embarras

Qu'elles qu'en soient les conditions


Son fils grandit à ses côtés

Apprenant les nombreux secrets

D'une Loire qu'il voulait dompter

Comme un capitaine discret


Quand il embarqua à son tour

L'âge n'attendant pas la valeur

Il se décida sans détour

Pour un grand bateau à vapeur


La roue à l'aube d'un destin

Pour cet enfant de marinier

Devenu un jour par chagrin

Marin en mémoire du noyé


La Loire inscrite dans le sang

Se transmet par la passion

Un héritage si puissant

Par delà les déceptions

•••



 

lundi 24 juillet 2023

Femmes de Loire : les femmes à marins

 

Les femmes à marins


Le triste envers du décor ; d'une marine de Loire qui voit les hommes partir longtemps de chez eux.

 


Histoire à ne pas mettre entre toutes les oreilles.





Il était une fois, sur la plus grande rivière naviguée du royaume, la vie bien ordinaire des mariniers. En ce temps-là, la plus grande part des marchandises qui allaient d'un point à l'autre du pays faisait transit sur notre Loire majestueuse. Il y avait grande presse pour mener à bien tout ce qui pouvait trouver place sur une embarcation. Les bateaux allaient en tous sens sur une onde qui était en ce temps là tout comme aujourd'hui, bien délicate à la navigation.


Il en fallait des hommes pour assurer la manœuvre, tirer sur la corde, monter ou descendre le mât, charger et décharger la marchandise, assurer le quotidien de ce trafique incessant. Les pauvres bougres avaient alors des conditions fort dures, des journées longues et épuisantes. La pitance était maigre, la solde pas plus épaisse et les conditions de vie à vous faire préférer les travaux de la terre.


Étaient compagnons mariniers pour le compte d'un autre ceux qui n'avaient pas lopin à cultiver ou bien bateau personnel pour réaliser un petit négoce plus tranquille. Nos forçats du fleuve faisaient le grand voyage de Roanne à Nantes en partie dans les deux sens, d'autres venaient de plus bas encore pour un chemin à sens unique de Saint Rambert jusqu'à l'estuaire avant de s'en retourner à pied, leur sapine vendue comme bois de chauffe ou bien de charpente.


La vie sur le trajet n'était pas toujours facile. Le labeur était rude, les compères avaient la querelle facile et le coup de poing valait mieux que de trop grands palabres. Mis à part la chopine, la distraction était rare et bien qu'ils aient la goule bien grande, qu'ils prétendent tous que les filles leur jetaient, dans toutes les villes traversées, de jolies œillades à vous renverser les sens, les mariniers étaient bien seuls sur leurs rafiots de bois.


Quoiqu'ils puissent en dire, les filles du pays ne regardaient pas de travers ces lascars avinés qui n'en voulaient qu'à leur fleur pour s'en sauver ensuite bien loin de monsieur le curé. Le marinier pouvait avoir, avec beaucoup de chance, une fiancée qui l'attendait au pays. La demoiselle devait être patiente, elle ne voyait son promis au mieux que tous les deux mois. Toujours le pied en l'air, il ne tardait pas à repartir la laissant se désoler et maudire cette satanée marine.


Il y avait donc dans le lot bien plus de vieux garçons que de jolis cœurs. La rude tâche ingrate, la solitude et le poids des fatigues les rendant souvent acariâtres, ils rebutaient même les moins délicates. Si vous passez encore de nos jours le long du fleuve, vous vous apercevrez que ceux d'aujourd'hui ne différent en rien de ceux d'autrefois. La Loire est maîtresse exigeante, elle se prête mais ne se donne jamais à tous ses galants délaissés.


Ainsi, nos trimardiers avaient tous vague à l'âme et regrets éternels. Ils cherchaient dans les tavernes des consolations qui n'attirent jamais le moindre jupon. Ils avaient la vergue en berne et le cœur aussi gros que trop vide. De tous temps quand pareille chose arrive, qu'une troupe de vieux grivois arpente le pays, un petit négoce peu avouable pointe le bout d'une frimousse trompeuse et gouailleuse.



Au fin haut d'Orléans, à la pointe Saint Loup, il y avait là, petite maison accorte qui brillait tous les jours et une partie de la nuit, d'une petite lanterne en guise de fanal. Chacun savait ce que signifiait le message et tous les gars du chemin l'avaient marqué de quelques rêves fripons ! Celle qui n'a jamais vu le loup ignore tout du commerce charnel que de pauvres filles perdues devaient exercer avec ces vilains dépenaillés.


Elles avaient bien du mérite à tenir la manœuvre. Il y avait souvent grand tangage et gros coups de beuglerie. Les clients, jamais reconnaissants, les appelaient du nom peu amène de grues ou bien encore, dans la langue du pays de gaupes ou gouèpes. Elles aussi devaient avaler bien des contrariétés et essuyer parfois des vilains coups de tempête. Si elles ne voyageaient pas, bien lourde était leur charge pour une carrière qui ne durait jamais très longtemps.


Elles aussi étaient le fruit blette de la misère et des temps durs pour les miséreux. Filles sans biens, un incident, une erreur, une famille qui leur tourne le dos, la bienpensance qui se plait à juger alors que c'est si facile quand on est à l'abri et voilà ces femmes sans joie qui rejoignent le grand bataillon des damnées de la terre. Mais tout cela n'arriverait pas si marinier ou bien soldats, traîneux et trimards ne réclamer pas chair fraîche en pâture pour satisfaire désirs bien pires que ceux des gouris !


Hélas, il en sera partout ainsi, les poques doivent perssurer les aiguillettes délaissées avec leurs divartissouères. Pire encore, le marinier n'avait pas d'argent, il était assez radin pour tirer sur les prix. Comme il faut bien vivre, en ce lieu pitoyable, le passage du marinier à cale était bradé pour la modique somme de quatre sous. La venelle en a gardé ce nom, sans qu'il ne fut jamais mentionné ici, l'origine de ce patronyme peu glorieux. Pire même, le Roy, jamais satisfait, prenait sur ces amours tarifés, une taxe à la taille qui se laissait glisser.


Voilà vous savez tout d'un épisode peu glorieux de toutes les marine du monde. Les hommes sont ainsi faits, il ne faut jamais croire en leurs vantardises. Ils se prennent pour des fiers à bras quand ils ne sont que de pauvres bonshommes perdus et ben paillards. C'est hélas de malheureuses filles qui trinquent et paient fort cher le sacrifice qu'elles leur font. De cette lamentable histoire, retenez qu'il ne fait jamais croire les belles paroles enjôleuses des mariniers, bateliers et matelots, ils vous mènent en bateau puis vous abandonnent sur un cul de grève comme une vieille épave.

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La Venelle à quatre sous




Elles sont des filles à marins

Elles sont des femmes au turbin

Même pas des filles de joie

Comme les aiment les bourgeois

Elles qui font le pied de grue

Afin d’ brader leur vertu

Que c’est triste d’être péronnelle

Tout au bout de la venelle !


La venelle à 4 sous

Pour engraisser les marlous

Leur pauvre mont de Vénus

Offert aux premiers venus

C'est souvent des mariniers

Gars perdus loin du foyer

De grosses âmes en peine

Avec des envies sans je t'aime


Brefs ébats insipides

Dans une chambre livide

Il y a si peu de câlins

Pour cette pauvre catin

Pour des amours tarifés

Sur des corps fatigués

Des plaisirs vite expédiés

Par des hommes trop pressés


C'est pas même le bordel

D'une dame maquerelle

Ce lupanar sans lumière

Pour ces marins en galère

C'est un lugubre bord'eau

Où s'arrêtent les bateaux

Une simple escale sordide

Pour tous ces cœurs bien vides


Quatre sous si dérisoires

Octroyés sur un trottoir

Le triste prix du chagrin

Entre marin et putain

Il ne faut pas être fier

De ces amours sans manière

Pour ces filles perdues ici

Sans même un petit merci 


 

dimanche 23 juillet 2023

Femmes de Loire : les laveuses

 

Les laveuses






Il est des femmes pleines de manières

Qui sont coquettes, riches et adulées,

Tant mieux si elles peuvent vivre sans rien faire,

Car comme dit l’autre, il n’y a pas de sots métiers,

Toutes n’ont pas la même veine,

Car pendant qu’elles se baladent,

Nous, laveuses, chaque jour d’la semaine,

On va rincer la « bujade »


Levées de bon matin,

La brouette en mains,

Nous prenons le même chemin.

C’est à Cournauron,

Que nous descendons,

Laver les ch’mises, les cal’çons,

Notre métier est ingrat,

Nous souffrons quand il fait froid,

Mais si le temps est chaud,

Faut pas oublier l’lolo !

Une bonne bouteille,

Quand il fait soleil,

J’vous assure qu’çà vous réveille !


Perlante, Cournauron et les Rivalles,

De Néris sont les plus grands lavoirs,

C’est d’vant chaque pierre que l’matin s’installent

Nous les chevalières du battoir !

Toutes ont la langue bien pendue,

Et les potins, les cancans,

Pour nous ne sont pas perdus,

Car on en parle constamment.


Un grand coup d’battoir,

Qu’est ce qui a le crachoir ?

Tiens, mais c’est madame Micard.

Une bonne friction !

La Sourde, attention !

Ecoute la conversation.


Si Perlante a Valentine,

Aux Rivalles y a Caroline,

Et tous les jours nous voyons

La Fanny à Cournauron !

A genoux dans l’cabas,

On ne s’ennuie pas,

Au milieu d’toutes ces femmes là !


J’allais omettre, mon Dieu quelle affaire

L’lavoir des Chaudes, dont on change le cadre,

Car tels jadis nos braves mousquetaires,

Les trois lavoirs de Néris sont quatre.

Le croiriez vous, ça renserse,

Mais des hôtels, des villas,

Dans ce dernier se déversent,

Les reliefs de tous les r’pas.


Me direz-vous vraiment,

Que c’est appétissant,

D’voir flotter d’la chose là-dedans,

Et d’penser aussi,

Que les égouts de Néris,

Se donnent rendez-vous ici.

Les bourgeois feraient bien mieux,

De garder leur… miel chez eux.

Et par mesure hygiénique,

D’installer des fosses sceptiques.

Sans faire d’embarras,

Nous, on ne tient pas,

A laver dans l’bouillon gras.


Pour être laveuse faut du matériel,

L’cabas, la benne, la brosse à chiendent,

La bassine, le bleu et l’eau de Javel,

L’savon, le battoir, c’est évident,

L’hiver c’est le brasero,

Et le sac de charbon de bois.

Malgré tout l’métier s’rait beau,

Si on pouvait l’faire chez soi !


Ecoutez M’sieur le Maire,

C’est une prière,

Que vous font les lavandières,

Faites une bonne action,

En r’montant du fond,

Le lavoir de Cournauron.

Ne pourriez-vous par hasard,

Le placer au camp d’César,

Ou bien alors pour y aller,

Faire une ligne de tramway.

Sans être exigeant,

Quelque chose d’épatant,

Ce serait le tapis roulant.




En orléanais, les membres des compagnies d'Ô et du Battement d'Elle se sont lancées dans le collectage des souvenirs de nos lavoirs, quand ceux-ci résonnaient des papotages des dames au battoir et à la langue bien pendue.

Elles ont recueilli de jolis fragments de vie, de belles histoires personnelles, simples et émouvantes. Elles proposent un spectacle magnifique qui nous entraîne au cœur d'une France qui n'est plus et qu'il convient de voir si c'est encore possible.

Elles sont quatre à battre le linge tout en nous prenant par la main et le cœur. Elles cancanent, elles papotent, elles se livrent, elles se confient, elles s'encolérent, elles se gaussent.

Elles sont tout à la fois, tous les visages de ces femmes simples qui étaient les petites mains de nos rivières. Elles nous livrent ainsi une quinzaine de portraits, des instants de vie, des fragments émouvants et d'une grande justesse.


 

Un écureuil s'éprit d'une taupe

  Amours énantiotropes Un écureuil s'éprit d'une taupe Comble d'un amour énantiotrope Lui perché sur son gra...