dimanche 28 février 2021

Le coq et l'âne

 

Quelques digressions absurdes !

 


 


Le brave gallinacé se sent parfaitement chez lui en ce doux pays de France. Il profite comme tous ses semblables de ce détail oiseux : les Romains ne disposaient que d'un seul mot : « gallus », pour désigner à la fois l'homme de Gaule et le coq. Ce manque de vocabulaire fut un prétexte sans doute à moquerie, même s'il faut lui reconnaître le mérite d'avoir placé sur le clocher de nos églises un emblème qui avait fière allure.


Le coq aime la France et se noyait aisément dans un litre de vin rouge. Le coq au vin : existe-t-il un plat plus divin ? Bien sûr, il a perdu de sa superbe, il est jugé trop rustique, campagnard et quelque peu calorifique. Le citadin pince le bec devant autant de sincérité gustative. Il n'est guère enchanté de déguster pareil festin. Mais revenons à notre larron.


Le coq se venge et joue l'emblème à deux pattes quand il vagabonde librement sur une pelouse lors d'une rencontre internationale. J'évoque encore au présent ce plaisant moment alors que la grippe aviaire et les fouilles au corps ont depuis quelque temps rendu caduque cette aimable manifestation patriotique. Vous risquez qu'on vous vole dans les plumes si vous souhaitez faire pénétrer dans l'enceinte le noble animal emplumé.


Le coq s'empâte, il est soumis à des contraintes qui le poussent à rester au lit le matin. Le lever du jour est souvent trop précoce lors de la période estivale. Les voisins voient d'un mauvais œil et , plus encore, d'une oreille sourcilleuse, le chant claironnant du mâle en goguette. Le coq doit veiller à ne point se réveiller de bonne heure ; le monde est désormais procédurier, il doit se taire tout comme ses commères les cloches ….


Le coq se sent châtré d'être ainsi réduit au silence. Plus de cocorico joyeux. Plus de tas de fumier non plus pour prendre de la hauteur et monter sur ses ergots. Il peut tout juste se satisfaire du composteur, espace clos qui lui ôte tout désir de s'égosiller la crête au vent. Les temps sont durs pour le bel animal ; sa fierté en prend un sacré coup ; le combat est inégal devant les mauvais coucheurs qui ont tous tendance à faire la grasse matinée.



Le coq en a assez de faire la cour à ces pauvres femelles qui jouent les cocottes. Elles deviennent de plus en plus délicates, exigent des présents de valeur, se parfument et s'emplument. La poule se fait de luxe, aime à être entretenue : ce qui n'est pas du tout dans les moyens du garçon. Le coq a viré sa cuti : il a désormais les yeux de Chimène pour son compère l'âne. La théorie du genre a fait bien des dégâts : ici ou dans les basses-cours.


Le coq se voit en danseuse pour séduire l'animal aux grandes oreilles. Il joue du pédalier, se raffermit le mollet pour lui taper dans l'œil. L'âne, pour bâté qu'il soit, aime à emprunter les circuits et les pistes aventureuses. À voir les jambes de coq se dandiner devant lui, il se sent pousser des ailes. Une bourrique, un peu jalouse, lui fait quelques remontrances. Devant les moqueries muletières, notre âne devient rouge comme un coq.


Âne et coq s'en vont bras dessus, bras dessous. Ils laissent ainsi les convenances, se moquent de l'opinion publique. Le coq se fiche désormais de savoir s'il chante mieux que son compagnon ne braie. L'amour entre eux est bien plus fort que de si dérisoires considérations. Aux premières lueurs de jour, ils s'époumonent de concert pour déclarer la bienvenue à l'astre solaire.


Les poules, totalement perturbées par ce revirement, sautent de l'un à l'autre sans plus de succès. Fort heureusement, les demoiselles n'ont pas mis tous leurs œufs dans le même panier : un jeune coq, sorti des bruyères, vient se proposer pour remplacer le vieux mâle qui se comporte désormais comme un chapon. La nature ayant horreur du vide, il est embauché immédiatement par les poulettes qui mettent toutes la main au pot pour s'offrir ses services.


Le coq et l'âne s'en vont, indifférents. Ils s'aiment. Rien n'est plus important à leurs yeux. Il se moquent du qu'en-dira-t-on. Ils avancent fièrement vers un monde plus beau, un monde sans préjugés ni expressions douteuses. Les animaux ne sont pas toujours à la fête, surtout en période de fête. Une dinde se dit qu'il est grand temps pour elle, de partir avec eux. Noël approche, elle risque de se retrouver marron.

Anthropomorphismement leur.

 




samedi 27 février 2021

Fantasmagoriques tourments en Sologne.

 


L'appel de la Nature





Il est une sortie qu’aiment à faire les gens de notre belle Sologne. Ils attendent cette période avec impatience ; la fièvre monte, la tension se fait manifeste. Les uns grattent du pied, les autres se montent du col. Tous sentent un puissant appel de la nature, devinent la force irrépressible de la préservation de l’espèce. Il convient d’aller dans les bois, de tendre l’oreille et de se laisser porter par le flot des hormones.


Les Solognots se mettent en branle. Chacun a son coin secret, connu de tous, hélas, si bien que le soir venu, ils sont nombreux à être à l’affût du grand spectacle. Le ciel doit être clément ; le temps, ce soir, se prête à ces folies des sens. Beaucoup s’allongent dans les fourrés, histoire de voir la feuille à l’envers et de se faire le plus discret possible. On devine que chacun retient son souffle dans l’attente d’un événement considérable.


Les uns viennent affublés de tenues guerrières pour mieux se dissimuler. Ils portent des armes, heureusement inoffensives, autour du cou : des téléobjectifs immenses qui tiennent davantage du fusil de chasse que de l’appareil photographique. Certains ont besoin de prendre leur pied : il faut avouer que le contexte s’y prête merveilleusement bien. Ne leur tenons pas rigueur de ce petit plaisir par procuration ...



D’autres ont besoin de leurs deux yeux pour se faire voyeurs plus encore. Ils sont guetteurs dans l’obscurité, vigies attentives du moindre mouvement à la lisière du bois. Ils ont parfois des merveilles techniques autour du cou afin de percer la nuit qui tombe désormais. Comme les premiers, ils sont tapis, immobiles, silencieux. Ce qu’ils attendent les met en transe !


Chacun alors prend son pied à sa manière. Il en est qui tendent la perche, ils y ont fixé un microphone sensible, capable de saisir murmures et soupirs. Ils portent un casque sur les oreilles pour se centrer sur les appels de la forêt et oublier le tumulte qui ne manque pas de se produire derrière eux. Il faut bien admettre qu’il y a foule pour assister à ce que tous prennent pour un spectacle et qui devrait rester un moment secret et intime.


Les automobiles tournent dans les bois. Les chemins communaux sont envahis. Les passagers descendent, claquent les portières. Ils discutent, s’extasient de la foule présente dans leur coin secret. Puis ils avancent et commencent à se taire, sans doute un peu tard pour que le loup sorte véritablement du bois… Tous ont des yeux de biche pour percer la muraille des taillis … Au loin, une inconnue enlace un chêne dans le sous-bois. Elle semble ailleurs, mystérieusement ailleurs !



Soudain, un murmure parcourt toutes les échines… Une belle dame daigne se montrer. Elle avance majestueuse, indifférente à cette foule impudique qui vient assister à la grande aventure de la vie. Elle se sait prête à recevoir son maître ; elle l’espère, elle l’attend. Qu’importe tous ces témoins trop curieux, il est venu pour elle le temps de perpétuer l’espèce !


Un bruit, un cri, un hurlement, un feulement, un râle déchire la nuit. Il arrive, il avance, il réclame sa belle. C’est Sa Majesté : il en impose avec sa merveilleuse couronne. Il va saillir sa biche, lui octroyer ce qu’elle réclame et que tous ces gens veulent voir. Il a cependant quelques réticences à se montrer ainsi. Il a besoin d’un peu d’intimité : il attendra que la nuit tombe.


En attendant, il entonne la musique des amours : le brame immémorial. C’est ce chant magnifique, étonnant, si émouvant que sont venus écouter tous ces gens. Ils sont servis. Le grand cerf ne ménage pas ses effets. Il épate la galerie et sa belle par la même occasion. Il en rajoute un peu, se fend d’un long appel guttural : un éraillement d’autant plus caverneux qu’un jeune freluquet au petit chef dérisoire, vient lui disputer sa harde. Il va voir de quel bois il se chauffe ce blanc corne ! …



La bataille n’aura pas lieu. L'impétrant repart la queue entre les jambes. Le public s’indigne de n’avoir pas droit au combat des chefs. Les querelles de ménage : il n’y a rien de tel pour que jubilent les voisins. Le spectacle aura été de courte durée. La foule se disperse ; chacun rentre en sa demeure avec le secret espoir que le spectacle inspirera monsieur ou madame. Combien d’ébats naissent ainsi ? Nul ne pourra jamais le dire. Monsieur cerf et mesdames biches ne viennent pas épier les amours humaines.


Plus loin, dans la nuit, derrière un vaste rideau d’arbres, un concert est offert aux plus persévérants des curieux. Quinze à vingt mâles beuglent leur désir. C’est un chant ininterrompu, la plus belle ode à l’amour qu’il m’ait jamais été proposée d’entendre. C’est curieux, étrange , troublant, bouleversant. C’est beau et fort, profond et mystérieux. Plus personne ne parle. Chacun est en émoi. L’appel de l’amour, le fantastique tourment du désir s’expriment ici avec mille et une nuances.


Tout en écoutant, je me demandais comment vous rendre compte de cette merveille. Je cherchai des images, des mots pour décrire chaque râle. Puis je renonçai à cet impossible. Il vous appartient de jouir à votre tour de ce moment unique, de ces instants magiques. Fuyez la foule, allez au cœur de la forêt profonde et ouvrez grands vos oreilles et votre cœur.


Bramenent leur.


 

vendredi 26 février 2021

Le nez dans la farine.

 

De la poudre aux yeux. 

Minotiers et Minauderies




Depuis le temps qu’il nous donnait du grain à moudre, matière à broyer des idées noires, tout en devant s’écraser devant la puissance de son verbe, ce moulin à paroles a reçu la monnaie d’une pièce qu’il n’avait pas mise de côté. Il faut se garder de jeter de la poudre aux yeux au bon peuple ; celui-ci finit toujours par devenir chaud du bonnet et, en la matière, ce fut celui du meunier qui porta l’estocade.


La farine était blanche, ce qui, hélas, n’était pas le cas de la cible. Même si la justice n’a pas tranché, on peut affirmer que l’homme avait fait belles et grandes moissons dans les deniers publics. Le bon grain lui est désormais revenu en pleine face tandis qu’il salissait ainsi une livrée, sans doute offerte par un gros céréalier de Beauce : un généreux donateur qui souhaite que son favori lui permette de continuer de souiller la terre encore longtemps.


À ce train-là, la farine blanche va devenir une arme de destruction massive et le pauvre empêcheur de frauder en rond risque fort les foudres d’une justice impitoyable avec le terrorisme chimique. Ceux qui répandent sans compter des produits toxiques sur les récoltes sont des bienfaiteurs de l’humanité, quand celui qui s’élève contre la caste des empoisonneurs risque l'échafaud.


Il est vrai que notre ami des céréales douteuses était, lui aussi, présent aux obsèques du grand minotier de la fédération des agriculteurs apprentis sorciers. À défendre ainsi la production intensive et nocive, il était prévisible qu’un excès de production lui revienne en pleine face. Ce sont les lois du marché : elles sont aussi intangibles que le courroux des peuples humiliés, volés, trahis, foulés au pied.


Gloire à l’enfarineur ! En écrivant ceci, je ne sais d’ailleurs qui est celui qui mérite pareil titre de gloire. J’avoue que la cible en costume-cravate mérite, plus que tout autre, cette distinction ; lui qui ne sait du blé que la partie qu’il se met dans les poches. La fatigue d’une campagne harassante et délicate lui ayant octroyé de jolies poches sous les yeux, le blé devint farine par la magie d’une meute qui refuse de s’écraser.


Les casseroles ont cessé de faire du bruit. Le sac de farine ne risque pas de tomber sous le coup des délits de tapage public. La prochaine étape consistera à envoyer des œufs sur le bonhomme pour qu’il finisse par s’écraser comme une crêpe. Vous pouvez admirer la logique, tout en remarquant que les casseroles furent sans doute une réponse prématurée. C’était ce qu’on appelle dans l’agriculture - que ne défend pas notre châtelain - mettre la charrue avant les bœufs !


Ne poussez plus, monsieur l'accapareur ; nous ne sommes justement pas des bœufs. Vous comptez nous mettre sous le joug de votre mépris sidérant, de votre politique de classe, de vos mesures injustes et inégalitaires. La farine nous monte au nez ; vous en constatez les effets. Votre honneur aurait pu être touché par ce geste discutable mais d’honneur, monsieur, vous nous avez démontré que vous n’en avez guère.


Comme le chiendent pousse parfois dans les beaux épis de blé, vous êtes le parasite de la République, le chancre d’un système politique qui fait la part belle aux profiteurs de votre espace. La coupe est pleine et la colère se déverse désormais sur vous qui êtes devenu le symbole de la déliquescence de la démocratie représentative.


Un grand coup de vent s’impose ; non pour faire tourner les moulins et vous permettre ainsi d’être blanchi par le peuple, avant que vos avocats ne trouvent la faille, mais bien pour broyer tous les gredins de votre espèce. Nous avions une poutre dans l’œil et nous pensions naïvement que ce n’était qu’une paille, trop habitués que nous étions à choisir d'attribuer le poste à celui qui tirait la plus courte pour mieux nous leurrer. Le temps est venu de faire grande et belle moisson. Le peuple souverain reprend son destin en main.


Pour ne pas gaspiller, d’autres fabriquent des petites poupées de paille. Quelques affiches électorales permettront de leur donner visage humain. Nous piquerons ces poupées d’aiguilles après moult incantations. La malédiction tombera alors sur les épouvantails de nos palais. Le temps est venu de la récolte républicaine, du grand battage des moissons. Les ballots ont cessé de l’être et nos grains de blé n’iront plus remplir vos silos et vos greniers quand l’ivraie sera enfin remisée dans des prisons qui n’attendent que vous. Coupons le blé en herbe tant qu’il en est encore temps.


Enfarinement sien.


 

jeudi 25 février 2021

Entre neige et garnazelles

 

Trois rivières …




Première étape de beau temps avec même un petit vent dans le dos qui me pousse à aller toujours plus vite. Je profite du spectacle d’une Loire haute et bienveillante et, toute la journée, m'accompagne le chant des grenouilles, mes chères garnazelles ! Qui prétend que c'est leur fête seulement quand il pleut et qu’il mouille ? Voilà belle stupidité ; aujourd’hui, elles se sont réveillées pour me faire joli cortège musical.


La neige aussi fut de la fête :celle qui tombe des peupliers et couvre la rivière d’un tapis blanc. Un coup de vent, et j’avais l’impression d’avoir devant moi une averse de flocons ; joli spectacle dont il faut profiter un jour sur notre Loire. Vous auriez aussi pu découvrir l’envol des cygnes à l’approche du canoë, le bruit du claquement de leurs ailes, d’abord quand elles frappent l’eau pour parvenir à décoller puis dans l’air quand les oiseaux prennent de la hauteur. C’est beau, c’est puissant, c’est émouvant !


Après la soirée fort calme de la veille où nous avions regagné nos tentes respectives avant 21 heures, le repos fut salvateur. Au petit matin, c’est plein d’entrain et de détermination que j’allai à la rencontre du groupe d’adolescents qui campaient plus loin. Je découvris ainsi trente-et-un jeunes gens, encadrés de six professeurs, qui parcouraient une portion de la Loire à vélo de Tours à Orléans.


Ils viennent du Lycée Charles Baudelaire de Courcouronnes. Les filles sont en majorité : toutes membres de l’association sportive qui a un club de cyclisme féminin. Quelques garçons complètent le groupe : ils sont en troisième préparatoire à la filière professionnelle. C’est Claire, une prof d’EPS qui est à l’initiative de ce beau projet. Nous discutons et je propose de raconter un conte à la joyeuse troupe, manière de vulgariser notre rivière et de faire passer un message. Ils ont droit « au rêve d’un gosse ! » que j’aime à dire en pareil cas.


J’ai le sentiment d’avoir ainsi contribué à donner du sens à mon périple, en dépit de l’absence de promotion autour de mon initiative. Je ne doute pas que la presse ait autre chose à faire que de narrer les péripéties d’un âne bâté et je ne cherche même plus à faire de la publicité à mon passage. Je compte exclusivement sur la toile et les bonnes âmes pour partager mes écrits. Le bouche à oreille aura peut-être raison du silence des médias.


Je pouvais alors embarquer, heureux d’avoir rempli mon contrat moral. Je retrouvai mon cher canoë qu’il faudra bien baptiser un jour. Je penche pour « Mes Bonimenteries ! » tout en demandant à mes chers lecteurs s’ils ont meilleure idée. Un livre : « Les Bonimenteries du Val d’Or » pourrait bien récompenser la meilleure proposition. Je filai sur la belle ville de Blois, déplorant le spectacle affligeant des voitures garées sur le quai. À Orléans, à l’initiative de Serge Grouard, le maire précédent, pareille vision n’est plus possible sur la rive droite. Reste encore à évacuer ces verrues de l’autre côté.


Le passage du pont de Blois fut encore une épreuve. L’arche marinière a depuis longtemps cessé d’être recommandée ; la croix n’y fera rien : celui qui s’aventure là risque de verser dans les flots. Il est préférable de prendre la troisième arche sur la droite, en sachant que, si la première vague n’est pas sérieuse, il y a un reflux qui arrive de la gauche et qui fait embarquer un peu d’eau. J’en fus quitte pour avoir les pieds mouillés et je tentai de regagner la rive pour aller prendre un café.


Pour accoster, la berge n’était guère accueillante. Je visai un espace qui me semblait plus propice et où un couple d’amoureux d’un côté et un homme promenant son chien de l'autre, pouvaient aisément me porter assistance. Hélas, à mon approche, les uns et l’autre déguerpirent pour éviter de me saluer, sans doute . Ces trois gougnafiers sont à l’image de cette société où l'individualisme et l’égoïsme gouvernent le monde. Je dus donc me dépatouiller tout seul entre cailloux et berges instables sans même trouver un anneau d'amarrage. Oublions ces gens de peu d’importance : d’autres se montrèrent plus aimables.


Je retrouvai mon logisticien préféré : Georges qui se refait doucement une santé et nous allâmes boire un café au bar le Baroque où David, le chef cuisinier en personne, nous servit. Puis nous allâmes chercher de quoi nous sustenter à la boulangerie Simonnet. Mélanie nous offrit son sourire et écouta notre histoire. Enfin, ce fut le personnel de la maison de la BD dont le directeur Bruno Genini grâce à Valérie, l’hôtesse, nous donna l’autorisation d’utiliser un de ses tableaux pour illustrer le billet du jour.


Ainsi réconforté, je pouvais reprendre les flots. Je voguais à présent dans un décor qui changeait. Quelques reliefs se présentaient à moi sur une rive ou bien sur l’autre : des petits promontoires, des hauteurs sur lesquelles se dressent manoirs ou belles gentilhommières. La Vallée des rois annonçait ses premiers frémissements. Bientôt les châteaux vont orner mon périple, lui offrant un décor prestigieux.


Je fis une pause casse-croûte en amont de Candé sur Beuvron. Georges avait repéré un petit coin sympathique duquel je pus envoyer le message de la mi-journée pour ceux qui suivent mes aventures sur la page Facebook de C’est Nabum. Je me fis un sandwich aux rillettes d’anguilles que j’avais dénichées à La Bourriche aux appétits du lac de Blois. Ce sont les produits d’un pêcheur de Loire qui fait un excellent travail.


Ragaillardi, je décidai, en reprenant le voyage, de faire détour et petite folie. Je voulais remonter le Beuvron (la rivière à castors en gaulois) mais le bougre d’affluent était loin d’être la petite rivière tranquille de l’été. Ses eaux étaient boueuses et coulaient à fort débit. Chaque mètre demandait des efforts. Je renonçai à aller jusqu’au joli pont de pierre de Candé et bifurquai sur le Cosson, manière de poursuivre l’effort sur cette autre rivière où j’ai eu le bonheur, il y a fort longtemps, d’effectuer un périple hivernal des plus mémorables. Ceux qui ont partagé cette aventure s’en souviennent certainement.


Exténué mais heureux je pouvais faire demi-tour pour retourner à la Loire. Quel spectacle que de sortir du Beuvron étroit pour déboucher sur une rivière très large en cet endroit ! Le panorama grandiose qu'elle m'offrait valait les efforts consentis.


Bonne soirée les terriens.

Grenouillement vôtre.


 

mardi 23 février 2021

La princesse de l’Île.

 

La bergère et ses moutons.

 


 


Il était une fois une belle damoiselle isolée sur une Île dans le marais de Saillé. Qu’elle fut Princesse ou bien bergère n’a d’ailleurs aucune importance, son domaine était immense certes mais dépourvu de la moindre âme qui vive. Elle gardait de curieux moutons, ceux qui paissent dans le ciel et plus encore ceux qui affleurent à la surface des eaux. Elle commandait aux uns comme aux autres puisqu’elle était souveraine en son royaume.


Elle avait là une humble chaumière, couverte de roseaux comme cela se fait dans ce pays magnifique. Elle vivait là porteuse d’une redoutable responsabilité. Chaque matin, elle devait se lever à l’aube, se tourner vers le levant et d’une voix cristalline chanter pour inciter le soleil à se lever. Une fois son œuvre accomplie, elle devait veiller à ce que les moutons du ciel ne viennent pas s'immiscer entre l’astre et la terre.



Le soir venu, se tournant alors vers le ponant, elle chantait une autre fois, cette fois une berceuse pour inciter le soleil à prendre ses quartiers nocturnes. Si elle avait bien œuvré, elle se régalait alors d’un spectacle incomparable, un ciel illuminé, sans nuage, flamboyant de mille et une couleurs chaudes.


Il lui arrivait parfois d’être étourdie, de ne pas surveiller comme il convient la marche des moutons du ciel. Alors le ciel s’assombrissait, le vent se levait, le froid s’installait sur ses terres, les eaux se couvraient d’une myriade de moutons d’écume qui menaçaient sa modeste chaumière. Elle se jurait d’être plus attentive la fois prochaine, la belle était rêveuse et avait tendance à ne pas tenir correctement sa surveillance céleste.



C'était un jour de grande tempête, les vagues se faisaient si menaçantes que cette fois, elle allait connaître grand péril, submergée sans doute, quand elle aperçut au loin sur les flots en colère, un chevalier venir à elle, la perche à la main afin d’avancer sur son chaland. Il volait littéralement à son secours, elle en avait la certitude, espérant de tout son cœur qu’il arrive à temps avec qu’elle ne soit engloutie !


Il arriva à elle juste à temps pour la prendre à son bord. Les eaux gagnaient sa demeure, il n’était d’autre issue pour la Princesse que celle de la fuite avec le galant homme. Une fois sur l’embarcation, elle se souvint qu’il était temps de remplir sa mission. Elle chanta une mélodie douce et nostalgique afin que le soleil disparaisse à l’horizon.



Ce fut soudainement un silence complet. La tempête cessa dans l’instant, le ciel était totalement noir. Elle en eut quelques frissons. Elle n’avait jamais eu l’occasion d’assister à ce spectacle. Chaque soir, sa chanson du couchant lancée dans le ciel, elle rentrait alors sagement dans sa demeure. Mais cette nuit-là était tout autre, elle était sur le bateau d’un chevalier nautier et le regard tourné vers la nue, elle se rendit compte qu’il lui manquait quelque chose.


Le marinier qui jusqu’alors était resté silencieux s’adressa à elle, ne l’appelant ni Princesse ni bergère, mais tout simple noble dame. Il la pria de chanter pour lui, de l’aider à trouver la force de revenir vers la terre ferme, lui qui avait tant peiné pour venir la secourir. La dame le fit de bon cœur, ne sachant comment se montrer aimable pour son sauveur.



C’est alors que dans le marais si fit entendre un énorme vacarme. Du fond des eaux profondes, un monstre surgit, dérangé qu’il avait été par ce chant inhabituel au milieu de la nuit. C’était un dragon, une bête terrifiante qui ouvrait grand une gueule hideuse et menaçante. Le chevalier empoigna sa perche et l’engloutit dans la bouche du monstre, le terrassant dans l’instant.


La belle eut si peur qu’elle se blottit dans les bras de son deux fois sauveur. Ne sachant faire autrement, elle lui offrit une nouvelle chanson, une tendre ballade qui mit en émoi ce courageux garçon. Des larmes, grosses comme des perles coulèrent de ses yeux, tombèrent dans l’eau en une mystérieuse pluie d’étoiles.



Chaque larme au lieu de s’enfoncer dans les profondeurs du marais, se cristallisa et se transforma en un grain de sel. La princesse continua à chanter, devinant tout ce qu’elle pouvait tirer de cette découverte. C’est ainsi qu’elle chanta si longtemps que des monticules de sel se formèrent. Le chevalier ayant pleuré toutes les larmes de son corps, au bord de l’épuisement lui demanda humblement de cesser. Il n’en pouvait plus.


Il ramassa le sel, en fit don à la belle dame en lui glissant à l’oreille qu’il venait d’imaginer grâce à elle, un autre moyen de récolter ce merveilleux don de la nature. Il la conduisit sur son île, les eaux s’étant retirées, lui demandant simplement de reprendre son activité solaire. Il lui organisa des canaux pour que l’eau qui entre dans le marais vienne de l’Océan.



C’est ainsi que naquirent les marais salants parce que chaque jour la Princesse chante pour réveiller le soleil qui permettra aux cristaux de sel de se former. La technique fut longue à mettre en place mais en souvenir des larmes du chevalier, les petits carrés du marais se sont appelés des œillets.


Ainsi se raconte l’histoire dans ce beau petit village de Saillé. Le soleil se levait sur un nouveau matin, il m’avait semblé entendre une voix magique dans le murmure de l’Océan lointain. Je crus alors à la fable qu’on venait de me raconter.


Maraîchinement sien.



 

En chien de fusil

 

Tel est pris qui croyait prendre

 


 


Ils avaient battu la campagne, allant au hasard de leurs envies, de leur désir fou de séduire l'autre en confidences et mots tendres. Ils franchissaient vaux et berges, chemins et fourrés, plaines giboyeuses et forêts profondes. Le mystère de la nature opulente devant servir les desseins du chasseur en quête de sa proie. Il était temps pour eux de rentrer, harassés par cette longue et merveilleuse approche …


Contre toute attente, c'est la biche qui convia l'un de ces chasseurs chez elle. Diane avait pris les devants : l'Apollon des vallons se trouvait coi devant pareille initiative, contraire à ses habitudes, aux traditions de la grande traque amoureuse, pris à son propre jeu, contraint d'accepter de poursuivre l'aventure sur un terrain qui n'était pas le sien. Pour ne pas perdre la face, il lui fallait accepter cette avance qui fleurait bon le piège …


Ce qui se passa alors dépasse les coutumes de la vénerie. Après une chasse à courre haletante, les corps rendirent les armes. La chevauchée fut magnifique : à tour de rôle, ils furent proie et chasseur, bête traquée et corps abandonné. Il battit en retraite devant les assauts audacieux de la dame : les dés étaient pipés, les codes réfutés. C'est Diane qui menait le bal et c'est elle qui sonna l'hallali.


Apollon dut se résoudre à ravaler sa morgue. Il avait trouvé son maître et c'était une maîtresse. Il lui fallait faire allégeance et marquer sa soumission. Il se pliait à ses envies, acceptait ses caprices, subissait ses assauts. Bientôt, il sut qu'il était pris dans les rets de la dame, qu'il était à sa merci. Dans un dernier râle, il céda au flot impétueux de son abandon.


Diane lui sourit. Il y avait dans ce sourire la marque de la victoire, il se sentit gibier, comprit qu'il était son jouet. Il n'avait plus qu'à obtempérer, renoncer à prendre les devants. C'est elle qui menait la chasse et elle avait proclamé la fin de la partie. Elle ferma les yeux, se coucha  « en chien de fusil »-étrange et inquiétante expression quand on y songe- et s'endormit. Apollon, avouons-le, n'avait plus de cartouche dans sa gibecière ; il était temps pour lui aussi de fermer les yeux, soumis et épuisé.


Il devait se rendre à l'évidence : lui la fine gâchette avait trouvé une dame qui faisait flèche de tous bois. Cupidon l'avait pris au piège ; il n'allait plus se disperser : il avait trouvé celle à laquelle il lui faudrait se soumettre. Diane allait lui mettre du plomb dans la tête ; il le savait, il le sentait. Il voulut s'endormir à son tour contre sa bien-aimée.


Hélas, il ne trouva pas le sommeil. Il était condamné à passer nuit blanche, à égrainer la liste de ses conquêtes passées, à revoir ce merveilleux tableau de chasse dont il était si fier. Il savait désormais que c'en était fini ; il avait trouvé chaussure à son pied, à sa grande pointure. Sa Diane dormait à ses côtés, il écoutait son souffle tranquille et profond. Il se perdait en contemplation, quand un mouvement maladroit remit le feu aux poudres.


Le tumulte fut bref, violent, foudroyant. Apollon perdait la tête, il était emporté par la vague fulgurante de sa compagne. Il se contentait de faire bonne figure, acceptant de ne plus décider, subissant les assauts et se pliant aux demandes de la chasseresse. Bientôt, il sentit que sa vie était en danger, qu'il était tout au bord du précipice, d'un gouffre sans fond dans lequel il était absorbé, avalé sans rémission.


Il sentit une larme blanche couler sur sa joue. C'était l'agonie qui se manifestait au moment où sa Diane, qui s'était emparée d'un braquemart, lui trancha la tête. Le chasseur d'autrefois passait l'arme à gauche ; il avait la tête ailleurs. Il sentit que sa conquête l'exposait comme un trophée. Il se retrouva flanqué d'une paire de cornes- étrange ironie du destin-pour décorer une cheminée. Il était à la poursuite d'une biche aux yeux langoureux ; la fin n'était pas celle qu'il avait envisagée.


Triste sort que le sien. Il retrouva son corps privé de tête au fond des bois. Diane l'avait abandonné à l'appétit des charognards. Dans un ultime geste de dépit, il voulut s'assurer d'une dernière chose : il porta ses mains entre ses cuisses, à la recherche de ce qui faisait jadis sa gloire et sa folie. Par malheur, Diane avait conservé par devers elle, le symbole de sa victoire. Il n'était plus rien. Il succombait, honteux et humilié. Ainsi, tel était pris qui croyait prendre. Il avait péri par où il avait toujours fauté. Il faut se méfier de celles qui dorment en chien de fusil !


Chasseressement sien.


 

lundi 22 février 2021

Les belles louves.

 

Le musicien de Cinq-Mars-la-Pile

 





À Cinq-Mars une tour antique domine la Loire, immense phallus de brique, érigé fièrement au-dessus de la rivière. Elle est là depuis des temps immémoriaux et son état de conservation tient lieu du miracle. La belle construction se dresse à plus de trente mètres de hauteur. Elle eut l’honneur d’être citée par Rabelais, homme de goût, prompt à raconter des histoires. Je ne sais si celle que je vais vous narrer vient de lui. Qu’importe, il suffit de vous laisser porter par le récit ! 

 

Il était une fois, au pied de la belle tour, un chemin qui conduisait vers un carrefour qu’on n’avait pas pris la peine de nommer. On s’interrogeait sur l’origine de ce nom étrange, d’autant que bien des phénomènes mystérieux étaient associés à l’endroit. On le disait hanté par des esprits malins, des elfes et des lutins. Personne ne s’y aventurait la nuit. Les gens d’alors étaient superstitieux. 

 

C’est pourtant à la nuit tombante qu’un musicien, un ménestrel qui allait de château en château, n’étant pas homme à reculer devant les histoires de bonnes femmes et les manifestations douteuses de la crédulité des hommes, emprunta ce chemin pour se rendre à Langeais, en dépit des mises en garde multiples qu’il avait reçues des gens du pays.

 

L’homme allait, son psaltérion en bandoulière. Il marchait d’un bon pas, chantonnait, tout occupé qu’il était à la création d’une chanson de geste qu’il allait proposer au seigneur de Langeais. Il avait l’esprit rêveur, il était question dans son récit de quatre belles demoiselles, vêtues de blanc et aux mœurs aussi légères que leur tenue. Il faut reconnaître que notre homme avait sans doute quelques démangeaisons intimes : sa vie amoureuse n’étant pas des plus florissantes.

 



Il allait conclure mentalement avec l’une des donzelles quand il arriva au carrefour sans nom. Le ménestrel chantonnait à haute voix, lui qui pensait être seul, son récit prenait forme et il s’accordait le beau rôle avec jubilation et envie. Quand soudain, il tressaillit : une belle, telle que la décrivait sa chanson, apparut devant lui.


Elle était plus belle encore qu’il n’avait pu l’imaginer. Elle laissait transparaître un sein merveilleux qui s’offrait à son admiration, sa chevelure flottait au vent. Sa blancheur contrastait avec la nuit qui s’installait progressivement sur la vallée. Notre musicien resta bouche bée. Jamais il n’avait vu apparition plus splendide.


Il n’était pas au bout de ses surprises car trois autres beautés surgirent de nulle part ; plus attirantes les unes que les autres. Après des semaines d'abstinence, notre pauvre musicien en perdait la raison. Il ne savait plus où poser son regard concupiscent. L’une avait des fesses à vous damner, l’autre des proportions qui en faisaient une statue antique, la troisième un sourire à vous faire fondre et les seins de la première avaient d'emblée subjugué le ménestrel.


Ses yeux sortaient de leurs orbites, ses cheveux se dressaient sur son crâne, il se sentait pris de frissons et de bouffées de chaleur dans le même temps. Il se comportait de bien étrange manière, il bavait, écumait, avait la langue pendante et n’aurait rien eu à envier au loup de Tex Avery s’il avait eu le bonheur de le connaître. Je tairai, par décence, les modifications morphologiques qui accompagnaient ces manifestations plus visibles, quoiqu’à bien le regarder, les quatre nymphettes n’eussent aucun doute quant à l’effet qu’elles produisaient sur le bonhomme.



Il y avait diablerie dans ces apparitions en dépit du regard angélique des donzelles. Le ménestrel allait défaillir quand la plus jeune prit la parole d’une voix à vous damner. « Beau musicien, fais-nous danser toute la nuit. De ton instrument, enchante nos âmes, réjouis nos cœurs et, au petit matin, tu auras la plus belle récompense que tu puisses rêver ! »


Le Ménestrel ne se fit pas prier. Il avait une petite idée et une grande envie de la récompense suggérée. Il joua de son psaltérion-une cithare qui avait un cœur percé en son centre- avec une inspiration sublime. Les belles faisaient rondes et ballets autour de lui, lui susurraient des mots tendres, lui octroyaient œillades et baisers envoyés à la volée.


Plus elles aguichaient le musicien, plus sa mélodie se faisait gracieuse et plus le pauvre homme bouillait d’impatience et de désir. Les belles se faisaient lascives. Elles laissaient de plus en plus entrevoir des peaux diaphanes et des merveilles de courbes et de rondeurs. Jamais on n’entendit plus belle musique sur les bords de Loire, jamais on ne vit danses plus torrides.


Puis le jour se leva, la récompense du Ménestrel était proche. Son cœur battait la chamade, il avait les doigts tout usés d’avoir ainsi joué une nuit entière sans interruption. Il venait de vivre la plus belle de ses nuits, il pensait toucher le Graal et jouir sans retenue des belles danseuses quand soudain, à l’instant même où l’astre solaire faisait son apparition sur la Loire, les danseuses se métamorphosèrent en louves. Elles filèrent bien vite et pénétrèrent dans une grotte creusée dans le tuffeau.



Le pauvre ménestrel ne put supporter ce mauvais coup du sort. Il avait tant espéré, que la rouerie des diablesses le mit au désespoir. Il détacha une à une les cordes de sa cithare, les noua entre elles et choisit un chêne vénérable. Il se pendit dans l’instant, sans signe de croix ni la moindre prière pour sauver son âme. Les soubresauts de la mort furent accompagnés d’une éjaculation somptueuse et magistrale.

Dans l’instant même où la semence du défunt toucha le sol, un bouquet de mandragores sortit de terre et le pauvre garçon se transforma en loup. Ainsi l’endroit fut-il nommé : « le Carrefour du Loup pendu ». On attribue bien des vertus magiques à la mandragore et on laissa la dépouille du loup pourrir sur son arbre.

Depuis, il se murmura longtemps dans la région qu’il y avait, chaque nuit, grand sabbat dans la grotte à flanc de vallée. Quatre louves et un vieux mâle faisaient sarabande amoureuse au son mystérieux d’un instrument à cordes, venu d’on ne sait où. Ainsi se répandent les légendes qui aiment à voyager au fil du courant …


Mélodieusement leur.

 


Son dernier bal !


La danse du balai





Il se murmure d’étranges choses entre Sologne et Loire. Nous ne pouvons leur accorder créance tant elles paraissent incertaines et plus encore. Néanmoins, puisque cette légende est venue jusqu’à mes oreilles, je me fais un devoir de vous la confier, sans attendre de vous que vous la preniez pour véritable.


Il y a fort longtemps dans un village lové auprès de son château, vivait un humble berger qui gardait des moutons et des chèvres dans les pâtures au bord de la rivière, ces grands espaces destinés au pacage collectif qu’on nomme au pays « Varennes ». Éric était un fort beau jeune homme qui faisait tourner bien des têtes parmi les charlusettes de l’endroit. De toutes ces jeunes filles, la plus énamourée et la plus assidue était sans nul doute Jacquenote. Elle n’avait d’yeux que pour lui, attendait qu’il se déclare pour lui donner sa fleur.


Hélas, l’amour est aveugle ! Le gentil berger était épris d’une femme plus âgée. Irène était une dame à la réputation incertaine tout autant qu’à la beauté aussi vénéneuse qu’envoûtante. Le berger avait succombé au magnétisme d’un regard étincelant. D’un bleu profond aux délicates nuances orange et jaune, les pupilles de la dame brillaient tout particulièrement la nuit venue. Beaucoup, à cause de ce regard, lui attribuaient des pouvoirs occultes, se méfiaient d’elle tandis que certains se signaient à son approche et lui tournaient le dos. Éric se moquait de ces rumeurs qu’il pensait infondées, il était sous le charme de celle qu’on nommait dans son dos : « La Birette ».


Quand ses bêtes étaient à l’abri dans leurs bergeries, Éric, la nuit tombée ne manquait jamais d’aller rendre visite de courtoisie à Irène au plus grand dépit de Jacquenote. Là, dans la chaumière de la sorcière, il était sous le charme. Il la regardait, lui décrivait ses émotions que la femme écoutait sans y prêter grande attention. Puis, quand dix heures sonnaient au clocher de l’église, Irène disait toujours la même chose à ce pauvre berger : « Allez, mon bel ami, ouste. Du Balai ! J’ai tant à faire qu’il vous faut me laisser ... »


Èric s’en allait, penaud et déconfit. Il trouvait souvent sur sa route Jacquenote qui avait repéré le manège et savait l’heure où le trouver, la mine refrognée. La jeune fille lui octroyait de tendres œillades, tentait de le convaincre que c’est avec elle qu’il serait heureux. Éric n’en voulait rien savoir, c’est Irène qui était dans son cœur en dépit de cette rebuffade quotidienne.


Le temps passa ainsi. Ni le berger ni la pauvrette n’étaient heureux tandis que dame Irène semblait indifférente et allait son train. Jacquenote un soir, n’en pouvant plus osa dire ses craintes et ses doutes à propos de celle qu’elle prenait pour une sorcière. L’amoureuse éconduite conseilla à son berger de cœur de faire le guet devant la chaumière de la femme à la minuit.


Éric fut soudainement frappé d’une sourde inquiétude : « Et si la petite avait raison ! » À dix heures sonnantes, cette fois encore Irène le pria comme à l’accoutumée de déguerpir et de la laisser tranquille. Le berger se cacha derrière un fourré, attendit deux longues heures, miné par l’angoisse, redoutant ce qu’il ne manquerait pas découvrir. Il s’était imaginé qu’un homme marié allait frapper à la porte de la dame qui n’attendait que lui. Il fut bien plus surpris hélas !


À minuit tapante, Irène ouvrit sa porte. Elle était vêtue entièrement de blanc, d’une vaste robe flottante. Elle semblait en lévitation sortant prestement de sa demeure pour filer en tournant le dos à la Loire. Il se rendit compte qu’elle chevauchait un balai en bouleau. Il dut courir pour la suivre à distance, la femme allait bon train sans avoir besoin de marcher.


De temps à autre il la perdait de vue mais Éric avait compris où sa dame de cœur se rendait. Il n’y avait aucun doute, c’est vers la clairière des Frappiers, là où se termine le Val et commence la Sologne mystérieuse, que son balai la portait. Il arriva fort essoufflé alors que le Sabbat était depuis quelques temps entamé.


Irène dansait avec des créatures étranges, des êtres porteurs de cornes. Il était horrifié de la voir ainsi se donner corps et âme à des diablotins qui l’entraînaient dans des rondes effrénées. De temps à autre, l’un de ces personnages hirsutes prenait la Birette par la main pour la mener à l’écart de la prairie. À chaque fois, des murmures, des plaintes, des cris ne laissaient aucun doute sur ce que faisaient ces deux-là. Après s’être donnée à tous les participants de ce bal satanique, Irène rentra chez elle de la même manière. Le jour allait se lever. Le pauvre Éric était au désespoir, il s’était épris d’une immonde sorcière qui s’était moquée de lui, le faisant passer pour son fiancé alors qu’elle était la maîtresse de tous les diables. Il pensa avec honte à cette pauvre Jacquenote qu’il avait laissée se languir. Quel misérable il était.


Le temps passa. Éric cessa de rendre visite à celle qui n’était qu’une infâme sorcière. Il acceptait désormais la compagnie de Jacquenote sans pour autant répondre à ses avances malgré le plaisir grandissant qu’il y prenait. Il lui fallait d’abord digérer sa blessure sans pour autant se jeter sur la petite. Il voulait que murissent ses sentiments.


Ce soir-là, il y avait un bal dans le village. La cicatrice était résorbée, le Berger accepta l’invitation de son amie. Jacquenote s’était faite belle, Éric sentit poindre en lui une attirance nouvelle, un désir qui lui redonnait la joie de vivre. Le duo, sous le regard amusé de l’assemblée, ne cessa de danser. Tous remarquèrent l’harmonie du jeune couple. Elle faisait plaisir à voir. Dans l’ombre, à l’écart, une femme rongeait son frein et grinçait des dents. Irène était jalouse ...


Les deux amoureux se déclarèrent. Leur mariage fut annoncé. C’est le jour même de la cérémonie que la belle romance bascula dans le drame le plus affreux. Alors qu’ils sortaient de l’église, les nouveaux époux passèrent à proximité d’Irène. La femme quoiqu’ayant le regard mauvais, se mit à jouer à la cabrette un air endiablé auquel la belle épousée ne put résister.


Jacquenote se mit à danser. Elle ne se maîtrisait absolument plus. Elle était comme prise de folie. Elle tournoyait, sautait, chantait de manière inconsidérée. Soudain, sans que personne ne puisse la retenir, tout en dansant encore et encore, elle pénétra, portée par sa farandole diabolique dans le château. Quelques minutes plus tard, la foule médusée la vit à nouveau. Elle était tout là-haut sur le chemin de ronde. Elle dansait toujours, en équilibre sur les créneaux. La foule se taisait, pressentant le drame.


Elle fit un pas de trop, un pas fatal. Jacquenote perdit l’équilibre et tomba dans la Loire pour y disparaître à jamais. C’était l’effroi. Éric poussa un hurlement terrible, un cri qui ressemblait étrangement à celui d’un loup avant que de s'effondrer en larmes. Le pauvre garçon ne put s’en remettre, il venait de perdre la tête et son amour. Il quitta le pays, se fit vagabond et personne n’entendit plus jamais parler de lui dans le pays.


Au village, on se saisit immédiatement de la Birette ! Elle fut enfermée dans la prison du village pour l’éloigner de la foule qui voulait l’écharper. Un procès eut lieu, à la demande de l’église. Elle fut tout naturellement accusée de sorcellerie. Les témoignages étaient accablants, le souvenir de Jacquenote présent dans tous les esprits. Le verdict tomba sans surprise : la mort d’une manière terrible ! Il fut décidé de l’attacher à un châtaignier aux Frappiers et de la laisser à l’appétit des loups qui rodaient en nombre en cette époque lointaine.


Un demi-siècle passa. Un jour, un vieil homme à l’esprit absent, arriva dans le pays. Il avait l’air d’un homme sans joie, d’un pauvre erre en désespérance. Il vivait de peu, acceptant quelques offrandes pour subsister. Il se tenait toute la journée dans les Varennes à regarder la Loire puis s’en allait passer la nuit dans la clairière des Frappiers. C’est sans doute ce qui éveilla quelques réminiscences ; une vieille histoire revint en mémoire des anciens, parmi ceux-là, certains crurent reconnaître en ce pauvre bougre les traits d’Éric, le berger d’antan.


Le vieil homme ne répondait pas à ceux qui tentèrent de lui parler. Il faisait peine à voir. C’était une désolation que de percevoir la douleur immense qui était sienne. Que faire ? C’est alors qu’un musicien à qui l’on avait confié le récit eut une idée étrange. L’homme se mit à jouer de la cabrette devant le pauvre bonhomme. Éric, puisque c’était bien lui, tourna la tête, des larmes lui coulaient en abondance, il se passait quelque chose.


Le musicien joua jusqu’à la minuit sans jamais s’arrêter. Soudain, quand les cloches eurent sonné, une louve surgit, montrant des dents, bavant. Elle menaçait le musicien, allait lui sauter à la gorge quand le vieux berger sortit de sa torpeur. Il se leva, se dressa devant la bête, s’interposa entre le fauve et le musicien. La louve voulut le mordre à la gorge, le vieux lutta de toutes ses forces. Dans la bataille, il plongea dans le regard du monstre, des yeux d’un bleu profond aux délicates nuances orange et jaune brillant intensément.


Dans un sursaut de rage, il brisa le cou de la louve et la jeta dans la Loire. En cet instant précis, une vieille femme sortit des flots, Elle dansait et s’approcha du vieil homme. Elle l’embrassa longuement. L’homme lui dit alors : « Je t’ai attendue cinquante longues années mais j’ai toujours eu la certitude que je te retrouverais ! » Éric et sa Jacquenote vécurent le reste de leur âge dans la plus miraculeuse plénitude. Leur amour était si fort que personne n’osait venir les importuner. Il était passé le temps pour eux d’avoir des enfants. Tous les contes de fées ne se terminent pas de la même manière.


 

 Diaboliquement sien.


 

samedi 20 février 2021

La Fruitière de La Chapelle d'Abondance.

 

La Chapelle d'Abondance.

74 UX Étiquette rouge.

 




Pour Marguerite et ses consœurs, c'est le fruit de leur dépit, pour Marcel et ses collègues de la GAEC, c'est le fruit de leur labeur, pour Sam, c'est le fruit de son savoir. C'est le fromage d'Abondance, un héritage des traditions, revu et encadré par le cahier des charges qui prévoit tout au détail près. Je vais essayer de ne pas vous en faire tout un fromage, mais un billet onctueux et parfumé !


Une fruitière est une coopérative laitière qui regroupe la production laitière de dix fermes de la vallée. De belles vaches d'Abondance aux ¾, complétées par quelques congénères de race Montbéliarde ou Tarine, fournissent chaque jour 2 000 litres de lait cru. Ici, on ne pasteurise pas, l'authenticité est à ce prix.


Dés 5 heures du matin, le camion vient déverser le précieux breuvage. Il est alors versé dans une cuve à double fond (La Suisse n'est pas loin …) L'intérieur est de cuivre, l'extérieur en inox et un vide d'air permet de réchauffer au bain marie le lait pour le porter à 32° C, température idéale pour que les ferments ajoutés par Sam, fassent leur travail mystérieux.


Une demi-heure de maturation puis la précieuse levure est incorporée pour que l'alchimie joue son grand œuvre. Le caillé se forme, il sera découpé en petits grains dont la taille dépendra du fromage à produire. Il est porté à nouveau à 50° C pour les pâtes cuites, débarrassé du sérum qui ira engraisser les cochons ou les veaux du secteur.


C'est maintenant l'heure du pressage et du moulage dans une grande cuve à géométrie variable. Elle permet de mouler 24 Abondance de 9 kg chacun. Les fromages sont encore des cubes parallélépipédiques, ils prendront leur célèbre forme après le passage sous presse, dans des moules cylindriques qui devront tôt ou tard se serrer la ceinture.

 



Les fromages en devenir s'offrent alors un petit bain en mer morte, une saumure saturée à forte teneur en sel. La durée de cette thalassothérapie dépend naturellement du devenir de chacun. Tout est réglementé par le cahier des charges et le maître nageur veille au grain. L'Abondance prend ses aises et s'offre 14 heures de trempette quand la tome n'y passe que 6 heures.


Les tommes de Savoie vont vivre une vie bien différentes de nos fromages d'Abondance. Elles vont se faire brosser les poils de chat, champions qui donneront une croute épaisse et grise. Tous les deux jours, les futures tomes sont coiffées à la main et retournées. C'est le lent travail d'affinage qui doit durer au moins trente jours.


Pour l'Abondance, pas de moisissure, la croûte est brossée tous les deux jours avec un bain de saumure. Les rouleaux resteront au moins 101 jours dans une cave entre 10 et 13°C pour prendre ce joli teint orangé et cet aspect lisse qui sied à ce grand fromage à la taille cintrée.


Les fromages sont fidèles à leurs origines montagnardes ! Ce sont sur des planches d'épicéa qu'ils aiment à reposer délicatement. Sam les caresse avec amour, tous les deux jours d'abord, deux fois par semaine ensuite pour une seule fois quand ils prennent de la bouteille, ces meules sont tournées à la main. Dans une humidité de 92 % pour que se produise cette maturation qui nous fait découvrir les joies du cholestérol.


Le fromage produit par une fruitière est un produit laitier issu d'une coopérative, il porte une étiquette rouge. Les fermes produisent elles aussi quelques meules de manière plus artisanale encore, elles ont droit au label fermier, distingué par une étiquette verte. Je ne peux que vous inciter à découvrir Abondance, tommes, Roblochon, Raclette, beurre et Tomme Charlotte, toutes issues du savoir-faire de Sam et que Sylvie vous vendra avec plaisir, Mais gare à vous si vous ne rentrez pas par la bonne porte, il vous en cuira !


Fromagèrement vôtre.


 

Albert, une tête d'étourneau !

  Albert Père siffleur renommé Albert, oiseau étourdi Quoique ainsi prénommé N'avait rien d'un colibri  À...