En chamboulant le temps
En bousculant l'histoire
En martyrisant la chronologie
En travestissant la vérité
En défiant la logique
Et en grimant les personnages
Le bonimenteur vous invite à le suivre
Lorsqu'il vous déclare avec gravité :
« Il advint une bonne fois pour toute !
Qu'il vous faudra bien accroire »
Il
était une fois, en un temps très lointain, un village en bord de
Loire, à la lisère de la Bretagne. Les uns prétendent que
l'aventure se déroula là où se dresse aujourd'hui Mauves sur
Loire, d'autres affirment que c'était à Oudon, à deux pas de là.
Mais qu'importe la localisation exacte de cette étrange histoire,
c'est de celle-ci qu'il faut se soucier ici …
Dans
ce hameau, étaient trois sœurs qui avaient décidé de vivre
ensemble tout en se passant du commerce des hommes. Elles
prétendaient tenir des métiers qui étaient alors souvent réservés
au sexe qu'on prétend fort. Les dames avaient du caractère en
bonnes bretonnes qui se respectent ; elles avaient aussi du talent
dans leur art, si bien que les clients jamais ne leur manquèrent,
faisant fi de leur genre pourvu qu'elles travaillent aussi bien qu'un
porteur de braies.
Arthémise,
l'aînée maniait la forge et l'enclume ayant appris auprès de son
père le métier de charron taillandier. Ses outils étaient célèbres
dans toute la contrée pour leur finesse et leur robustesse. Elle
avait d'ailleurs équipé sa cadette, Clothilde, des meilleurs
instruments qui soient pour travailler le bois. Celle-ci était
charpentière, comme elle aimait à dire. Elle avait de la magie dans
les mains et ses pièces de bois étaient d'une beauté rare. Quant à
la plus jeune, Nora, elle avait souhaité hériter de leur mère, le
métier de tisserande. Elle créait les étoffes les plus solides
qui soient dans le lin et le chanvre du pays breton.
Dans
la demeure des filles Parques, le travail ne manquait jamais ! Les
trois sœurs ne prenaient ni repos ni congés ; elles aimaient tant
leurs métiers qu'elles y consacraient toute leur existence. Quand
l'ouvrage de l'une exigeait de la main- d'œuvre, les deux autres lui
fournissaient aide et conseils. Chacune était capable d'exécuter le
travail de l'autre; c'est ce qui faisait leur force et leur grande
réputation au-delà de leur province, en toutes les contrées de
Loire.
Un
soir de pleine lune (comment put-il en être autrement ?), un étrange
personnage, maigre et élancé, au visage émacié, vint frapper à
la porte des sœurs. Si l'homme avait une allure inquiétante, ce
n'était nullement une raison pour lui proposer mauvais accueil. Les
filles Parques n'aimaient pas juger les clients à leur mine, aussi,
écoutèrent-elles attentivement ce visiteur d'un soir.
« Votre
réputation est venue jusqu'à moi. J'arrive d'une région lointaine,
si éloignée d'ici qu'il me semble bien improbable qu'un de vos
voisins en soit revenu un jour. Pourtant c'est à vous que je
souhaite confier un travail d'importance. J'ai besoin d'un bateau
construit en un bois exotique : le mancenillier, que je vous ferai
livrer par voie d'eau dès demain si vous acceptez ma commande. Je
veux que tous les pièces de navigation soient en fer et j'ai entendu
louer votre adresse en ce domaine. J'ai besoin d'une grande voile de
lin que je veux noire comme la nuit et plus solide encore. Pour
faire bonne mesure, j'ai besoin d'une faux dont le tranchant se situe
à extérieur ! »
Les
sœurs furent un peu surprises d'une telle commande. Cependant elles
aimaient les gageures et l'homme leur en proposait une formidable !
Qui plus est, ce client peu ordinaire voulait être livré à la
prochaine lune, le premier soir du mois de Samonios selon le
calendrier celte encore en vigueur alors dans cette région. L'homme
leur promettait une bourse pleine d'or si elles tenaient le pari.
Elles acceptèrent bien légèrement, il me semble …
Le
lendemain matin, tout ce qu'il leur fallait pour commencer cet
incroyable chantier leur était livré par des serviteurs aussi peu
ordinaires que leur maître. Les hommes ne dirent pas un mot,
laissèrent les matériaux et disparurent aussi mystérieusement
qu'ils étaient arrivés. Pourtant, une fois encore, rien ne semblait
arrêter les sœurs Parques dans leur volonté de venir à bout de ce
défi.
Elles
se mirent au travail. La forge ne cessa de brûler durant la première
semaine. Puis ce fut au tour des lames de couper le bois tandis que
le rouet tournait sans arrêt. La maison était une ruche, l'atelier
une fourmilière. Il y avait toujours du mouvement, du bruit, des
femmes en action, allant en tous sens. Elles n'étaient que trois ;
elles semblaient bien plus …
L'ouvrage
avançait. Les voisins venaient regarder en s'interrogeant sur le
mystère qui prenait corps sous leurs yeux incrédules. Le client,
dont personne se savait rien, avait laissé des consignes précises,
des plans et des dessins sur de curieux parchemins. Les sœurs
accomplissaient des prouesses pour respecter un délai que nul
charpentier naval n'avait jusqu'alors tenu pour construire un bateau.
En plus, elles armaient le bateau pour qu'il soit prêt à servir le
soir prévu de la livraison. Manifestement, c'est la belle
embarcation d'un passeur qu'elles réalisaient là.
Le
soir de la commande était venue. Le travail était achevé.
Arthémise, Clothilde et Nora n'avaient guère pris de sommeil durant
cette lune. Elles n'en oubliaient pourtant pas la fête de Samain qui
devait se tenir cette nuit là. Arthémise prépara selon la
tradition, un formidable feu dans la cheminée et posa sur la table
des bûches afin que de mystérieux visiteurs puissent se chauffer
pour leur long voyage. Clothilde avait mis à cuire de succulentes
pâtisseries et elle les avait laissées, elle aussi, sur la table
pour les inconnus qui étaient attendus. Quant à Nora, elle avait
trouvé le temps de tisser de grandes capes qui étaient également
promises à ceux qui devaient passer dans la nuit …
Ayant
respecté la coutume comme elle se pratiquait alors, les sœurs
Parques, l'esprit tranquille s'étaient rendues en bord de Loire pour
livrer leur ouvrage à celui qu'elles attendaient. Celui-ci arriva
bien après le coucher du soleil, au moment où la Lune, grosse et
ronde montait fièrement dans le ciel. L'homme était encore bien
plus inquiétant que lors de sa première visite. Dans la nuit , ses
yeux brillaient d'une curieuse lueur.
Il
admira le travail des trois sœurs. C'était en tous points semblable
à ses désirs. Il se frottait les mains, jamais on ne lui avait
construit un bac aussi élégant , une faux aussi fine et tranchante,
une voile aussi noire et solide. Fou de joie, il se mit à sauter ,
se lançant dans une danse diabolique avant de retrouver ses
esprits. Il récupéra ses parchemins afin que nul ne puisse
reconnaître son bateau.
« Mesdames,
vous avez réalisé des merveilles. Vous méritez bien l'immense
récompense qui vous attend sur l'autre rive : une bourse pleine de
belles pièces d'or comme jamais vous n'en avez eu. Mais pour la
mériter , il faudra m'accompagner et remplir une petite condition.
Vous tiendrez une chandelle et , si celle-ci ne s'éteint pas durant
la traversée, vous serez payées au-delà de vos espérances. Mais
si la flamme vient à disparaître, vous devenez mes passagères et
jamais vous ne reverrez les rives de la Loire ! »
N'importe
quelle femme de ce pays se serait enfuie mais point nos sœurs
Parques. Elles se concertèrent et la cadette se précipita dans le
jardin de la maison et revint avec une belle gourde pèlerine appelée
encore calebasse quand on la vide. Sa sœur la creusa avec l'adresse
de celle qui manie le couteau à bois en façonna une lanterne dans
laquelle l'aînée fixa soigneusement la chandelle.
Le
mystérieux client regardait d'un air sardonique ces préparatifs
qu'il jugeait vains. Sûr de son pouvoir, il embarqua les dames,
certain d'avoir gagné de nouvelles âmes. Subitement, au milieu de
la Loire, le vent se leva et souffla avec une force incroyable. Dans
le même temps, des trombes d'eau tombèrent du ciel. La rivière
s'agita, le bateau allait au gîte. Mais rien n'y fit ; la
chandelle continua de briller fièrement à l'abri de sa calebasse,
accrochée solidement à la vergue.
Arrivé
à l'autre rive, l'Ankou, puisque c'est de lui qu'il s'agit, dut
reconnaître sa défaite. Il remit à contre-cœur une grosse bourse
aux trois sœurs et disparut sur la Loire à bord de sa célèbre
barque . Beaucoup de gens du pays eurent un jour à utiliser le
bateau et son étrange capitaine. Aucun n'en revint jamais. Seules
les sœurs Parques avaient vaincu le démon.
Pour
revenir chez elles , elles durent faire un grand détour en allant
chercher un pont fort loin sur la Loire car l'Ankou, mauvais joueur,
ne les avait pas reconduites sur la bonne rive. Enfin elles
retrouvèrent leur demeure. Les présents qu'elles avaient laissés
sur la table, avaient disparu. Leur client manifestement , avait eu
le temps de trouver des passagers pour la traversée dans l'autre
monde et ces derniers étaient venus quérir les présents pour ce
long voyage. Longtemps, très longtemps encore, le bateau de l'Ankou
remplit son terrible office. Il faut dire que les sœurs avaient fait
du bel ouvrage.
De
nos jours, certains prétendent creuser des citrouilles pour célébrer
la nuit des défunts. S'ils réveillent ainsi de vieilles légendes
celtes, s'ils commémorent sans le savoir la fête de Samonios, ils
commettent une grave erreur, les cucurbitacées en ce temps-là
n'étaient pas connues en Europe. Riez donc sous cape et pensez, en
voyant leurs grimaces feintes, qu'il faut être bien gourde pour
confondre une calebasse et une citrouille. Les sœurs Parques ne s'y
étaient pas trompées et c'est ainsi qu'elles purent vivre le reste
de leur âge. On ne s'approprie pas une légende ancienne sans en
connaître la véritable histoire. C'est la seule morale de cette
fable de Loire …
Quant
à ceux qui croient aux pitreries d'Halloween, il se murmure que
jamais les sœurs ne dépensèrent les pièces d'or gagnées de si
étrange manière. Elles se dépêchèrent de les enterrer bien vite
dans leur jardin. Il se dit qu'en ce lieu mystérieux, poussent
encore des « Cucurbita
lagenaria ». C'est ainsi qu'il vous sera possible d'employer
votre soirée à des choses bien plus utiles ; au lieu d'importuner
les braves gens, cherchez donc le trésor des sœurs Parques quelque
part entre Mauves et Oudon.
En
ce jour funeste, le
verdict venait de tomber : la cour, conjuguant ses efforts, a décidé
de tuer le temps. La décision s’impose à tous ; l’accusé
est passé de mode : il a fait son temps. Il n’y a plus à
revenir sur la chose : « Ô temps, suspends ton
vol ! » aurait pu déclamer le bourreau, chargé d’ouvrir
la trappe sous celui qui avait tant ponctué nos existences. Le temps
révolu, il n’y avait plus aucun espoir d’envisager l’avenir,
de considérer le présent et de se souvenir du passé. L'exécution
à venir allait saper les bases de notre société. Mais revenons
quelques instants, s’il en est encore temps, sur cette ultime page
de notre histoire...
Mis
au ban des accusés, pour sa défense, le temps avait présenté des
arguments bien dérisoires. Son bilan était si médiocre que les
jurés ne prirent pas pour argent comptant ces arguties d’une autre
époque. Le temps avait bégayé, avait répété sans cesse les
mêmes propos qui avaient fini par lasser l’assistance et la cour.
Il revenait toujours au même point, semblant ne pas parvenir à
développer sa rhétorique. Sa pensée s’ensablait dans les
méandres d’une mémoire défaillante et ses arguments étaient
devenus obsolètes.
L’accusation
quant à elle, s’étaient montrée impitoyable. « Le
temps nous a leurrés en prenant ses désirs pour des réalités. Le
temps tourne en boucle, son cycle quotidien manque de ressort, il n’a
pas réagi quand les hommes ont voulu remonter son cours. Le temps
s’est étalé, sans pudeur, sans retenue. Un grain de sable étant
venu s'immiscer dans son immuable répétition. Le temps refuse de
regarder en arrière et fait obstacle à ceux qui veulent aller de
l’avant. Il s’est fourvoyé quand il a abandonné ses aiguilles
pour l’affichage numérique.»
Des
experts vinrent témoigner de sa vacuité. « Le temps
dessert les hommes, les force à courir après lui, leur impose des
cadences infernales. Le temps est impitoyable pour ceux qui en
manquent, bien trop généreux pour ceux qui n’ont pas la nécessité
de le mesurer. Pire que tout, le temps se monnaie, fixe un barème
pour son usage. Il se vend au plus offrant et ne se donne qu’à
notre dernière heure ! »
Des
témoins de moralité, avec empressement, osèrent affirmer que tout
est relatif, que le temps dépend de notre perception des choses,
qu’il ne sert à rien de l’accuser de tous nos maux. Le temps ne
serait ainsi que la malheureuse victime de nos faiblesses. Quand nous
prenons plaisir, nous l'abolissons, dans l’ennui, nous ne cessons
de l’étirer sans fin pour prétendre avec une parfaite mauvaise
foi qu’il a fini par s’arrêter.
« C’est
justement le problème avec le temps : il veut toujours avoir le
mot de la fin , rétorqua l’un de ses plus virulents pourfendeurs.
Le temps est fondamentalement mauvais, surtout quand il est pourri ou
qu’il se fait maussade. Le temps joue sur nos nerfs et affecte
notre moral, fait pleuvoir des calamités sur nos têtes ». La
charge était terrible mais le pauvre homme s’était trompé de
temps ! Il était fait comme une grenouille dans son bocal …
« Le
temps n’a jamais fait la pluie et le beau temps, répliqua,
cinglant, l’avocat de la défense en une tirade dont il avait le
secret. Le temps ne se mesure pas, il s’égraine, il file entre les
doigts. Ne pensez pas le tuer avant de l’avoir attrapé ; ce
serait encore une fois se jouer d’une illusion éternelle. Le temps
est intemporel et c’est bien ce qui vous met en rage. Il se
conjugue en se passant des modes et des accords !»
Malgré
le talent de l’orateur le verdict tomba sans appel. Le temps était
condamné ; il fallait le tuer sans autre forme de procès. Le
temps ne pouvait faire appel ; sa dernière heure avait sonné
et la sentence devait s’appliquer dans l’instant. Mais comment
déterminer l’ultime seconde en l’absence de la collaboration de
la victime ? Le temps n’avait pas l’intention de se laisser
tuer sans abattre sa dernière carte.
Et
voici que le temps, en un ultime soubresaut, abolit l’espace en
même temps que sa propre existence. Les aiguilles s’étaient
arrêtées, le tribunal disparaissait dans les limbes en un éclair
fulgurant ; la fin des temps venait de s’opérer. Le temps
avait échappé à la folie des hommes en se sabordant en un geste
sublime. Ceux qui avaient voulu le plier à leurs désirs venaient de
se perdre à tout jamais. Le temps sortait triomphant, du moins le
pensait-il. Mais bien vite, il déchanta ! Sans les hommes, qui
pouvait bien encore accorder la plus petite importance à son
existence, égrainer des minutes qui se perdaient dans le vide ?
Le
temps était de la revue. Il s’était pendu au balancier d’une
franc-comtoise qui lui avait mis ses plombs dans la tête.
L’anéantissement de l’humanité fut son coup de grâce. Le temps
avait commis sa plus grande bourde et le glas qui sonnait au loin
annonçait la nuit des temps. Finalement, Dieu ne vit pas d’un très
bon œil cet ultime geste de désespoir. Sa créature la plus aboutie
venait de lui faire faux bond. Le tout puissant était bien décidé
à remettre les pendules à l’heure mais le jour suivant ne se leva
jamais. Un vide céleste l’avait remplacé.
L’enfer
aurait pu ouvrir grand ses portes. Il y aurait foule à prétendre se
réchauffer à ses flammes pour l'éternité. Hélas, là aussi,
tout n’était plus que poussière : le temps anéanti, plus
rien de ce qui avait été ne pouvait désormais subsister. Ce récit
ne parviendra jamais à son terme, le temps manquait dorénavant pour
se payer le luxe d’un point final...
« N’aurais-tu
pas envie de nous raconter des histoires à la radio ? »
Même si la question fut formulée avec cette fameuse forme
interronégative qui laisse peu de place au doute ou au refus, elle
toucha en plein cœur le conteur, condamné comme beaucoup d’autres
au silence imposé à toutes les formes d’expressions culturelles.
C’est
sans hésiter une seule seconde que j’acceptai cette main tendue à
l’extrémité de laquelle il me faudra adjoindre un micro d’autant
plus qu’un comparse m’avait devancé pour évoluer dans le même
registre. Je n’allais tout de même pas laisser toute la place au
barde Rohan. Il me faudrait imaginer une forme adaptée à ce média
si particulier qui brille à la fois par une apparente facilité et
une incroyable dimension universelle.
Si
parler semble naturel à un bonimenteur il en va tout différemment
quand il est soudain question de s’enregistrer pour une
transmission différée. Cette fois, les innombrables et
insupportables tics de langage, défauts de prononciation,
bredouillements et autres bruits intempestifs ne pouvaient plus
passer comme une lettre à la poste grâce à une pitrerie ou une
facétie. Les auditeurs seraient contraints de supporter mon
articulation défaillante et tous mes défauts de langue.
Je
me souvins alors de toutes les remontrances que me faisait ma
collègue d’écriture, qui femme de radio, ne supportait pas de
m’entendre lire à haute voix un passage de notre roman commun. Je
voyais là un petit pied de nez à ses railleries qui n’était pas
pour me déplaire. J’allais sans doute évoluer à contre-emploi,
avec mes gros sabots et mon air bête mais qu’importe, ce défi ne
m’en attirait que davantage.
Mais
comment m’en tirer honorablement à bon compte ( conte) ? Étant
passablement cossard, je voulais exploiter les enregistrements déjà
effectués pour ma chaîne YouTube en dépit de leur médiocrité
technique. Renoncer à la perfection a depuis toujours constitué mon
penchant naturel, poussant le vice lors de mes prestations, à ne pas
préparer à l’avance un programme et à encore moins préparer des
récits pour l’occasion. En bon funambule de l'inutile je n’aime
rien tant que le fil du rasoir. De là à courir le risque d’être
rasoir, il n’y a qu’un pas de côté à ne pas faire.
J’optai
donc pour l’approximation, une forme qui me serait sans nul doute
spécifique sur cette nouvelle web-radio. Chacun se distingue comme
il peut, je trouvais là une spécificité que nul ne viendrait me
contester. Maintenant que la forme était ce qu’elle serait, sans
artifice ni amélioration, il fallait trouver un fond pourvu qu’il
fut de bon commerce.
C’est
alors que me revinrent en mémoire mes premières années
d’enseignement durant lesquelles j’aimais raconter un page
d’histoire ou évoquer un thème de société en parsemant mon
exposé de chansons qui abordaient ce sujet. Rien de très original
mais une manière plaisante d’agrémenter ce qui devenait un cours
en musique. Par contre, annoncer la chanson risquait de briser
l’unité de ce moment. C’est ainsi que mes contes seraient
segmentés pour que s’y insinuent des chansons forcément
francophones, évoquant directement ou non, le contexte du récit.
Les moteurs de recherche étant de précieux alliés pour découvrir
des pépites.
La
petite crique océane de 30 minutes qu’on m’avait initialement
confiée devint par la magie d’un auditoire satisfait par mes
simagrées, une grande plage ligérienne d’une heure où le sable
n’est pas toujours fin. Je dus construire un programme autour de
deux contes en cherchant une cohérence entre eux tout en ajoutant
éventuellement un poème de mon cru. Les auditeurs faisant preuve
d’une curieuse mansuétude à mon égard.
L’aventure
continue pour l’instant jusqu’à ce que, lassé, on me coupe le
sifflet. Avant que cette mésaventure ne survienne, passez donc
m’écouter si le cœur vous en dit. Ce n’est pas très compliqué,
je vous attends chaque jeudi de 11 h à 12 h ainsi que dans la nuit
de 1 h à 2 h pour nos amis québecois. Il vous suffit de vous brancher
sur votre ordinateur ici
! Profitez de l’aubaine surtout pour écouter les autres émissions. À bientôt.
Une citrouille
fit un jour la grimace quand son jardinier de géniteur lui apprit
qu’elle terminerait ses jours dans une soupe. La dame, dans sa
belle robe orange en fut toute contrariée. Elle qui était la plus
belle, la plus grosse, la plus imposante en somme dans le jardin,
aurait aimé une place de roi à la table de son maître. Cette
perspective lui restait en travers de la gorge. Elle n’entendait
pas rester ainsi les tiges ballantes, il lui fallait agir sans tarder
pour échapper au brouet.
La citrouille
avait pour amie, la petite fille du jardinier. Une adorable petite
Margot qui, avouons-le ne goutait guère aux potages. Gourmande, la
gamine était plus versée sur les desserts. Elle comprit l’angoisse
de ce légume pour lequel, elle avait une affection toute
particulière depuis qu’on lui avait raconté les aventures de
Cendrillon.
Que faire pour
venir en aide à cette belle
cucurbitacée ? La petite aimait à
nommer ainsi les citrouilles à ses camarades de classe afin de leur
montrer toute l’étendue de son savoir végétal. Les enfants sont
ainsi, ils aiment à avoir des mots plein la bouche alors que les
adultes ne songent qu’à y glisser des friandises sans saveur.
Margot se mit en
cheville avec la belle citrouille pour lui épargner une mort infâme
dans une marmite de sorcière. Sa grand-mère en effet utilisait
encore une énorme cocotte en fonte qui effrayait la petiote. Elle
imaginait que sa mamie y confectionnait des potions maléfiques, des
brouets diaboliques d’autant que si ce n’était pas des soupes,
c’était des plats en sauce, le plus souvent avec du vin, qui lui
retournaient l’estomac.
Pire encore, sa
vieille Mâ comme elle l’appelle utilise un balai en fibres noires
de piassava, un palmier qui pousse au Brésil alors que la citrouille
vient elle du Mexique. Margot aime à voyager en cherchant l’origine
des choses ce qui ne l’empêche nullement d’avoir des
superstitions et des peurs bleues. Elle doit absolument sauver le
beau légume et éviter par la même les sempiternelles disputes
quand il s’agit de manger sa soupe.
C’est dans un
vieux grimoire que la petite a découvert une bien étrange histoire
de fêtes païennes où l’on s’amusait à se faire peur. Très en
avance pour son âge, Margot pensa qu’avec les païens il n’y
aurait nul risque d’être accusé de blasphème. Elle pouvait agir
tout à sa guise sans risquer l’anathème. C’est ainsi qu’elle
grima sa citrouille en pomme bleu d’Australie, un des fruits qui la
font voyager dans ses livres de botanique.
La citrouille
fut sans plus tarder peinte toute en bleu, couleur qui avait de quoi
rebuter une cuisinière, fut-elle un peu sorcière comme sa
grand-mère. Ce fut les cris d’orfraie de son grand-père quand il
découvrit la farce qui lui indiquèrent qu’elle n’avait pas
manqué son coup. Le pauvre homme crut à l’intrusion d’une
nouvelle maladie, un mal mystérieux qui allait transformer son
potager en arc en ciel ou en nuancier pour peintres amateurs.
Il en eut, le
malheureux des palpitations et un sacré coup au cœur. Margot, loin
d’en être effrayée songea que sa citrouille allait connaître une
nouvelle destinée. La gamine aimait jouer à faire peur, elle se mit
à l’ouvrage pour transformer sa camarade végétale en un monstre
grimaçant dans lequel elle glissa une bougie. C’était une belle
mort pour la citrouille, un départ pour l’autre monde sans finir
dans l’estomac des humains.
Ce que venait
d’inventer Margot eut un succès qui dépassa ses espérances. Mais
les gens n’y connaissent rien et pour effrayer les petits enfants,
ils se contentent de creuser la citrouille sans prendre la peine de
la peindre. La peur est bleue, il n’y a pas à revenir dessus et il
convient de laisser la couleur orange aux alertes de ce bas-monde.
Laissons Margot à sa peinture, elle a décidé cette année de
peindre six cucurbitacées en bleu, ce seront les citrouilles bleues
d'Halloween. Son grand père qui a compris, lui donne un petit coup
de main en cachette de la grand-Mâ, ça va de soi.
Depuis plusieurs
années, je ne cesse à chaque instant d'avoir quelqu'un dans le nez,
un locataire insupportable, un être détestable qui a élu domicile
dans mon tarin. Une véritable obsession car pas un jour ne passe
sans que je n'essaie de l'en déloger et ceci sans le moindre succès.
Je pensais jusqu'alors être le seul dans ce cas, le seul à vivre ce
calvaire de souffrir d'un locataire nasal que personne ne peut
contraindre à expulser.
Les lois sont
mal faites et ne protègent pas les propriétaires d'un nez ordinaire
qui ne peuvent jouir à loisir de leur cher appendice. C'est vraiment
la crotte comme le diraient mes
enfants qui voient le loup partout. J'en viens parfois à penser
qu'ils sont de mèche avec cet indésirable, ce parasite qui
m'irrite, me tourmente, m'exaspère, me rend la vie impossible.
Qui plus est, ce
squatteur est un petit morveux. C'est sans doute la raison qui lui
fit porter son choix sur mon nez plutôt que sur son palais. Il est
vrai que dès que je le vis se pointer dans le paysage, je le
gratifiai d'un
pied de nez irrespectueux. Attitude enfantine que je ne cesse de
regretter. L'autre profita de ce geste pour me couper l'herbe sous le
pied afin de pouvoir aisément s’incruster dans mes narines.
Curieusement,
cet indésirable, ce parasite nasal, ne manque pas d'air si bien
qu'il ne cesse de me gonfler à longueur de temps. J'aimerais tant
qu'il prenne la poudre d'escampette au lieu de quoi, c'est une toute
autre poudre qu'il m'introduit de force dans mes naseaux. J'étouffe,
je perds contenance devant ses comportements douteux, ses marques de
mépris.
Je voudrais me
moucher du nez mais voilà qu'il m'est revenu aux oreilles que je
n'avais nulle légitimité à expulser l'immonde personnage. Il
serait dans mon nez par la volonté d'un suffrage auquel je n'ai pas
apporté ma voix. Je suis donc condamné à le supporter encore de
longues années, un calvaire tant mon nez me pique, me gratte,
m'insupporte.
J'ai parfois des
mouvements d'humeur vite réprimés par mon locataire qui frappe là
où ça fait mal. Je saigne alors du nez sans raison apparente,
frappé que je suis par son comportement détestable. Je perds mon
sang, je me retrouve en situation de faiblesse tandis que la tension
monte autour de moi. Je découvre alors, ébahi et circonspect, que
nombre de mes semblables se plaignent du même phénomène.
Le même
parasite a investi leurs propres nez. Je ne suis donc pas le seul à
l'avoir dans le nez. L'indésirable aurait donc don d'ubiquité y
compris à travers la planète. Voilà qui me fait une belle jambe.
Je ne peux me satisfaire de ce constat sans réagir. L'idée m'est
venue de proposer une union sacrée de toutes les victimes de ce
ruissellement nasal. Évacuons l'intrus, mouchons-nous du nez et
cessons le de le faire du coude comme nous l'ont imposé ses
complices.
Je n'avais
jusqu'alors pas saisi le but précis de cette absurdité. Se moucher
du pli caudal et non du coude (car il s'agit toujours de nous prendre
pour des imbéciles) n'avait d'autre intérêt que de laisser en
place le petit morveux. Il est grand temps de prendre le taureau par
les cornes, de laisser tomber qui plus est le mouchoir en papier à
usage unique, incapable d'extirper l'immonde morve. Emparons-nous
d'un tire-jus, d'un grand mouchoir à carreaux et évacuons du nez ce
pitoyable personnage.
Le laisser sur
le carreau, voilà bien la seule perspective réjouissante, pourvu
qu'il soit de Cholet, le mouchoir servira de réceptacle à ce triste
épisode d'une Raie Publique pestilentielle qui fait son chou gras
dans nos appendices. À vue de nez, le temps est venu de se moucher
très fort.