mardi 31 mai 2022

Mauvaise graine

 

Mauvaise graine

 




Un canard et une oie

Coulaient des jours heureux

Sur la rivière, ma foi

Ils faisaient des envieux


Sans être intimidés

Un mitron pour ami

Les deux anatidés

Dévoraient du pain blanc

 



Pour casser la graine

Ces deux charmants oisons

Mon dieu quelle déveine

De la farce sont dindons


Dans le bec un vilain

Leur coupe l'herbe sous le pied

Ce n'est pas bien malin

De troubler leur goûter

 



L'oie est végétarienne

Omnivore le canard

C'est mauvaise béchamel

Que manger du bâtard


Respectez leur nature

Ce n'est pas leur fonction

D'avaler votre pain dur

Pour votre distraction

 



Comment vous persuader

Que vous faites fausse route 

Quand sur notre levée

Vous leur jetez vos doutes ?


Les enfants sont malins

Comprendront mieux sans doute

Que ce n'est pas le pain

Sur l'eau qui s'encroûte

 


 


lundi 30 mai 2022

Le Héron et les corneilles

 


Une fable à en perdre le sommeil


Le Héron et les corneilles

 

 




Un oiseau se mirant, devint jaloux
De toux ceux qui n'avaient pas un long cou.
Survolant la rivière.
Il se promit qu'à son tour ;
Les humains pour lui feront un détour
C'est pour satisfaire sa commère
Que le héron se lança un défi :
Puisque ses pattes semblaient si tendres
C'est vers le ciel qu'il devait s'étendre
Construire au plus haut son paradis.
Le mettrait à l'abri des prédateurs.
C'était oublier certains oiseaux
De la famille des passereaux
Survolant à toute heure sa demeure.
Pour s'offrir repas plus copieux
Les assaillantes font de leur mieux
Sans cesse elles le tracassent
Pour qu'il en perde la face
Ces méchantes qui oseront
Gober les œufs ou les oisillons
Le héron qui fait repas du goujon
À son tour ne lui déplaise
De celles-là sera le dindon
Rien moins qu'un pauvre poisson.
Retour du bâton, quelle foutaise
Lui qui n'a jamais mordu à l'hameçon !

C'est au milieu de la ville, ici
Que ce drame se joue sur le duit
Si le plus souvent le vainqueur est l'échassier
Sa défaite est parfois proclamée
Quand du combat, en fin de conte
C'est l'agresseur qui triomphe du poltron
Les spectateurs ainsi se rendent compte
Que la morale se moque des dictons

Et qu'à trop bayer aux corneilles

Le Héron en a perdu le sommeil

 


 


dimanche 29 mai 2022

Colimaçon

 

Colimaçon





Ce malheureux, ventre à terre, s'interrogea :

Comment faut-il désormais comprendre son nom ?

Jadis, pour tous, il était un gentil luma

Tous les gastronomes célébraient son renom

 



C'était toujours sa fête quand tombait la pluie

Un autre temps ! Depuis que l'eau se fait rare

Il traîne sa misère et risque pour sa vie

À la recherche d'une éventuelle marre

 



Même le persil et l'ail viennent à manquer

Comment pourrait-il sortir de sa coquille

Afin d'honorer les tous derniers banquets ?

Lui qui est si fier de sa cédille ... 

 



Mais revenons à ses préoccupations

Si sa maison n'a certes pas d'escalier

Sa forme influença de belles créations

Qui honorèrent même les châteaux princiers

 



Les invités tournaient ainsi en bourrique

Sans que jamais ne s'entrecroisent leurs routes

Mais à Chambord ce ne furent pas les berniques

Qui servirent de modèle sans nul doute 

 



En Sologne on le nomma « carcalaude »

De concert avec son amie la chieuvre

Se revêtaient toutes deux de la biaude

Pour parader sur vos tables en hors d'œuvre

 



C'est alors que le monde perdit sa raison

Puisque vos repas vous sont désormais livrés

Le voilà grimé en un colis sans façon

Déposé par un serviteur sans livrée 

 



Voilà bien une pierre en son jardin

Lui qu'on appela également limaçon

Sans que jamais en un rapide tour de main

Il ne construise sa demeure de maçon

 



Ainsi, dans le village de Dry sans façon

Chacun porte avec honneur le doux sobriquet

De ce tendre et délicat colimaçon

Escargot pour beaucoup, mais pas les initiés !

 



samedi 28 mai 2022

Un bec hors de l'eau - l'intégral du roman -

 


Polar de Loire


« Le poisson mange le poisson et le héron les mange tous les deux »


Toute ressemblance

pourrait bien

n’être que facétie de Loire ...

 


 


Préambule


« La plume blesse plus sûrement que l’épée »




Un homme important fit un jour grand écritoire : « Attention, la Loire est Capricieuse ! ». L'édification du peuple ne justifie pas pareille offense à notre rivière ! On peut dire en somme bien des choses différentes pour exprimer la complexité d'une grande dame. Mais user à dessein d’un adjectif que l'on accole aux enfants en bas âge quand ils ne savent pas ce qu'ils veulent ou bien qu’on sert aux femmes quand elles n'acceptent pas nos requêtes, est un outrage sans nom.


Mais ne faisons pas ici procès d'intention, la complexité de la dame Liger laisse parfois sans voix. Ses incroyables variations, ses changements d'état ne peuvent justifier ce terme univoque. Si la Loire se joue de nous, elle le fait en maniant l'art complexe des contraires.


L'objet de notre dévotion se complaît dans les comportements duels. Tour à tour « Sauvage » et « Docile », elle passe subitement de la luxuriance anarchique des campagnes à la sagesse tristounette de nos villes. Mais ne vous y trompez pas, même quand vous pensez la dompter, elle peut encore se jouer de vous. Elle passera alors de « Charmante » à « Brutale » le temps de faire les grosses eaux, de rouler sa colère et de tout emporter devant (avec ?) elle.


Vous pensez l'apprivoiser, vous allez goûter à sa bienfaisante fraîcheur estivale. Gare à vous, quand vous la croyez « Accueillante », elle peut se faire « Traîtresse ». Il faut apprendre à lire ses chausse-trappes, ses feintes et ses vilains tours qui ont perdu tant de pauvres gens. Alors, pour vous couvrir, vous la décrétez « Dangereuse » alors qu'elle n'est que « Piégeuse » et qu'il est possible de la déchiffrer en la regardant attentivement.


L'été, il vous arrive de la trouver « Doucereuse ». À son étiage, elle se traîne en un mince filet d'eau. Mais que des orages viennent subitement assaillir les Cévennes et soudain elle se fait « tumultueuse », emportant tout sur son passage. Vous vous offusquez, vous la montrez du doigt, vous voulez endiguer le cours de cette « Brutale ». Le temps de réagir et la dame est retournée dans son lit pour jouer la « Charmante ».


L'hiver, elle se plaît à rouler des muscles, elle charrie, elle fait la forte. Ses eaux sombres grondent. Vous la pensez « fougueuse » et « farouche » quand le lendemain, elle vous fait les yeux doux, redevenue la drôlesse « Calme » et « Silencieuse ».


Il n'est pas que femme qui varie, la Loire se plaît à changer de visage tous les jours et en tous lieux sans qu'elle ait besoin de se grimer. Ici, vous la pensez « tranquille » quand à la tournée de ce bras, elle vous apparaîtra « Imprévisible ». Dans ce goulet elle se fait « Impétueuse » alors que juste derrière, le long de cette langue de sable, elle sera « Langoureuse ».


Ne sachant plus que dire, ne voulant plus la qualifier, vous n'aurez alors d'autre choix que de la chérir. Elle vous émerveillera, vous étonnera, vous emportera en une folle aventure. N'espérez rien en retour, elle ne se donne pas, elle se prête simplement à votre admiration.


 Chapitre 1

 

Chapitre 2

 

Chapitre 3

 

Chapitre 4

 

Chapitre 5

 

Chapitre 6

 

Chapitre 7

 

Chapitre 8

 

Chapitre 9

 

Chapitre 10

 

Chapitre 11

 

Chapitre 12

 

Chapitre 13

 

Chapitre 14

 

Chapitre 15

 

Chapitre 16

 

Chapitre 17

 

Chapitre 18

 

Chapitre 19

 

Fin

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

vendredi 27 mai 2022

Un bec hors de l'eau - fin -

 

Conciliabule


Nuit du samedi au dimanche.


Les tourtereaux


« Qui aime la femme est cousin du soleil ! »







La chouette du matin a réuni les tourtereaux. Il n’y a pas lieu de s’effrayer, bien au contraire. Leurs retrouvailles ne peuvent se dérouler de manière conventionnelle. Les voisins en pâtiraient  tout autant que la réputation d’un commissaire devenu gloire locale en quelques heures ; le flic ayant supplanté l’ancien demi de mêlée par la transformation d’un meurtre à sensation, en un banal accident.


Ignace et Guylaine célèbrent la Loire dans une fusion à laquelle seule la nuit étoilée assiste, non sans gêne, d’ailleurs. Ils s’en vont en catimini sur l’autre rive, face à l’endroit où la dame tient la perche de son sport ancestral, tout autant que devant le drame dans un lit qui les réunit pour la vie. C’est du moins ce qu’ils espèrent tous deux. Le ciel pour seul témoin, ils se lancent dans une sarabande étonnante qui ne lasse pas de surprendre les animaux, interloqués de découvrir les prodiges d’imagination dont sont capables deux humains pour réaliser une union charnelle. Une maman castor prie ses enfants de ne pas regarder ce spectacle édifiant, tandis qu’un Grand-Duc d’Orléans s’offre un vol circulaire pour se rincer l’œil qu’il a grand ouvert. Serait-ce déjà notre Gontrand réincarné en rapace par un facétieux signe du destin ?


Quoiqu’il en soit, faisons-nous plus discrets que cet indélicat volatile ! laissons-les aux tumultes des sens, aux débordements du désir, à la célébration des corps, à la folie ligérienne !


La Loire n’est pas déçue. Les deux amants lui accordent ce qu'elle n'a entendu jusqu’alors. Leur union, leur confusion, dure toute la nuit. Le sol tremble, le lit de la rivière se soulève, le vent murmure au rythme de leurs soupirs. Au loin, la ville tout entière est prise d'une frénésie d'amour. C’est la nuit la plus torride qu’on ait jamais connue de mémoire d’Orléanais. Il y a même quelques Jeanne qui en perdent leur pucelage. Les candidates au défilé seront moins nombreuses encore...



Sur son calepin, l’amoureux a écrit avant de se rendre à son rendez-vous :


26 : Je ne sais qui d’elle ou de moi a pris l’autre dans ses rets. Voilà une bien belle et curieuse pêche que nous avons accomplie en Loire !









Au chant du coq


« Où il y a un coq, ce n’est pas la poule qui chante ! »






Au petit matin, épuisé mais heureux, Ignace se fend d’une petite bluette pour honorer sa belle. Elle en est comblée, l’amour rend aussi aveugle que sourd :




Ses habits de lumière



J'aimerais tant vous parler d'elle

De ses habits de lumière

Des reflets qui la font si belle

A mes envies marinières


Elle se glisse dans son lit

Majestueuse et docile

Se donne à toutes vos envies

Quand elle se fait gracile


Elle vous chasse sans pitié

Coléreuse et farouche

Gronde le long des sentiers

Arrachant toutes les souches


J'aimerais tant vous parler d'elle

De ses habits de lumière

Des reflets qui la font si belle

Dans le creux des sablières


Elle se répand sans retenue

Gracieuse et câline

Se montre alors toute nue

Pour une nuit coquine


Elle se refuse soudainement

Frondeuse et violente

Repousse sans ménagement

Celui qui la croyait dolente


J'aimerais tant vous parler d'elle

De ses habits de lumière

Des reflets qui la font si belle

Le long de ses gravières


Elle se prélasse sans détour

Paresseuse et offerte

S'abandonnant à votre amour

Sans vous avouer sa défaite


Elle vous chasse un peu plus tard

Rageuse et cinglante

Affirmant sans aucun fard

Qu'elle ne sera plus votre amante


J'aimerais tant vous parler d'elle

De ses habits de lumière

Des reflets qui la font si belle

Au détour de la rivière


Vous l'avez sans doute compris

Elle est ma merveilleuse Loire

Aimée beaucoup, à la folie

D'une passion à ne pas croire


Vous l'avez sans doute compris

Et il vous faudra bien me croire

Je l'aime plus qu'à la folie

Ma si douce et tendre Loire


J'aimerais tant vous parler d'elle

De ses habits de lumière

Des reflets qui la font si belle

Dans les yeux des lavandières


* * *

Il ne peut s’empêcher de conclure cette étrange aventure par cette dernière annotation concernant l’affaire De La Motte Sanguin :


27 : Certains prétendent que la Loire recèle fées et sirènes, vouivres et birettes. J’ai eu la chance d’y trouver une sirène sublime en suivant les traces d’un héron. Tout est donc possible dans cet étrange pays aux mille et une légendes.


* * *

 


FIN

jeudi 26 mai 2022

Un nev hors de l'eau - chapitre 19 -

 

19

Samedi 28 mai 2022

C’est chouette

 


 


« Chacun trouve que sa chouette est un faucon »




Les protagonistes de ce dossier se font tous les truchements de propos qui s'insèrent dans une forme de mythologie locale, liée à la Loire. Il doit bien se cacher derrière ce fatras symbolique un énigmatique montreur de marionnettes qui tire les ficelles de cette farce morbide. L’affaire doit être résolue avant la minuit pour que le commissaire retrouve les flots tumultueux de la belle jouteuse. Sa dame de nage s’apparente à la Loire tant ses débordements sont redoutables, aimables et désirables. Oui vraiment, voilà une récompense qui devrait être de nature à lui ouvrir les yeux ! Ce sera aujourd’hui ou jamais.


Sa dernière journée commence de bonne heure. Tout en faisant défiler mentalement tous les acteurs de cette farce, il va en bord de Loire, au soleil levant, à la recherche d’un miracle. Il se souvient du passage d’un conte qui l’a beaucoup ému hier au soir :


Celui qui vit en symbiose avec la nature accorde plus que tout autre une grande importance aux signes ou aux présages. Robinson avait cette sagesse de croire et vit dans ce rayon étincelant, le signe d'un espoir fou. Il creusa comme le désespéré qu'il n'allait pas tarder à devenir, il y mit l'énergie de son désespoir. Bientôt, ses ongles ripèrent sur une surface dure, le septième rocher était à portée de main. Son énergie décupla, il fit tant et si bien qu'au petit matin, la pierre était entièrement libérée de sa gaine de sable, posée au fond d'un immense trou.


Pourquoi ce passage a-t-il retenu ainsi son attention au point de l’avoir pris par le cœur ? Il le tourne en boucle dans un cerveau en ébullition depuis son réveil. C’est ce qui l’a conduit sur les bords de Loire ce matin, se hâtant de fuir le centre-ville pour marcher vers l’est. Il va à la recherche d’un signe du destin, là précisément où le drame s’est accompli. Une chouette effraie s’en retourne vers les tours de la cathédrale. Elle passe au-dessus de lui en cette heure matinale. L’oiseau de nuit rentre chez lui tandis que le policier marche vers sa destinée.


En bon berrichon, Ignace voit dans ce rapace majestueux la marque de la providence qu’il espérait, ce fameux message subliminal du conteur. Pour une fois, l’effraie des cloches sera-t-elle  l’oiseau du bonheur ? Il ne peut s’empêcher de croire en sa bonne étoile. La dame blanche n’est-elle pas aussi l’élue de son cœur ? Il avance, rasséréné, persuadé que la Loire lui fera un cadeau en ce septième jour de la semaine, jour du shabbat où son âme trouvera enfin le repos.


Il vient de doubler le Cabinet Vert, prend le chemin qui monte, refusant de longer le canal pour mieux observer le lever du soleil sur la rivière. Il est émerveillé par le spectacle qui s’offre à lui. Il atteint le sommet de ce que les anciens nommaient de manière excessive La Falaise. Il débouche sur la fameuse Venelle à quatre sous quand il aperçoit un homme, debout tout comme lui, à la recherche de la lumière. C’est un photographe qui braque son objectif vers la Loire, précisément là où il y a maintenant 20 jours, un homme a perdu la vie. Une idée lui titille l’esprit :

  • Bonjour, monsieur le photographe ! Je suis curieux, mais prenez-vous souvent des clichés de cet endroit ?

  • Tous les jours ou peu s’en faut, monsieur le commissaire.

  • Vous me connaissez ?

  • Qui ne connaît pas le célèbre Grillepain, ancien rugbyman et enquêteur émérite ?

  • À qui ai-je l’honneur ?

  • Ludovic Loiseau, Pirate de Loire pour les amoureux de la rivière.

  • Décidément !

  • Plaît-il ?

  • Toute cette histoire tourne précisément autour de la gent ailée.

  • Les oiseaux ont élu domicile sur nos rives. Ils y nichent, y pêchent, s’y cachent sur les îles. C’est un formidable spectacle pour moi qui habite dans le lotissement qui se trouve juste derrière nous. Je nomme ce fragment de la Loire Mon Jardin.


Le policier a des fourmillements dans tout le corps. Quelque chose lui dit que ce charmant bonhomme va lui tendre la clef de l’énigme. À lui de savoir ouvrir la bonne porte ! Il lance au hasard :

  • Avez-vous pris des photographies le 8 mai dans l’après-midi ?

  • Ce jour-là, je suis aux fêtes johanniques. J’ai une accréditation de la ville pour accéder au-delà des barrières. Un geste de notre échevin, qui m’honore.

  • Quel dommage ! Encore un espoir déçu !

  • Mais non ! Je suis revenu vers 16 heures pour écupérer une nouvelle carte mémoire. Je l’avais sottement oubliée.

  • Et vous avez pris des clichés par habitude.

  • En effet, c’est plus fort que moi.

  • Les avez-vous regardés ?

  • Non, j’ai travaillé tous les clichés du défilé pour effectuer un reportage de qualité. J’y ai passé beaucoup de temps.

  • Accepteriez-vous de me les montrer ? On ne sait jamais…

  • Avec grand plaisir !


Ludovic Loiseau propose au policier de le suivre chez lui. L’homme s’empresse d’accepter. Ils pénètrent dans une belle résidence avec vue sur Loire. Le photographe lui offre un café tandis qu’il cherche sa carte mémoire. Il la trouve et prie son invité de venir regarder. Le photographe dispose d’un très grand écran d’ordinateur. C’est un outil indispensable pour retravailler ses clichés. Les prises de vue défilent sur l’écran.


Le policer voit une tache plus claire au loin, sur l’autre vive. En réalité, c’est un reflet sur le côté droit de l’écran. Il ressent un choc, persuadé que le jet-ski est dans le champ. Il en fait part à son hôte. Monsieur Loiseau use alors de l’agrandissement. Il peut se le permettre, il dispose d’une grande marge de manœuvre avec les sensibilités qu’il exploite. Rapidement, l’évidence leur apparaît : c’est Gontran seul sur son engin. Il est 16h35, c’est une indication fournie par l’appareil photographique.


  • Voilà quatre personnes entièrement disculpées !

  • Pardon ?

  • Excusez-moi, je raisonnais à haute-voix. Regardons les suivantes, je vous prie.

  • Avec plaisir.


Les trois photographies suivantes ne donnent rien de mieux. L’homme et son véhicule aquatique sont dans le secteur, sans que rien ne se passe. Pas de présence humaine visible dans le champ de vision ! Pour le cliché qui arrive, il y a du nouveau.

  • On dirait que le pilote fonce sur un oiseau.

  • C’est aussi mon avis.

  • Pouvez-vous agrandir encore plus ?

  • La définition ne sera pas bonne, mais c’est encore possible. Voilà !


Un héron apparaît clairement. Nulle trace de criminel ou de tueur d’oiseau ! Le policier, de plus en plus nerveux, réclame le cliché suivant, de manière quelque peu véhémente. Il s’en rend compte :

  • Veuillez pardonner mon empressement ! C’est tellement important pour moi. Il y va aussi de ma réputation, tout autant que de mon avenir immédiat.

  • Je comprends. Je suis si heureux de pouvoir vous aider. J’ai même le sentiment d’avoir commis une grande négligence en laissant de côté ces prises de vues.

  • Allons, avançons !

  • Le plan suivant arrive.


Cette fois, il n’y a pas de doute, une bataille aérienne oppose l’animal et son agresseur. L’oiseau fonce résolument sur le pilote, c’est du moins ainsi que les deux hommes interprètent le cliché. Ils sont impatients de savoir. L’image suivante ne donne rien. L’opérateur a cadré plus à l’est, rien n’apparait sur le côté droit. La prochaine est en revanche plus exploitable. Elle constitue même la clef du mystère.


  • L’oiseau est couché sur le sable, me semble-t-il.

  • C’est aussi mon avis. Le jet-ski est hors champ.

  • L’homme est dans l’eau.

  • C’est ce qu’on peut en conclure, même si ce n’est pas très net.

  • Personne autour ! Vous êtes d’accord ?

  • Oui commissaire, c’est ce qu’on peut observer.


Le commissaire demande à Ludovic Loiseau de confier sa carte mémoire à la justice. Le photographe lui propose de tirer lui-même les clichés au format A3. C’est un honneur pour lui d’apporter sa contribution et son expertise à l'énigme qui intrigue tout Orléans.

 



De retour au commissariat, Ignace envoie immédiatement un SMS à celle qui viendra récompenser sa découverte. « L’énigme est résolue. Je réclame un bec et plus si affinité. RDV 18 h chez moi ! » Puis, dans l’attente d’une réponse qu’il espère enthousiaste, il se lance dans la rédaction d’un premier rapport.

Son premier souci est de libérer au plus vite le brave Archimède. Il prend même son téléphone pour joindre directement le juge d’instruction. Il lui avoue le stratagème convenu avec l’accord du SDF.

Le magistrat comprend immédiatement la raison de cette démarche qui n'est absolument pas conforme aux règles de la procédure. Il entend même recevoir ce curieux collaborateur de la justice pour le féliciter personnellement avant son élargissement. Grillepain lui confie sa promesse de lui offrir une nouvelle existence. Tous les deux conviennent de lui assurer une assistance conseil pour sa nouvelle vie de gardien de propriété en Sologne. C’est cette proposition qui va venir récompenser son sacrifice.


Du côté du divisionnaire, ce n’est pas la même musique. Le supérieur respecte la tradition de sa charge en lui passant un savon magistral. Il est vrai qu'il l’a mauvaise. L’idée d’un accident, qui plus est entièrement la faute de celui qu’il fréquentait dans les cercles distingués de la bourgeoisie orléanaise, va servir de chambre d’écho à la médisance. Une statue va être déboulonnée, les langues de vipère vont lui tailler un costard à la mesure de ses mérites. Ses amis politiques risquent fort d’en être ébranlés et même quelque peu éclaboussés par les vagues de l'opprobre.

Ignace laisse passer l’orage. Il vient de lire discrètement sur son petit écran : « À ce soir, mon canard des îles ! Je te biche partout. »


Avant la récompense du vainqueur, il convient d’apporter une explication en conférence de presse. Le récit détaillé, à franchement parler n’est pas à sa portée. Il a soudain une idée qui l’amuse, une manière de boucler la boucle avant de défaire celle de sa ceinture. Il convoque Gustave et Gaston au commissariat ; la connaissance de la rivière pour l’un, l’imagination de l’autre vont ficeler un scénario plus crédible que les éléments épars tirés des photographies. Le héron a puni l’outrecuidant qui l’a payé de sa vie. Gloire au bel animal, symbole de sagesse !


Les deux compères se font un devoir de narrer la chose pour l’édification du peuple et le courroux de la coterie :



Un drôle d’oiseau




Il était une fois un homme important qui se sentait pousser des ailes. Pour démontrer à tous sa supériorité, il voulut marcher sur l’eau. La chose n’est pas aisée pour le commun des mortels fût-il béni de ceux qui gouvernent. Il choisit un subterfuge pour démontrer à tous les badauds ébahis qu’il disposait de tous les privilèges qui siéent à sa caste.

Ainsi, le mythe du Cachalot de Loire naquit à grand coups de gerbes d’eau et d’une vague destructrice. La colère submergeait ceux qui se retrouvaient arrosés par l’impudent navigateur. Il y eut algarades et plaisantes rixes sans que les autorités ne viennent se soucier de mettre à quai le terrible engin.

Devinant l’impuissance de leurs frères et sœurs humains, la gent ailée se mit à montrer de l’aile ce méchant qui se faisait malin plaisir à venir les perturber dans leurs parades amoureuses. La querelle prit de la hauteur, les oiseaux à tour de rôle firent de ce triste pilote écervelé, une cible. La fiente de la blanche colombe ne suffit pas à interrompre la course folle de celui qui avait perdu la raison. Il chargeait cygnes, oies, hérons et aigrettes tandis qu’il avait toujours un balbuzard sur le dos.

Sa chevauchée fantastique s’acheva par une prise de bec. Un héron se sacrifia pour mettre à bas l’odieux furieux des flots. Il planta son bec dans la jugulaire de celui dont il convenait d'interrompre les méfaits. Le bec se brisa mais le sacrifice du héron héros ne fut pas vain. Déséquilibré, le fou du guidon chut dans cette rivière qu’il martyrisait tant. La sentence de la Dame Liger fut redoutable : un gros caillou reçut sa chute et la loi de la gravité acheva ce que l’animal symbolisant la patience et la sagesse n’avait pu totalement accomplir.

Le nez dans les flots, le bec homicide hors de l’eau, ce drôle d’oiseau acheva) ainsi sa course là où il avait fauté.




* * *



Dire que tous les orléanais aient saisi le sens exact de ce communiqué serait exagéré. L’essentiel est qu’il fait beaucoup causer et que chacun peut se faire une petite idée du drame qui a mis en ébulition la cité. Le dénouement a naturellement de quoi frustrer ceux qui sont avides de drames et de scandales. Mais comme l’affaire est intimement liée à la Loire, que le nœud se défasse aisément c’est une gage de sécurité. Le nœud marin le plus malin est le nœud de chaise car il se défait aisément en cas de danger. Les mécontents pourront aussi s’assoir dessus !




Il était une fois Combleux

  Combleux et Rosalie      Elle s'appelle Rosalie. Cette gamine est la seconde fille d'un couple de paysans. L'homm...