dimanche 31 décembre 2023

Le calendrier des postes

 

Faisons comme si de rien n'était !





Il est un objet qui eut son heure de gloire avant que dates et heures ne s’affichent un peu partout sur d’étranges écrans envahissants. Il arrivait alors, comme un cérémonial immuable, quelques jours avant la Saint Sylvestre, porté par un facteur passablement fatigué par ce travail supplémentaire durant lequel, il acceptait de trinquer avec tous ceux de sa tournée.


L’expression « Payer sa tournée » vient peut-être de cette aventure peu banale durant laquelle le brave préposé des postes recevait des étrennes fort méritées tout autant que tous les alcools que l’imagination des uns et des autres était capable de fabriquer. Son désir de ne choquer personne, de ne pas refuser le dernier verre, mettait sans doute notre gentil postier en situation délicate, mais qu’importe, il était en cette époque lointaine, l’ami de toute la famille …


Des rivaux se sont sentis pousser des ailes. L’appétit vorace des poubelles de Noël, poussa certainement les éboueurs (une désignation passée de mode) à venir quémander eux aussi des petites étrennes. Le métier était rude, les hommes de la benne avaient gagné la considération de tous en effectuant une besogne peu ragoûtante en une époque ou tout finissait indistinctement et en vrac dans un réceptacle métallique aux odeurs pestilentielles.


Si le calendrier de la Poste était d’un usage quasi rituel dans les familles ; on y trouvait une fort belle carte du département, trônant au centre de tous les feuillets, des adresses, des renseignements pratiques, le plan des grandes villes de l’endroit et bien d’autres trésors encore, sa couverture était alors l’objet d’une âpre négociation entre les enfants de la famille, celui des collecteurs de tous nos déchets sans distinction n’avait pas la même valeur, mais qu’importe !



Puis les concurrents ont fait flores. Les pompiers ont vu rouge, tout autant qu’ils se sont délectés de cette merveilleuse boisson. Il convenait de ne pas avoir besoin de leurs services un soir de tournée calendaire. L’alcool coulait à flot pour arroser une plaquette sur laquelle tous les engins de la caserne locale brillaient de mille feux. En ce temps-là, nos amis les pompiers rendaient tellement de services, devenus aujourd’hui payants et privatisés, qu’ils héritaient de belles pièces et d’une immense considération.


Les écoles n’ont pas tardé à emboîter le pas même si le petit verre n’était alors plus de rigueur. Le calendrier de la coopérative permettait d’envisager une sortie scolaire. Les enfants vendaient timbres et revues en prime, contraignant proches et voisins à leur faire bonne figure tout en déliant leur bourse. L’apprentissage du mercantilisme en somme.


Les associations sportives ne tardèrent pas à découvrir un filon pour faire tourner la boutique. Le calendrier se démocratisa avec la généralisation de la photographie. Qu’ils sont beaux nos chers petits mignons, en short, avec leurs camarades de l’équipe des poussins ou bien des benjamins. Émus, les parents accordaient leur obole tandis que la réclame apparut sur ce carton qui restait souvent au fond d’un placard.


Du côté des camionneurs et autres routiers, le calendrier prit de la hauteur. Il gagnait en taille et en rondeurs pour y afficher, à chaque mois, une nouvelle dame fortement dévêtue. La période était à la libération des mœurs, le suggestif l’emportant sur la nudité sans entrave. Le papier était glacé tout comme celui des magazines Lui et Play-Boy qui s’échangeaient sous le manteau des écoliers délurés dont je n’étais pas. Autre temps, autre comportement sans doute…


Des grands cartons firent leur apparition. Ils permettaient de s’afficher tout en laissant place aux rendez-vous et autres dates impérieuses. Ils furent les prémices de l’agenda, non pas celui des professions libérales mais celui du commun, qui se suffisait alors de ce tableau, fixé dans un endroit stratégique qu’il convenait de tourner au bout de six mois. Il était particulièrement recherché, c’était un privilège de se le voir offrir par le Journal Local ou bien le gros commerçant de l’endroit.


Les temps ont changé. Je n’ai, à ce jour, pas encore reçu la moindre visite, le plus petit quémandeur, un calendrier sous la main. Le redoutable portail électrique ferme tant de portes ! Signe des temps sans doute, l’objet est voué aux calendes grecques, relégué dans le rang de l’obsolescence en mouvement. Pour valider ce terrible constat, je me dois de lui consacrer ma petite chronique. Puisse-t-elle éveiller en vous quelques lointains souvenirs agréables tout autant que nostalgiques …



samedi 30 décembre 2023

Et surtout la santé !


 

Les Vœux en question …



Tableau de Jean-François Millet


Pourquoi ne fait-on pas vœu de décence le soir de la Saint Sylvestre ?

Parfois ne vaut-il pas mieux un aveu sincère que des vœux hypocrites ?

Faut-il être au lit pour formuler un vœu pieux ?

Pourquoi pense-t-on magiquement qu'un jour de plus peut changer notre destin ?

Quand on nous promet la Santé, est-ce de la prison dont on parle ?


Les cotillons sont-ils indispensables au réveillon sylvestre ?

Combien de microbes sont-ils ainsi échangés à minuit ce jour-là ?

Minuit : Est-ce l'heure de l'intime ?

Pourquoi notre président se pense-t-il obligé de jouer les hypocrites à la télévision ?

La liesse universelle doit-elle nécessairement enrichir les opérateurs téléphoniques ?


Les agences de notation oseront-elles nous promettre la prospérité ?

Au douze coups de minuit, n'est-ce pas possible qu'on m'oublie un peu ?

Deux réveillons en une semaine, veut-on nous préparer aux vaches maigres à venir ?

Est-ce prémonitoire que cette année débute par une bien vilaine migraine ?

À la rigueur, peut-on faire vœu d'austérité ?


Pourquoi tous ces vœux de bonnes damnées m'atterrent ?

Le serpentin est-il venimeux ?

Pourquoi les dames mettent-elles une robe de soirée pour commencer l'année ?

Qui y-a-t-il écrit dans les bulles de Champagne ?

Faut-il trinquer un soir quand on va trinquer toute l'année ?


De quel calendrier dispose notre président pour faire ses vœux un mois durant ?

Mais qui paie toutes ces cérémonies officielles de vœux qui ne servent à rien ?

Nos élus ne pourraient-ils pas faire enfin vœu de sobriété au lieu de se rincer à nos frais ?

Pourquoi nous promettre la Lune quand notre chandelle est morte ?

Quel est votre vœu le plus cher ? Hélas, je n'en est pas les moyens …


Quand un politique prétend vouloir exaucer nos vœux, pourquoi sourit-il ?

Le pire en janvier n'est-il pas la première journée de travail ?

Ne dit-on pas : qui trop embrasse mal étreint ? Alors, pourquoi ai-je le feu aux joues ?

Est-ce parce que les élections approchent que le président fait vœux de toutes nos voix ?

Pourrais-je vous avouer un vœu de faiblesse ?


Pourquoi est-ce seulement la nuit de Saint Sylvestre

 que les langues de belle-mère ne médisent pas de nous ?

Santé, Prospérité, bénédicité … N'y a-t-il pas de rimes en « ard » ?

Faut-il marcher sur la tête pour entrer dans la nouvelle année avec un chapeau pointu ?

Ne peut-on pas se planter en proposant un vœu pieux ?

Ne faudrait-il pas mieux dire « Je veux » ?


Que peut-on souhaiter à un mourant ?

Une nonne peut-elle prononcer d'autres vœux ?

Est-il souhaitable de suggérer l'improbable ?

Qui a osé : « Le président dit je vœux et le peuple lui répond, nous votons ! » ?

Peut-on s'exonérer de vœux couteux ?


Pourquoi n'a-t-on jamais songé à une mère Sylvestre ?

Pour remplacer ces belles paroles, des étrennes ne seraient pas pas plus judicieuses ?

Peut-on étrenner une année sans vœux ?

Est-il facile de marcher sur des vœux ?

Puis-je garder le vœu de la faim pour la bouche bouche ?

•••

Aquarelle de Catherine Ribeiro

 

vendredi 29 décembre 2023

La dinde et le chapon

 

L'embûche des fêtes





En Bresse, une dinde se prit d'amour pour un chapon dans une basse-cour. L'aventure n'est pas banale, la liste des amours impossibles est, hélas, sans fin. Partager une émotion est un don du ciel ; il est bien rare que deux cœurs battent à l'unisson de leurs corps. Ici, le chapon toisait la dinde énamourée, la regardait d'un œil froid et distant.


La dinde qui avait des ressources prit sa plus belle plume pour lui écrire un billet doux. Hélas, mille fois hélas, pour les mots d'amour, rien ne vaut la plume d'oie. La pauvrette fit tant de pâtés que son message en perdit toute lisibilité. Le chapon se gaussa de la dame et de ses pattes de mouche. Il lui tourna le dos sans autre forme de procès.


La dinde ne voulut pas rester sur cet échec cuisant. Elle quémanda auprès de l'oie, sa voisine, ce calame qui fit jadis sa réputation. Avec une calligraphie soignée, les mots d'amours touchent plus souvent leur cible que lorsqu'ils sont entachés de fautes et de ratures. L'oie n'est hélas pas prêteuse : elle aime à jouer la prétentieuse et refusa tout net la quémande de notre dinde.


Les deux volatiles se prirent de bec. La seconde vola dans les plumes de la première qui résista bec et ongles à cette odieuse agression. Le duvet voltigea un peu partout, la bataille fit rage, les coups et les insultes volèrent si bas que le chapon, flatté qu'on se batte ainsi pour lui, se fit spectateur admiratif de la rixe.


Quelques pintades se mêlèrent de la querelle en arrosant nos belligérantes d'œufs qui avaient été abandonnés en cours de couvaison. La scène prit des allures de tragédie ; le poulailler en fut si bouleversé qu'une poule n'y aurait pas retrouvé ses petits. Le coq voulut sonner la fin des combats. Son chant resta sans effet ; dindes, oies et pintades ne lui reconnaissant aucune légitimité, le fier gallinacé alla se percher sur le toit d'une église voisine pour y bouder tout à son aise.


Ce fut l'intervention de la fermière qui vint mettre à terme à l'algarade. Il était temps : les demoiselles étaient en piteux état. La dinde boitait bas : elle eut recours à une cane pour s'appuyer sur elle et regagner son logis. Le chapon vaquait à nouveau à ses occupations, indifférent à ces dames qui lui avaient montré pourtant tant d'intérêt.


Il ne se doutait pas, le bougre, que son heure allait sonner. Si la fermière était venue ici, ce n'était certes pas pour s'interposer dans une querelle de clocher mais pour quérir l'animal qui était gras à point. La femme voulait remplir sa bourse au moment des fêtes en vendant celui qui n'en avait plus. L'ironie de la situation échappait totalement à la dinde qui voyait son galant menacé de meurtre.


Fort heureusement la fermière était fort malhabile et incapable de tuer avec un couteau la moindre poule, et, à plus forte raison, un chapon. Elle voulut user d'un expédient peu usité dans nos élevages. Sous prétexte que le chapon était destiné à être farci de marrons, la brave femme lui appliqua des électrodes sur le dos, espérant qu'une bonne châtaigne électrique l'enverrait de vie à trépas.


Le choc fut violent mais non point mortel. Le chapon, ébranlé sur ses bases, subit en l'instant un contrecoup qui lui redonna force et vigueur. Il s'évada de l'emprise de la fermière et trouva refuge auprès de cette dinde qui, jusqu'alors, n'avait reçu de sa part que dédain et mépris. La demoiselle en fut si honorée qu'elle fit barrage de son corps devant la tueuse maladroite.


Bien mal lui en prit. Furieuse, la méchante femme, aveuglée par la colère, étrangla la dinde qu'elle prit pour le chapon. Elle s'en retourna chez elle plumer celle qui avait perdu la vie par amour . Le chapon n'en fut pas troublé plus que ça. À l'instar de ceux de son sexe, et même s'il en était dépourvu des attributs d'icelui, il se tourna vers l'oie qui lui fit une petite place sous son aile protectrice.


Ainsi va la vie dans les basses-cours en cette période de Noël. Il y a grand péril à se mettre en évidence ; l'avenir n'appartient qu'à ceux qui vivent cachés. La dinde, pour son plus grand malheur, avait fait preuve de trop d'exubérance au lieu de se faire discrète et de fuir ses congénères. Elle eut certes une belle fin, de celle qui justifie les moyens. Mais quant à elle, avouons qu'elle resta sur sa faim et ne sut jamais que son chapon n'était pas galant à la satisfaire.


L'oie et le chapon vécurent heureux même s'ils n'eurent jamais d'enfants. Il n'y a pas toujours de morale dans les histoires aviaire. L'oie se spécialisa dans l'œuf de Pâques d'autant plus aisément que, pour l'amour, avec son pauvre compagnon, elle était chocolat ! Je n'ai plus qu'à vous souhaiter un joyeux réveillon. Évitez l'indigestion et n'accordez aucune importance à ce pauvre récit sans queue ni tête.


 

 

jeudi 28 décembre 2023

La fête foraine à Orléans

Roulez roulez jeunesse




Les raisons de la colère

 

 

Dessine moi un manège …




Il était une fois une famille qui avait décidé de se distraire à la grande fête foraine. Chaque année à la même époque, les deux parents de Victor aimaient à retrouver leur enfance, s’amusant parfois plus que leur fils dans les différentes attractions non pas que l’enfant s’y déplaise mais il goûtait fort peu de devoir toujours être accompagnés de ses géniteurs. Quand il croisait des camarades, il n’échappait pas à leur moqueries.


Ce jour-là, tous les trois se lancèrent dans l’aventure du labyrinthe. Avant que de s’y perdre, comme tout un chacun, les parents avaient donné un lieu de rendez-vous qui avait totalement échappé à l’enfant. Qu’importe, pour l’heure, le plus urgent était de sortir de ce maudit piège de vitres. Vraiment, Victor détestait cette distraction qu’il trouvait parfaitement absurde.


Bien vite, le gamin tourna en rond, se désespérant de trouver une issue à cet enfer. N’apercevant plus les siens, il en conclut qu’ils avaient trouvé la sortie ce qui était loin d’être le cas. Après de longues minutes infructueuses, de dépit et de rage le gamin se mit à pleurer, regrettant autant ses parents que la possibilité d’aller s’amuser ailleurs quand il entendit une petite voix à ses pieds.


Un renard en peluche, un de ces trophées qui se gagnent à la loterie ou bien au tir à la carabine, gisait là sur le sol. Victor se pencha pour le ramasser et aussitôt l’animal se mit à lui parler : «  S’il te plaît, apprivoise-moi et dessine-moi un mouton. Je te montrerai ton chemin. Je suis ta bonne étoile ! » L’enfant souffla sur une glace, sur la buée formée ainsi il traça un mouton qui bien vite s’effaça. La peluche, émue, le remercia en lui offrant 6 tickets pour des attractions de son choix.


Sorti du labyrinthe et enfin seul dans cette grande foire, le gamin put à son gré choisir des attractions, loin des interdictions ou des restrictions de ses parents, toujours inquiets de sa sécurité. Ayant sans doute besoin d’un prétexte, il se dirigea vers la grande roue, histoire de profiter de la vue panoramique pour retrouver les siens.


Puis oubliant cet alibi inutile, il poursuivit son périple festif. Il aimait les sensations fortes, tour à tour les montagnes russes, la chenille, le train fantôme, les auto-tamponneuses et le ranger kamikaze : une attraction qui lui mit l’estomac en capilotade. La nuit était tombée depuis longtemps, Victor se rappela enfin que ses parents lui avaient donné rendez-vous devant le manège de chevaux de bois, une drôle d’idée qu’il n’avait pas retenue.


Il s’y rendit, le manège tout comme la foire était désert pourtant il tournait encore. Son renard lui souffla à l’oreille : «  Il convient parfois de garder son âme d’enfant. Monte donc sur le manège ! » Ce qu’il fit pour retrouver ce bonheur simple de tourner en rond tranquillement. Pendant ce temps, après de longues recherches vaines, au désespoir, pensant au pire, un enlèvement ou un accident, les parents se rendirent dans la caravane de la voyante.


Dame Irma comprit immédiatement l’angoisse de ces derniers clients. Elle frotta sa boule de cristal, se concentra avant que d’entrer en relation télépathique avec Victor. La bohémienne décrivit étape par étape le parcours du petit garçon abandonné à lui-même. À chaque fois, les exclamations des parents précédaient toujours des questions sur son état après de telles émotions.


Enfin la voyante en arriva à la dernière étape. Elle leur dit qu’elle voyait le petit garçon sur un cheval de bois, discutant avec un renard en peluche. Cette fois, les parents jugèrent que la dame les menait en bateau. Ils payèrent la séance, persuadés qu’ils avaient été leurrés. Malgré tout, ils se dirigèrent, faute de mieux, vers le dernier manège allumé : le carrousel.


Irma avait bien vu, ce qui est la moindre des choses pour une voyante. Leur cher petit était juché sur un cheval de bois qui montait et descendait au son d’un orgue de barbarie. Il riait aux éclats, insouciant en dépit de l’heure tardive. Il parlait à un animal lové dans ses bras, une de ces peluches qui se gagnent au stand de tir. Quand il vit ses parents Victor descendit de sa monture pour sauter dans leurs bras. Ces retrouvailles étaient si émouvantes que le renard lui aussi essuya une larme.


La réalité reprenait ses droits. Le père enfin rasséréné se mit soudain à examiner la situation. Il était minuit passé, il n’y avait plus un seul moyen de transport. Comment allaient-ils pouvoir rentrer dans leur quartier, fort éloigné de la foire ? Madame se mit en colère, réalisant soudain qu’ils allaient devoir traverser la ville à pied quand le renard s’adressa à eux : « Ce n’est rien ! Montez donc sur le manège et vous verrez ! »


En dépit de l’absurdité de la situation : une peluche leur demandant de monter sur un manège réservé aux petits enfants, les parents obtempérèrent sans hésitation. Victor quant à lui remonta sur son cheval fétiche. Le manège s’arrêta de tourner, les lumières et l’orgue s’éteignirent. Il y eu un long silence puis un grand vacarme, des hennissements de chevaux.


Les chevaux de bois quittèrent le plateau du manège, se métamorphosèrent en fiers coursiers qui sans plus tarder se mirent en chemin en un trot majestueux pour emmener leurs cavaliers jusqu’au pied de leur immeuble. Ce fut le plus beau des voyages, la plus extraordinaire des attractions. Quand Victor et ses parents descendirent de leurs montures, ils se tournèrent vers la porte d’entrée de la résidence pour y saisir le code sur un clavier lumineux.


Il y a un bruit, la porte libéra sa gâche, le père poussa la lourde porte. Ils allaient entrer quand ils voulurent regarder une dernière fois les chevaux de bois. La rue était déserte. Avaient-ils été l’objet d’une hallucination ? Non pas, dans les bras de Victor, le renard en peluche leur glissa cette dernière phrase avant que de se taire à tout jamais : «  On ne voit bien qu’avec le cœur ! »

mercredi 27 décembre 2023

J'ai largué les amarres

 

Sur la route




J'ai largué les amarres

Un matin plein d'espoir

J'ai suivi les copains

Vers de nouveaux chemins

Trouvé d'autres ailleurs

Des jours enfin meilleurs

 



J'ai aboli mes doutes

Abandonnant en route

Mes chagrins, mes regrets

A jamais oubliés

J'étais homme nouveau

Soulagé des fardeaux

 



Le rêve en mes chaussures

J'allais à l'aventure

Je marchais au hasard

En espérant un phare

J'ai sorti la grand voile

Pour suivre mon étoile

 



J'ai trouvé des cailloux

Laissés par d'autres fous

Ils m'ont tendu la main

Moi j'n'espérais plus rien

M'ont dit de poursuivre :

Mon rêve va survivre ...

 



Ne cesse de marcher

Suivant ma destinée

Vent pousse moi toujours

Je cherche un grand amour

Mes semelles ont des ailes

C'est pour aller vers elle

 



J'ai largué les amarres

Un matin plein d'espoir

J'ai suivi les copains

Vers de nouveaux chemins

Trouvé d'autres ailleurs

Des jours enfin meilleurs

 


 

mardi 26 décembre 2023

Le Grand Échalas.

 

Une curieuse aventure.





Il advint, il y a bien longtemps, au bord d’une rivière en région forestière, qu'un homme si grand que tout le monde le connaissait sous le sobriquet de « Grand Échalas », se lança dans une périlleuse aventure. Il est bon, tout d'abord, de faire ici aparté pour vous expliquer le sens de ce surnom avant qu’il ne soit rentré dans le langage courant. Il est vrai que l’épopée de ce curieux personnage fit rapidement le tour de toutes les rivières qui coulent aux pieds des collines boisées.


En ce temps-là, le vignoble occupait une grand part des terres de nos vallées. La consommation de vin était ce qu’on qualifierait aujourd’hui d’immodérée. Il n’était pas rare de voir des travailleurs buvant quatre à six litres par jour et bien peu pensaient à couper leur boisson d’eau. C’était bien avant l’arrivée du maudit phylloxéra, les vignerons coulaient des jours heureux et Monsieur Évin n’était pas encore né. Seules les taxes des Aides venaient contrarier leur juteux commerce.


La croissance de la vigne exigeait un tuteur de bois, un haut piquet en châtaignier, acacia ou pin et Sylvain faisait métier de couper, tailler, mettre en fagots les échalas qui partaient ensuite à bord de sapines, salambardes ou bien chalands suivant les rivières empruntées. Sa taille inhabituelle à l’époque lui avait fallu ce surnom qui depuis affublent les grandasses.


Sylvain abattait autant d’arbres que de travail. Il était aussi fort qu’il était grand, ne rechignait jamais à l’ouvrage. Il aimait venir au port livrer sa production que des mariniers embarquaient pour les régions vinicoles. À plusieurs reprises, des matelors avaient convié notre homme à faire une fois avec eux la descente, histoire de voir du pays.


Sylvain, un peu penaud devait décliner l’invite et se refusait même à embarquer sur le bateau pour y boire un verre en compagnie des lascars qui vont sur l’eau. Il avait une phobie qu’il n’osait avouer. Pour lui, rien ne valait tant que le plancher des vaches car il était dans l’impossibilité psychologique de se trouver en contre-bas ou bien perché. Ainsi, descendre dans une cave lui était impossible tout autant que monter à l’échelle ou bien un escalier.


Les chalands, les sapines, les bateaux de transport de marchandises avaient de hautes bordées afin de pouvoir les charger. Nos bateaux traditionnels n’avaient pas de pont. Dès qu’on y montait, il fallait descendre en-dessous du niveau de l’eau sur un plancher qui recevait le fret. Ce mètre cinquante de dénivelé était pour le garçon un obstacle paralysant qui le laissait à quai.


C’est de ce handicap assez curieux, il faut l’avouer, que naquit une page des plus belles de l’histoire fluviale. Sylvain étant compagnon bûcheron reçut un jour une commande. Il devait abattre des châtaigniers, nombreux dans sa région et les porter en bord de rivière. L’habitude voulait qu’on y laisse filer au fil des flots les troncs pour rejoindre le chantier de construction navale ou bien l’artisan qui en avait fait commande.


Les troncs avaient été marqués d’un signe gravé afin de connaître leur destination ; opération qu'on nomme martelage était réalisée avec des marteaux à l’effigie du propriétaire du tronc. Ils allaient à la bonne fortune de la rivière. Mais cette fois, la commande était d’importance. Le château de Sully-sur-Loire réclamait des châtaigniers pour bâtir une charpente qui, plus de cinq cents plus tard, fait encore l’admiration des visiteurs.


Sylvain embaucha des bûcherons et des muletiers pour abattre et conduire les troncs au pied de la colline. Il loua les service de charretiers pour les porter jusqu’en bord de Loire, en dessous de Roanne. C’est là qu’il fut confronté à un problème insoluble. Payer les services de mariniers était déraisonnable, le prix du voyage allait grever tout son bénéfice. Il lui fallait laisser le bois flotter au fil de l’eau. Mais là encore, le nombre et la distance rendaient inopérante la solution d’antan.


Le désir de faire le voyage dont souvent il avait entendu parler, la nécessité de faire des économies, le curieux handicap qui était sien se conjuguèrent pour créer une réponse appropriée qui allait faire flores dans tout le pays et même ailleurs. Il eut l’idée saugrenue et folle pour ceux qui assistèrent à cette première, de lier et garrotter les troncs entre eux de manière à les rendre solidaires. Son chargement ainsi constitué en une sorte de bateau plat fait de rondins démesurément longs, environ 70 mètres pour 5 de large. Il était parvenu à y mettre 200 stères de bois.


Chaque tronc était assemblé aux voisins par des rameaux de bois verts qui furent appelés plus tard les chantiers, puis lié solidement par des branches souples nommées rouettes. Il avait pensé à donner une souplesse à son train de bateau en constituant plusieurs tronçons de troncs afin de donner une certaine mobilité à son embarcation, à la manière des trains de marchandises bien plus tard.


Une fois son bel ensemble constitué, il dut se mettre en tête de le diriger. Lui qui n’avait jamais pu mettre les pieds sur un chaland avait à relever un défi incroyable. Fort de toutes les observations qu’il avait faites en regardant manœuvrer les mariniers, il se munit de bourdes, d’un outil nommé fouine, une fourche à trois dents et de gouets, petites pioches courtes. Le plus compliqué pour lui fut de trouver trois compères pour se lancer dans l’aventure.


Le voyage eut lieu sans encombre. Les troncs arrivèrent à Sully-sur-Loire et furent confiés aux charpentiers après un long séchage. La nouvelle de la prouesse de Sylvain, le grand échalas circula comme une traînée de poudre, d’autres reprirent son idée et c’est officiellement le 20 avril 1547, avec l'aide de Charles Lecomte maître d'œuvre de la charpenterie de l'Hôtel de Ville de Paris et de ses compagnons que le premier train de bois lié et garrotté arriva à Paris.


Le Grand échalas était depuis longtemps retourné dans ses collines. Il n’avait pas le pied marin. Il préférait de très loin rester à terre, fut-ce sur une pente raide comme il s’en fait dans la région roannaise. Les trains de bois flottés lancèrent une nouvelle et belle épopée fluviale. Sur la Seine surtout mais aussi sur bien d’autres rivières, jusqu’en 1880, des hommes se lancèrent sur les eaux en équilibre sur des troncs.


Aujourd’hui encore, au Canada se perpétue cette périlleuse navigation. Gloire soit ici rendue à tous les flotteurs de bois, draveurs et autres radeleurs. Le métier est fort rude et nombreux sont ceux qui achèvent leur périple dans l’eau.


lundi 25 décembre 2023

Vent de Galerne sur la Loire

 Combleux et Rosalie

 

 



Combleux fut longtemps un charmant village vigneron lové en bord de Loire jusqu’à ce que le canal, inauguré en 1692, ne transforme radicalement l’existence de ses habitants. Deux siècles et demi durant, la vie à Combleux sera ponctuée par la confrontation culturelle entre culs-terreux et chie-dans-l’eau. Suivons Rosalie, une enfant du pays, le temps de ce petit voyage dans le passé du village des mariniers à travers quelques épisodes significatifs de la vie ligérienne.

 

Elle s'appelle Rosalie. Cette gamine est la seconde fille d'un couple de paysans. L'homme travaille la vigne, la femme élève des chèvres. Rosalie a de la chance : son père accepte de l'envoyer à l'école paroissiale. Elle va y apprendre à lire : un privilège à l'époque pour les filles, que les familles préfèrent habituellement garder à la maison.


Rosalie est vive, indépendante ; elle aime par-dessus tout la Loire et le canal. Elle voue une amitié secrète au père Léon, un batelier du canal qui vit dans une petite cabane quand il n'est pas sur sa flûte berrichonne.


Léon a enseigné à la gamine le secret des plantes ; on le dit un peu sorcier. Il lui a surtout transmis le virus de la navigation. Un jour où le bonhomme devait livrer des fûts à Orléans, il l'a prise sur sa péniche pour franchir l'écluse et plonger dans la rivière. La gamine n'oubliera jamais ce grand moment. Elle se jure de naviguer à son tour ….


Quand Rosalie atteint ses douze ans, le temps est venu de la mettre au travail. Elle a de la chance : la mère Victoire, qui tient l'Auberge de la Marine, cherche une jeune servante ; elle apprécie la gamine qu'elle connaît un peu. Après bien des hésitations, dues à la réputation des mariniers qui fréquentent l'auberge, les parents de Rosalie acceptent.


La Petiote, comme l'appellent les mariniers, fait des merveilles. Elle court partout, sert des chopines, débarrasse les tables. Elle est appréciée de tous et gare à celui qui s'aventurerait à lui manquer de respect, la mère Victoire veille et ne s'en laisserait pas compter.


Rosalie grandit, elle devient une belle jeune femme qui a beaucoup de succès parmi les gars qui vont sur l'eau. Quant à elle, elle n'a d'yeux que pour les mariniers, son rêve étant de faire un grand voyage un jour …


C'est François, un bel Angevin qui eut sa préférence. Ils se plurent, ils se marièrent. François était secret : il ne lui disait pas tout. Il vivait surtout de faux-saunage : le trafic du sel. La gabelle avait disparu mais le sel était toujours autant taxé. Il allait le chercher en Bretagne pour le livrer en Anjou.


Un jour, il fut surprit par des gabelous à bord de leur patache. Il plongea pour leur échapper, ne revint jamais à la surface. Son corps fut repêché quinze jours plus tard, enterré dans une fosse commune. Rosalie apprit le malheur de la bouche d'un compagnon de son homme qui avait assisté à distance au drame. Elle était veuve avant d'avoir été vraiment épouse.


Rosalie avait vécu auparavant bien des misères. Elle avait connu le terrible embâcle de 1789. La Loire et le canal pris par les glaces durant cinq semaines. Une horreur ! Puis était survenu le redoux et pire que tout, la débâcle ou la resserre comme disent les mariniers. Une vague gigantesque avait tout noyé, tout détruit ; bateaux, hangars, maisons.


Rosalie pensait avoir connu le pire. Il lui fallait refaire sa vie. C'est vers un autre marinier qu'elle jeta son dévolu ; encore un gars de la Loire d'en bas, un natif de Montjean : Élie. Il était avisé, marinier courageux et travailleur. À force d'économie, Elie était devenu voiturier, il naviguait pour son propre compte.


Il acheta un champ de pommiers sur pied . La récolte fut excellente. Il chargea son chaland et remonta jusqu'à Combleux en train de bateaux. Là, le train se disloqua et chacun remonta le canal à son rythme. Élie demanda à Rosalie de l'accompagner, enfin, elle allait naviguer !


Ce furent les seuls moments de joie et de bonheur pour elle. Rosalie était libre, elle allait sur l'eau comme elle l'avait toujours espéré, enfant. Elle repensait à son vieil ami Léon, elle saluait les femmes qui étaient à l'ouvrage dans les lavoirs. Elle montait à la capitale. Durant quelques jours elle vendit des pommes avant que de pouvoir, l'espace d'une seule journée, flâner dans les rues de cette grande ville.


Puis ce fut le retour de son unique navigation. Elie avait négocié un fret pour le retour : des fûts vides pour faire vieillir le vinaigre chez Dessaux. Rosalie se voyait faire ainsi chaque année ce merveilleux voyage ; il lui fallut déchanter. La roue avait tourné : les vapeurs prirent la place des chalands avant que le chemin de fer ne mette tout le monde sur la terre ferme.


Elle ne ferait jamais ce grand et long trajet sur la Loire dont elle avait toujours rêvé , elle resta à jamais attachée à son quai de Combleux qui bientôt se dépeupla. Elle connut des inondations terribles, des drames, des malheurs mais jamais, ô grand jamais, elle ne cessa d'aimer la Loire, de l'admirer et de lui vouer une vénération sans faille.


Rosalie était enfin de la rivière et du canal. Elle avait grandi dans cet écrin merveilleux : son village de Combleux, la perle de l'Orléanais. Elle continua à travailler à l'Auberge de la Marine, là où l'esprit du vent de Galerne souffle à tout jamais. Poussez la porte de l'établissement et humez cet atmosphère unique. Ici, la Loire renoue avec son glorieux passé et si vous fermez les yeux, vous pouvez retrouver Rosalie, Victoire et tous les mariniers d'alors !

 

Texte extrait du roman de

Annick Sénotier

Corsaire Éditions 


 

La Chanson de Rosalie






Enfant du Canal et de la Loire

Sur ses pauvres treize arpents

Elle peinait du matin au soir

Tout en admirant les chalands


Elle a grandi dans une ferme

Entre ses chèvres et sa vigne

Regardant le cœur en berne

Les bateaux lui faire des signes

De la terre prisonnière

Elle ne pouvait pas s’échapper

Elle serait à son tour fermière

Son avenir était tracé


Enfant de Loire et du Canal

Elle a rêvé d’un grand voyage

D’une aventure originale

Qu’elle espérait sans ambages


C’est dans une grande taverne

Le rendez-vous des mariniers

Qu’elle a trouvé celui qu’elle aime

Un beau gaillard venu d’Angers

Sans tarder elle l’a épousé

Le chargement était en route

Avant qu’il ne parte naviguer

La laissant seule sur ses doutes


Enfant du Canal et de la Loire

Sur ses pauvres treize arpents

Elle peinait du matin au soir

Tout en admirant les chalands


Son enfant sera orphelin

Son père jamais ne reviendra

Quand les gabelous un matin

Arraisonnèrent son papa

Il plongea dans les eaux profondes

Pour échapper à la prison

Jamais il ne revit le monde

Car il rejoignit les poissons


Enfant de Loire et du Canal

Elle a rêvé d’un grand voyage

D’une aventure originale

Qu’elle espérait sans ambages


Comme toutes les femmes de marins

Rosalie savait le risque

Qui un jour brise les destins

Quand la Loire les confisque

Son homme ne reviendra plus

Si jeune, elle portera le deuil

En sachant son rêve perdu

La rivière pour seul linceul


Enfant de Loire et du Canal

Elle a rêvé d’un grand voyage

D’une aventure originale

Qu’elle espérait sans ambages


Enfant du Canal et de la Loire

Sur ses pauvres treize arpents

Elle peinait du matin au soir

Tout en admirant les chalands

 

dimanche 24 décembre 2023

Colimaçon

 

Colimaçon





Ce malheureux, ventre à terre, s'interrogea :

Comment faut-il désormais comprendre son nom ?

Jadis, pour tous, il était un gentil luma

Tous les gastronomes célébraient son renom


C'était toujours sa fête quand tombait la pluie

Un autre temps ! Depuis que l'eau se fait rare

Il traîne sa misère et risque pour sa vie

À la recherche d'une éventuelle marre


Même le persil et l'ail viennent à manquer

Comment pourrait-il sortir de sa coquille

Afin d'honorer les tous derniers banquets ?

Lui qui est si fier de sa cédille ...


Mais revenons à ses préoccupations

Si sa maison n'a certes pas d'escalier

Sa forme influença de belles créations

Qui honorèrent même les châteaux princiers


Les invités tournaient ainsi en bourrique

Sans que jamais ne s'entrecroisent leurs routes

Mais à Chambord ce ne furent pas les berniques

Qui servirent de modèle sans nul doute


En Sologne on le nomma « carcalaude »

De concert avec son amie la chieuvre

Se revêtaient toutes deux de la biaude

Pour parader sur vos tables en hors d'œuvre


C'est alors que le monde perdit sa raison

Puisque vos repas vous sont désormais livrés

Le voilà grimé en un colis sans façon

Déposé par un serviteur sans livrée


Voilà bien une pierre en son jardin

Lui qu'on appela également limaçon

Sans que jamais en un rapide tour de main

Il ne construise sa demeure de maçon


Ainsi, dans le village de Dry sans façon

Chacun porte avec honneur le doux sobriquet

De ce tendre et délicat colimaçon

Escargot pour beaucoup, mais pas les initiés !

•••



samedi 23 décembre 2023

Facétie cavalière

 

Hippo-Rigolo





D'une traite, sans pétrole

Il ramasse tous nos détritus

Pour les siens c'est un pactole

Une ressource bien venue


Sur sa selle sociale

Il s'assoie sur les principes

Car loin d'être municipal

L'contribuable participe


Ce service n'est pas compris

Dans le cahier à décharge

Les économies c'est promis

Ne se calculent qu'à la marge


À nous prendre pour des ânes

Allons ruer dans les brancards

Pour quelques peaux de bananes

Qu'on déposera au rencard


Pour la communication

Le vert est dans l'usufruit

L'écologie en action

Attaque nos économies


Que nous l'ayons à la crotte

Ne changera rien au bourrin

Qui défèque dans une hotte

Sans empester les riverains


Il convient de remettre au pas

La collecte de nos déchets

L'écurie ou bien le haras :

Alternative de l'année


Pour les détritus c'est couru

Vive le pari hippique

La benne a quitté la rue

La ganache lui fait la nique


Le progrès, le vent en poupe :

Revient aux vieilles recettes

Tout en se tapant la croupe

Sans garder son assiette


Si le cheval n'est plus moteur

Sa traction fait sensation

Sans être sur la paille à cette heure

Nous admirons l'attraction

•••



vendredi 22 décembre 2023

La bûche de Noël …

 

Entre chêne et houx






Il fut un temps si lointain que nulle trace écrite n'évoquera jamais l'histoire que le vent m'a aimablement soufflée au creux de l'oreille. Que les esprits résolument destructeurs tâchent de se précipiter dans les temples modernes de la consommation pour y faire emplettes et dépenses somptuaires tout autant qu'inutiles et que les autres prennent la peine de se poser près de l'âtre de la cheminée pour m'écouter.


Les hommes d'alors découvraient les mystères de la nature qui étaient encore pour eux sources d'émerveillement et de réflexion. N'ayant pas la prétention de tout savoir ou de vouloir tout plier à leur désir, ils avaient la sagesse d'observer et de chercher à découvrir. En cela, ils étaient bien plus sages que ne le sont nos contemporains, ceux-là même qui conduisent la planète à sa perte.


Nous étions alors au début du commencement, à l'aube d'un temps qui sortait de sa nuit. L'homme était partie intégrante de la nature ; il n'en était qu'un modeste maillon de la chaîne. Il allait de par la vaste Terre et cherchait tant bien que mal à survivre. Depuis quelques lunes, le soleil semblait s'éteindre. Plus la succession des jours et des nuits avançait, plus il faisait froid et plus l'obscurité croissait et imposait sa force à une pâle clarté qui se réduisait comme peau de chagrin.


La nature accompagnait cette lente et inexorable progression vers sa fin. Les arbres avaient perdu leurs feuilles, les animaux se taisaient, les fleurs et les fruits n'étaient plus que de très lointains souvenirs. La tristesse et la désolation devenaient le lot de ceux qui sentaient leur fin proche. Tout autour d'eux n'était que grisaille, obscurité, désolation.


Pourtant non, il y avait les houx qui restaient verts. Leurs petits fruits rouge-vif qui étaient apparus lorsque la chaleur et la lumière régnaient encore sur la terre, persistaient obstinément, miraculeusement, quand plus rien ne résistait à la nuit et à la froidure qui recouvraient la nature. À bout de confiance, une femme coupa une branche de houx pour agrémenter sa hutte ou sa caverne. Elle voyait dans ce geste la volonté de réveiller le soleil, de l'honorer en célébrant le dernier fruit qui résistait encore.


Bientôt elle fut imitée en son geste. L'humain est ainsi constitué qu'il aime à copier son voisin. En cette période lointaine, il n'en allait pas autrement. Ce fut une razzia de houx, une folie comme les générations suivantes finirent par nous y habituer. Les forêts s'éclaircirent devant cette coupe claire. De ci-de là, des chênes apparaissaient alors, beaucoup plus accessibles qu'auparavant.


Comme ils étaient hauts ! Comme ils étaient forts ! Comme ils étaient gros ! Mais que l'homme d'alors était démuni devant ces monstres élancés vers un ciel qui avait perdu toute vigueur. C'est un jeune enfant, plus rêveur que les autres, qui eut cette idée folle de réveiller le soleil. Il fit remarquer que nulle plante n'allait aussi haut dans le ciel et que si quelque chose pouvait réveiller le soleil, ce ne pouvait être que ce grand et bel arbre …


Le désespoir était si grand, les nuits si longues, que chaque suggestion était écoutée avec attention. La remarque de l'enfant parut redonner du courage aux siens. Il fallait abattre un géant pour envoyer un signe à l'astre qui s'endormait doucement depuis si longtemps. Les hommes se mirent à l'ouvrage, ils firent tant et si bien, usant de tous les expédients qui étaient à leur disposition, qu'en quelques jours, le grand chêne chut.


Dans sa chute, il se brisa en plusieurs morceaux. Une branche s'était cassée dégageant une petite partie, grande comme un bras d'enfant. C'est vers elle que le gamin s'approcha et déclara : « Il suffit que cette bûche monte vers le ciel et le soleil reviendra ! » Non seulement, il venait d'inventer un mot nouveau ; mais il exigeait une chose qui échappait à la raison. Comment faire monter au ciel un morceau de bois ?


Il eût passé pour un demeuré, un simple d'esprit, si un vieillard, celui qui était chargé de conserver l'amadou et la braise sacrée, n'eût déclaré qu'il fallait essayer de confier la bûche au serpent qui fait des flammes. Nous étions au soir du solstice d'hiver ; la bûche fut dévorée par le feu quand, après bien des efforts, les flammes s'élevèrent vers le ciel. Le lendemain, les jours cessèrent de raccourcir.


Pour les raconteurs d'histoire, il fallait des combats épiques, des rois et des légendes pour expliquer le monde en ces temps où la science n'avait pas encore semé les graines du scepticisme. On évoqua alors le duel du Dieu Chêne et du Dieu Houx. Le chêne en sortait vainqueur au solstice d'hiver, le houx à celui d'été. À chaque fois, un feu de joie accompagnait la victoire de l'un sur l'autre.


Pour Yule, la fête qui nous préoccupe en ce Noël pas toujours aussi catholique qu'on veut bien nous le faire croire, la bûche ira dans le foyer pour célébrer le renouveau des jours tandis que le houx honorera portes et maisons pour apporter sa gaieté et l'annonce du prochain cycle. Car il en fut ainsi depuis l'aube des temps et il n'y a aucune raison que cela change jusqu'à ce crépuscule que nos folies appellent de leurs vœux...


 


Albert, une tête d'étourneau !

  Albert Père siffleur renommé Albert, oiseau étourdi Quoique ainsi prénommé N'avait rien d'un colibri  À...