Un poème pour viatique
Tout débuta de manière tragique en 1870.Dany venait de naître quand son père fut embrigadé dans l'armée de Loire de monsieur Gambetta pour porter secours aux parisiens. Elle ne revit jamais son géniteur qui avait tout juste eu le temps de poser un baiser sur le front du bébé à sa venue au monde. Le malheureux acheva sa route à Baule le 7 décembre en bord de Loire. Son escadron avait malgré tout repoussé des éléments de l’armée du Grand-Duc de Mecklembourg, une victoire pour rien comme deux jours plus tard à Coulmiers.
Pour Dany, ce drame se matérialisa par une enfance difficile auprès d'une mère qui trimait du matin au soir pour gagner de quoi manger tout juste à leur faim. Elle grandit accompagnée chaque soir, dès qu'elle eut cinq ans et l'âge de comprendre, par le récit du poème d'Arthur Rimbaud. Un rituel entre sa mère, veuve inconsolée et la fillette, orpheline éplorée.
C'est
un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement
aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne
fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un
soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans
le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la
nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les
pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un
enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il
a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il
dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a
deux trous rouges au côté droit.
Toutes les deux, paradoxalement trouvaient du réconfort dans ce merveilleux texte. Elles s'étaient persuadées que Rimbaud évoquait leur mort à elles, tombé au bord des Mauves, ce beau petit affluent de la Loire. Chacun trouve le réconfort et la paix de l'âme comme il peut, pour elles deux, ce poème contribua toujours à accepter l'inacceptable, la barbarie guerrière qui ne faisait pourtant qu'ouvrir le bal de la modernité.
Vingt-cinq ans plus tard, Dany rencontra un charmant garçon avec lequel elle fonda une famille, bien décidée à ne pas suivre la triste destinée de sa mère. Le couple se souda avec l'aversion de la guerre dans le désir de vivre paisiblement dans le charmant petit village de Combleux. Son homme travaillait à la fonderie Bollée qui depuis 1715 fabrique de magnifiques cloches tandis qu'elle était serveuse à l'Auberge de la Christiane.
Quand elle donna naissance à son premier enfant : Christian, un adorable petit garçon, elle fit comme sa mère, tout naturellement, pour l'élever dans ce rejet de la guerre. Elle sentait bien autour d'elle que la volonté de revanche contre les prussiens était particulièrement présente dans les esprits. Les enfants à l'école apprenaient à tirer à la carabine : une folie pour cette jeune femme éprise de paix.
Tous les soirs, Dany récitait le dormeur du Val à son fils, lui racontant inlassablement la mort de ce grand-père qu'il ne connaîtrait jamais. Elle choisissait ensuite des récits, des contes où jamais il n'était question de combats, de batailles, de défis ou de querelles. Le petit Christian fut tout naturellement influencé par cette éducation tournée vers l'amour du prochain.
Quand Christian s'approcha de l'âge d'être appelé sous les drapeaux, la folie avait gagné les esprits. Les roulements de tambour avaient remplacé les propos acerbes, les envies de donner la fessée aux méchants teutons, de retrouver l'Alsace et la Lorraine. Le jeune homme se sentait à mille lieux de cet état d'esprit belliqueux presque général. Il était moqué de tous quand il évoquait la nécessité de vivre en paix, montré du doigt et mis à l'écart.
Christian pris l'habitude de se réfugier sur l'eau, de fuir ses camarades aux propos toujours plus virulents et haineux. Il avait acquis un petit canoë avec lequel il trouvait la paix intérieure au contact d'une nature qui était devenue sa seule amie. Il ne fait pas bon penser à rebours de la majorité, il avait fait le choix de la fuite.
Quand l'avis de mobilisation arriva, il n'hésita pas un seul instant. Il préférait la clandestinité, la désertion à l'horreur d'une guerre qui chaque jour apportait son lot de drames et de larmes. En dépit de l'hécatombe sur le front, les gens n'avaient nullement changé d'état d'esprit. Christian savait qu'il ne pouvait compter sur personne pour l'aider dans sa décision. Il savait que seule la rivière pouvait lui offrir des cachettes qu'il espérait inexpugnables.
Sa mère, bien évidemment fut sa chère complice tandis que son père, avait bien envie de lui sonner les cloches. Il n'en fit rien, trop soucieux de ne pas braquer une épouse intransigeante sur ce sujet. Il préféra fermer les yeux, feindre de ne rien savoir de ce qui se tramait. Pourtant, les préparatifs de son fils ne laissaient aucun doute sur ses intentions.
Christian regroupa dans son canoë de quoi pêcher, chasser, s'abriter, se vêtir et se préserver des intempéries. Il se chargea également de quelques outils afin de se lancer dans une aventure de survie en pleine nature. Son choix était clair, il allait vivre sur la Loire, plus en amont, dans le réseau protecteur des nombreuses îles entre Pouilly-sur-Loire et Sancerre.
Le gamin avait recueilli des informations auprès des anciens Christianiers, des gars que la vapeur avait jetés à terre. Il n'y avait pas plus grands connaisseurs de la Loire que ces gars-là. Bien sûr, il n'avait pas évoqué son dessein et ses questions étaient suffisamment générales pour ne pas leur mettre la puce à l'oreille.
Quand il fut prêt, au lieu de se rendre à la caserne, il débuta sa lente escapade ligérienne. Se cachant le jour dans une île ou des bosquets touffus, naviguant la nuit. Il comprit rapidement que sa connaissance de la rivière, de la faune et de la flore, allait lui permettre de subvenir à ses besoins. Il devint aisément un homme de la rivière, un fuyard, évitant soigneusement les humains.
Il atteignit son but, établit plusieurs camps de base dans ces grandes îles discrètes de la Nièvre et du Cher. Il était toujours à l'affut, sur le qui-vive. Seule la nuit lui apportait un peu de sérénité. Il vivait comme un Robinson fuyant l'effroi des tranchées. Il était totalement coupé du monde et désirait plus que tout la présence d'une compagnie pour l'aider dans sa mission sacrée : fuir la guerre.
Sa bonne fortune se matérialisa par un accident de la vie. Un jeune héron, lors de sa première sortie du nid, manqua le grand saut. Par chance, sa chute fut largement amortie par la végétation tandis que Christian qui avait assisté de loin à la scène se porta aussitôt à son secours lui épargnant le coup de grâce des charognards.
Christian soigna celui qu'il appela Patapon. Une amitié s'établit entre l'oiseau et le déserteur. Le héron, revenu de son échec initial, nourri par Christian de petits poissons, choyé et protégé finit par voler de ses propres ailes. Il comprit intuitivement ce dont avait besoin son sauveur, il lui servit de guet, le prévenant d'une éventuelle présence humaine.
L'un l'autre se donnaient la main s'il est possible de s'exprimer ainsi. Grâce à Patapon, Christian échappa au carnage, parvint à rester caché jusqu'à la fin de la guerre. Il devina aisément qu'elle venait de s''achever quand toutes les cloches des villages voisins sonnèrent à la volée. Il eut une pensée pour son père, le fondeur tandis que jamais sa chère mère n'avait quitté son esprit, car chaque jour, pour renforcer sa détermination, il se récitait le dormeur du Val.
Il lui fallut beaucoup de patience pour revenir à la vie civile. Il avait déserté, il ne pouvait revenir comme une fleur dans son joli Combleux. Il lui fallut trouver une nouvelle identité, chose qui fut possible dans le désordre de l'après-guerre avec tous ces disparus et ces êtres ayant perdu la raison. Il ne revint à Combleux que quelques années plus tard, sans se faire connaître, simplement pour rendre une visite discrète à sa mère. Ce fut pour Dany, le plus beau jour de sa vie. Puis à nouveau, il se perdit dans les îles de Loire, vécut de la pêche comme il l'avait fait durant sa longue disparition.
Vous pouvez mettre en doute ce récit, je ne peux vous en tenir rigueur. Il est né d'une requête : écrire un conte à partir du poème d'Arthur Rimbaud. J'aime à satisfaire les demandes même si la forme tient plus d'une nouvelle que d'un conte. Voilà qui est fait.
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