vendredi 31 juillet 2020

Sur la route

Comme un temps suspendu !
 



    Si pour certains, prendre la voiture est un plaisir, l’occasion de partir à l’aventure tout en profitant du paysage, c’est au contraire pour moi un calvaire, une longue parenthèse durant laquelle le danger menace. Que n’a t-on pas encore trouvé moyen plus agréable pour se rendre d’un point à l’autre sans supporter tous les désagréments de la circulation autoroutière.

    En premier lieu il y a ce maudit soleil qui se fait toujours un malin plaisir à venir se refléter sur mon écran tandis que je tue le temps en vaine écriture. Durant le trajet, dès que j’en ai la possibilité je confie le volant à qui veut bien prendre en charge cette corvée et me fixe sur mon clavier pour vagabonder autrement. Durant une heure environ, je ne vois plus rien, je suis totalement focalisé sur ma prose en dépit d’un astre qui m’interdit de regarder ce que j’écris.

    Puis il y a les chaos, soubresauts, nids de poule, ralentissements, coups de vent et autres vicissitudes routières qui chahutent l'habitacle et perturbent ma concentration et ma frappe. C’est curieux combien on se rend compte des oscillations permanentes auxquelles nous sommes soumis quand on ne regarde plus la route. C’est me direz-vous de ma seule responsabilité et je n’ai nullement à m’en plaindre.

    Il faut déplorer encore toutes les tâches matérielles qui incombent au pitoyable copilote que je suis. Tout à mon écriture, je dois accéder de mauvaise grâce aux requêtes du pilote qui désire toujours quelque chose : un peu d’eau, une carte de crédit, une indication géographique, un regard sur son téléphone, le changement de CD ou bien de station. J’obéis pour éviter ce qu jee redoute le plus, prendre sa place afin d’assumer à mon tour cette effroyable corvée : conduire !

    Si je suis bercé par le ton lancinant du moteur, mon rythme d’écriture n’est pas affecté. Hélas, il y a toujours matière à me tirer de mes pensées ; des travaux ou bien un ralentissement soudain, la redoutable et sournoise envie d’uriner qui vient toujours au mauvais moment, le comportement irascible des autres usagers qui parfois vient perturber mon pilote qui s’exclame et me déconcentre.

    Si le réseau autoroutier est le meilleur allié de l’écriveur mobile, il n’en demeure pas moins un repère de bandits de grands chemins qui taxent à tout va sans toujours assurer un service de bonne qualité. Je suis toujours tiré de mes élucubrations par la survenue de travaux qui viennent ralentir les véhicules sans dédommagements financiers pour rupture provisoire du contrat commercial. Chaque fois cette idée me sort du fil de mes pensées.

    Quand nous roulons sur le réseau secondaire, j’ai scrupule à m’isoler ainsi dans ma bulle. Une nouvelle menace sournoise suppose l’attention de tous. De petites boîtes surgissent sans crier gare pour délester le brave automobiliste, qui la plupart du temps, n’est même pas informé des intentions réelles de ce délateur mécanique. À quelle vitesse faut-il rouler à cet endroit ? Mystère et boule de gomme, nul n’est censé ignorer la loi surtout l’automobiliste qui doit disposer du don d’intuition pour échapper à cette terrible répression.

    Celui qui écrit abandonne alors le clavier pour dépister les odieuses machines et leur redoutable œil inquisiteur. Puis le polémiste refait surface et s’indigne une fois encore de l’incroyable injustice de ces amendes à tarifs fixes. Comment peut-on ainsi lourdement punir celui qui ne dispose que d’un RSA ou d’un SMIC quand le même montant est quantité négligeable pour d’autres. Jamais je n’ai admis cette honteuse manière de frapper surtout les plus humbles. D’autres procédures devraient prévaloir à la fixation du tarif des verbalisations.

    Voilà que l’heure qui m’est impartie s’achève. Bientôt ce sera à mon tour de reprendre le volant. J’ai tué le temps qui s’étirait de la meilleure des manières pour moi. Maintenant je dois enregistrer au plus vite ce petit billet sans importance. La route s’annonce encore longue. Quelle galère !

    Suspensionnement vôtre.

 
à lire aussi 
https://blogs.mediapart.fr/c-est-nabum/blog/010820/voyage-sans-blabla
 
Sur la route

J'ai largué les amarres
Un matin plein d'espoir
J'ai suivi les copains
Vers de nouveaux chemins
Trouvé d'autres ailleurs
Des jours enfin meilleurs

J'ai aboli mes doutes
Abandonnant en route
Mes chagrins,  mes regrets
A jamais oubliés
J'étais  homme nouveau
Soulagé des fardeaux

Le rêve en mes chaussures
J'allais à l'aventure
Je marchais au hasard
En espérant un  phare
J'ai sorti la grand voile
Pour suivre mon étoile

J'ai trouvé des cailloux
Laissés par d'autres fous
Ils m'ont tendu la main
Moi j'n'espérais plus rien
M'ont dit de poursuivre :
Mon rêve va survivre ...

Ne cesse de marcher
Suivant ma destinée
Vent pousse moi toujours
Je cherche un grand amour
Mes semelles ont des ailes
C'est pour aller vers elle

J'ai largué les amarres
Un matin plein d'espoir
J'ai suivi les copains
Vers de nouveaux chemins
Trouvé d'autres ailleurs
Des jours enfin meilleurs
 

 
 

jeudi 30 juillet 2020

Comme un cheveu sur la soupe.


Quatre fragments de conversations capillaires.



À travers l'étrange fenêtre ovale d'un salon littéraire, des brides de conversation sont parvenues à mes oreilles parfaitement bien dégagées. N'ayant ni un cheveu sur la langue ni un poil dans cette main qui frappe sur le clavier, je vais tenter l'aventure de vous restituer ces propos sans queue de cheval ni tête de linotte !

Des personnages singuliers, hirsutes mais imberbes se crêpaient le chignon à propos de leurs professions, qu'ils prétendaient être en vogue dans le monde étrange de l'absurde capillaire. Ils tenaient des propos échevelés et embrouillés et je ne parvenait pas à démêler cet écheveau confus. Il était question d'une nouvelle vague qui défrise, d'une frange qui prend racine et d'une « perme » à Nantes...

Enfin, je retrouvai le fil et pus relever la tête et retrouver mes esprits. Ces hommes, tout en discourant des mérites respectifs de la femme éternelle : blonde gironde, brune commune, rousse frimousse, blanche franche et grise soumise, décrivaient leurs activités professionnelles qui les rendaient si experts dans la connaissance de ces fortes têtes..



Le premier n'y allait pas par quatre chemins. Il affirmait haut et fort qu'il était tireur de cheveux. Profession plus aisée dans le civil que dans l'armée où le cheveu se porte ras. Il n'hésitait pas à proposer ses sévices aux écoles où la discipline se relâche singulièrement. Quelques tractions capillaires sur les têtes récalcitrantes sont de plus bel effet et l'ordre se fait dans les rangs.

Le second se vantait de but en blanc d'être le meilleur arracheur de cheveux du pays. Toujours sur les dents, il sillonnait le pays à la recherche d'une mauvaise tête qui devait se débarrasser de sa tignasse. Il arrachait surtout les pilosités des sportifs abusant de produits interdits. Le cheveu est, en la circonstance, un témoin à charge des plus redoutable.

Le troisième voyait dans son ami une brute épaisse, un méchant, un violent. Lui, une paire de ciseaux en main était coupeur de cheveux, tout simplement. Il s'était fait la spécialité de les couper en quatre. Jamais en repos, il se creusait la tête pour chercher le complexe là où le simple avait sa place !

Le dernier me paraissait encore plus particulier, un rien bohème même. Equipé d'un fouet et d'une cravache , il avait dans ses poches une multitude de flacons. Il se disait dresseur de cheveux. Il écumait les pistes du monde entier avec un numéro terrifiant. Il était capable, disait-il de faire se dresser les cheveux sur la tête d'un chauve et même d'une blonde !

J'abandonnai ces personnages et les perdis de vue ; j'avais mal aux cheveux

Les conversations capillaires sont des sujets bien délicats. D'habitude, l'homme se contente d'explorer les truismes de la misogynie. Il classe, juge, affuble la femme de qualificatifs désagréables sur la seule foi d'une teinte ou d'un reflet. De la tignasse de la pétasse à la crinière de la panthère, il s'en faut souvent d'un cheveu pour défaire une réputation !

Quant au joueur de rugby, il n'aime rien tant que de se chercher des poux dans la tête. C'est ce qu'on appelle une conclusion qui arrive comme un cheveu sur la soupe …

Capillairement vôtre.



mercredi 29 juillet 2020

Le panier magique.

Quand l'ogre reste sur sa faim



    Il était une fois au bord d'une rivière, une jeune fille qui, depuis la tragique disparition de ses parents, avait la charge de subvenir aux besoins de ses six frères et sœurs. Nous l'appellerons Cosette afin que chacun comprenne la pureté de ses intentions et son extrême dénuement. A cette époque lointaine  nul service social ne venait au secours des pauvres gens ; plaise au ciel que ce ne soit pas un conte d'anticipation !  …

    Cosette était au bord du désespoir. Elle avait arpenté les rives, cherché dans les taillis et les bosquets, tendu la main devant quelques personnes du voisinage et tout cela sans le moindre résultat. Elle allait devoir rentrer dans leur modeste demeure sans rien avoir à proposer à l'appétit toujours plus grand de sa fratrie. Qu'allait-il se passer ? Elle n'osait l'imaginer.

    C'est lorsqu'on est au plus profond du désespoir que surgit parfois une petite clarté. Cette fois encore, le conte ne déroge pas à l'usage et c'est la bonne fée Morgane qui croisa le chemin de la pauvrette. Voyant les yeux rougis et le visage blême de la jeune fille, la fée alla vers elle pour lui demander ce qui la chagrinait ainsi. Cosette lui présenta la situation en toute franchise sans noircir plus encore le trait ; les faits étant bien assez dramatiques pour ne pas en rajouter.

    Cette franchise plut à la fée Morgane dont chacun sait qu'elle est capable de tout : du meilleur comme du pire. Cette fois, la sincérité de la jeune fille fit ressortir les bons côtés de la dame qui adressa  pourtant une étrange requête à celle qui avait charge de famille. Morgane, d'un air mystérieux, demanda à la jeune fille : « J'aimerais que tu traverses la rivière ; juste en face de là se trouve une île où il y a la plus belle oseraie de la région. Rapporte-moi une belle brassée d'osier et je te ferai un cadeau. »

    Cosette ne fut pas surprise de la demande : elle savait désormais que les grandes personnes sont capables de toutes les fantaisies pour le paiement d'un service. Celui-ci lui semblait bien plus respectable que bien des propositions qui lui avaient été faites jusqu'alors. Cette fée ne profitait pas de la situation pour demander à la jeune fille des choses que la morale réprouve ; au moins, cette fois, Cosette n'aurait pas à rougir de cette requête.

    Morgane pour finir de rassurer la demoiselle, lui octroya une miche d'un pain noir qui, s'il n'était sans doute pas suffisant pour calmer les appétits de tous, allait permettre aux enfants de passer la nuit sans être tiraillés par des maux d'estomac. Cosette la remercia d'un grand sourire et partit retrouver les siens.

    Tôt le lendemain matin, elle se mit en demeure de remplir son office ; elle traversa la rivière par un gué connu d'elle seule pour atteindre cette grande île où poussent les tiges d'osier. Elle fit grande récolte et ne s'émut même pas de voir les jeunes pousses se transformer, par je ne sais quel prodige, en des brins disposés à être tressés le jour même. La fée ne devait pas être innocente en ce phénomène : il ne faut s'étonner de rien avec de telles personnes.

    Sa mission accomplie, Cosette revint sur la berge là même où elle avait rencontré la fée. Celle-ci sortit du trou d'un arbre creux et se mit immédiatement en action,  tressant un grand panier bien plus vite que ne l'aurait réalisé n'importe quel artisan, maître en cet art si ancien. Morgane tendit alors le panier à Cosette en lui disant : «  Voilà  qui résoudra tous les problèmes des tiens. Chaque fois que tu voudras leur donner à manger, plonge la main dans le panier en pensant à ce que tu aimerais y trouver ! ».

    Morgane disparut comme elle était venue, laissant Cosette à son panier et à de nombreuses interrogations. Quel pouvait bien être le sens des paroles de la mystérieuse dame ? Comment allait-il nourrir ses six frères et sœurs ? N'avait-elle pas été bercée d'illusions par une belle promesse ? Il n'était plus temps de s'interroger plus avant ; les siens devaient l'attendre, leurs ventres si vides qu'elle entendait leurs appels à travers la forêt.

    Cosette rentra dans sa masure et demanda à sa plus jeune sœur ce qu'elle désirait manger. La petite, étonnée et incrédule lui répondit naïvement : « J'aimerais manger des haricots verts ! » Cosette plongea la main dans le panier et en sortit des haricots. Elle demanda à son petit frère à son tour d'exprimer son souhait. Celui-ci, instruit de ce qui venait de se passer, eut une demande plus roborative : « Je voudrais un gros poulet rôti ! ». Aussitôt dit, aussitôt sorti du panier.

    Ainsi, chacun exprima une demande qui fut satisfaite par le panier de Morgane. Jamais dans la maisonnette, les enfants n'avaient fait un tel repas. Et il en fut de même chaque jour : Cosette désormais pouvait nourrir les siens sans avoir à se soucier de trouver sa pitance : le panier y pourvoyait amplement.

    La vie aurait pu se dérouler ainsi, le spectre de la famine à jamais disparu, quand un soir, après le dîner, un ogre surgit dans la cabane où vivaient les sept enfants. Il était effrayant, parlait très fort et était si grand qu'il les terrorisa tous. Il voulait manger et s'était emparé du plus jeune, histoire de s'ouvrir l'appétit. Cosette, arrêtant son geste avant qu'il n'enfourne son plus jeune frère dans son gigantesque gosier lui demanda quel mets, plus succulent encore que ce petit garçon, il aimerait déguster.

    L'Ogre pour vorace qu'il pût être, n'en était pas moins une fine fourchette. Il lui dit qu'un cuissot de sanglier serait, pour lui, un mets bien meilleur que cet enfant qui, mangé tout cru, ne satisferait guère sa gourmandise légendaire. Cosette sortit du panier un cuissot si gros que le méchant monstre lâcha l'enfant …

    Toute la soirée, Cosette composa un repas gargantuesque pour ce visiteur intrus, jamais rassasié, toujours plus exigeant dans ses demandes, d'autant qu'elles étaient toujours satisfaites. Il découvrit bien vite que du panier pouvaient surgir toutes sortes de choses, pourvu qu'elles se mangeassent et surtout qu'elles se bussent.

    L'ogre, en effet, tel un parfait soudard, demanda bien plus de  vins de toutes les couleurs et de toutes nos régions que de mets raffinés. Bien vite, il eut la trogne rubiconde et l'estomac tendu comme une arbalète. C'est titubant et grognant qu'il quitta la demeure des enfants sans oublier de partir avec le panier sous le bras. Les enfants étaient tous si effrayés qu'aucun ne fit le moindre geste pour s'opposer à ce terrible larcin.

    L'orge avait tellement bu qu'il n'alla pas loin. Il s'effondra, saoul comme un moine pendant le carême, juste à côté de la rivière, là même où la fée était apparue à Cosette. Cette dernière se doutait, elle aussi, qu'avec ce qu'avait ingurgité ce soudard, il n'irait pas bien loin. Elle l'avait suivi à distance et sitôt le monstre ronflant comme un sonneur, elle avait récupéré son panier précieux.

    La suite ne manque pas de sel. Cette nuit-là la rivière sortit de son lit : elle faisait l'une de ses redoutables colères, comme il lui en prend l'envie parfois, emportant tout sur son passage, y compris un poivrot qui cuve son vin, fût-il un personnage gigantesque comme il ne s'en trouve que dans les contes de fées. Personne ne déplora la disparition de ce monstre ; il n'eut d'ailleurs pas à souffrir : il avait tant mangé qu'il mourut sur le coup d'hydrocution, bien puni de sa gourmandise.

    La chose ne fut pas inutile du reste. Cosette avait assisté au trépas du bonhomme, tout comme ses six frères et sœurs qui étaient partis à sa suite. Chacun vit dans cette fin tragique la juste punition à la fois de la peur que l'ogre leur avait fait subir et celle du terrible péché de gourmandise que ne cessait d'évoquer monsieur le curé à ses brebis qui avaient toutes le ventre creux.

    Les enfants en tirèrent une leçon pour eux profitable. Depuis ce jour, ils n'usèrent qu'avec parcimonie des bienfaits du panier magique, n'abusant jamais des victuailles qu'ils lui réclamaient, composant au plus juste un repas équilibré et raisonnable. C'est ainsi que jamais le pouvoir du panier de Morgane ne s'ébruita et qu'ils purent vivre heureux et tranquilles, mangeant juste à leur faim pour ne pas attirer de convoitises. La modération est bonne en toutes occasions et malheur à ceux qui oublient ce précepte : la rivière ainsi que la santé pourraient bien les rappeler à l'ordre !

    Osiériculturement vôtre.


mardi 28 juillet 2020

Les lapins furieux !

Histoire à ne pas mettre entre toutes les oreilles.





    Il fut un temps où l'on pouvait, sans gêne, dire tous les mots qu’on voulait quand on était sur un bateau. Il y avait un trappeur des bords de Loire qui naviguait sur une barquasse de sa fabrication. L'homme était piégeur, un chasseur qui préfère la ruse à la force inéquitable de l'arme.

    Il observait les mœurs de ceux qui allaient tomber dans son escarcelle, sa nasse ou son collet. De longues heures passées à comprendre le mouvement et les mœurs des bêtes qui donnerait, pour lui et sa famille, le mot de la faim. Nulle recherche de plaisir dans sa quête, simplement le souci d'apporter pour les siens du mieux dans leur alimentation.

    Que ce soit sur terre et ou sur l'eau, il avait l'œil, savait tout des bons endroits des passages des animaux, des secrets de leurs habitudes. Il ne tendait jamais son piège au hasard et il ne fallait pas longtemps pour que la prise fût faite. Il ne laissait pas languir la pauvre bête qu’il allait quérir au plus vite.

    Quand sa proie était trop petite, quand c'était une femelle pleine, quand il avait plus de prises qu'il lui fallait, il relâchait ceux qu'il laissait vivre. Pour préleveur qu'il était, il n'en était pas moins un amoureux de la nature. Il agissait avec modération et respect, en harmonie avec les animaux qu’il respectait par-dessus tout.

    Il rendait à ses amis des forêts et de l'onde bien des services. Quand l'hiver était rude, il leur apportait des graisses et des graines, il fabriquait des abris, veillait à ce qu'il n'y eût pas trop de prédateurs à l'intérieur de son secteur.

    L'homme allait sur sa barque prendre sa ponction. Il était surtout contemplateur de ce Val qu'il aimait tant et qui lui offrait chaque jour spectacle merveilleux. Mais un jour, le calme et la quiétude des lieux, fut, une fois encore menacé par la montée des eaux.

    La Loire grondait, elle coulait furieuse. Ses eaux charriaient tout ce qu'elles emportaient sur son passage et le niveau montait sans cesse. Quand tous les gens d'alentour pensaient à se sauver, à porter leurs sabots sur un coin de terre plus haut que les bords du fleuve, lui avait une toute autre préoccupation.

    Il prenait soin de ses amis les hôtes des bords de la rivière. Il les appelait pour qu'ils montent dans sa barque et il les portait plus loin sur une hauteur à proximité. Sa barque eut été chaland qu'il en aurait fait une arche pour protéger, le temps de cette grande colère du fleuve, tous les animaux du coin.

    Il ne s'appelait pas Noé, on ne refait pas l'histoire, une crue, pour terrible qu'elle soit, n'est pas non plus le déluge. Cependant, il fallait agir ou laisser périr les petits mammifères. Il ne mesurait ni sa peine ni les risques qu'il courait. Pour préleveur qu'il était quand la nécessité s'en faisait sentir, il se savait redevable envers tous les animaux.
   
    Son manège pourtant n'amusait guère les gens sérieux, ceux qui, pour le bien de leur prochain, se portaient à leur secours. Ces braves gens, ne comprenaient pas pourquoi notre homme se préoccupait des bêtes et non point des humains. Il avait beau leur dire que jamais il ne tournerait le dos à un individu en détresse mais qu'il n'en voyait pas là où il naviguait, la marginalité comme la différence constituent de tous temps une charge lourde qui vous place au banc de société.


    Il n’avait cure de ces jalousies stupides, de ces regards de travers qui ne l’indisposaient guère.  Cette fois pourtant l'affaire  tourna au vinaigre. Alors qu’il croisa le grand fûtreau qui allait secourir des habitations isolées, il reçut jurons et insultes de la part des membres de la société de secours. Il se peut que l'équipage, dans l'alarme du moment et pour se donner du courage ait forcé sur la chopine ce qui pourrait expliquer ce comportement déplacé. Nous n’en saurons rien !

    Toujours est-il que le grand bateau fonça droit sur le plus petit avec l'envie évidente de l'éperonner pour le faire couler. Notre brave amis des animaux n'avait qu'une bourde pour avancer, quand en face, les forbans allaient à la voile, poussés par un vent violent. Il voyait sa dernière heure arrivée quand dans le même temps il advint un véritable miracle.

    Sa barque était chargée de tous les lapins des Varennes, qu'il avait sauvés des eaux. Les rongeurs se dressèrent sur la proue, constituèrent une pyramide en montant les uns sur les autres.  Formant ainsi une sorte de voile, ils présentèrent leurs grandes oreilles au vent afin qu’il s’y engouffre. Vous ne le croirez sans doute pas, mais la barque prit de la vitesse et esquiva l’abordage de son adversaire.

    Quand le fûtreau passa juste à côté de lui, les lapins, comme un seul homme, sautèrent sur le pont de l’agresseur et se mirent immédiatement en  action. Ils rongèrent de leurs dents dures et vengeresses tous les gréements qui passaient à portée d'incisives. Bientôt le mât s'effondra dans un fracas qui permit à ces malheureux mariniers de retrouver leurs esprits.

    Piteux et confus, ils venaient de comprendre que la Loire en crue leur avait chamboulé la raison tout autant que les crus bus par déraison. Ils s'excusèrent immédiatement auprès du brave homme, leur demandant de ne jamais répéter ce qui venait de se passer. Le trappeur était, comme vous avez pu le constater, le meilleur des hommes, il tint sa langue comme il l'avait promis.

    Nos lascars quant à eux durent trouver une explication ce qui avait bien pu se passer sur leur bateau pour qu'un tel désordre règne sur le pont. C'est là qu'ils inventèrent la fable des lapins qu'ils avaient voulus sauver et en guise de remerciement avaient provoqué  un tel saccage. Depuis, les rongeurs sont porteurs d'une malédiction marine, il est interdit de nommer ce brave animal sur un bateau digne de ce nom.

    Vous savez désormais l'origine de cette fable, elle est parfaitement injuste pour les petits rongeurs mais il fallait sauver la réputation de braves mariniers égarés par un bref instant de  beuverie. Ils ne voulurent pas se faire tirer les oreilles, ils trouvèrent des coupables fort commodes. Il faut reconnaître qu'ils n'avaient pas vraiment menti et que dire ce qui s'était vraiment passé eût provoqué grande perplexité parmi leurs auditeurs.

    Maintenant que vous aussi, vous savez le fin mot de l'histoire, vous admettrez vous aussi, qu'il est parfois bon de poser un lapin à la vérité. Un petit mensonge est parfois plus commode qu'une réalité qui échappe à la logique communément acquise. Les lapins acceptèrent ce compromis avec la morale et s'en retournèrent à leurs terriers.

    Taboutement leur.



lundi 27 juillet 2020

Les carottes sont cuites.


L’incroyable épopée de l’une d’entre-elles !
 
 


    C’est étrangement quand les choses tournent au vinaigre, que la peur nous fait faire de l’huile que l’expression surgit au débotté : « Les carottes sont cuites ! » J’avoue ne pas être fan de cette manière de décrire la situation quand tout est râpé. Il me faudra creuser la question, comprendre les racines de ce curieux paradoxe. Il faudrait alors solliciter les services d’une brigade spécialisée : les bœufs carottes me semblent les plus compétents en la matière. Ils sont experts dans l’art de tirer le vert du nez des grosses légumes… et des petits malfrats.

    J’ai eu le privilège de m’entretenir à bâtons rompus avec une carotte ancienne. La vénérable dame ne s’était pas habillée d’orange à la mode hollandaise, elle conservait la diversité de ses nuances d’autrefois. Fière de sa belle robe, elle fut flattée que je la félicite de sa belle apparence et c’est ainsi que de fil en tubercule, elle me livra son cœur…

    C’est sous l’ombrelle bienveillante de l’une de ses fleurs que je m’assis pour écouter la dame évoquer toutes les misères qu’elle subissait. Elle me narra par le menu combien elle était heureuse, jadis, carotte sauvage poussant comme une herbe folle sur des terrains maigres et naturels. Personne ne songeait alors à l’arracher à son sol natal ni même, ô rage ô désespoir, à l'inonder de produits infâmes visant à écarter toute mauvaise herbe autour d’elle.

     « Comment voulez-vous vivre, confinée ainsi dans un jardin tiré au cordeau, uniquement en compagnie de mes semblables ? La vie est triste, il y a de quoi se faire des cheveux. La conversation de mes pareils finit pas tourner en rond. Non vraiment ça ne me botte pas du tout cette manière de pratiquer le tri génétique autour de moi. Je crois me semble-t-il que vous qualifiez cela d’eugénisme, vous les humains ? »

    Je ne pouvais que lui donner raison. Je me gardai bien de lui avouer les raisons de cette sélection si peu naturelle mais la dame en savait plus long que moi sur le sujet. Elle reprit ses commentaires : « Drôle de sélection puisque la plupart d’entre-nous sont devenus stériles par l’opération d’apprentis sorciers machiavéliques qui réussissent le formidable prodige selon eux de nous rendre toutes identiques, rectilignes par notre racine, d’une couleur uniforme et calibrées certes mais parfaitement insipides. »

    Il me fallait acquiescer tout en m’émerveillant de la lucidité de ce légume. J’allais lui découvrir en plus un joli brin d’humour. « Comment voulez-vous qu’on se sente bien dans notre assiette ? Nous sommes devenues des photocopies les unes des autres, incapables de la plus petite singularité. Est-ce donc le monde que vous voulez ? »

    Je dus lui avouer que les grands groupes industriels qui agissent de la sorte considèrent aussi les humains comme des robots, de simples consommateurs conditionnés par les sornettes de la publicité tandis que les gouvernements qui ne prennent jamais de la graine de leurs erreurs passées interdisent les semences naturelles car ici bas, tout doit s’acheter et rien ne peut se reproduire sans permettre à quelques-uns de s’engraisser ! »

    La carotte s’arracha quelques tiges. Ce que je venais de lui confier l’horrifia.  « Ainsi, dit-elle, je suis sacrifiée pour des êtres qui n’en valent pas la peine ! » Que pouvais-je lui répondre ? Je n’ai pas osé lui raconter que désormais des industriels râpent ses consœurs pour les glisser dans des bains prétendument hygiéniques afin de les livrer en barquettes plastiques après d’immenses voyages en camion pour être consommées par des abrutis qui ne sont même pas capables de préparer une excellente vinaigrette ou une sauce moutarde.

    Fallait-il lui dire encore qu’elle serait lavée, épluchée par des robots car l’usage de l’économe est inconnu du citadin moyen, mise en boîte sans le plus petit sens de l’humour. À moins qu’elle ne soit plongée dans le grand froid pour finir surgelée et aggraver ainsi le réchauffement climatique ? Elle n’aurait pas pu comprendre…

    Je quittai ma vénérable carotte, n’ayant ni le cœur ni l’envie de lui mettre les pieds sur tête. Elle était partie dans ses rêves d’autrefois, elle se voyait dans une nature sauvage, diversifiée. Elle se rappelait que sa grand-mère lui avait dit que des papillons de toutes les couleurs venaient parfois butiner ses délicates fleurs. Mon dieu qu’elle aimerait pourvoir vivre pareille expérience. Elle parlait dans ses songes et c’est ainsi que je me rendis compte que les carottes avaient une âme, elles aussi…

    Je m’éloignai délicatement avec mes gros sabots pour la laisser à ses rêveries. Soudain j’entendis un vacarme épouvantable. Un engin agricole démesuré ayant sur son  flanc une sorte de tapis roulant, était entré en action. Ma carotte subit le même sort que ses consœurs, arrachée sans ménagement à sa terre nourricière, débarrassée sans ménagement de ses fanes, ballottée de tapis roulant en éjecteur violent, elle chut parmi toutes les autres dans une immense remorque.

    Elle passa quelques jours dans un silo frigorifique en attendant que les cours de la carotte redressent la tête. Malheureusement en bonne carotte française, elle ne put rivaliser avec ses homologues qui nous viennent de Chine. Gageons qu’un jour, un nouveau virus viendra nous récompenser de marcher ainsi sur la tête.

    Ma chère carotte se retrouva dans un immense bain-marie, elle devint une soupe industrielle en compagnie d’autres légumes qui n’avaient pas trouvé acquéreurs. Elle fut mijotée dans quelque chose qui ne semblait pas n’être que de l’eau et elle trouva fort de légumes de se voir ainsi salée si abondamment. Elle fut mise en carton, finit sa course folle dans un supermarché après un nombre incroyable de voyages en semi-remorque. Elle qui avait le mal des transports, elle était servie.

    Son carton fut acheté un jour de promotion. Il traîna longtemps au fond d’un placard et un jour de confinement, une ménagère exaspérée découvrit que sa date limite était dépassée. Elle se retrouva dans une benne à ordures que des éboueurs vinrent quérir, sans protection aucune contre la pandémie qui clouait chez eux une grande partie de la population.

    Ainsi s’achève l’aventure de cette carotte qui un jour me confia ses états d’âme. J’espère qu’au paradis des légumes, elle regarde navrée ce qui se passe sur cette planète.

    Industriellement vôtre.

dimanche 26 juillet 2020

Marcher sur un trottoir, c’est le foutoir …

Un petit vélo dans la tête.
 




    Il fut une époque où tout était simple. Vous apparteniez à l’une des trois grandes catégories que le hasard, la nécessité et vos habitudes avaient déterminées. Les uns étaient piétons, les autres cyclistes et les plus nombreux regardaient ceux-là avec condescendances bien à l’abri dans leurs automobiles rutilantes.

    Un monde facile à décrypter surtout pour les piétons, qui allaient tranquillement sur des trottoirs que seuls quelques chiens mal accompagnés leur disputaient, semant parfois des souvenirs détestables qu’il convenait d’écraser uniquement du pied gauche. La belle vie en somme, avec parfois, sur le trajet, des riverains, assis sur une chaise placée sur le devant de leur façade, prompt à déclencher la discussion. 

    Que s’est-t-il donc passé pour que cette société si sereine se transforme au point qu’une poule ne peut y reconnaître ses poussins, sur la chaussée ou bien ses abords ? Laissons le soin aux futurs sociologues de cette époque qui marche sur la tête de connaître réellement les tenants et les aboutissants de cette révolution urbaine.

    Il y a d’abord eu l'élimination progressive du vélo en tant que mode de transport. Les enfants surtout se sont vus priver de la selle pour des raisons de sécurité. La route étant devenue au fil du temps et curieusement des limitations de vitesse un espace de non droit pour eux. Une voiture, quelles que soient les conditions, se devant de doubler des cyclistes y compris dans un virage sans visibilité.

    Puis le vélo s’est métamorphosé, conquérant des territoires jusqu’alors non carrossables. Il a connu une multitude de transformations lui donnant accès à la montagne, la forêt, les plages, les chemins creux ou de halage, les parvis de nos cathédrales et même les espaces spécifiquement urbains. Ni les creux, ni les bosses, ni les barrières n’entravèrent son retour en force. Pour bien montrer qu’il devenait résolument moderne, des cossards l’équipèrent d’une propulsion électrique. Il pouvait ainsi faire des étincelles !

    Il ne s’en priva d’ailleurs pas. Plus les humains qui l’enfourchaient étaient bariolés, casqués, gantés, plus ils se donnaient le droit de tourmenter les malheureux piétons, devenus des quilles à abattre pour ces furieux de la vitesse en dehors de la chaussée. Marcher devenait déjà une expérience à haut risque. Ce n’était pas fini …

    La mode s’empara du phénomène en cherchant à décliner les possibles avec deux roues ou deux jambes. Ce fut une extraordinaire course à l'innovation. Patins, trottinettes, skates, planches, vélos couchés, debout, draisiennes firent leur apparition sur nos trottoirs, connaissant à leur tour les joies des encombrements de circulation. Ajoutons dans ce méli-mélo de la mobilité toutes les variantes possibles du déplacement à pied et vous voyez un peu qu’il y a de quoi s'arracher les cheveux pour organiser le joyeux bazar !

    Joyeux certes pas pour les victimes de ce délire. Membres cassés, têtes fracturés, plaies innombrables, contusions multiples, le déplacement devenait tellement aléatoire et dangereux que des hommes en arme furent envoyés pour tenter de réguler la foule et de mettre un peu de plomb dans la tête aux plus récalcitrants.

    Peine perdue, la mobilité était en marche ! La fée électrique vint semer un nouveau vent de folie et de vitesse. On équipa tout ce qui peut bien se mouvoir de batteries, piles et autres capteurs d’énergie nucléaire pour donner à cette agitation des airs de frénésie incontrôlable. Ce fut une pleine et entière réussite. Les trottoirs recevaient désormais des usagers allant à des vitesses radicalement différentes dans tous les sens et sans aucune logique. Marcher devenant une gageure hautement risquée, même sur les mains du reste.

    Quant à nos parlementaires qui ont d’autres chats à fouetter que de légiférer sur ce micmac infernal, eux qui bénéficient de la gratuité à vie des déplacements ferroviaires et usent plus que de raison de l’avion, histoire sans doute de prendre de la hauteur, ils ne se soucièrent guère de la situation sur nos trottoirs jusqu’au jour où l’usage gilet jaune fut détourné de sa fonction initiale. Il fallait empêcher les gens d’aller à pied dans nos villes, ils découvraient que c’était trop dangereux.

    C’est ainsi que la loi donna le droit au préfet de rendre impossible les déplacements en masse de marcheurs portant banderoles, afin de laisser la chaussée aux seuls automobilistes et nos trottoirs à tous ces bons citoyens qui font tourner l’économie chinoise à plein régime en se déplaçant sur des engins électriques.

    Voilà, vous savez désormais la raison réelle de cette loi liberticide promulguée paradoxalement par une majorité qui se dit « En Marche ! » Aller sur ses deux pieds est désormais un choix antisocial et contraire aux intérêts économiques à moins que très bientôt la chaussure électrique ne vienne redonner sens au déplacement bipédique.

    Marcheusement leur. 




samedi 25 juillet 2020

Au pays des chats et du chêne.

Jargeau : une histoire de Loire !
 
 




    La Loire durant son histoire a pris des aises dans ce vaste Val au sein duquel elle n’a cessé de changer de lit. Était-elle volage, indécise ou bien versatile ? Chacun donnera son interprétation à ces fréquentes tergiversations. Toujours est-il que Jargeau fut tour à tour oublié par la rivière, île ou bien riveraine. Le nom de ses rues atteste de la présence de terres sableuses ou peu fertiles : Sablon, Chapotte, Brosses, Chaîntres, Bâte et Varannes.

    L’eau a envahi bien des terres, les transformant en marais ou bien en zones d’écoulement. C’est ainsi que nous trouvons des rues portant traces du passage de l’eau : Boyau, Bezis, Bourdinières, Marchais, Avallées et Boires. Nous devinons aisément que le territoire ne fut pas simple à domestiquer face à cette diablesse instable.

    La présence humaine fut malgré tout très ancienne, la Loire attirant toujours les implantations des groupes de chasseurs, cueilleurs, pêcheurs. Des bifaces découverts dans le secteur tout comme la présence d’une rue de Mein, semblent attester d’une lointaine pierre Mégalithique. Pour assurer durablement la vie des ligériens, comme bien souvent ce sont des communautés chrétiennes qui ont œuvré.

    Au IV ° siècle, une église se bâtit sous l’impulsion de sainte Hélène, une amie de Saint Martin. À chaque fois qu’on évoque le moine guerrier, il convient de chercher le culte Celte qui a été effacé par son passage. À Jargeau, l’interrogation demeure même si la légende du pont du diable atteste certainement que les vieilles croyances demeuraient encore à fleur d’eau.

    L’influence de l’abbaye de Fleury peut s’être fait sentir même s’il n’est pas exclu que comme pour Saint Martin d’Abbat, ce soient les clunisiens qui s’imposèrent ici. Les cultes de Saint Vrain, patron des vignerons de l’Orléanais et de saint Marcouf, Saint guérisseur qui n’a jamais mis les pieds à Jargeau mais dont les vertus thérapeutiques étaient toutes indiquées compte tenu de l’influence d’une Loire qui n’est pas encore certaine de son lit : tuberculose, écrouelles, furoncles, abcès, anthrax.

    À partir du X° siècle, Jargeau fait son apparition sur les cartes royales et les bulles pontificales. En 1154, sous l’impulsion de l’évêque Manassès de Garlande, la Foire aux "Châts" (ce sont des châtaignes) est créée. C’est forcément le début de la légende. Quelques années plus tard, Manassès de Seignelay, évêque d'Orléans, lance les travaux du premier pont de pierre connu à Jargeau entre 1207 et 1221. Une belle histoire pouvait naître, de celle qu’on retrouve aussi à Beaugency comme dans maintes régions françaises. En cette lointaine époque, Satan avait monté une vaste entreprise de génie civil même s’il fut toujours payé en monnaie de singe.

    Est-ce les remous sous le pont qui provoquèrent alors les turbulences historiques qui agitèrent la cité des chênes (Garrigoïalum, de Garrig signifiant le chêne) ? Toujours est-il qu’il y a eu du mouvement en bord de Loire entre la guerre de cent ans et la guerre de religion. C’est naturellement Jeanne d’Arc qui offre à la cité son heure de gloire le 12 juin 1429. Après la délivrance d’Orléans le 8 mai, la Pucelle se lance dans la libération des ponts enjambant la Loire.

    D’une importance stratégique considérable, le pont est également un enjeu économique. La Lorraine ne s’y trompe pas puisqu’elle monte à l’assaut des maudits anglois. Dans le tumulte, Jeanne d’Arc pose une échelle le long des remparts de la ville. Un Anglais sournois lance une grosse pierre contre l’assaillante qu’il blesse à la tête.  Elle poursuivra son périple de la Loire à cheval en libérant le Pont de Meung-sur-Loire le 15 juin puis celui de Beaugency les 16 et 17 juin. La demoiselle ne perdait pas de temps.

    Puis l’église réformée s’implante de manière très importante dans notre région. L’Orléanais en devient même la place forte au Nord de la France (ne le répétez pas). Les querelles ne manquent pas d’éclater entre les tenants des deux cultes. Jargeau connaît son lot de désolantes destructions. Les édifices religieux subissent de graves dégradations.

    Fin août 1572, malgré l’édit de pacification entre catholiques et protestants, la tension est à son comble. Après l’annonce du massacre de la saint Barthélémy, les catholiques du Loiret ne veulent pas être en reste. Le 25 août et les jours suivants, ils se lancent dans des crimes épouvantables. Les insurgés reconnaîtront la mort de 1200 hommes, près de 600 femmes et des enfants en grand nombre, tous jetés à la Loire qui sera rouge sang.

    Les tueries se prolongeront jusqu’au début septembre et naturellement Jargeau aura à son tour à connaître l’effroi toute comme au château de l'Isle, seigneurie de Jérôme Groslot, à Beaugency, Fleury, Châteauneuf, Saint Benoît-sur-Loire. Une conséquence de cette désastreuse explosion de violence sera l’interdiction de manger les poissons de Loire durant un long moment, abreuvés qu’ils furent de sang humain. Hélas cette fois, les chats avaient fait comme les chiens !

    L’Édit de Nantes en 1598 fait de Jargeau une place de sûreté protestante (d’où la rue du Temple). Vingt-trois ans plus tard, la ville repasse dans le camp catholique et du Duc d’Orléans. La fronde apportera elle aussi son lot de heurts et de malheurs en 1652. La ville d’Orléans est acquise à la révolte des Princes (ne l’ébruitez pas). Louis XIV passera par Jargeau pour gagner Gien et sauver son trône.

    La Révolution apportera elle aussi son lot de troubles. La nuit du 4 août, Jargeau échappe à la tutelle de l’évêque d’Orléans et devient chef-lieu de Canton. Les représentants communaux se réunissent au Châtelet. La terrible débâcle de 1790 emporte le pont, la ville sera frappée de plein fouet par le double effet des troubles politiques et de la perte de son précieux pont.

    Le degré des vingt lieux du parlement de Paris en 1577 va considérablement modifier l’agriculture locale. De Châteauneuf à Beaugency, la monoculture de la vigne sera reine. Jargeau n’échappe pas à cette folie. Les rues portant le nom de clos attestent de cette longue histoire qui s’achèvera avec la crise du phylloxera de 1876 à 1891. La fin de la Marine de Loire sera elle aussi durement vécue à Jargeau, ville qui avait l’honneur d’avoir la chopine de la plus grande contenance.

    Les grandes crues de 1778, 1825, 1846, 1856, 1866 apportèrent elles aussi leur lot de drames et de destruction. Les levées furent remontées par Napoléon III tandis qu’un déversoir en amont de Jargeau fut construit. Il convient enfin d’évoquer les ponts, celui en bois de 1833, puis le pont suspendu de 1927 dont les câbles furent sectionnés pour ralentir l'armée allemande en 1940. Les travées effondrées sont reconstruites jusqu'en 1943 et le pont fut bombardé par l'aviation alliée en 1944 et reconstruit en 1945. Il sera détruit en 1989. Un nouveau pont le remplacera sous laquelle la Loire devient souvent un passage infranchissable avec les restes des autres ponts.

    La chronique des ponts n’est sans doute pas éteinte puisqu’un nouveau pont fait polémique. Gardons-nous de prendre parti dans un sujet trop complexe pour l’évoquer rapidement. Si vous avez apprécié ce récit, venez donc samedi soir à Jargeau plage écoutez le Bonimenteur et ses histoires en alternance exceptionnellement ce soir-là avec le groupe marinier des copains d’Sabord. Début du spectacle à 20 heures, l’histoire et la Loire seront à la fête.

    Gergoliennement vôtre.



vendredi 24 juillet 2020

Cacophonie et cancanage

Un canard en queue de pie.
 




    Un gentil canard, palmé comme il se doit, se mit dans la tête de diriger un orchestre à mille cordes. On ne mesure jamais les dégâts que font certaines paroles de chanson dans des esprits simples. Pour réaliser son rêve, le palmipède se dota d’une queue de pie, pensant bien naïvement que l’habit faisait le faucon pèlerin à défaut de moine. Pour la baguette, son bec plat ferait bien l’affaire, c’est du moins ainsi qu’il comptait mener la troupe.

    Il arriva de sa démarche claudicante quand derrière les pupitres, un clarinettiste narquois s’écria : « Ça nous fait une belle jambe, il a un rhume de hanche ». La remarque eut son effet et le pauvre animal sentit qu’il lui faudrait reprendre en main au plus vite cette troupe dissipée. Mais voilà, à l’impossible nul n’est tenu, le canard en la matière était fort dépourvu.

    Il passa outre et réclama le silence quand un rossignol émit un bémol : « Je suis plus qualifié que vous pour prendre la direction. Mon ramage est connu de tous tandis que le vôtre a fâcheuse réputation ! »  Les musiciens prirent partie, les uns pour le chef, les autres pour le dissident. La cacophonie menaçait dans les travées quand un colibri vint éteindre la querelle de quelques gouttes d’eau.

    Les esprits calmés, la question du répertoire se posa à tous. Les uns voulaient des marches, les autres des symphonies, certains réclamaient des concertos quand beaucoup penchaient pour une petite ballade. Le canard n’entendait rien à toutes ces classifications, il réclama un petit air pour se faire une idée … Les oiseaux siffleurs lui volèrent dans les plumes, le tintamarre reprit de plus belle.

    Comment leur couper le bec ? La question s’imposait au chef menacé de sédition. Le temps allait lui manquer pour réaliser son rêve. Il se résolut à prendre une clef qui traînait sur le sol. Il voulut la glisser dans une serrure pour remonter le temps. La chose s’avérait impossible, la fuite inexorable du temps s’imposa à lui. Une cane blanche vint à son secours, prenant les oiseaux à témoin, elle leur demanda de suivre aveuglement son ami et de cesser toutes querelles dans l’instant.

    Un accord se fit, hélas il était mineur. Le canard le voulait majeur quand un rouge gorge fut pris d’une quinte de toux. Ce fut le signal de la débandade. Les oiseaux s’envolèrent de toutes parts, laissant le canard et sa cane seuls devant la fosse d’orchestre. Au loin, un coq chanta, un chien aboya, un âne hennit. Rien de mélodieux hélas dans ce réveil de la nature. Un urbain, nouveau résident dans le pays, ouvrit ses volets en colère. Tout ce bruit lui était intolérable.

    La reprise de l’économie avait coupé le sifflet des oiseaux, il convenait de bâillonner les autres animaux. Sans plus tarder, il saisit la justice pour obtenir son droit au silence. Les juges lui accordèrent une oreille bienveillante, c’était un député de la majorité qui venait d'acquérir une belle propriété en bordure de forêt. Le canard fut condamné au bannissement, le coq se retrouva juché sur un clocher et figé à tout jamais dans le plomb, le chien reçut une muselière et l’âne fut copieusement bastonné.

    La sentence déplut au fier ongulé qui d’un fabuleux coup de sabot botta les fesses de l’irascible plaignant et des juges complaisants. Devant ce spectacle plaisant, tous les oiseaux du point du jour revinrent à tire d’aile pour chanter l’amour de la nature. Le canard réhabilité promit de ne plus jamais se mettre de telles sornettes en tête, il rendit sa queue à la pie. Le coq retrouva la terre ferme, le chien profita de sa nouvelle liberté pour mordre le mollet des hommes en robe. Quant à l’âne, il se fit un plaisir de raconter cette histoire sans queue ni tête.

    Stupidement sien.


jeudi 23 juillet 2020

Descendre la Loire en canoë.


Conseils d’un béotien pour les néophytes.
 



  
 Une aventure au long cours en canoë sur la Loire ou un de ses affluents réclame quelques précautions préalables. L’hiver va arriver à propos pour vous laisser le temps de vous préparer à ces vacances originales.

    La première consiste dans le choix de votre embarcation. Un compromis entre poids, taille, stabilité et maniabilité s’impose. Chacun trouvera midi à sa porte mais l’essentiel est d’essayer votre futur compagnon de route au risque d’un divorce ou d’un chavirement inopiné. Votre position à son bord doit être confortable, vous allez y passer des heures. À titre personnel, j’ai toujours pensé qu’une rame symétrique avec pagaie était préférable à la pelle du canoë même si en disposer d’une permet de varier les plaisirs. Les spécialistes et les puristes s’insurgeront contre cette hérésie.

    Essayer votre canoé ou votre kayak suppose de le faire en conditions réelles avec tout le barda. Ce n’est qu’ainsi que vous jugerez de la faisabilité de votre projet. N’ayez aucune crainte, comme pour les grandes randonnées pédestres, vous embarquez toujours beaucoup trop et vous finissez par vous délester au fil du voyage. Pensez donc à user des conseils d’une personne ayant effectué un raid comme celui que vous envisagez.

    Le matériel transporté doit supposer un examen rationnel de la chose. Non seulement il faut des bidons étanches mais vous devez apprendre à les repérer, à organiser un rangement dans cette étrange valise mal commode. Vous devez encore penser à l’amarrage des bidons afin de ne pas les voir disparaître en cas de chavirement. Pour moi, la chambre à air de motocyclette découpée en lanières est l’objet idéal à l’utilisation rapide et efficace.

    Autre gros problème, la sécurité de vos trésors. S’éloigner du bateau c’est prendre le risque de tout voir disparaître. Il convient non seulement de trouver une chaîne et un cadenas pour votre destrier mais également un dispositif dissuasif pour les petits larcins. Pour les véritables actes de pirateries, vous serez totalement démunis, le mieux étant de ne jamais trop vous éloigner de votre compagnon.

    Ce qui suppose donc des roulettes afin qu’il puisse vous suivre dans un terrain de camping ou bien un passage trop délicat qui nécessite une sortie de l’eau. Là encore le choix est primordial et la qualité en ce domaine très inégale suivant les modèles. À vous de penser la chose solide, efficace et surtout d’une mobilité aisée.

    Maintenant, sur l’eau il convient de ne jamais oublier le gilet de sauvetage en dépit de la tranquillité supposée de la rivière. Choisissez un modèle confortable, seyant, capable de vous permettre d’aller dans les villages traversés sans passer pour un extra-terrestre. Ceci est une question d’esthétisme mais aussi de capacité à ne pas être repoussé par les autres.

    Les chaussures étanches et sécurisées s’imposent. Aller pieds-nus pour une telle aventure est pure folie. Cailloux, verres, canettes et autres surprises sont là qui attendent sournoisement leur heure. Un pied blessé, c’est la fin du parcours. La crème solaire est également dans l’indispensable panoplie de l’aventurier ligérien. Méfiez-vous des ciels trompeurs et n’oubliez pas non plus les lunettes de soleil qu’il convient d’attacher.

    Tout attacher, c’est la règle sinon tout finit immanquablement par tomber à l’eau. Chacun trouvera ses petites astuces qui vous viendront au gré des sorties préparatoires. Le sac à dos étanche est indispensable lui aussi pour avoir avec vous vos trésors personnels : carte bleue, argent liquide, appareil photo, ordinateur ou téléphone.

    Maintenant place à la navigation. Ne soyez pas galérien. Donnez-vous un programme qui laisse le temps aux rencontres, à la flânerie et aux visites. Ce n’est pas une épreuve sportive. Six heures de navigation sont assez, au-delà ce n’est plus du plaisir surtout si c’est ainsi des semaines durant. N’oubliez pas non plus que toutes les opérations de la vie quotidienne demandent dans pareille aventure plus de temps, de la toilette aux besoins pressants, des repas aux achats pour le ravitaillement. Un véhicule d'assistance vous simplifiera la vie mais vous fera sortir du cadre aventureux. C’est à vous de voir.

    L’hébergement réclame une grande capacité d’adaptation. Des opportunités se présenteront à vous pour un hébergement, une nuit sur une toue, un campement sauvage ou bien une  proposition insolite. Il convient de ne pas se couper de tels bonheurs par un plan de route trop rigide. Les campings sont pour autant des points de chute très convenables.

    Dormir sur une île n’est pas toujours recommandé ni même autorisé. Vous risquez encore de déranger la faune et de provoquer quelques désagréments. Vos besoins naturels supposent alors respect et organisation. Je doute que chacun soit disposé à faire ce qui convient en ce domaine. Même si le sujet peut prêter à rire, il est fondamental et ne pas y songer c’est devenir à votre tour un souilleur de rivière.


    La navigation demande connaissances et prudence. Des guides existent, nous pourrions vous les conseiller mais nous préfèrons que vous alliez vous renseigner auprès d’un club de canoë Kayak. C’est ainsi que vous aurez en plus des conseils bien plus précis que ce bref petit texte. La distance que vous allez parcourir est si grande que bien peu pourront vous enseigner tous les pièges qui seront sur votre trajet. C’est ainsi qu’il vous faudra souvent interroger ceux qui connaissent les lieux.

    Le passage des ponts est parfois périlleux. Un repérage s’impose quand ceux-ci sont anciens. N’hésitez jamais à accoster en amont et vous rendre sur le pont pour voir d’en haut ce qui vous attend en bas. Si le passage vous parait trop dangereux, les roulettes vous sauveront la mise car un chavirement dans pareil cas peut tout remettre en cause.

    Voilà, vous pouvez préparer votre aventure. Elle mérite d’être vécue. Nous sommes de ceux qui pensent qu’elle mérite d’être réalisée en solitaire. Si vous préférez un compagnonnage, choisissez bien votre ami et disposez d’un bateau chacun. Pensez à votre confort. Bien dormir est nécessaire, pouvoir s'assoir confortablement durant les repas et les pauses aussi. N’oubliez pas de nous raconter votre périple, de partager clichés et sensations, rencontres et anecdotes. Votre voyage deviendra alors une occasion d’évasion pour ceux qui n’ont ni la possibilité ni les moyens de le faire. Le partage sera un cadeau que vous leur ferez.




mercredi 22 juillet 2020

L’île aux vaches.

L’échappée belle.
 



    Il était un temps où les îles de Loire étaient entretenues gracieusement par les animaux qui y paissaient tranquillement sans nul besoin de clôture. Les bêtes : caprins, bovins, porcins y étaient conduits en charrière, abusivement appelées Passe-cheval car les chevaux de traits goûtaient moyennement l’aventure et avaient bien moins usage de ce large bateau que leurs homologues brouteurs.

    Les animaux sur l’île vivaient au rythme de la journée sans avoir à se soucier des humains. Ils broutaient et avaient ainsi un rôle non négligeable dans l’entretien de la rivière. Grâce à ces pâtis, ces pâtures libres et naturelles, les crues des mauvaises saisons risquaient moins de rencontrer des arbres au milieu de l’eau.

    L’histoire débute à Lusseaux en amont de Montlouis-sur-Loire. Les vaches du père Gaston paissaient sereinement dans l’île de la Montjoie. Elles s’y sentaient en sécurité, habituées qu’elles étaient à y passer la belle saison en une époque lointaine où les vacances étaient inconnues de leurs maîtres. Elles prenaient leurs quartiers d’été après une traversée qui leur aurait fait tourner le lait si elles avaient été des Prim’Holstein, vaches flamandes ou bien des frisonnes au pis noir. Mais c’étaient de braves bêtes bien de chez nous, des Charolaises et des Nantaises qui cohabitaient sans heurts.

    Le fermier avait placé son cheptel dans un joyeux désordre. Le transbordement du troupeau n’était pas chose facile, la vache est récalcitrante quand il convient de mettre le pied sur un bateau qui tangue. Puis quand elle est installée, côte à côte avec ses voisines, assez serrées pour qu’elles ne pensent pas à sauter à l’eau, elle demeure inquiète. la bourde, cette longue perche destinée à moivoir l’embarcation effraya nos jeunes parturientes.

    Nous étions en juin, Gaston avait une nièce qui se mariait du côté de Baule, près d’Orléans. Elle allait épouser un fermier qui tenait l’exploitation de la corne des pâtures. Un nom qui avait tout lieu de plaire à son oncle. Gaston, tout affistolé pour la fête avait pris la diligence, s’éloignant de son chez lui pour quelques jours, un évènement rare à l’époque. Poules et cochons avaient été confiés à la surveillance d’un voisin tandis que les vaches étaient sous le regard bienveillant de dame Liger.

    C’est donc l’esprit tranquille que notre Tourangeau se rendit chez les cochons de Baule. Décidément entre les chats de Beaugency, les cochons de Baule, les ânes de Meung et les chiens d’Orléans, il y avait une drôle de ménagerie dans ce secteur de la Loire. En Touraine, la douceur de vivre ne pousse pas à pareils sobriquets idiots. Fort ce ces réflexions savantes, le gars Gaston, tout émoustillé à l’idée de boire et manger plus que son saoul avait omis de s’enquérir du temps.

    Il avait remarqué que les hirondelles volaient bas, que le ciel « s’abeurnissait » et qu’un je ne sais trop quoi remplissait l’air d’une étrange nervosité. Sitôt embarqué dans la diligence, les premières gouttes d’eau tombèrent et ne cessèrent de tomber ainsi durant tout son séjour.

    Le mariage, largement arrosé, sera effectivement heureux et les époux vécurent entourés de l’affection de leurs nombreux enfants. Mais n’anticipons pas, l’aventure ne se passe pas à la corne des Pâtures mais au museau et aux poils des vaches de l’île de la Montjoie.

    Tandis que Gaston cuvait comme un bien heureux, les pluies d’orage incessantes avaient fait monter dangereusement le niveau de la Loire. Les vaches avaient les pieds humides tandis que leur maître n’avait pas mis d’eau dans son vin. La Loire montait de plus en plus, à une vitesse telle que nul ne songea à Lusseaux aux bêtes du noceur. Chacun avait bien assez à mettre à l’abri et devait échapper à la colère des cieux.

    Sur l’île les pauvres bêtes beuglaient tout ce qu’elles pouvaient, appelant au secours, de l’eau jusqu’aux jarrets. C’est alors, qu’averti pour ce bruit d’enfer, un homme vint à leur rencontre sur une allège, un bateau qui dans la tourmente de la rivière, tanguait fortement.

    Les vaches le regardèrent d’un œil bovin, doutant de leur capacité à monter sur ce qui devait leur servir de perche de salut. Elles firent tant de raffut que le malheureux sauveteur s’en retourna dépité de n’avoir pu leur être utile. Fort heureusement, il ne fit pas chou blanc, des lapins étaient eux aussi prisonniers des flots et sautèrent lestement dans son bateau, eux ne s’étaient pas fait tirer les oreilles... 

    L’homme regagna la rive, libéra les lapins et se garda bien de retourner sur ce qui restait de l’île. Il se doutait que la cause était entendue pour les vaches qui allaient périr noyées. Chacun croyant ici que cette espèce se noie en prenant l’eau par le fondement, une rumeur infondée nous allons nous en rendre compte dans l’instant, il se signa et s’en retourna chez lui, ne voulant pas être le témoin impuissant du drame à venir.

    Ne pouvant faire autrement, les vaches se jetèrent à l’eau. Elles n’avaient d’autre secours que de se laisser porter par les flots en tenant le milieu du courant. C’est ainsi qu’à la queue-leu-leu, les intrépides se laissèrent porter, confiant leur destin à la rivière nourricière. Vous dire qu’elles vivaient sans appréhension ce bain forcé, serait ne pas dire la vérité. Des beuglements pathétiques accompagnaient ce curieux cortège tandis que la rivière en colère se couvrait d’un brouillard épais.

    À Montlouis, à quelques kilomètres delà, les habitants avaient tous gagné leurs domiciles, cherchant sous leur toit à se garder au sec dans cette terrible tourmente. Seul le Berlaudiot, au bord de la Loire, qui avait toujours aimé la pluie, chantait sous ce déluge. C’est alors qu’il crut apercevoir dans les brumes un étrange convoi constitué de cornes qui dépassaient des flots en émettant une plainte à vous déchirer le cœur. Ahuri, il admira ce prodige en se signant, persuadé que le diable et ses associés étaient cause de ce tintamarre.

     Pour son malheur, le pauvre simplet alla raconter sa vision à monsieur le curé et à quelques autres personnages de la cité. On le savait dérangé de l’esprit, on se dit que cette fois, c’était la goutte d’eau qui faisait déborder sa calebasse. Il fut envoyé à La Ronce et n’en revint jamais. Montlouis avait perdu son souffre-douleur sans s’en porter mieux pour autant.

    Sur l’eau, les vaches continuaient leur périple. Elles tenaient vaillamment la distance, nageant ou plus exactement se laissant porter à la fantaisie de cette vague furieuse. C’est en arrivant à Tours qu’elles purent enfin mettre les sabots à terre, sur un promontoire au milieu de la Loire. Il n’y avait guère de place mais assez pour qu’elles se tiennent au chaud en attendant des jours meilleurs.

    La colère du ciel s’interrompit. La rivière retourna petit à petit à de plus sages intentions. Les eaux baissèrent et notre troupeau se retrouva sur une nouvelle île, en face de la ville de Tours. L’émotion avait été telle que de concert, toutes les dames se mirent à bêler dans un nouveau concert de beuglements.

    Dans la grande cité tourangelle, il se trouva des mariniers intrigués par ce vacarme qui voulurent se rendre compte par eux-mêmes de ce qui se tramait là. Ils montèrent sur des futreaux et allèrent constater de leurs propres yeux que la rivière avait accouché de vaches et de jeunes veaux sans que la moindre souris ne traîne dans les parages.

    L’affaire fit grand bruit, l’évêque évoqua un miracle, on organisa une procession pour célébrer la chose tandis que les bovins, qui pourtant en avaient assez soupé, eurent droit à une nouvelle aspersion, d’eau bénite cette fois. L’île fut baptisée à défaut des bêtes qui avec leurs cornes évoquaient trop les suppôts de Satan. L’île aux vaches était née de ce miracle ligérien.

    Gaston quant à lui revint de Baule et constata la disparition de son cheptel. Voilà ce que c’est que de vouloir faire la bête. L’île de la Montjoie était devenue celle de sa tristesse. Il se garda pourtant bien de raconter ses malheurs. Il ne voulait pas rejoindre le gars Berlaudiot à la Ronce.

    Vachement sien.


mardi 21 juillet 2020

Infiniment différente …

La Paillote.



    Il est un endroit hors du temps et de l’effervescence de la ville, un lieu unique et bien heureux qui vous attend à la marge de la culture formatée et des représentations convenues. Vous    risquez d'y perdre toute notion de temps et d’espace. Oubliez-vous un peu, acceptez de courir ce risque étrange, ne serait-ce que pour le temps d’une soirée. Rendez-vous sans attendre que l’été nous abandonne à la Paillotte, quai de Prague à Orléans.




    Arnaud Méthivier y tient absolument, ce n’est pas une nouvelle guinguette qui débute là sa troisième saison en bord de Loire, sur la rive-sud, mais bien un espace culturel de plein air. Les nourritures de l’esprit y seront prépondérantes sans naturellement que les terrestres soient exclues du programme. Avec toute sa formidable équipe de bénévoles, il a su installer une bulle infiniment différente de ce qui se fait ailleurs, un endroit qui s’ouvre à la différence.



    Une structure a été montée, un dôme de toile, pour se garantir des intempéries tout en proposant un merveilleux espace avec vue sur le plus beau panorama de la ville. La Petite Loire s’écoule tranquillement au pied de la cale, elle paresse et se prélasse, sans doute pour elle aussi profiter des rumeurs et des notes qui enveloppent cet endroit. Parfois, l’accordéon du Créateur vient ponctuer la soirée, lui octroyant alors cette magie hors du temps des mélodies tirées de l’âme.



    La rumeur de la ville semble s’estomper pour que vous jouissiez de cette parenthèse enchantée. Chacun vient se ressourcer ici, profiter du cadre ou de la programmation, se perdre en contemplation, en méditation ou bien simplement se retrouver en amitié. Il y a comme un petit air de vacances avec le respect absolu de l’autre, de la nature et de cette convivialité qui change tout. On ne se bouscule pas, on se salue, on se rencontre, on discute, on abandonne le clavardage , percevant qu’ici, les masques tombent tout en laissant les grimaces habituelles hors de la place.



    Si la programmation est établie, éclectique et décalée, il y a toujours place pour la surprise, la visite impromptue d’un artiste ou d’un poète, d’une musicienne ou d’une graphiste, de quelques fous joyeux qui s'immisceront là pour poursuivre la soirée, lui donner une nouvelle couleur. Rien n’est figé, tout est possible, tout est permis pourvu que cela se passe dans la bonne humeur.




    Les habitués font place aux promeneurs qui découvrent avec surprise La Paillote. Des cyclistes de la Loire à vélo font halte, profitent de l’ambiance, en oublient de reprendre le chemin. Ils modifieront leur parcours pour revenir le lendemain. La Paillote déboussole les repères habituels, elle efface ce maudit temps contraint, elle dissout les obligations.




    La programmation vous surprendra. Ceux qui n’ont pas leur place sur les scènes des guinguettes sur-vitaminées, déploieront leurs ailes de rêveurs, vous envelopperont de leurs mots et de leurs mélodies. Ce sont d’abord des artisans de la sensibilité, des sculpteurs de l’émotion, des inventeurs d’autres possibles. Les badauds se font chalands, les chalands se font public pour que le partage prenne tout son sens.




    La Paillote, Arno l’a rêvée et tout en lui donnant corps grâce à la convergence de nombreuses énergies, il a oublié de l’extirper du pays des songes. Bulle intemporelle, elle n’a pas pour fonction de vous ouvrir les yeux, bien au contraire. Restez-là, posez-vous pour abolir le temps et les obligations du réel, les soucis du quotidien et les certitudes des idées formatées. Vous vous ferez passagers et acteurs d’une féérie imaginaire.




    Vous pouvez tout aussi bien choisir de rester les pieds sur terre et le gosier en gourmandise. Libre à vous pourvu que vous ne réveilliez pas ceux qui côtoient les anges. Laissez-vous surprendre si le cœur vous en dit, allez à La Paillote, l’esprit libéré et les oreilles grandes ouvertes. Humez les parfums de la rivière, jouissez de la quiétude de l’endroit, profitez, l’été ne fait que commencer.

    Extatiquement sien.




Photographies de Patrick Pommier

lundi 20 juillet 2020

Par les chemins de traverse


à la manière de ...



et en son hommage 



J’aimerais vous narrer ma misère en c’monde
Espérant y aura quelqu’un pour m’écouter un peu
Mais pour sûr personne ici saura me réponde
J’avons m’tourner vers l’gars Gaston, nom d’Dieu
Lui qu’a poussé pareil à d’la mauvaise graine
Qu’a tourné si mal qu’n’a ren pu donné
Moi tout pareil à lui je me démène
Comme un mauvais diable qu’a mal tourné

Quand j’étions tchiot gamin, mon maître d’école
M’a battu comme plâtre pour j’écrive au dret
J’me suis mis à l’ouvrage d’un main si main molle
Qu’j’avons toujours eu des nèfles sous sa dictée
M’a fait copier à plus soif des lignes
Sans qu’jamais j’ai su comprendre
Ces règles et exceptions indignes
Qu’à coups de triques fallu apprendre

J’avions des histoires plein la tête
Un jour j’ai cessé d’les garder dans ma caboche
Qu’importe si la forme en est défaite
J’vons les offrir aux gentils p’tis mioches
J’f’rons pas des livres par brassées
Les mots sont trop lourds avec du plomb
Ma langue suffira pour les faire voyager
Pour tous ceuses qui aiment écouter les larrons


Y’en a ben encore qui m’j’ttent la pierre
Me montrent au doigt comme un mauvais gars
Parce qu’j’m gausse d’monsieur not’ maire
Qu’j respecte en rien tous nos magistrats
Quand j’fons des ment’ries c’est ti unee’honte
J’les tourmente ces pauv’es bourgeois
La rancune au cœur me régl’ront mon compte
C’est sûr qu’ça les mettra tous en joie

Ce qui me console de toutes ces misères
Quand j’irons rejoindre le gars Couté
Y’aura ben queuuque homm’d’afffaire
Pour s’accaparer tout c’qu’j’ai bavé
Découvrant que j’avais dans la cervelle
De quoi faire du blé par grandes brassées
Enfin me l’a bailleront belle
Ceux qu’ont ren fait qu’à m’débiner

S’peut alors que là où qu’jsuis né
Leur vienne l’idée d’poser une plaque
Tandis monsieur not’ bon député
Fera discours d’vant la baraque
Déclarant qu’c’était ma gloire
D’avoir toujours voulu conter
Savent faire d’sacrées belles histoires
Ces canailles qu’ont trop ben tourné




dimanche 19 juillet 2020

Le gué du Héros



Entre Vienne et Clain



Il était une fois il y a fort longtemps de cela deux rivières qui se réunissaient en une confluence qui disposait d’un gué. Endroit stratégique s’il en est, il convenait d’ériger une motte, une butte de terre afin de voir plus loin et de prévenir des arrivées suspectes. L’histoire de nos villes est ainsi constituée le plus souvent de faits en relation avec les rivières qui les bordent. Il n’en va pas différemment à Chatellerault, la belle cité en rive gauche de la Vienne.

Il s’appelait Airaud, était un fier guerrier, ce qui peut sans doute expliquer que bien plus tard, on installa en cette ville une manufacture d’armes. Mais qui se souciait alors des chiens et des fusils ? Araldus venait de Poitiers, il chevauchait quand il arriva près des vestiges de la cité gallo romaine de Briva. L’homme était érudit, il savait qu’en Celte ce mot signifie pont et que sans aucun doute, jadis un ouvrage en bois enjambait les rivières non loin de leur confluence.

Les temps n’étaient plus à la réalisation de telles constructions. Il se dit pourtant que l’endroit s’il avait été propice au franchissement devait pouvoir l’être encore avec un peu d’imagination. Airaud descendit de son fier destrier et examina le territoire qui se présentait à lui. Voilà, se dit-il, une merveilleuse région pour m’installer et établir une vicomterie afin de s’émanciper quelque peu de la domination du Comte de Poitiers.

L’homme avait des ressources et plus encore de l’imagination. Il se mit en quête de gens d’armes pour servir ses intentions tout autant qu’effrayer les gueux qui vivaient alentour. La troupe constituée avec force deniers, le cavalier se présenta sur la rive, menaçant les paysans qui se trouvaient sur l’autre rive.

La réaction ne manqua pas. Craignant que la soldatesque ne s’enhardisse à franchir les rivières pour forcer leurs femmes, les manants qui ne possédaient guère, voulurent éloigner ce péril avec la seule arme que n’ont jamais possédée les simples gens. Ils leur lancèrent des pierres qui par manque de moyen de propulsion, tombèrent toutes dans l’eau.

Chaque jour, la troupe revenait sur la rive, chaque fois le même scénario se reproduisait. Les paysans jetaient tous les cailloux qu’ils avaient ramassés, pensant ainsi, dissuader les hommes en arme de s’approcher de l’eau et de franchir les rivières sur leurs chevaux. Une pluie de pierres tomba ainsi entre Clain et Vienne durant ce curieux siège.

Airaud s’amusait fort des grimaces des paysans. Il se réjouissait en son for intérieur de la totale réussite de son plan. Car chaque jour, il se présentait à eux exactement au même endroit si bien que toutes les pierres lancées finirent par constituer un gué sur le fond de la confluence. C’est une nuit, profitant d’un clair de Lune qu’avec ses soldats il franchit l’endroit et établit son camp sur l’autre rive.

Au matin, les paysans virent ceux qu’ils redoutaient tant, allant et venant paisiblement tout près de leurs maisons. Ils comprirent alors que les soldats n’avaient pas de mauvaises intentions tandis que par leur stratagème ingénieux, ils avaient permis de faciliter le franchissement de ce qui jusqu’alors ne se pouvait pas.

Airaud s’adressa alors à ceux qui allaient devenir les premiers sujets de son futur domaine. «  Vous avez pas votre action permis d’établir les fondations de mon futur domaine. Pour vous remercier, mes hommes vont construire ici une grande tour en bois qu’ils installeront au sommet d’une motte afin de garder le gué. Ainsi vous disposerez de notre protection pour la peine que vous vous êtes donnés depuis quelques semaines. Je me fais, par la vertu de ce gué qui scelle notre union, Vicomte de Castel Airaud, titre qui reviendra à mes enfants par la suite. »

Ainsi fut fait. La vie s’installa de manière plus paisible en ce lieu. C’est ainsi que naquit la ville de Chatellerault. D’un jet de pierres, il est possible de faire le mal mais aussi le bien. Bien plus tard, sous le règne d’Henri IV, un autre prince débonnaire, la cité revint aux origines de l’histoire de Briva en dressant un pont. Le gué disparut dans la mémoire des gens qui n’aiment guère se mouiller pour franchir le pas ou la rivière.

Un port y fut érigé également pour assurer le commerce au fil de ce bel affluent de la Loire. La richesse de ce pays, trouva par là même, l’occasion de se développer. Qu'en ce jour, on célèbre la marine de Vienne n’est que justice. Et pour que passent leurs bateaux, ne jetez pas de cailloux dans l’eau !

Passagement leur.

Des mots qui chantent

  Un livret qui chante … Si vous tendez l'oreille En parcourant ses pages Il n'aura pas son pareil Pour sortir ...