vendredi 30 avril 2021

19 Rimes Covid

 

La peur par le vide




La peur par le vide

Combats fratricides

Sous le joug des séides

D'un état parricide

Jupiter qui décide

Qu'une fièvre typhoïde

Née d'une chrysalide

Se fera homicide

 



Maléfique chimère, monstre bizarroïde

Cette folie émergea d'un esprit cupide

Deux siècles après que ce peuple régicide

Ait fauché le sommet de la pyramide

Un monarque tyrannique et fétide

Tient tous les gueux et les manants à la bride

Prenant sans cesse mesures liberticides

Dans un climat aussi mortifère que putride

 



La peur par le vide

Combats fratricides

Sous le joug des séides

D'un état parricide

Jupiter qui décide

Qu'une fièvre typhoïde

Née d'une chrysalide

Se fera homicide

 



Pour que son pouvoir fut à nouveau solide

Il imposa des mesures des plus stupides

Se prétendant dans la tourmente leur guide

Il décréta de bâillonner les timides

Et d'embastiller les rebelles, cet odieux perfide

Allant jusqu'au bout de son dessein morbide

Poussa nombre de ces sujets au suicide

Terrifiés par la menace du Covid

 



La peur par le vide

Combats fratricides

Sous le joug des séides

D'un état parricide

Jupiter qui décide

Qu'une fièvre typhoïde

Née d'une chrysalide

Se fera homicide


 

jeudi 29 avril 2021

Conseils !

 

Conseils !




J'en ai trop eu

De ces conseils

J'en ai trop lu

Qui sont pareils

J'en ai trop cru

Qui ont l'oreille

J'en ai trop su

Du roi soleil !


Couper les ponts

Passer l'éponge

Fais pas le con

Ce n'est qu'un songe

Briser la glace

Battre en retrait

Quoi que tu fasses

Tu restes à quai


®

Demande pardon

Fais plus la tête

T'es le dindon

De cette fête !

Tourne la page

Ronge ton frein

Tu serais sage

D'être malin

®

Oublie un peu

Les coups de vache

Tu n'es qu'un gueux

À c'que je sache

Un peu d'jugeote

Ferme ta gueule

Baisse ta culotte

C'est ce qu'ils veulent

®

Fous pas la honte

Fais pas de vague

C'est ce qui compte

C'est qu'une blague !

Pour la galerie

Souris un peu

Plus de vacheries

Fais de ton mieux

®

Tombe les gants

Romps la bataille

Sois beau perdant

Pour que ça aille …

Sauve la face

Tire-toi de là

Laisse la place

T'es un bon gars !

®


 

mercredi 28 avril 2021

Le renard, le bouc

 

Et tous les autres …

Réflexion sur les métamorphoses !





Un renard qui venait de s'offrir un délicieux camembert de Normandie au lait cru en se jouant d'un stupide volatile perché dans un arbre, se disait en son for intérieur qu'il était bien le plus astucieux quadrupède de la création. Il avançait fièrement dans la plaine, la queue empanachée, toute gonflée d'un orgueil démesuré et la tête haute comme il se doit. Il allait ainsi quand il s'approcha d'un puits qui n'était pas si profond, qu'on ne pût s'y mirer tout à loisir.


Le renard, certain d'être le seigneur de ces lieux, voulut admirer son image. Voilà un miroir des plus commode quand on n'a pas la chance d'en disposer autrement. Il se pencha donc pour confirmer son sentiment d'être la plus belle créature de la création.


Le reflet était en tous points conforme à ce qu'il espérait. Quel beau museau, quel joli dessin des oreilles, quelle harmonie dans les proportions, quel équilibre dans la posture ! Il se jugeait parfait en toute chose. Dans son désir de se voir sous toutes les faces, il changea de position tant et si bien, qu'à force de se regarder, il finit par trébucher et se retrouva au fond du puits.


Le voilà prisonnier de son miroir et se maudissant d'avoir si peu réfléchi. Comme bien souvent, il compta sur la naïveté des autres animaux pour se sortir de ce mauvais pas. Il trouverait bien fadaise à raconter pour tromper un imbécile ou bien un trop généreux. Il n'en doutait pas un seul instant ; il lui suffisait d'avoir un peu de patience, son génie ferait le reste.


C'est un bouc ayant grand soif qui s'approcha le premier du piège où était pris le renard. De voir ainsi ce prétentieux en mauvaise posture amusa beaucoup notre bête à cornes. On peut même affirmer qu'il en éprouva une certaine satisfaction. La chose était si plaisante, qu'il ne voulut pas la garder pour lui, retint sa soif et s'en alla prévenir tous les habitants du coin.


Le corbeau qui n'avait pas digéré son fromage, arriva à tire d'ailes au-dessus du puits et lâcha une fiente magistrale sur le renard ! Si la chose n'est guère honorable, elle soulagea grandement l'oiseau qui avait toujours en travers du bec, l'aventure qu'il venait de subir. Puis d'autres arrivèrent qui avaient tous des griefs contre ce maudit animal.


Les animaux, en cercle autour du puits, ne cessèrent de couvrir d'avanies le renard qui faisait moins le fier. Face à une telle révolte des gueux, ses belles paroles et ses allures caressantes n'étaient désormais d'aucun effet. Il subissait l'humiliation sans pouvoir se venger. Il était mouillé et penaud, offensé et blessé.



Les animaux n'avaient d'autre but que de lui donner une bonne leçon afin qu'il cessât à l'avenir de faire le malin. Ils pensaient le laisser là toute une journée à subir leurs moqueries et le libérer enfin au lendemain matin. Pourtant, rien ne se passa comme ils l'avaient envisagé …


Le fermier du coin, étonné de voir tous les animaux se regrouper autour du puits, vint s'enquérir des raisons de cette manifestation. Quand il vit son pire ennemi, le goupil en personne, plus ridicule qu'une poule mouillée, il se jura de lui faire son affaire. Il défit la corde du seau, fit un nœud coulant et se gratta la tête …


Ce fermier avait eu à subir tant de fois les farces et les larcins du rusé, qu'il pensa qu'il fallait le tromper au risque d'être, une fois encore, son jouet. Il tança, il gronda et fit grand tapage pour chasser les curieux. Ses hurlements et ses menaces contre ceux qui avaient osé mettre en pénitence son cher ami le goupil, n'avaient d'autre objet que d'endormir la vigilance du prisonnier.


L'autre, au fond de son cachot, crut qu'il avait trouvé un allié dans la place. Quand le puits fut dégagé et qu'il n'y eut plus que le fermier près de la margelle, le renard qui lui accordait une confiance aveugle obéit à sa demande de glisser son museau dans la corde qu'il lui tendait. C'est ainsi que le malfaisant finit pendu pour le prix de tous ses péchés.


Ce jour-là, on fit grande fête dans la ferme et tous les animaux d'alentour furent conviés. On célébra la mort de la terreur de tous : le vilain goupil qui avait succombé par la faute de son orgueil. Quand on a la tête qui enfle, il faut se garder de la glisser dans une corde ; il pourrait bien vous en coûter. Ainsi, de cette morale, chacun fera bon usage ; la modestie est, en toute chose, la plus sage manière de considérer le monde et ceux qui vous entourent.


Iconoclastement leur.


 

Le Renard et le Bouc

 

 

Capitaine Renard allait de compagnie
Avec son ami Bouc des plus haut encornés.
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez ;
L'autre était passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits.
Là chacun d'eux se désaltère.
Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,
Le Renard dit au Bouc : Que ferons-nous, compère ?
Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi :
Mets-les contre le mur. Le long de ton échine
Je grimperai premièrement ;
Puis sur tes cornes m'élevant,
A l'aide de cette machine,
De ce lieu-ci je sortirai,
Après quoi je t'en tirerai.
- Par ma barbe, dit l'autre, il est bon ; et je loue
Les gens bien sensés comme toi.
Je n'aurais jamais, quant à moi,
Trouvé ce secret, je l'avoue.
Le Renard sort du puits, laisse son compagnon,
Et vous lui fait un beau sermon
Pour l'exhorter à patience.
Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n'aurais pas, à la légère,
Descendu dans ce puits. Or, adieu, j'en suis hors.
Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts :
Car pour moi, j'ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin.
En toute chose il faut considérer la fin.
 
Jean de La Fontaine


mardi 27 avril 2021

Le Bovidé et le Covidé

 

Le Bovidé et le Covidé





Un fier taureau paissant l’herbe d’un alpage

Voit venir au levant un marcheur de passage.

Le sac au dos l’homme traverse d’un bon pas l’herbage

Quand le ruminant intrigué l’arrête sans ambages :



Holà l’ami qu’avez-vous donc sur le visage ?

Allez-vous à Carnaval ? Préparez-vous un braquage ?



Je fuis, mon bon, je fuis lui répond l’intrépide,

Fuis ce vilain virus que l’on nomme Covid

Qui frappe les humains sur toute la planète.

Voyageant par les airs, il circule et s’entête

À nous pourrir la vie, parfois jusqu’à la mort,

Les plus fragiles ne pouvant échapper à ce sort.



Comme je vous comprends compatit l’animal,

Je ne connais ce mal, mais au moins je devine

Qu’il est aussi sournois, fatidique et cruel

Que l’encéphalopathie spongiforme bovine

Qui frappa jadis tout le monde agricole,

Contaminant les étables, rendant nos vaches folles.

La solution trouvée pour nous fut radicale

Scientifiques et sages choisirent l’abattage

De troupeaux entiers et ce fut un carnage !

Ma famille ne dut sa survie, et ce fut là sa chance

Qu’à une pratique d’ici appelée transhumance.



L’homme s’en souvient bien, mais il feint de l’apprendre

Et craint que la situation ne dégénère

S’il vient l’idée à l’animal en soudaine colère

De se venger sur lui des méfaits de ses congénères…

Maladroitement le bipède vient alors s’épandre

Sur l’ampleur de la crise, les mesures sanitaires,

Il explique les masques, le gel et les gestes barrières,

Les parents isolés qui sont laissés en rade

Vieux, seuls, abandonnés tout au fond des ephad.

Il dit qu’on a fermé les bars, les restaurants,

Décrit la quarantaine et le confinement…



Comme je vous comprends compatit l’animal,

Je ne connais ce mal, mais lors de son passage

Un enfant du bon dieu nommé canard sauvage

M’a raconté comment ses frères domestiques en milieu rural

Nés pour être confits sont aussi pour cela confinés.

Ils vivraient m’a t’il dit enfermés par milliers

Quand la vie d’un canard est de courir daredare

À défaut de voler de la ferme à la mare.

Et pour eux, point de masque, de gel, ni de geste barrière

À la plus petite suspicion de semblant de grippe aviaire

La solution trouvée pour eux est radicale

Scientifiques et sages choisissent l’abattage

D’élevages entiers et c‘est un vrai carnage !

 




Voyant que l’animal ne saurait pas le plaindre,

L’homme reprend sa marche ayant cessé de geindre

Saluant le tribun de la cause animale il dévale la pente,

Court tel un dératé comme chrétien à Rome

Son but étant d’aller dans un « vaccinodrome »

Mendier la seringue quitte à subir l’attente

Priant Astra et Zeneca à genoux sous la tente

De prolonger un peu son séjour ici bas.



Le taureau quant à lui reste dans les alpages

Vivre dans les nuages le reste de son âge

Loin des gouvernants et de toutes leurs cliques

Surtout loin des conseils, même scientifiques.



Il est moins difficile à l’élite savante et gouvernante de se couper un bras

Que d’avouer humblement que là elle ne sait pas…




©François Chadebec 17/04/2021

 



lundi 26 avril 2021

cul sec ...

 

L'ivre vers plein




J'ai mes vers que l'on plaint

Lorsqu'ils sont à moitié ivres

Mais au bout du parchemin

Mes mots sont couverts de givre


À la fin d'un quatrain

Je vide mes vers libres

Leur refusant le mot de la fin

Juste question d'équilibre


Je ne fais pas le malin

Avec un vers si peu riche

Qu'il brise le refrain

Quand la rime se fait chiche


Je suis un pauvre écrivain

Vidant les vers cul sec

Pour vous écrire en vain

Des strophes qui clouent le bec


Mes pieds sont incertains

Le poème se vide

Je titube en chemin

D'avoir été trop avide


J'ai confondu c'est certain

Le contenant et le son tenu

J'écris en buvant du vin

L'ivresse sans retenue


Repoussant les pieds à deux mains

Le calice se fera Graal

Dans ce nectar divin

J'arrime le son final


Une poésie de marin

Resté sur le port

Dans les bras d'une catin

À Saint Jean Pied de Porc


Une voie d'eau, enfin

Provoque le naufrage

D'un ignoble destin

Au terme du voyage



dimanche 25 avril 2021

Les Dames de la Halle aux Poissons de Blois

 

Retour vers le passé




 

 

Il existait à Blois parmi les « Dames de la Halle aux Poissons » —  « la Poissonnerie », comme on l'appelait jusqu’au tournant de la première guerre mondiale. Prenons le pari de remonter le temps et de les rencontrer comme si nous étions au début du siècle précédent. Cette étonnante tradition blésoise, vaut bien une évasion temporelle.

La communauté marchande qui subsiste depuis un temps immémorial, s’est perpétuée durant des centaines d’années. Elle conserva jusqu’à sa disparition les mêmes caractères et les mêmes traits que sous l'ancien régime.

A vrai dire, la communauté dont il s'agit est d'allure assez mystérieuse —on ne trouve à son sujet aucune trace de document écrit et d'autre part ces « Dames » ne livrent pas au premier venu les secrets de leur organisation.

Ce qui, à Blois, est de notoriété publique, c'est que l'on a toujours vu les Dames poissonnières se recruter dans les mêmes familles, habiter depuis toujours la même rue, se vêtir de façon assez identique... garder la coiffe blanche, se grouper dans leur église paroissiale du même côté de la nef latérale et chanter les offices religieux avec une ardeur et une voix comparables à celles qu'elles employaient dans la rue pour crier naguère : Sardines fraîches, sardines tout en vie.

Descendantes des anciens bateliers et des pêcheurs de la Loire, corporations à peu près disparues, elles ont continué à vendre le poisson en ajoutant à celui des rivières, des étangs et du fleuve le poisson de mer, la « marée ». Toutefois, si elles ont augmenté et développé leur commerce, elles n'ont abdiqué pour cela ni l'esprit qui les anime, ni les traditions qui les soutiennent.

Elles continuent à faire le signe de la croix avec le premier sou qu'elles reçoivent au commencement de la journée et on les surprend à murmurer en même temps :

« Que le Bon Dieu bénisse la main qui m'étrenne. »

Elles conservent fidèlement dans leur « poissonnerie » la statue de la Vierge qui préside à leur commerce et qu'elles ornent avec soin. Elles vont prier la bonne Dame «des Aydes » en son sanctuaire avant de se rendre au travail —et chaque année, le 16 août, elles font dire une messe pour les victimes du choléra en 1849 ; les honoraires de cette Messe ont été généralement payés par une souscription dont le surplus servait, par les soins de ces « Dames », à orner l'autel de l'antique pèlerinage de Notre-Dame des Aydes et ce n'est pas sans regret qu'elles voient que le temps ayant effacé le souvenir de ces calamités lointaines, il n'y a plus le même empressement à se rendre à leurs pieux désirs; le lendemain 17 août elles font célébrer une autre messe pour les défunts de la Poissonnerie mais elles estiment que cette messe ne porte tous ses fruits que si elles y assistent.

Au point de vue économique et social, le côté le plus original de cette organisation est l'absence même de toute organisation. La communauté vit de tradition: de trésorière officielle et attitrée, il n'y en a pas —pas plus que de présidente ni de statuts. Elles mettent en commun ce qu'elles vendent, le déposant dans de modestes boîtes à sardines qu'elles baptisent, on ne sait pourquoi, du nom de casseaux — c'est leur coffre-fort. Chaque samedi elles se partagent les bénéfices et lais- sent le reliquat dans la caisse commune. On puise dans cette caisse, dont nul ne connaît le contenu exact, pour acquitter tous les relevés de compte des fournisseurs qui n'auront jamais —c'est entendu —aucun effet à tirer. Et la communauté continua ainsi à vivre comme autrefois de sa vie propre, avec ses lois et coutumes, sans qu'il y ait jamais entre les membres aucune discussion ni aucune difficulté graves.

Depuis combien d'années, combien de siècles cette « communauté » fonctionne-t-elle ? La réponse ne fut pas très précise.

« Je ne sais pas, déclarait l'une d'elles... Ce qui est certain, ajoute- t-elle, c'est que ma belle-mère qui vendait jusqu'à l'année dernière a maintenant quatre-vingt-sept ans, elle y est entrée à l'âge de quatorze ans, et ça fonctionnait déjà. Depuis longtemps... Tenez..., cette bonne vieille a quatre-vingt-un ans et elle vend encore... »

Celle-ci s’exprime alors :

«  Ma mère est morte à quatre-vingt-deux ans (on vit vieux décidément dans la corporation). Elle faisait partie de la Poissonnerie depuis l'âge de douze ans, sa mère elle-même en é́tait membre... »

Pour vagues que puissent être ces données concernant l'état-civil de la communauté́, elles nous montrent que son origine est tout au moins fort reculée pour ne pas dire, selon l'expression consacrée, qu'elle se perd dans la nuit des temps.

Faute de renseignements plus précis il était du moins intéressant de chercher à savoir quels statuts pouvaient régir ces « Dames ».

Une femme répond alors à la curiosité d’un passant :

« Nous ne sommes ni ne voulons être une association, non plus qu'une coopérative, ni un syndicat... Nous nous arrangeons entre nous, voilà tout... Ainsi par exemple les vieillards et les malades touchent leur part des bénéfices hebdomadaires tout autant que les vendeuses effectives, et malgré qu'elles ne travaillent pas. C’est une organisation sociale modèle qui n'a attendu ni la loi des retraites, ni les lois d'assistance pour résoudre les gros problèmes du travail ; c'est aussi l’expression d'une belle et touchante preuve de mutuelle confiance... »

Le passant l’interroge :

« Que se passerait-il si l’une d’entre-vous s'abstenait de venir vendre ?

    • Le cas ne s'est jamais présenté. On ne s'absente que pour une cause légitime... Chacun remplit consciencieusement sa tâche... Nous n'avons jamais de difficultés, jamais de disputes — quelques discussions car on n’est pas parfaites.

    • Avez-vous une trésorière ?

    • Pour quoi faire ? Chacun fait son compte devant toutes les autres. Ça suffit bien.

    • Combien êtes-vous en cette année 1909 ?

    • Nous sommes actuellement dix. Par le passé, nous fûmes jusqu’à vingt-deux. La concurrence a eu raison de nous malgré la protection de Notre Dame des Aydes »



Le sujet mérite bien une petite explication. Le curieux veut en savoir plus et la dame explique avec flamme :

« Rendez-vous compte qu’en 1903, lors de la reconstruction de notre poissonnerie, on a voulu nous retirer notre bonne vierge. Nous avons fini par avoir gain de cause en dépit d’une campagne de presse qui réclamait la laïcité des lieux. Foutaise que tout ça ... »

Il est vrai que l'anticléricalisme avait le vent en poupe. Un journaliste écrivit : «  Rendez-vous compte que ces dames, chaque matin, avant d’ouvrir les grilles de leur poissonnerie, s’agenouillent sur les dalles humides pour prier une idole ! »

L’homme laissa-là ces dames. Elles finirent par disparaître de Blois, la grande guerre eut raison de cette tradition millénaire. Il était bon de la réveiller pour quelques instants.


 Vestige de la halle aux poissons - Blois -

samedi 24 avril 2021

Sous le sabot d'un cheval …

 Conte à rebours





Il se peut parfois que les contes réservent des surprises et ne se contentent pas de la belle bergère et du prince charmant.


Il était une fois une très vieille femme; ni reine, ni belle, ni riche, ni douée de pouvoirs magiques. Elle allait par les chemins confectionner des brassées de luzerne pour ses lapins, des fagots pour le feu, des bouquets de fleurs sauvages pour les donner à qui les lui demandait. Elle était courbée par l'effort, tremblante et fragile. Elle n'avait ni amis ni famille et, la vie pour elle, s'achevait dans la peine et la douleur.


Il était aussi un vieil homme, ni prince, ni fort, ni particulièrement adroit, ni même capable de prodiges. Il vivait de rapines, détroussait un peu les gens de bien, blasphémait plus souvent qu'à son tour et avait la fâcheuse manie de mentir plus encore qu'un bonimenteur. Il buvait au-delà du raisonnable, sentait mauvais des pieds et de la bouche. Sa vie s’achevait ainsi dans la débauche, la malhonnêteté et la crasse, loin de sa femme ..


La vieille avait tout d’une sorcière ; elle avait été belle, mais c’était il y a si longtemps. Le vieux était pire qu’un démon : personnage rebutant, il était de ceux qu’on qualifie de gibier de potence, un gredin qu’il était préférable d’éviter. C'est avec eux pourtant qu'il me faut poursuivre le récit. Le métier de conteur n'est pas simple : la beauté et la jeunesse passent, la richesse n’est pas le lot commun.


Irène, était d’une immense gentillesse. Vous pouviez toquer à sa porte, elle vous gratifiait toujours d’un sourire édenté et d’un petit gâteau. Quant au vieil Archimède, ses turpitudes l’avaient entraîné sur les chemins de travers. Les uns appellent cela destinée, d'autres, la loterie de la vie.


Irène, il y a bien longtemps de cela, avait congédié Archimède. Las de ses beuveries, ivre de coups, exaspérée par ses forfaits, elle avait trouvé la force et le courage de le mettre à la porte, préférant la solitude à ce mauvais attelage boiteux. L’autre honteux, baissant la tête, conscient de ce qu’il était devenu par la faute de trop d’échecs et de pauvreté, avait disparu de son existence sans demander son reste. Il était allé courir sa mauvaise fortune par monts et par vaux ...


Ce qu’il devint, Irène en eut écho de temps à autre. Un jour en prison, une autre fois en cavale, mêlé à une rixe ici ou bien aliéné quelques temps là)haut, l’homme avait un parcours semé de cailloux. Non décidément Irène ne regrettait vraiment pas de l’avoir mis à la porte !


Irène ce jour-là sentit les premiers signes du grand voyage. Elle était épouvantablement lasse, le souffle court, le cœur battant la breloque. Elle était prête, elle avait fait sa vie même si elle n’avait pas été semée de roses. Elle rangeait son intérieur, voulant laisser sa maison en ordre avant son grand départ. Elle attendait sereine, la grande faucheuse.


C’est alors qu’il y eut grand vacarme sur le chemin. Elle se plaça dans l’encoignure de sa porte. Au loin, un vieillard, courbé en deux, avançait péniblement, traînant la patte, appuyé sur une canne, chaque pas lui demandait un grand effort. À son allure cependant, la vieille crut reconnaître celui qu’elle avait chassé de sa vie. Que venait-il faire ici ?


Elle n’eut pas le temps de trouver une réponse. Dans son dos, plus loin sur le chemin, un chariot tiré par un puissant cheval était mené par un homme étrange. Derrière lui, se tenait debout un comparse. Celui-ci était plus effrayant encore, vêtu de noir, il avait à son côté une faux. C’était à n’en point douter l’attelage de l’Ankou et du Charron venu la quérir. Irène n’avait nulle crainte, elle les attendait.


Mais c’est Archimède qui était en travers de leur course folle. Il devait être sourd puisqu’il ne les entendit pas arriver. Il allait être fauché quand, fort d’un pressentiment, il s’écarta d’un bond surprenant pour son état. Le chariot de la Camarde passa puis disparut sans passager.




Irène se signa. « Qui voit l’Ankou voit sa mort ! » et pourtant ni elle ni son maudit époux n’étaient partis pour l’autre monde. Elle vit Archimède se remettre sur le chemin, se pencher et ramasser quelque chose. Il se remit plus péniblement encore en marche et vint jusqu’à elle. Que lui voulait-il donc ce mauvais diable ?


Archimède lui aussi avait senti sa fin proche, il avait souhaité demander pardon à son épouse avant de quitter cette vallée de larmes. L’émotion qu’il venait de vivre, en frôlant la mort, le priva de la parole. Arrivé devant celle qu’il avait tant fait souffrir, il tendit silencieusement ce qu’il avait ramassé sur le chemin. C’était un fer à cheval en or, incrusté de diamants. La bonne fortune était passé bien trop tard pour lui. Le vieux, s’en retourna sans un mot, Irène vit ses épaules se soulever doucement, il devait pleurer, ce qui n’avait jamais dû lui arriver.


Puis le coupe-jarret, l’aigrefin, le margoulin s’en retourna par le même chemin d’un pas plus lourd encore. Arrivé à l’endroit exact où il avait croisé l’Ankou il s’effondra. Irène n’eut pas besoin d’aller à son secours, elle savait qu’il était trop tard. Elle se dit encore que sa dernière heure allait à elle aussi sonner bientôt. Elle n’avait que faire du trésor remis par cette canaille.



Elle rassembla ce qui lui restait de force pour aller jusqu’à la masure voisine. Il y avait là un jeune couple avec trois enfants en bas âge. L’homme, faute de trouver du labeur régulier avait pris le même chemin que son Archimède d’autrefois. Il buvait beaucoup et levait parfois la main sur son épouse. Irène s’approcha, elle entendit des cris et des disputes, elle profita de ce désordre pour poser sans être vue le fer à cheval sur la table et s’en retourna chez elle.


Quand elle revint dans sa masure, elle ferma la porte et se coucha. Elle était lasse, fatiguée comme jamais. Elle sentait le terrible poids des années sur ses épaules et dans son cœur. Elle ferma les yeux ; pour s’endormir une dernière fois. Elle en était certaine …


Au petit matin, le chant du coq la tira d’un curieux songe. Elle se réveilla, sentit une présence à ses côtés. Elle s'en étonna, tâta ce qui apparut être un corps robuste et ferme qui dormait là. Elle ouvrit les yeux, regarda. C’était Archimède ! Non, pas celui qui était mort la vieille, mais le jeune gars qui lui avait tant plu autrefois. Il était là à côté d'elle.


Irène se leva pour tenter de comprendre ce qui lui arrivait. Elle ne remarqua pas de suite qu’elle se mouvait sans difficulté. Elle vit alors son reflet dans le miroir dépoli de la chambre. Elle aussi avait retrouvé son apparence d’autrefois. Elle était plus belle encore que dans son souvenir, c'est du moins ce qui sembla.



Elle entendit quelqu’un frapper à la fenêtre et lui faire un geste. C’était l’Ankou, elle en était certaine. Elle se retourna pour suivre son geste, sur la table de la cuisine, elle vit trois fers à chevaux, incrustés de diamants. L’apparition s’enfuit non sans lui avoir accordé un clin d’œil.


Il sera une nouvelle fois, un jeune couple de braves gens. Ils vivront une seconde existence heureux et prospères. Le bonheur se trouve parfois sous les sabots d’un cheval.

 

Réincarnement leur.


 

vendredi 23 avril 2021

Entre pommes et noisettes

 

La nuit de Samain à Vannes sur Cosson






La nuit de pleine lune la plus proche du premier novembre, il était de coutume en Sologne, plus exactement à Vannes sur Cosson de se réunir pour célébrer le retour à la source et les défunts de la société villageoise. Une birette, une dame enveloppée dans une longue robe noire sur laquelle tranchaient un foulard et un gilet orange, regroupait tous les gens de la contrée du coucher du soleil aux douze coups de minuit sur les rives d’un ruisseau, elle qu’on surnommait la laveuse.


Le long du ruisseau des forges, nommé ainsi précisément parce que la tradition voulait qu’on y fit ce soir-là un grand feu digne de celui d’un forgeron, la sorcière du pays menait la grande racontée de l’année. C’était une veillée particulière, il n’était plus question de faire peur aux enfants avec des loups ou des ogres ni de raconter des fariboles avec des princes et des fées. La conteuse se muait en chroniqueuse pour évoquer la mémoire de ceux qui les avaient quittés l’année écoulée.


Tandis que l’assemblée du bourg se pressait autour des flammes, les spectateurs tout en écoutant attentivement la vieille femme, cassaient des noisettes avant de les torréfier dans une grande marmite en fonte. Chacun avait pris le soin d’apporter des pommes croquantes des plus beaux pommiers du pays. Les uns avaient préparé des tartes dans le four banal, d’autres avaient pressé du cidre, certains les avaient faites cuire au four et quelques-uns apportaient de la compote.


Le partage était alors la règle tandis que la birette, le temps de cette nuit magique, retrouvait l’estime de tous et la considération de chacun. Elle mettait en scène ceux qui avaient quitté cette vallée de larmes en leur redonnant vie aux travers d’anecdotes heureuses, de situations cocasses dans lesquelles ils avaient tenu le premier rôle. Il y avait des rires certes mais toujours empreints d’une grande émotion. La fumée qui s’élevait dans la nuit guidait bien des regards tandis qu’un voile couvrait ces yeux qui fixaient une étoile. La conteuse avait soigneusement préparé ses récits, il était nullement question d’y glisser quoi que ce soit qui put choquer les familiers de celui ou de celle qui venait d’être ainsi évoqué.


Puis au douze coups de minuit, la troupe emportait les noisettes, quittait les rives du ruisseau des forges pour aller former un grand cercle plus loin autour d’un chêne vénérable dans un lieu sacré nommé aujourd’hui l’enfer par une curieuse confusion des mémoires. Là, un druide avait préparé un petit marcassin rôti et un énorme goret. La viande de sanglier était réservée au druide et à la birette qui cette nuit-là se réunissaient dans la même communion. L’énorme verrat allait nourrir la population. Pour tous, les noisettes grillées accompagnaient la délicieuse viande.


Avant le début du banquet, au cœur de la nuit le druide montait dans l’arbre pour y couper le gui qu’il laissait tomber dans un grand drap blanc. Le rituel achevé, c’était le signal du début des agapes, largement arrosées de boissons fermentées. Les esprits s’échauffaient en dépit d’un froid de saison. Danses et chants, cris et querelles, amours clandestins et réconciliations spectaculaires ponctuaient cette nuit de folie. Avant que le soleil ne se lève, chacun rentrait dans sa modeste demeure.


La Birette regagnait sa cabane dans le secret de la forêt. Sur le seuil des maisons, une bougie brûlait encore, c’est du moins ce qu’il importait de s’assurer. Elle avait été allumée au moment de se rendre au premier rendez-vous et pour la préserver du vent ou de la pluie, elle avait été glissée à l’intérieur d’une calebasse soigneusement creusée. Si jamais au retour du banquet la bougie était éteinte, l’année à venir risquait d’avoir son lot de malheurs pour la famille concernée.


Voilà ce qui se passait depuis toujours et n’aurait jamais dû cesser d’être en dépit de l’irruption du christianisme et son cortège de nouvelles croyances. Mais cette année-là, un esprit maléfique, des lutins, des farfadets, Merlin en personne ou bien la fantaisie du grand créateur se mirent de la partie pour brouiller les codes habituels. Nous étions précisément un 31 octobre, la sorcière se nommait Bérandine, c’était une nouvelle venue dans le pays.


L’espace d’une année, elle avait acquis une réputation à faire frémir dans tous les foyers de Sologne, capable de jeter des sorts dont il était impossible de se défaire. Chacun s’interrogeait sur ce qu’elle allait pouvoir raconter concernant les sept personnes dont elle avait hâté le départ pour l’autre monde par des malédictions dont elle avait le secret.


Certains en Sologne l’avaient surnommée la messagère de l’autre monde ou la laveuse morbide car elle avait une manière bien particulière de jeter son maléfice sur un pauvre hère ou une malheureuse innocente. Elle venait aux toutes premières lueurs du jour au lavoir situé sur le Cosson, cette pourtant charmante petite rivière. Elle arrivait avec un vêtement qui avait été dérobé à celui ou à celle à qui des voisins voulaient du mal et devant la communauté médusée, elle lavait ce qui allait devenir un linceul.


Chacun savait ce qui n’allait pas manquer d’advenir à la future victime de l’abominable mégère. C’est avec un linge propre qu’elle effectuerait le voyage pour l’autre monde. Pourtant personne n’était en mesure d’interdire à Bérandine de venir au milieu exécuter sa terrible besogne. C’est ainsi qu’en une année, par sept fois, elle avait battu le linge d’un autre qu’elle avait envoyé ad patres.


Bérandine, comme le voulait la tradition de Samain prit la parole pour théoriquement dérouler le panégyrique de ceux dont elle avait hâté le grand voyage. Contrairement à ses devancières, toutes sorcières respectueuses des codes, elle dit des horreurs, décrivant les vilains petits travers des disparus, déroulant les turpitudes qui ne manquent jamais d’arriver dans une vie ordinaire. La communauté était horrifiée sans que quiconque n’ait l’aplomb de s’interposer pour que la sorcière se taise.


Les pommes avaient un goût amer. La terrible racontée des forges achevée, la troupe se dirigea à contre cœur vers le chêne vénérable. Le druide y était déjà, coupant le gui sacré pour que l’année à venir (en ce temps-là, la fête que vous nommez aujourd’hui Halloween célébrait tout autant les défunts que le début de l’année). Une jeune femme, habillée de blanc, inconnue dans le bourg vint vers Bérandine. Elle lui tendit une pomme en la priant de la croquer à pleins dents. La sorcière ne se méfia pas de cette demoiselle qu’elle pensait sans malice… Bien mal lui en prit car dans l’instant elle s’effondra en de terribles convulsions qui lui montrèrent le chemin qu’elle aimait tant à indiquer aux autres.


Ce fut la stupeur tout d’abord autour du Chêne, le druide interloqué, se coupa avec sa serpette d’or et sept gouttes de sang tombèrent dans le drap blanc, réceptacle du gui. À chaque goutte tombée surgissait des ténèbres l’un des disparus de l’année. Quand tous réintégrèrent ainsi la communauté des vivants, les participants à cette nuit inoubliable se mirent en demeure d’honorer le grand banquet dans l'allégresse au point qu’ils en oublièrent le corps de Bérandine à l’écart de la grande table commune.


Les agapes achevées, les danses terminées, aux premières lueurs du jour, on s’enquit d’enterrer la vilaine sorcière. Son corps avait disparu et l’endroit fut baptisé l’Enfer car elle ne pouvait pas prendre une autre direction. Tout le monde revint dans le village au cours d’une joyeuse farandole et chacun put constater une chose incroyable. Sur le seuil de sept fenêtres, dans les foyers précisément qui avaient eu la douleur de perdre un des leurs, la pomme rituelle laissée là en évidence comme offrande avait été croquée.


Par contre, dans sept autres maisons, la bougie dans la calebasse avait été soufflée. Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que c’était dans ces maisons-là qu’avait été commandité le lavage mortel de la laveuse maléfique. Le soleil se leva sur un grand pardon général, les uns et les autres se tombèrent dans les bras et de ce jour, jamais plus un habitant de Vannes ne recourut à une birette pour envoyer un maléfice à son voisin.


Quant à la jeune fille en blanc qui avait donné la pomme empoisonnée à Bérandine, elle se transforma sous les yeux ébahis des témoins en une dame blanche qui s’envola pour élire domicile dans le lavoir du bourg. Personne ne remplaça jamais la méchante sorcière ni ne vint déloger l’oiseau. Tout était bien dans le meilleur des mondes, la vie et la mort pouvaient reprendre leur cours, de manière naturelle sans que nul ne vienne modifier les desseins du créateur.


Pour sceller cette promesse, les femmes du pays, lors des veillées, se mirent à faire des poupées de laine au crochet qu’on nomma les Bérandines. Le sort serait ainsi conjuré à jamais par cette charmante activité qui se perdit hélas à l’arrivée de la télévision dans nos campagnes. Il serait bon de retrouver le bonheur simple des soirées autour d’un conteur ou d’une conteuse afin de réactiver cette cohésion sociale qui nous fait tant défaut. Je sais que certains, notamment à Vannes sur Cosson s’y emploient. Puissent-ils réussir dans ce merveilleux projet.


Mythologiquement vôtre.


 

Les « tailleux de douzils »

  Les « tailleux de douzils » Notre Vardiaux, beau et fier bateau Oh grand jamais ne transportait de l'eau Rien qu...