samedi 29 février 2020

Le vacher de la Loire



De l’étable à la scène.



Il a grandi en Saône et Loire, nul ne peut décider de sa provenance… C’est pourtant en bord d’Allier, au petit matin naissant, lorsque la brume enveloppe délicatement la rivière que le garçon me confia son incroyable aventure. Est-ce parce qu’il venait de briser un verre rempli de goutte, qu’il put ainsi laisser libre cours à sa verve ? Je ne le saurai jamais !

À l’heure où le coq ne chantait pas auprès de la pendule tandis que trois Jaux donnaient de la voix entre Berry, Bourgogne et Bourbonnais, un musicien vint me narrer son histoire. Les noceurs de la Chavannée dormaient encore d’un sommeil lourd de musique et de belles rencontres, seuls trois hommes s’activaient à la vaisselle. Florentin profita lâchement sans doute de ma présence pour se défiler de la corvée et venir me narrer en détails incertains et vaporeux, le fil de sa vie.

Il naquit à Roanne, le point de départ du chemin sur l’eau. Son enfance fut bercée par la musique traditionnelle. Son père jouait de l’accordéon après avoir débuté au violon. Le jazz manouche et la java l’ont poussé à explorer les vieux airs d’antan. Il l’accompagna alors sur ses flûtes puis sa clarinette. Tous les deux se retrouvèrent sur la musique irlandaise, sans doute plus entraînante pour le garçon de 12 ans.

Les bistrots de village constituèrent l’initiation scénique de Florentin qui avait une attirance toute particulière pour le bar. Les notes et les verres, lui donnèrent cette envie folle de partager sa passion avec des gens simples, loin des circuits classiques. Il écuma les fêtes votives et les comices, les rassemblements et les impromptus avec les Blue-Shuffles, les Drowsy-Maggy et pour finir ETC, ayant enfin compris que les anglicismes ruinaient leur réputation.

Sa passion pour la nature et les animaux trouva son apogée dans la rencontre de Virginie avec laquelle les circonstances les poussèrent à se lancer dans l’expérience de l’élevage de ferrandaises. Fort d’un petit cheptel, le couple fonda une famille. Deux enfants naquirent et grandirent parmi la cinquantaine de bêtes à cornes, jouant dans le foin et s’amusant aux folies de leur père. La première vache achetée fut attelée et présentée au salon de l’agriculture ; Josselin et Victor se prirent d’amour pour les animaux, les tracteurs et la musique.

L’élevage fut labellisé Bio et Virginie choisit la vente directe pour penser une autre forme de relation à la consommation. Les difficultés du métier, les contraintes de l’élevage et la vie les poussèrent à se séparer tout en conservant une relation dénuée des querelles et des désagréments des divorce guerriers. Florentin, relut la formule et sentit la nécessité d’exprimer que c’est en partie l’impossibilité de se retrouver en musique par les contraintes de l’élevage qui fut la pierre d’achoppement de son histoire amoureuse.

Virginie conserva l’élevage, Florentin continua de l’aider occasionnellement tout en s’épanouissant musicalement et en conservant une relation saine avec la mère de ses enfants. C’est ainsi qu’hier il fit un bœuf nécessairement impromptu, la chose s’impose pour un éleveur, avec son groupe « Tarafan » qui propose de la musique Tzigane.

Avec ce groupe, ils écument les fêtes à boudins, jouent parmi les odeurs de frites et ont souvent un verre de bière à la main. La bohème en somme après les bottes de foin et la fourche chaque matin et chaque soir. Florentin retrouve ainsi sa liberté tout en pouvant aller jusqu’au bout de projets comme cette résidence d’artistes dans un lieu de création nommé « La Ferme » entre Roanne et Lyon, gérée par la Comcom du pays entre Loire et Rhône.

À cette occasion la mise en scène du spectacle 2018 du groupe Tzigane a été élaborée. Je ne peux que vous conseiller de les contacter pour profiter à votre tour de ce bonheur exotique et du sourire enjôleur d’Émilie, la chanteuse accordéoniste. La formation est composée de Sandrine à la contrebasse, Serge à l’accordéon, Doudou à la guitare chant, Joseph à la batterie, et Florentin à la clarinette ou aux flûtes.

La soirée s’est terminée fort tard, la narration de Florentin s’en ressent ce matin. Ce récit, quelque peu découpé, manque certes de ligne narrative mais qu’importe. La bonne humeur et le sourire sont au rendez-vous de cette confession matinale qui mérite votre absolution. Une petite gnole nous servira d’eucharistie. Nous allons passer une excellente journée.

Mélodieusement vôtre.



Le rigodon


Du bar à la barre

 


J’ai un chargement qui reste à quai
De belles barriques de la futaie
Il me faut trouver un voiturier
Qui voudra bien s’en occuper



Pour embarquer tes marchandises
Ces si belles et bonnes gourmandises
Il te faudra me payer comptant
Pour qu’on la mette sur mon chaland



Je n’ai pas le moindre sous vaillant
J’ai la bourse vide à présent
Pour acquérir ces belles barriques
Tout est parti dans l’alambique



Tu n’as qu’à me payer en liquide
Car tes fûts ne sont pas vides
Pour que le chemin semble moins long
Nous naviguerons en étant ronds



Si vous avalez toute ma goutte
Ce que vous ferez sans doute
Je serai complétement fauché
Je n’aurai plus qu’à me saouler



Mais tu n’auras plus rien à siffler
Nous aurons déjà tout vidé
Nous avons le gosier en pente
Nous les mariniers de Nantes



Je n’ai plus qu’à crever mes tonneaux
Me voilà au pied du bateau
Pour ne pas tout vous laisser boire
Avant de me jeter dans la Loire



Mon ami, viens donc nous rejoindre
Cesse maintenant de geindre
Tu m’as tout l’air d’un bon lascar
C’est toi qui va tenir la barre



jeudi 27 février 2020

Le ski en question


Mais quand donc s'ouvre la période du chasse-neige ?



Le manteau neigeux est-il doublé de laine polaire ?
Pourquoi dit-on dévaler une pente quand on devrait la démonter ?
Faut-il mettre ses bâtons dans des trous ?
Existe-t-il des carres couchettes dans nos stations ?
Un tire-fesse peut-il être assimilé à un tire au cul ?



Peut-on être fondu de ski nordique ?
Un pisteur peut-il suivre un fondeur à la trace ?
Peut-on s'arrêter sur une fixation ?
Un athée peut-t-il réussir une conversion ?
Mais où voient-ils tous des pistes noires ?



Y-a-t-il plusieurs chaînes au télé-siège ?
Doit-on s'encorder pour une sortie en raquettes ?
Une avalanche est-elle assimilable à un déluge ?
Que penser d'une station qui vous propose le tout à l'iglou ?
À la montagne peut-on avoir le gîte par temps couvert ?



Doit-on prendre les œufs à la neige ?
Peut-on remonter la pente après une chute grave ?
Peut-on avoir une bonne descente sans avoir bu ?
Est-il raisonnable de prendre le dévers à pied ?
Les grosses légumes ne skient-ils que sur la soupe ?



Est-il facile de briser la glace quand on fait une rencontre sur un piste ?
Comment contrôler un dérapage sur le verglas ?
Quand on a oublié sa carte de neige doit-on tirer une pioche ?
Pourquoi le bonnet ne protège-t-il que le crâne ?
Un skieur qui godille mène-t-il bien sa barque ?



Le mono ski est-il réservé au titulaire d'un brevet d'état ?
Comment surfent-ils sans vague ?
Depuis le temps qu'on plante des bâtons, n'a-t-on jamais vu des arbres pousser au milieu des pistes ?
Comment un rossignol a-t-il pu devenir un symbole hivernal ?
Pourquoi les sports divers sont-ils si particuliers ?



Vaut-il mieux perdre par forfait que perdre son forfait ?
Un skieur de randonnée met-il un passe-montagne à ses skis pour gravir la pente ?
Faut-il passer l'arme à gauche pour doubler un biathlète ?
Est-il facile de rouler un patineur ?
Doit-on chercher des crosses à un hockeyeur ?



Les sports de glisse ont-ils connu un décrochage économique ces dernières années ?
Les canons à neige sont-ils vraiment inoffensifs ?
Les dameuses exigent-elles la parité ?
Pourquoi appelle-t-on les motos neige de forte cylindrée les gros cube de glace ?
La queue au remonte-pentes fait-elle nécessairement partie du plaisir du ski ?



Le vin arrive-t-il toujours chaud en haut des pistes ?
Que serait un séjour aux sports divers sans raclette ?
Pourquoi distribue-t-on des étoiles dans une activité essentiellement diurne ?
Faut-il repasser par le stand après une sortie de piste ?
Pourquoi doit-on toujours mettre les chaînes quand il fait froid dehors ?


Spécial 
 
Paul en ski 
https://blogs.mediapart.fr/c-est-nabum/blog/280220/paul-en-ski

mercredi 26 février 2020

Patron, la même chose !

Un verre à la main autour d’un Conte-Loire.



Il était une fois un étrange personnage poussant le bouchon si loin que la tête lui tourna et qu’il émit le désir insensé d’aller raconter des histoires dans les troquets et tavernes, estaminets et caboulots de nos campagnes. Les verres à pied ont ceci de merveilleux qu’ils permettent de voyager tandis que la Loire n’a jamais rien fait de mieux que transporter du vin sans jamais le couper de son eau. Alors c’est tout naturellement, que perché sur un tonneau, le lascar conte la tête à l’envers et le gosier jamais sec.

Le conte n’est jamais écrit sur une ardoise, le patron n’accepterait pas la chose, la maison ne fait pas crédit, elle se contente d’être débit de boissons. Puisque le vin est plus aisément tiré que le liquide avec une carte bleue, laissez-vous donc porter par les Bonimenteries qui remplissent vos oreilles sans faire tourner le petit ballon des hommes en bleu. D’ailleurs durant la séance, vous aurez la chance d’entendre le secret pour que jamais pareille mésaventure ne vous arrive.

Bien sûr la loi Évin vient contrecarrer les desseins de ce personnage, les empêcheurs de devenir ronds sont légion. Il doit conter le vin sans jamais en vanter les mérites. Ce n’est pas en vain qu’il use alors de la circonlocution pour tourner autour du pot sans jamais vous inciter à l’ivresse. S’il vous saoule, ce ne sera que de ses mots et espiègleries, la pondération permettra de glisser quelques points de suspension, le temps de vous laisser l’occasion de trinquer à sa santé.

Pour que les têtes tournent plus aisément, il peut être accompagné de musiciens, le piano à bretelles ou bien la guitare, l’essentiel est de ne jamais finir au violon. Quelques notes que vous n’aurez pas à régler, des chansons à boire ou bien des mélodies à danser. Le comptoir deviendra une scène de Loire à la seule condition de ne boire que le vin de nos coteaux. Ils sont si nombreux nos merveilleux cépages, nos sublimes appellations que vous prendrez racine à l’écouter jusqu’au bout de la lie.

Le coquin est aussi écrit-vin. Il trempe sa plume dans les meilleures chopines pour vous offrir de gouleyantes histoires à lire sans modération. Si étonnamment vous perdiez le fil des mots, dame Parcimonie vous fera la lecture à haute voix, avalant d’un trait espiègleries et récits à vomir debout. Rien n’est sérieux au pays de la fable, le comptoir devient navire qui chaloupe entre deux eaux et de nombreux tonneaux.

Vous découvrirez encore l’art de percer les douzilles, histoire de boire à l’œil. Il vous faudra conserver le pied marin pour éviter de passer par-dessus bord. Les seuls débordements permis seront ceux de l’affabulateur de service. Vous comprendrez également que si ce berlaudiot fait l’âne c’est uniquement pour rendre hommage à Martin et son fidèle compagnon. C’est à lui que nous devons la taille de la vigne et parfois du costard. Les auditeurs trop sérieux, n’auront qu’à passer leur Chenin.

Tout en sifflant une bouteille, il vous narrera douces merveilles, vous serez alors gais comme pinson. Certains feront les coqs, d’autres quelques singeries pourvu qu’aucun ne se comporte comme un goret. L’essentiel est de rester copain comme cochon. La soirée sera belle, les étoiles ne seront pas sur la bouteille, ici ce n’est que du bouché, mais dans le ciel et les cœurs. Acceptez de redevenir des grands enfants, vous glisserez un biscuit à la cuillère dans votre verre de crémant. Les bulles feront le reste, elles feront des ronds concentriques qui de convive en convive rejoindront la rive.

Le voyage terminé, vous pourrez rentrer chez vous non sans avoir glissé dans le chapeau de quoi remercier le parleur. Le service n’est pas compris, on ne paie pas les musiciens avec des pièces jaunes, il faut les laisser à ceux qui nous roulent dans la farine. Je vous fiche mon billet que vous verserez votre obole au denier de l’inculte, un geste qui viendra du cœur et qui ne tirera pas à conséquence.

Il ne nous reste plus qu’à dénicher tavernières et bistrotiers, tenanciers et tenancières, aubergistes et cafetiers qui veuillent bien ouvrir leur porte à cette curieuse invitation. Point n’est besoin de faire la manche, une tournée s’impose, celle de tous les troquets des bords de Loire ou de nos terroirs. Quant à la tournée du patron, je ne doute pas qu’elle fasse partie du programme. Il serait fort dommage que nous restions sur notre faim. C’est un verre à la main que je vous donne rendez-vous au Conte-Loire !

Cabaretement leur.



mardi 25 février 2020

Mieux vaut croquer la pomme.


L’insidieux message.
 
 

    Il était une fois un jeune marinier qui faisait tourner toutes les têtes. Le garçon était de ces gens qui concentrent tous les avantages et avancent dans la vie enveloppés d’une aura mystérieuse. En avait-il conscience ? Nul ne peut l’affirmer tant son comportement était empreint d’une immense simplicité. Il était ouvert aux autres, disponible et toujours disposé à aider celui ou celle qui était dans le besoin.

    Il devait bien remarquer pourtant qu’à chaque arrêt dans une taverne il provoquait un étrange remue-ménage parmi la gente féminine, du moins chez les demoiselles qui étaient en quête d’une belle histoire, d’un peu d’amour et bien plus si affinité. Des autres, il recevait des regards envieux, enfiévrés parfois et souvent embués de regrets d’un rêve impossible. Il était beau comme un dieu, fort comme l’étaient tous les mariniers d’alors, souriant et pour ne rien gâcher, intelligent et aimable.

    C’est sans doute cette dernière qualité qui provoquait émois et troubles chez les charlusettes de toutes les villes ligériennes. On aurait pu croire qu’elles faisaient toutes assaut de sourires et d’amabilités, d’œillades enflammées et de propos enjôleurs. Les compagnons de bord de notre gentil Éric essayaient bien de profiter de l’agitation qui régnait à son approche pour tirer au mieux leur épingle du jeu. L’indécision de l’éphèbe leur ouvrant souvent des opportunités qu’ils savaient saisir dans l’instant.

    Éric n’était pas un coureur de jupons. En dépit de son immense succès, il devait être à la recherche d’une femme d’exception, un idéal de perfection qui le conservait dans son état de puceau que toutes les femmes de Loire rêvaient de déniaiser. Elles se faisaient Messaline pour qu’un jour, l’une d’entre-elles puisse hériter de cet immense privilège.

    C’est justement à Saint Valentin-sur-Loire que se tint cette année là, l’élection de Miss Ligérie. Toutes les plus belles filles des bords de Loire qui aspiraient à ce titre s’étaient donné rendez-vous. Il y avait là le plus beau rassemblement de grâce et de charme qu’on n'ait jamais vu de mémoire de vieux loup de rivière. Les mariniers, les pêcheurs, les tireux d’jars, les meuniers et ceux vivaient de la rivière avaient tous trouvé un prétexte fallacieux vous l’aurez deviné, pour être présents sur le quai et se rincer l’œil sans modération.

    Éric quant à lui ne devait sa présence en la place que par le hasard d’une course qui avait amené là son grand chaland. Le voiturier, son patron avait accepté un chargement de belles pommes rouges qu’il fallait justement livrer à Saint Valentin. Le garçon, gourmand de plaisir simple, après avoir effectué le transfert des pommes du bateau aux charrois du marchand, avait conservé dans ses poches quelques fruits.

    C’est ainsi qu’en croquant de ses belles dents une pomme brillante, il fit son entrée dans une grande taverne où la lauréate du concours et ses deux dauphines recevaient les honneurs dus à leur succès. Son arrivée focalisa dans l’instant les regards des reines de la fête. Lucie, Hélène et Angèle étaient il faut bien le reconnaître, les plus belles demoiselles qu’il ne lui fut jamais donné de rencontrer. Éric, leur retourna un regard qui engagea les jeunes filles à espérer chacune de son côté, une issue favorable, un nouveau succès en cette journée faste pour elles.

    La Reine était Hélène, d’un port de tête altier, les membres du jury avaient décrété qu’elle était la plus belle. Sa première dauphine, Lucie se prévalait d’un sourire lumineux qui mettait en valeur une allure de princesse. La seconde, Angèle semblait venir des cieux, la destinée lui avait octroyé de divines proportions.

    Toutes trois vinrent minauder autour du gentil marinier. Elles lui firent une véritable parade d’amour, avec une incandescence et une insistance qui choquaient les autres hommes, affreusement jaloux. Éric n’en avait cure, il était tout à sa pomme qu’il dévora avec volupté jusqu’au trognon. Ce fut pour les belles le moment choisi pour se dévoiler. Toutes trois en même temps lui réclamèrent une pomme, en déclarant vouloir la croquer en sa compagnie.

    Le message pour éloquent qu’il était n’en troubla par le naïf Éric, à moins qu’il ne fut tout au contraire diablement machiavélique. Il sortit de sa poche un beau et grand couteau, de ceux qu’avaient tous les mariniers quand ils tuaient le temps lorsque la navigation était impossible en gravant magnifiquement des battoirs ou des coffres. Il prit une pomme, une seule, la plus grosse qu’il sculpta tranquillement sous le regard éberlué des prétendantes.

    Il mit un temps que les dames jugèrent sans doute infini. Puis, ayant enfin achevé son œuvre, il posa la pomme sur la table et sans un mot quitta la taverne. Les reines de beauté n’en revenaient pas, comment était-il possible qu’un homme aussi beau, se montre à ce point si goujat ? Puis Hélène, forte de son titre de Miss Ligérie prit la pomme et lut ce que la garçon y avait gravé.

    Elle s’écria : «  Ce ne peut être que moi !  » et elle partit à la poursuite de son fol espoir, laissant le fruit sur la table. Lucie s’en empara à son tour et agissant comme sa camarade s’écria « J’en était certaine, c’est moi qui ai sa préférence ! ». Puis ce fut au tour d’Angèle de lire la fameuse inscription : « Elles font erreur. Je vais de ce pas rejoindre celui qui m’a choisie ... »

    Rosalie, une petite servante de l’auberge, appréciée de tous, s’approcha à son tour de la table, attrapa la pomme et lut à haute voix son message afin que chacun pût enfin comprendre le fin mot de l’histoire : « À la plus charmante ». Elle coupa alors la pomme en deux, offrant une moitié à un vieil homme qui faisait la charité à l’entrée de l’établissement avant que de manger l’autre moitié sous les rires de toute l’assemblée.

    Éric n’était pas parti. Il avait profité de l’effet de surprise provoqué par la théâtralité de sa sortie pour contourner la taverne et y rentrer discrètement par une autre porte, en se dissimulant dans une encoignure. Il entendit les affirmations péremptoires des donzelles en s’en moquant beaucoup puis fut ému de l’attitude de Rosalie tout autant que de son détachement vis à vis de ce message qui venait de trouver sa réponse.

    Le garçon qui jusqu’alors n’avait jamais senti son cœur battre pour une femme, ressentit en lui une bouffée de chaleur, un trouble si profond qu’il agit de manière totalement inconsidérée. Il avança lentement vers Rosalie, lui laissant le temps de manger sa moitié de pomme. Devant elle, il prit un nouveau fruit, le coupa en deux et en tendit la moitié à la servante avant que de croquer l’autre moitié juste après lui avoir dit : « Je crois bien avoir trouvé l’autre moitié de mon existence ! »

    Rosalie l’embrassa à pleine bouche sans vraiment se rendre compte de ce qu’elle faisait. Les mariniers présents, sacrés gredins, hommes bourrus et mal embouchés, essuyèrent tous une larme avant que de lancer de grands « Hourra ! » tandis que les deux tourtereaux étaient enlacés. Il y eut ce soir-là des chansons et des rires, des chopines vidées et de belles paroles. Tous les gars de Loire avaient été émus par la scène à laquelle ils avaient eu le privilège d’assister.

    Quant aux trois reines de la fête, elles courent encore après leurs illusions. Le temps s’est empressé de faner leur beauté. Il leur reste en souvenir ce moment terrible pour elles, où elles firent montre du plus grand orgueil qui soit. Sur le pierré ce jour-là, un serpent se mordit la queue. La pomme de discorde lui resta en travers de la gorge, elle s’était faite pomme de concorde et de félicité.

    Rosalie et Éric connurent le plus parfait amour. Ils vécurent heureux et eurent, selon la formule consacrée de magnifiques enfants, tous plus trognons les uns que les autres. Le gentil marinier ne mena jamais sa femme en bateau. C’est mieux ainsi lui aurait-il déclaré. Sur le pas de leur porte, il grava au dessus de l’entrée : « Ici est la plus charmante, la beauté n’est qu’une fleur fugace! »

    Mythologiquement leur.
  



  


lundi 24 février 2020

Le funambule de l’inutile.



Les points de suspension.



Il était une fois un écrivain en mal d’imagination. Les mots s'échappaient péniblement de sa plume d’autant plus qu’il utilisait un clavier. Il avait le phrasé lourd, la ponctuation laborieuse, le lexique sans imagination ni fioritures. Il cherchait ses mots, allait à la ligne plus souvent que nécessaire, tentant ainsi de reprendre son souffle.

Il pissait du texte comme on dit si prosaïquement dans le métier. Il se perdait en répétitions, s’égarait en métaphores creuses, se fourvoyait en calembours incertains. Il avait perdu la main quoique, pour une fois, les fautes de frappe ne fussent pas légion. Il faut admettre qu’il avançait péniblement sur le chemin d’un écrit qui ne sortait pas du cœur.

Il se prit alors au jeu de la confusion, singeant les mots tordus, il devait se contenter de mots crochus, de glissades lexicales, de confusions sémantiques, d’approximations phoniques. C’était laborieux et cela n’aurait certainement pas intéressé grand monde si soudain, par un incroyable renversement de dernière minute, la lumière n'était venue, le miracle ne s'était produit.

Incapable de trouver le mot de la fin, l’équilibriste de la chronique, le funambule de l’inutile , sans espoir de chute, dut se rabattre sur une pirouette dont il avait le secret. Il laissa en suspens sa dernière phrase, lui octroyant des points de suspension qui permettaient l'ellipse et ouvraient de nouvelles perspectives à des lecteurs qui resteraient forcément sur leur faim. En multipliant par trois son point final habituel, il pensait certainement élargir son propos.

C’est alors que les trois points absorbèrent lentement tous les mots inutiles qui avaient vainement tenté de constituer un récit médiocre. L’écran avait pris la main, le clavier ne répondait plus et, médusé, le pauvre scribe ne put que constater l’effacement irrémédiable d’un texte qui, de toute manière, ne serait pas resté dans les mémoires, à l’exception notable de celle de son disque dur.

Les points se gonflèrent, devinrent bien vite énormes. Ils avaient littéralement tout avalé. Il ne restait plus qu’eux en bas de page. Ils occupaient la dernière ligne qui était, dans le même temps, la première. L’auteur vit alors, médusé, les trois points s’élever lentement sur la page, comme s’ils étaient des ballons gonflés à l’hélium. Ils montaient en lâchant du lest, en laissant échapper quelques lettres, des espaces et des signes de ponctuation, des minuscules et des majuscules dans une écriture à rebours dont notre homme ne percevait pas encore le sens.

Puis, progressivement, il comprit que la machine avait pris le contrôle, qu’elle jouait elle aussi avec les lettres, qu’elle se servait de la masse de données qu’il lui avait confiée pour créer à son tour un texte plus satisfaisant à ses yeux que l’immonde salmigondis que son maître lui avait confié. L’ordinateur ordonnait autrement, il donnait libre cours à son imagination.

Un texte naissait ici, par la magie des points de suspension en élévation. Quand ils en vinrent au sommet de la page, ils éclatèrent en une explosion magnifique. Les ultimes signes cabalistiques qui étaient restés inemployés se transformèrent, se colorèrent, s’octroyèrent une nouvelle police, s’offrirent un corps plus gros et s’étalèrent en lettres capitales en tête de chapitre. Un titre était né et les points de suspension pouvaient tirer leur révérence en disparaissant de l’écran telles des étoiles filantes.

Notre écriveur à la petite semaine ne dit jamais rien de la métamorphose qui venait de se dérouler devant lui. Il signa, toute honte bue, l’œuvre magnifique que lui avait octroyée sa machine. Il eut du succès grâce à ce premier écrit mécanique, se fit un nom, fréquenta alors les salons littéraires, les plateaux de télévision, les grands salons du livre. Il y avait désormais devant lui de grandes files d’attente : les chalands se précipitaient pour obtenir sa dédicace. Il vendait, il était célèbre.

Il se garda bien d’avouer l’origine de sa verve extraordinaire, de sa prose si variée, de son imagination si féconde. Il usurpait une gloire dont il avait toujours rêvé. Parfois cependant, dans le secret de son bureau, quand l’ordinateur accomplissait seul le travail de distribution des signes et de création littéraire, il avait bien quelques scrupules mais il jouissait pleinement de ses bienfaits sans chercher à comprendre.

Puis, un jour, il découvrit que les autre vedettes de la littérature procédaient de la même manière que lui. Elles disposaient toutes d’un ordinateur autonome, d’une machine douée de sensibilité. Il n’était pas le seul : il avait simplement eu la chance d’être choisi parmi les milliers de besogneux de l’écrit. Un virus informatique avait fait de lui un élu, tout ça grâce à trois petits points de suspension qui avaient su faire leur chemin, l’élever vers les sommets de la notoriété.

Il garda cette habitude et tous ses textes désormais se terminaient par ce petit signe magnifique. Le funambule de l’inutile n’avait pas trouvé de raison à sa folle assuétude : elle demeurait toujours aussi vaine mais cette fois, on ne lui tournait pas le dos : les gens importants boutaient leur chapeau à son passage, réclamaient sa présence. Il est vrai que cette société aime à honorer les moins brillants des siens…

Suspensivement vôtre.


dimanche 23 février 2020

Le bois des comtesses


Pour couper court …

 



    S’il est un terrain qui repousse à jamais les outrages de la déforestation et établit un véritable pont entre le passé et le présent, c’est bien celui des contes et des légendes. Quand les humains deviennent fous, le conteur prend son bateau pour rebâtir ce que les dégâts irréversibles des écervelés ont jeté à terre. Qu’importe alors si ceux-là s’en offusquent, l'essentiel est ailleurs car le récit ne s’adresse qu’aux rêveurs, aux oiseaux et aux générations futures si cette société délirante leur accorde encore l’espoir de survivre…

    Il était une fois un territoire au nord de la Loire en amont d’Orléans riche et fertile. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Geoffroy Vallée, gros bourgeois de l’endroit, celui-là même qui venait d’acquérir une fort belle métairie, s’octroya en toute modestie le titre de Seigneur de Chenailles terme qui désigne les greniers, forcément chargés de bons grains.

    Geoffroy meurt en 1537 et son fils qui porte le même nom que lui pour faciliter la vie du raconteur d’histoire, hérite du domaine. Mais pour son malheur, l’héritier a embrassé l’hérésie huguenote. Il ne fait pas bon afficher une religion qui déplaît à ceux qui détiennent le pouvoir. Le malheureux allait payer de sa vie cette folie.

    Geoffroy le deuxième est supplicié en place de Grève à Paris. S’il échappe au bûcher, il achève son existence sous une potence. Il est alors de coutume de récupérer la corde, curieux porte bonheur pour ceux qui survivent à ce crime odieux. Héritage macabre s’il en est, le nœud du pendu revient à Marie Vallée la sœur du malheureux.

    Celle-ci a fait un fort beau mariage avec Robert Miron, l’intendant général des finances du roi Henri III, le dernier de la dynastie des Valois. Celui qui fut aussi Roi de Pologne ne goûte guère les Protestants, il a d’ailleurs emporté sur eux la fameuse bataille de Jarnac. Pour Marie, il convient d’effacer totalement le passé huguenot de son frère.

    Rien de plus facile pour un intendant des finances que de trouver des fonds pour construire un Château sur son domaine de Chenailles. Il convient cependant à ces deux manants de s’octroyer un titre de noblesse. Marie se rêve avec une particule tandis que son Robert n’est pas hostile à troquer son titre de comptable pour celui plus glorieux de Comte. La modestie n’est jamais la qualité première dans le petit monde des grands argentiers du royaume.

    Il faut laver la tache qui pèse cependant sur la famille d’autant plus que de l’autre côté de la Loire, à deux pas du nouveau domaine, se dresse le magnifique Château de L’Isle, repère des Protestants de l’Orléanais et propriété du Bailly Gros Lot. La promesse aurait été faite alors de ne jamais lancer de pont en cet endroit, mais de cela, je ne peux vous garantir l’authenticité.

    D’autres affirment que cet engagement vient de l’amour que portait Marie pour la Darse de Sandillon, cet endroit miraculeux qui est un véritable écrin naturel, une enclave de la Loire, refuge de la diversité tout autant que tendre cachette pour les émois amoureux. Il se murmure d’ailleurs que Marie, tout auréolée de son titre de Comtesse, ne se privait pas, quand son comptable était loin, de traverser à gué la Loire pour aller courir le guilledou avec quelques pêcheurs de l’endroit.

    C’est ainsi qu’un jour, la terrible rumeur arriva aux oreilles du cornard. Furieux, un jour, Robert feint de partir à ces calculs royaux pour revenir en catimini dans son domaine. Dissimulé sur la rive, il ne tarde pas à voir son épouse retroussant ses robes pour traverser la Loire. C’était donc vrai. Il ronge son frein, lui laisse assez d’avance pour la prendre en flagrant délit de pêché et de trahison suprême avant que d’aller la surprendre dans sa merveilleuse Darse.

    Ce qui se passe alors reste encore assez flou. Marie, n’avait rien à se reprocher sinon que son amitié pour la femme du Bailly. Les deux épouses aimaient à se retrouver, loin des regards suspicieux de leurs domestiques, pour deviser tranquillement. Elles étaient assises, dos à la Loire, quand le mari jaloux, voyant deux têtes, proches l’une de l’autre, s’empare d’une poignée de cheveux de part et d’autre.

    Surprises, les femmes se levent tout aussi violemment que précipitamment. Le Robert se retrouvant avec deux belles touffes de cheveux, l’une blonde, l’autre châtain dans les mains et l’air penaud à la vue de ces deux femmes qui conversent en toute innocence. Reconnaissant la femme du Bailly, il comprend les raisons de ce stratagème qui ne dissimule rien de répréhensible.

    Il s’excuse, ne sachant comment se faire pardonner. C’est Marie, qui sous le coup de la colère et de l’humiliation, a une idée. Elle se concerte avec son amie et toutes deux tombent d’accord sur la réparation qu’elles exigent. Marie s’adresse alors à son époux : « Mon cher époux sottement jaloux, vous devez pour pardonner cet outrage, nous offrir à toutes deux, un espace où nous puissions nous retrouver sans nous cacher ! Je vous invite à installer devant notre château, un bois touffu à la place de nos terres à grains. Il vous suffira d’y planter autant d’arbres que vous nous avez dérobé de cheveux... »

    Ainsi fut fait. Le bois tout naturellement, né de cette sordide histoire de jalousie, devint le Bois des Comtesses. Il a survécu au temps et aux soubresauts de ce charmant domaine de Latingy. Marie et Marcel s’en allèrent sans avoir eu d’enfants, le domaine devint la propriété de leur neveu : François Vallée, maître d’hôtel de Louis XIII. Puis c’est Claude Vallée qui en hérite. L’homme est embastillé en 1693. Libéré, le domaine de Chenailles va être cédé, échappant ainsi la famille Vallée.

    C’est Jacques Fête qui en devient propriétaire avant que de le donner à Louis Fête de Noisy, grand maître des eaux et forêts. Celui-ci doit être bien marri de découvrir que tous les arbres du domaine ont été sauvagement coupés pour lancer tout près de là un pont sur la Loire. Marie et son amie, nos deux Comtesses sortiront certainement du bois, elles aussi, afin de tourmenter ceux qui s’en sont pris à leur arbres tout en détruisant par la même occasion leur magnifique Darse.

    Il n’est guère prudent de troubler les légendes tout autant que la nature. Malheur à qui ne respecte pas l’héritage de notre patrimoine. Bien des désagréments leur pendent au nez quand le pont entre le passé et le présent est aussi brutalement coupé. Vous aurez été avertis tout comme vous le fûtes par un rapport accablant du BRGM.

    Forestièrement vôtre

    Pour en savoir plus.

    https://www.terrestres.org/2019/08/05/menace-sur-la-loire-le-pont-de-trop/?fbclid=IwAR0FwBDchfBTIEsBJQ-n1cMcaOcXf_mOf_x4eCFttZnwL0Z9XAzT1_aiywA



samedi 22 février 2020

Le canal du Duc d'Orléans.


Sombre affaire …



Né sous une étoile incertaine, le canal d'Orléans semblait être la chasse gardée du duc éponyme. Il allait connaître bien des déboires lors de la période la plus trouble de l'histoire de France. Il y avait de quoi perdre la tête ; ce qui ne manqua pas d'arriver à quelques protagonistes de l'affaire. Essayons tant bien que mal de démêler cet incroyable écheveau …

Si en 1689 la partie du canal qui allait de Grignon à la Loire jusqu'à Combleux avait été convenablement achevée, il fallait refaire bien des ouvrages du canal de Mahieu. Ce fut encore la justice qui s'essaya à clarifier des problèmes de propriété et de responsabilité d'une remarquable opacité. Le Duc finit par plonger dans sa cassette, à contre-cœur, on peut s'en douter.

Les administrateurs du moment, les sieurs Lambert et Richemond finirent par obtenir gain de cause et le canal put enfin relier la Loire à la Seine par le Loing en 1692, au prix de vingt années de coups fourrés et de procédures complexes. Cependant, le Duc restait dans l'affaire ce qui la maintenait dans les eaux troubles de l'abus de pouvoir, d'autant qu'il devint Régent de France …

Sa nouvelle position ne fit qu'accroître ses prétentions et sa gourmandise. On ne peut se refaire ! Le canal d'Orléans était, à n'en point douter, une affaire remarquablement rentable, juteuse si l'on peut juger ainsi cette voie vineuse. Le bon Duc mit en place un receveur général pour engranger les bénéfices et six receveurs particuliers qui maillèrent le trajet à Combleux, Pont aux Moines, Fay aux Loges, Grignon, Buges et Cepoy. Difficile d'échapper à la coupe réglée de ce bon Prince. Il n'y a pas que les petits ruisseaux qui font les rivières de diamants !

Si le vin ne faisait que transiter, c'est le trafic de bois et de charbon qui suscita bien des convoitises locales. Les maraudeurs et les coquins aimaient à visiter les nombreux dépôts installés le long du parcours. Le Duc n'était pas partageur, c'était bien le moindre de ses défauts. Il créa la fonction de garde des ports, des eaux et des pêches pour veiller sur ses biens. Des gardes furent nommés à Combleux, au Gué Girault, à Vitry aux Loges, à Combreux, à Grignon et à Chailles.


Pour asseoir encore plus son autorité, le Duc obtint, pourquoi s'en gêner, le pouvoir de justice sur son canal. Un état dans l'état avec la mainmise sur toutes les dimensions prévalant à la gestion et à la régulation d'une affaire qui était une source formidable de revenus. En 1788, le canal dégagea 546 248 livres de bénéfice, ce qui n'empêcha nullement ce Prince dispendieux d'être en faillite. Le canal fut saisi par les nombreux créanciers de ce bon Philippe- Égalité, qui avait le don sans pareil de se mettre tout le monde à dos.

La Terreur trancha dans le vif et, en avril 1793, pendant que des têtes tombaient dans le panier d'osier, le canal allait dans l'escarcelle de l'Etat qui, ne sachant trop quoi en faire, le confia à des gestionnaires peu motivés par la tâche. Bien vite, le canal tomba à l'abandon : roseaux et vase prenant le dessus et les travaux d'entretien étant sans cesse repoussés à des temps meilleurs.

C'est sous le Directoire que notre pauvre canal retrouva un peu d'ordre. La gabegie n'avait que trop duré ; Paris avait grand besoin de cette voie d'eau vitale. Un système d'affermage fut mis en place. Hélas, cette procédure faisait bien mieux la fortune de celui qui en avait la charge que celle d'un canal qui avait toujours mauvaise mine.

L'Empereur allait le remettre à flot en 1807 en créant une Régie des actionnaires sous la houlette de l'administration des Ponts et Chaussées. Notre homme , pour ses grands desseins guerriers ,avait besoin de voies de transport sûres et efficaces. Tout allait pour le mieux jusqu'à ce que les héritiers de Philippe -Égalité repointent le vilain bout de leur nez. Le vent de l'histoire avait tourné et les exilés pouvaient revenir au bercail!

Les Bourbons, revenus en grâce, les Orléans récupérèrent leurs biens le 5 décembre 1814. Il y avait urgence pour sauver le canal, ce que sentit Louis XVIII, qui en dépit de l'esprit de famille et de caste, confia les intérêts du canal à une compagnie dont ses enfants, étaient, par un malencontreux concours de circonstances, les principaux actionnaires. Comme c'est ballot ! 

 

Fort heureusement Louis-Napoléon mit fin à la grivèlerie des Bourbons-Orléans en renvoyant tout ce joli monde dans les cordes. Le Tribunal de la Seine lui donna un petit coup de main et le canal connut enfin une période faste et sereine. De 1814 à 1860, il fonctionna sous la direction avisée du Comte Hulot d'Orsay. Les hypothèques levées sur sa propriété, il allait enfin tomber dans le domaine de l'état en 1860.

Nous laissons là ses eaux stagnantes, devenues inutiles aujourd'hui, abandonnées aux algues et aux seuls pêcheurs. Il avait connu bien des troubles ; il allait en connaître d'autres. Nous y reviendrons une autre fois si le cœur vous en dit. La paix n'a jamais niché sur ce pauvre canal.

Confusément leur.






Le dernier voyage du matricule 1261



Spécial Salon de l'Agriculture



Chaque jour dans nos beaux pays d'élevage, ceux qui respectent leur cheptel, le métier et l'environnement, se noue un drame afin que l'homme des villes industrielles puisse jouir à loisir de sa ration quotidienne de protéine animale. Ici le chapon perd son honneur, là le cochon se fait du mauvais sang, plus loin le veau abandonne sa bonne mère laitière.

Je vais vous narrer la triste et édifiante histoire du matricule 1261 qui se sacrifia à la gloire du label rouge et des derniers gastronomes qui ne supportent pas la viande hormonée. Cette histoire débute un jour de mars 2009. Un éleveur anxieux fait les 100 pas dans une étable du Ségala. La délivrance survient en ce petit matin brumeux et le bal des formalités administratives débute.

Dans un pays où plus rien ne doit échapper aux fourches Caudines d'un big brother informatique, le veau ne déroge pas à la règle générale. Encarté, fiché, suivi à la loupe, vacciné, …, l'anthropométrie nationale veille à ne rien laisser passer au travers de ses filets.

L'heureux naisseur envoie immédiatement un message électronique à un regroupement officiel pour signer l'heureux événement et recevoir en retour un feuillet informatique en 4 exemplaires pour lui signifier le matricule de baptême de son rejeton de veau. Cette bête de choix se nommera 1261 puisque les arcanes administratives en ont décidé ainsi !

Sa vie va suivre son cours sous sa bonne mère aimante, pas très loin de son père génétique bien indifférent, il faut le reconnaître à sa progéniture. Ici, l'inséminateur estampillé n'est pas le seul à jouir du privilège de l'engrossement. Il doit affronter la concurrence bovine d'un mâle souverain en son troupeau.

Les jours passent entre le pré à la belle saison et l'étable quand les jours raccourcissent. Il se pique de quelques caprices vétérinaires : une grippe qui s'impose à tous, humains récalcitrants qui conservent leur libre arbitre et bovins beuglants qui subissent sans représentation syndicale reconnue par nos autorités. Une fièvre Catharale, mal mystérieux venu sous les ailes d'un moucheron Corse, pandémie redoutable s'il en est, exige une campagne obligatoire et gratuite de vaccination pour tous les génitrices du troupeau.

Le seringue est devenue, il faut bien l'admettre un vecteur plus puissant et néanmoins pointu, pour favoriser l'enrichissement des laboratoires amis d'un pouvoir qui croie si peu aux vertus du libéralisme, qu'il impose par la loi, une multitude de dépenses incomprensibles.

Revenons à notre veau, quoiqu'il y est de moins en moins de différence entre un bovin et un brave citoyen aux yeux méprisants de nos gouvernants. Le 1261 en ce jour de décembre fait ses adieux à ses congénères. Son maître est entré dans l'enclos vêtu de son habit de lumière. Une magnifique côte à double passe-main qui vous libère de la chose comme une banane de sa peau. Je sais quelques libertines Belges qui fantasment à l'idée de dépouiller un éleveur sur d'accueillantes bottes de foin encore carrées ( la botte ronde a tué les amours fripons... ).

L'homme en question était arrivé au volant d'un 4x4 qui n'est pas rutilant. Véhicule utilitaire en cette région escarpée, il traîne une bétaillère et ne saurait se laisser conduire par une blonde peroxydée. Le brun musculeux entre dans l'enclos armé d'un solide bâton, repère le bon numéro qu'il isole de ses camarades de foin. Il a ouvert les vannes (pardon le van) et l'animal, ignorant tout de son triste sort, monte dans la charrette aussi digne que Marie Antoinette le jour de son marthyre.

Une tête de veau vaut bien mieux qu'une bouchée à la reine et la bête affiche sous la balance finale 422 kilogrammes. L'éleveur remet médaille et papiers d'identité à un maquignon satisfait qui jauge une croupe replète. Le veau s'en va vers son trépas, un label rouge vous donne de la dignité sur l'étal et du baume au cœur quand sa dernière heure a sonné.

Bovinement vôtre. 



jeudi 20 février 2020

Le poids de la solitude.

Le vieux marinier.




Il était une fois un vieil homme, un très vieux marinier qui avait, depuis de nombreuses années, abandonné la vie trépidante des gars qui vont sur l’eau. L’homme avait le dos courbé, il lui manquait un doigt dans chaque main : un souvenir lointain des terribles arrançoirs et du grand bâton qui se brise dans la main. Il était usé par cette vie au grand air qui l’avait vieilli plus que nécessaire.

Il allait péniblement sur le chemin qui, chaque jour, le conduisait de sa petite maison des bords de Loire jusqu’à l’auberge en lisière de village. Il y retrouvait ses compagnons d’infortune, buvait une chopine puis faisait une partie de luette. Ensuite, il rentrait chez lui, le pas plus lourd encore pour une longue journée de solitude.

Il redoutait ce jour où ses jambes noueuses ne lui permettraient plus de jouir de ce dernier plaisir qu'il lui restait. Il ne pouvait plus pêcher : ses rhumatismes lui interdisant de venir au bord de la rivière ; il n’avait plus la force de faire son jardin. Il survivait parce que des voisins compatissants, chaque jour, lui portaient une boule de pain et un bol de soupe.

La vie était devenue triste pour cet ancien lascar qui aimait à courir le guilledou. C’était un passé lointain ; aujourd’hui, sa vie n’était faite que d’attente et d’ennui. Heureusement pour lui, il y avait sur la levée un banc où il s’asseyait pour regarder interminablement la rivière couler, toujours différente, jamais baignée par la même couleur. Il ne s’en lassait pas. C’est la Loire qui le maintenait en vie, lui donnait la force d’aller plus loin encore dans cette déjà longue existence.

Ce jour-là, notre vieillard avait le pas plus lourd encore qu’à l'accoutumée. Il allait traînant, s’appuyant lourdement sur son bâton de marche quand, sur le sentier, un bruit l’interpella. Il avait l’oreille dure : il se retourna cherchant d’où pouvait venir ce qu’il avait pris pour un appel ténu. Il ne vit personne : il avait sans doute rêvé. Il allait repartir quand, à nouveau, il crut entendre un appel au secours … Cette fois, il en était certain : quelqu’un l’appelait.

Il se pencha et entendit plus distinctement : « Et monsieur, mon brave homme, venez donc à mon secours ! J’ai grand besoin de votre aide ! ». Le vieux se pencha ; la voix sortait de ce fourré, il en était certain maintenant. Il fouilla avec son bâton, pensant trouver un corps étendu dans la boucheture.

Que nenni. Il vit sortir des hautes herbes une petite musaraigne qui parlait. Non , il ne rêvait pas : c’était le petit rongeur qui s’adressait à lui de manière suppliante : « Je suis une jeune et charmante bergère. J’ai croisé la route d’une méchante sorcière qui m’a jeté un sort. Embrassez-moi mon bon ami et je redeviendrai cette belle jeune fille qui sera alors votre compagne pour le reste de votre vie ! »

Le vieillard se frotta les yeux, se pinça et dut se rendre à l’évidence : il était bien en présence d’un étrange maléfice. Que devait-il faire ? En se penchant plus encore, il prit le petit animal dans sa main au prix d’un effort douloureux. Il l'approcha de sa bonne oreille pour mieux entendre cette voix délicate qui le charmait déjà.

« Noble ancien, je suis la bergère du bois joli. J’ai dérangé, un soir de Sabbat, les sorcières de la Fontaine et pour ma peine, la plus méchante d’entre elles m’a jeté un sort. Me voilà petite musaraigne jusqu’à ce qu’un chat me dévore ou bien qu'un brave homme m’embrasse. Vous êtes celui-là et je serai vôtre si vous me délivrez de ce maléfice ! »

L’homme sourit. Il avait cette fois entendu. Il avait pris la seule décision qui lui semblait convenable. Il enfourna le petit rongeur dans le creux de la grande poche de son pantalon de velours et reprit son chemin pour aller jusqu’à sa demeure, la bergère bien au chaud. Celle-ci semblait s’impatienter. Elle s’agitait dans le pantalon du bonhomme, hurlant plus fort encore « Un baiser mon bon prince et je suis à vous ! »

Sur le chemin, l’homme marmonnait. Il tenait conciliabule avec lui-même. « Quelle aubaine ! C’est au soir de ma vie que je tombe sur cette merveille. Que faire ? Lui rendre son apparence et avoir tous les jeunes loups du quartier qui viendront tourner autour de ma maison et prendre le risque de me la faire voler à la première occasion ? L’embrasser et ne point la rendre heureuse à cause de mon grand âge ? L’embrasser et devenir un vieux gâteux, cocu à la première occasion ? ... »

Le vieux ne s’occupait plus de la pauvrette qui ne cessait de se débattre et de chercher à le convaincre. « Embrassez-moi, je vous aime déjà. Embrassez-moi, je vous serai fidèle. Embrassez-moi et je rendrai vos vieux jours merveilleux ! » L’homme n’en avait cure désormais : il demeurait inflexible. Il rentra chez lui, attrapa une cage qui, depuis longtemps, n’enfermait plus le moindre canari et glissa la musaraigne dans cette étrange prison.

« Mais ne m’avez vous pas compris, mon cher ami ? Je suis une jeune bergère qui ne demande qu’à vous servir de toute son âme. Il suffit d’un baiser et je me mets tout entière à votre service ! » L’homme éclata d’un grand rire et se pencha vers la cage : « Que veux-tu que je fasse d’une femme à mon âge ? Je ne pourrai pas te tenir en laisse. Mais d’une musaraigne qui parle, je ne me lasserai pas. J’aurai enfin quelqu’un avec qui parler et je suis certain que tu ne t’envoleras pas ! »

Ainsi finit cette histoire. Le vieux se trouva une compagne qui le maudissait chaque jour de sa vie. Il n’en avait cure : il avait une interlocutrice bien qu’il ignorât le sens de ce mot trop savant pour lui. Chacun trouve midi à sa porte ; celle du vieux n’avait que faire d’une beauté offerte. La musaraigne n’avait plus qu’à ronger son frein, espérant qu’un jeune homme, un jour prochain, vienne rendre visite au bonhomme. Elle en fut pour ses frais : les jeunes gens ont la désagréable habitude de délaisser leurs aînés. La bergère payait le prix fort, au nom de tous les jeunes gens de son âge.

Sortilègement sien.



mercredi 19 février 2020

Coincer la bulle


Pas vraiment de tout repos



Qui n’a jamais traqué une bulle ignore à quel point coincer la bulle n’est pas de tout repos. On ne peut se fier aux expressions : elles se moquent du réel et aiment à nous conduire sur des fausses pistes. Ainsi celle-ci qui nous fait croire que garder une parfaite horizontalité serait une manière de ne rien faire. Il est temps de remettre les pendules à l’heure et le niveau là où il mérite de l’être : coincer la bulle c’est du travail.

Tout d’abord pour la coincer, la susdite bulle, il faut au préalable avoir mené longue et épuisante traque pour la faire sortir du bois. C’est qu’elle est sauvage et méfiante la diablesse, elle ne se laisse pas attraper facilement ! Elle vit dans les fourrées, les sous-bois, les terriers et les huttes. Elle aime à se terrer ou à prendre de l’altitude. La bulle se laisse porter par les circonstances ou bien le vent ; elle est imprévisible et pas toujours visible.

Une fois repérée, la bulle doit être circonscrite, cernée et mise hors d’état de s’évader. Ce n’est pas simple de la faire tomber. Quel crime lui imputer ? Quelle faute lui mettre sur le dos sans prendre le risque de la voir exploser sous le poids de la culpabilité ? La bulle est fragile, fugace, instable. Les experts ont tôt fait de lui accorder circonstances atténuantes ou, pire encore, de déclarer son irresponsabilité. La bulle est alors placée en lieu sûr, internée, loin de la mise en dépôt que vous espériez consigner en votre faveur.

La bulle s’éclate dans un asile. Elle y trouve plus fou qu’elle, elle se libère de l’apesanteur d’un monde trop raisonnable. La bulle vole de ses propres ailes et finit par s’évader de ce monde carcéral. La bulle, nous le savons, n’aime rien que sa liberté. Elle prend la poudre d’escampette, joue les filles de l’air, s’émancipe des lois de l'apesanteur. Aucune gravité chez la bulle, elle est joyeuse, futile, inconsciente.

Pour la coincer il faut décidément n’avoir aucune conscience, pas la plus petite parcelle de fantaisie. La bulle finira toujours par vous amadouer, vous convaincre de son innocence et de sa légèreté. Rien n’est grave avec elle ; elle va là où le vent la mène par le bout du nez. La bulle est libre comme l’air, elle est blanche comme neige, vierge et immaculée.

La bulle récuse votre désir de la coincer. Elle se moque de votre volonté de la plier sous votre joug. Elle n’accepte ni chaîne ni entrave, elle ne rentre pas dans une case, elle vit au jour le jour, loin des contraintes d’un temps qui vous est compté. La belle farce, la belle illusion que voilà, vouloir coincer la bulle est aussi dérisoire qu’inutile ! Tenez-vous le pour dit.

Rien n’est plus concis que la bulle. Il n’est pas besoin d’un long discours pour le reconnaître. Elle se libère des formes et des structures, elle vagabonde, s’émancipe, s’oppose à toute norme et à toute contrainte. La bulle est liberté et vérité. Vous pensez l’enfermer, quelle prétention ! Elle vous file entre les doigts, vous nargue et vous fait la nique. Pensez la coincer n’est que billevesées et pensées dérisoires.

Allez, un peu de courage, reconnaissez votre défaite. L’été pas plus que les autres saisons ne vous autorise pareille pensée. Laissez la bulle vivre sa vie : elle ne vous doit rien, n’a aucun compte à vous rendre. La bulle vous salue bien, elle prend la poudre d’escampette et vous laisse pantois et désarmé devant son incommensurable liberté.

Quand le temps sera venu pour vous de reprendre le collier, d’aller au chagrin, de prendre congé des vacances, la bulle à son tour vous trouvera coincé et morose, terne et contraint. Elle vous fera pied de nez et grandes grimaces. Vous n’étiez qu’un passager transitoire et peu convaincant du temps libre. Vous retournez à vos obligations : c’est bien la première chose qui fasse fuir la bulle ! Vous n’étiez décidément pas du même monde.

Librement sien.


Le chevalin d'Ingrannes

  Faire l'âne et pas que.     Sa vocation est née dans le giron paternel. Son géniteur avant lui avait écumé les march...