lundi 11 mars 2024

Le choix de la différence.

 

Un cochon indépendant




Un gentil goret de lait broyait du noir de n'être pas, à l'image des trois petits héros de la fable, tout rose et bien lisse. Il avait grandi avec cette idée en tête qu'il devrait vivre caché dans ses montagnes pour éviter le regard des amis des nitrites. Son enfance fut du reste loin d'être un conte de fées, du moins c'est ainsi qu'il percevait les choses…


Son histoire mérite de vous être narrée par le détail tant elle peut vous enseigner sur l'art et la manière d'imposer des normes factices pour entrer dans un moule. Pour notre ami Nustrali, le moule en question ne pouvait être celui d'une charcuterie industrielle, il s'en offusquait dans son plus jeune âge, se désolant de ne pas participer, comme ses cousins porcins, à la grande postérité de l'industrie agroalimentaire.


Il entreprit un voyage d'études financé par les fonds européens dans le cadre de Erasmus. Sa bourse lui permit de gagner le continent pour voir de plus près ce qui le distinguait de ses compères cochons roses. Ce fut pour lui un choc, un profond traumatisme qui mit à mal ses certitudes ou ses illusions. Prenez donc la peine de suivre son aventure ...


Aussitôt débarqué, son instinct le poussa à fuir à toutes jambes la grande ville portuaire qui en dépit de cette appellation ne lui disait rien qui vaille. La force de l'habitude le poussa alors à chercher à s'élever, à fuir cette masse humaine en prenant de l'altitude. Il vit au loin des reliefs, il allait certainement y croiser ses homologues.


Plus il avançait, gravissant d'un jarret solide les lacets, plus il se disait que pour une fois, il avait manqué de groin. Nul cochon rose sur le bas-côté, le porc d'ici ne devait pas avoir obtenu un bon de sortie. Il poursuivit néanmoins son ascension, espérant trouver dans les bois, ses cousins, se régalant ou se reposant à l'ombre de châtaigniers.


Il fut récompensé de ses efforts tout en ahanant sur ce bitume qui lui brûlait les pattes, quand il tomba nez à nez avec un sanglier. L'animal ayant un air de famille, Nustrali se permit de l'apostropher. « Collègue, je cherche les fameux cochons roses du continent pour échanger le bout de gras avec eux ! »


Si la formulation amusa le solitaire, bien peu coutumier des traits d'humour parmi les siens, la réponse nécessitait d'après lui de ménager ce pauvre innocent. Comment lui faire toucher du pied, la situation de ceux avec lesquels il espérait s'entretenir ? Ménager la chèvre et le chou n'est pas aisé pour lui. Cependant, il tourna la langue sept fois dans sa gueule avant que de donner réponse de nature à ne pas lui tourner la tête.


« Mon jeune ami, vous avez fait fausse route. Ceux que vous cherchez, les cochons roses, ont pris leur aises et leurs quartiers parmi les humains. Ils vivent tout près d'eux en dépit d'une odeur qui n'est pas du goût de tous leurs voisins humains. Ils ont choisi des logements collectifs, de vastes ensembles, afin d'être nourris aux frais de la princesse. Pour les trouver, fiez-vous à votre odorat en cherchant à gagner la campagne et les algues vertes. »


Nustrali remercia aimablement celui qui l'avait plongé dans la perplexité. Que signifiait exactement sa tirade. Qu'entendait-il par logements collectifs ? Qui étaient ces humains offrant le gite et le couvert à ses cousins porcins ? Autant de questions qui le poussaient à poursuivre sa quête, avec en prime le désir de découvrir des mœurs totalement inédites dans le monde animal.


Suivie alors une longue marche solitaire, cherchant vainement un fumet qui le mettrait dans la bonne direction. Il se perdait entre toutes ces odeurs, toutes plus nauséeuses les unes que les autres pour un jeune animal ayant grandi dans un territoire préservé. Il commençait à se faire du mauvais sang, ce qui n'est jamais bon signe pour les gens de son espèce, quand une odeur forte, entêtante, lui rappela vaguement quelque chose. Il remonta la piste…


Il se trouvait devant un vaste bâtiment sans fenêtre, ayant une étrange piscine par côté, des silos de l'autre, quelques bouches d’aération tandis qu'à l'odeur épouvantable, il convenait d'ajouter une saleté repoussante alentour. Si là était l'habitat de ceux qu'il enviait tant depuis toujours, il y avait de quoi briser son rêve.


Il entra dans ce qu'il prit immédiatement pour l'antre du diable. Ces fameux cochons roses de ses songes, étaient repoussant de saleté, entassés les uns sur les autres, le regard vide, le poil terne. Tentant malgré l'état déplorable de ces animaux de lier conversation, Nustrali s'adressa à un gros géniteur, un animal imposant qui bénéficiait d'un espace un peu plus grand que les autres pensionnaires de cet établissement concentrationnaire.


« Cher porcin, je viens de Corse et aimerait connaître un peu mieux mes cousins du continent. J'avoue être surpris par vos conditions de logement. Auriez-vous un quelconque intérêt à vivre de la sorte ? Quel bénéfice tirez-vous d'une telle existence sédentaire ? Je m'interroge grandement sur les raisons de votre choix ! »


Le goret regarda d'un œil torve ce nouveau venu, fort différent de lui, à l'accent à couper au couteau de charcutier et à la robe qui ne lui disait rien qui vaille. « Étranger, qui êtes-vous pour juger ainsi de notre existence ? Nous ne manquons de rien si ce n'est d'un peu d'espace et de grand air. Mais il se dit que dehors règne la terreur et l'effroi. C'est pourquoi nous sommes heureux d'être protégés, nourris et surtout soignés avec force antibiotiques, vitamines et autres produits bons pour notre croissance accélérée. Que demander de mieux ? »


Le petit cochon noir voulait en savoir plus. Il avait remarqué que dans des enclos surpeuplés, les jeunes mâles étaient castrés tandis qu’indifféremment garçons et filles s'étaient vus privés de leur fameuse queue en tire-bouchon. Il voulut connaître la raison de ces mutilations honteuses. Il interrogea le géniteur, préservé quant à lui de ces horreurs.


« C'est bien simple, la promiscuité engendre chez les miens des comportements particulièrement agressifs ! Ces mesures de bon sens visent à écarter la tentation chez certains de passer au cannibalisme. Le cochon se doit malgré tout de repousser de telles extrémités en acceptant quelques concessions ! »


Nustrali n'osa pas le traiter d'andouille, quoiqu'il en mourrait d'envie. Il venait de comprendre ô combien son existence dans son île, sous les châtaigniers, en totale liberté, était incomparablement préférable à cette morne attente de la mort qui sévissait dans ce lieu de claustration et de privation. Il quitta l'endroit, prit la poudre d'escampette pour s'en retourner d'où il venait, une sorte de Paradis sur Terre.


Walt Disney lui avait narré des fariboles avec ses cochons tout roses, inventifs, bricoleurs et farceurs. Même s'il devait retrouver le loup sur son chemin, animal depuis belle lurette disparu de son île, jamais il ne vivrait mieux que là-bas. Il retourna prestement dans la grande ville portuaire, prit mille précautions pour que les furieux qui se déplacent à toute vitesse n'en fissent pas de la chair à pâté.


Il demanda l'annulation de son contrat Erasmus, invoqua un cas de force majeure et obtint un billet de première classe. Il rentra au pays vivre le reste de son âge sans se demander désormais si c'était du lard et du cochon. Lui, Nustrali, ne pouvait rêver plus belle existence qu'au pays. Tout est beau, bien et bon dans son île : cochon qui s'en dédit !


 


À contre-sang.

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