vendredi 26 avril 2024

Un écureuil s'éprit d'une taupe

 

Amours énantiotropes





Un écureuil s'éprit d'une taupe

Comble d'un amour énantiotrope

Lui perché sur son grand pin parasol

Elle creusant ses galeries dans le sol


Comment trouver un terrain d'entente

Pour une solution convaincante ?

Où se rencontrer pour y convoler

Et se permettre de gaudrioler


Le gentil acrobate rongeait son frein

Tandis que la dame fouillait le terrain

Avec un tantinet de panache

Le rouquin descendrait de sa cache


La pauvrette ne pouvant le rejoindre

Un affreux vertige lui faisait craindre

De devoir renoncer à son espoir

Par la crainte de finir par déchoir


Amoureux tout autant que couard

L'écureuil s'accrochait à son perchoir

Quand motivée par un désir puissant

La taupe trouva réponse en fouissant


Elle se fit sapeur sans ménagement

Creusant un immense dégagement

L'arbre vacillant sur ses racines

En devint l'innocente victime


Celui qui s'accrochait à son charme

N'eut pas le temps de verser des larmes

Perdant l'équilibre il bascula

Dans les bras de qui l'attendait en bas


La chute, loin de permettre leur idylle

Provoqua malheur indélébile

Au moment de leur premier baiser

Le sapin rompu vint les fracasser


Tous les deux réunis dans l'épreuve

Bien malgré eux nous donnaient la preuve

Que des relations contre nature

Se soldent par une déconfiture


La morale se limite en l'espèce

À la seule barrière des espèces

N'en tirez aucune autre conclusion

Pour dénaturer bien des unions

•••

jeudi 25 avril 2024

Albert, une tête d'étourneau !

 

Albert






Père siffleur renommé

Albert, oiseau étourdi

Quoique ainsi prénommé

N'avait rien d'un colibri


À rebours de l'oiselet

Ne prenait jamais sa part

Lorsqu'il fallait œuvrer

Pour sortir d'un traquenard


L'étourneau pareil au merle

Se pare d'un plumage noir

Quand il vole des perles

Pour entrer dans l'histoire


Comme c'est la pie qu'on accuse

Albert se croit tout permis

Sans vergogne il abuse

Expert en grivèlerie


Voleur devant l'éternel

Quand chez vous il s'insinue

Il dérobe à tire d'aile

Lui qui n'est pas bienvenu


Le fin mot de l'histoire

Il convient d'y songer

L'étourneau c'est notoire

Entre chez vous sans sonner



 







mercredi 24 avril 2024

Le mystère de Menetou.

 

Le virage, pour l’éternité.





Il est des régions où rien ne se passe comme ailleurs. Il semble que le pays soit voué aux mystères et aux croyances, aux légendes et aux superstitions. Ici, en Berry, les birettes sont les sorcières, les Jean-loup, les jeteux de sorts. On trouve encore des chouettes clouées aux portes des granges, et bien des choses échappent à la raison.


Une automobile roule à tombeau ouvert sur des routes sinueuses et incertaines. Un homme marche ; un homme venu de nulle part. Il porte une grande cape, un chapeau de feutre noir qui dissimule son visage. Il s’appuie sur une canne : un long bâton de noisetier qui eût pu être, tout aussi bien, celui d’un vacher ou d’un berger allant chercher ses bêtes.


Nous sommes entre chien et loup, le brouillard tombe sur les vignes et une petite pluie fine s'ajoute au décor. Comme toujours en Berry, des arbres se découpent au loin, isolés sur une parcelle de vignes ; ils sont tourmentés, majestueux, énigmatiques. Ils sont les témoins silencieux des sabbats et rondes de lutins. À les voir ainsi, perdus dans ce paysage fantomatique, même le mécréant se prend des envies de se signer et d’invoquer la protection du Seigneur des Cieux.


L’homme marche, ignorant les règles qui prévalent à la sécurité des piétons. Il avance fièrement, d’un pas décidé quoiqu’il paraisse courbé par le poids des ans. Il se trouve sur le côté droit de la chaussée, refusant, en bon Berrichon têtu qu’il est, de poser ses pas sur le bas-côté. Ses souliers ferrés résonnent sur le bitume.


C’est sans doute ce bruit qui l’a empêché d’entendre venir ce bolide qui a surgi dans son dos. L’automobiliste, emporté par sa vitesse, perturbé par le crépuscule, la pluie et le virage qui lui cache toute visibilité, va percuter le marcheur. Le choc est terrible, l’homme bascule dans la « bouchture » après avoir fait un long vol plané.


Le chauffard appuie désespérément sur les freins. Il dérape, finit par s’arrêter à plus de cent mètres de la zone d’impact. Il se précipite, fou d’inquiétude, pour porter secours à celui qui se trouvait sur son chemin. Il le cherche, examine la zone, ne trouve aucune trace. Il n’y a pas de sang sur la route, pas de corps dans le fossé.


Il revient vers son véhicule, en fait le tour. Aucune marque, pas le plus petit impact. Pourtant, il n’a pas eu la berlue : il a vu le bonhomme, il l’a aperçu quand il est passé au dessus de son pare-brise. Mais, c’est vrai, il n’a rien entendu, pas le moindre cri, pas le plus petit bruit au moment du contact. Il panique, s’interroge et, après avoir battu la campagne, s’en va, penaud, et la conscience pas tranquille.


Il ne dit rien de son aventure. Il porte ce secret au fond de lui. Une semaine durant, l’homme épluche le journal, s’attend à ce qu’on annonce la découverte d’un cadavre. Le temps passe, rien ne se passe. Il vit, tant bien que mal, avec cette vision qui hante ses nuits. Il perd le sommeil puis l’appétit ; ce qui, avouons-le, est fort inhabituel pour un Berrichon.


Puis le temps cicatrise la douleur. Il oublie ce qui n’était sans doute qu’une hallucination ; quand, au détour d’une conversation de taverne, un homme raconte la même histoire que celle qu’il a vécue. Les détails sont troublants : c’est le même virage au sortir de Menetou, à la même heure, dans les mêmes conditions climatiques.


Plus le bavard poursuit son récit, plus notre homme sent ses poils se redresser ; il a la chair de poule, il devient blême. Son interlocuteur s’en aperçoit, interrompt son récit et lui demande ce qui se passe. L’homme avoue qu’il a connu pareille mésaventure quelques mois plus tôt dans ce virage. Les descriptions du marcheur coïncident. Que diable signifie pareil sortilège ?


Il est des propos qui ne doivent pas sortir du pays. Celui-ci est de ceux-là. Un fantôme hante le virage de Menetou : un chemineux qui, il y a bien longtemps, a été écrasé sans qu’on retrouve jamais le responsable de l’accident. La maréchaussée d’alors avait renoncé à mener plus avant les recherches : les moyens d’investigations n’étant pas ce qu’ils sont aujourd’hui. Le malheureux avait été tué sans que fût puni celui qui l’avait envoyé dans l’autre monde.


C’est sans doute pour cela que, de temps à autre, la scène se reproduit ; venant rappeler à chacun que la vitesse peut provoquer des drames sur les petites routes de nos campagnes. Ceux qui ont eu à croiser ce mystérieux fantôme s'en souviennent toute leur existence. C’est l’un d’eux qui m’a narré cette anecdote parce que j’étais venu raconter des histoires de birettes dans son cher Berry.


Il voulait sans doute se débarrasser d’un fardeau, d’une vision qui continuait de le hanter. Il avait trouvé un interlocuteur qui donnait crédit à des histoires dont beaucoup affirment qu’elles sont à dormir debout. Je n’ai pas souri ; je l’ai écouté avec le sérieux qui convient dans ce pays de légendes. En rentrant, j’ai roulé très prudemment. Je n’avais guère envie de croiser le marcheur fantôme.


 



mardi 23 avril 2024

Le miracle de la Roche Percée

 

Du veau de mer à la vache de terre






Il advint en ce temps lointain de l'implantation des colons bretons dans la belle province qu'un couple Francinette et son époux Bonnaventure vivait chichement de la pêche tout près de la Roche Percée et de l'Anse-à-Beaufils. Le couple trimait du matin au soir pour remplir en poissons des filets qu'il fallait sans cesse repriser tant ils étaient au bout de la corde.


Bonnaventure partait sur sa petite barque tandis que Francinette raccommodait sans cesse ces maudites mailles qui ne cessaient de se défaire. La pêche leur permettait tous deux d'occuper leurs journées entre la sortie sur le Saint-Laurent pour l'un, le travail sur le rivage et la vente des prises de la veille pour l'autre tout en laissant un goût amer à la jeune femme qui était fille de la terre.


Francinette avait du vague à l'âme sans vraiment en saisir le motif. Son mari était des plus charmants, jamais un mot ni un geste plus haut que l'autre, un garçon travailleur et pourtant elle avait le sentiment diffus qu'il lui manquait quelque chose. Mais quoi ? Elle ne parvenait pas à mettre en mots ce qui l'empêchait d'être tout à fait heureuse.


Un jour pourtant elle eut une révélation grâce à son Bonnaventure qui revint de la pêche avec une prise exceptionnelle pour lui. Au lieu de ses prises habituelles, il avait remonté dans son filet un veau de mer qui du reste allait donner beaucoup de fil à détorde pour la brave Francinette. Mais qu'importe, elle venait de comprendre ce qui lui manquait tant.


Elle se garda cependant d'exprimer son caprice immédiatement. Elle avait la prudence des épouses qui ont une requête exceptionnelle à formuler. Elle attendit quelques jours pour saisir un jour de grand beau temps et demander à son cher compagnon : « Mon mari, sais-tu ce qui me ferait grand plaisir et mettrait du beurre dans les épinards ? »


Si le couple cultivait bien quelques pieds d'épinards dans son petit jardin, le pêcheur s'interrogeait sur ce beurre qui manquait cruellement sur son île. L'homme n'était pas sot, il fit comme vous autres le rapprochement avec sa prise des jours précédents et lui répondit d'une traite : « C'est folie que ta demande. Les vaches sont très rares dans ce coin du monde et leur prix n'est absolument pas dans nos moyens. Cesse donc de rêver ! »


La discussion en resta là tandis que Francinette ruminait sa rancœur. Si au fond d'elle-même elle savait les obstacles insurmontables pour acquérir une laitière, elle songeait à sa lointaine Bretagne et à tout ce qu'elle pourrait faire avec du lait. Elle en perdait même le sommeil, tournant et retournant dans son esprit cette obsession qui tournait à l'aigre.


Un jour tout bascula pour la gentille Francinette. Alors que Bonnaventure était à la pêche, un grand voilier de la marine Royale vint accoster sur l'Île et trois matelots en goguette, l'humeur à la plaisanterie vinrent à passer auprès de la belle qui œuvrait comme de coutume à ses filets. Les coquins virent là une prise des plus prometteuses en pensant simplement à la plaisanterie. Nulle autre intention fort heureusement ne les avait effleuré.


Le plus jeune des trois s'en va vers Francinette en lui faisant belles œillades et joli sourire. « Belle dame, vous voilà en un rude ouvrage qui abîme vos petites mains. N'y aurait-il pas quelque chose qui puisse vous satisfaire véritablement ? » Toute bretonne qu'elle était encore au fond d'elle, elle se méfiait ainsi des soldats du roi de France. Elle soupira pour toute réponse, préférant garder le silence.


Le plus grand prit la parole à son tour : « N'ayez crainte de nous, nous ne voulons que votre bien sans que vous n'ayez rien à redouter pour votre honneur. Dites-nous ce qui vous ferait grand plaisir dans la vie et il vous sera permis de l'envisager… ». Francinette releva la tête, surprise des propos de ces étranges marins : « Mon vœu le plus cher est de posséder une vache et je doute que trois jeunes coqs puissent satisfaire là cette envie ! »


La réplique amusa le troisième qui sans marcher sur des œufs tint des propos qui lui furent soudain inspirés par un esprit malin : « Charmante pêcheuse, il n'est rien de plus simple pour vous que d'avoir ici une vache. Vous demeurez à deux pas de la demeure de Honguédo, le génie des eaux. Son château est dans les entrailles de la terre et la roche percée que vous voyez-là est le fait de sa demeure. Allez lui formuler votre requête et vous serez sans doute exaucée. »


Francinette haussa les épaules, se pencha à nouveau sur ses filets et laissa partir sans un regard ses trois gredins. Pourtant, ils avaient semé dans son esprit les graines de la superstition chez une bretonne habituée aux légendes de Korrigans et de fées. Une véritable tempête souffla dans le crâne de cette pauvrette qui manquait cruellement de sommeil depuis quelque temps.


N'y tenant plus et profitant de l'absence de son époux qui se serait sans doute moquer d'elle, elle s'en alla au pied de la Roche Percée pour entonner un air de sa Bretagne natale sur lequel elle glissa des paroles à sa convenance :



Ô gentil génie du Rocher

J'ai une demande à formuler

Pour que ma joie soit entière

Offre-moi une laitière

Honguédo le bon génie ne devait pas être trop regardant sur la qualité des vers. Dans l'instant sur le flanc de la colline apparut une brave normande qui curieusement fut du goût de la bretonne. Francinette ne tarda pas à traire la vache aux mamelles pleines pour s'empresser d'aller préparer une pâte à crêpe. Chassez le naturel, l'atavisme revient au galop…


Au retour de sa pêche son Bonnaventure se régala de la chose sans paraître s’en étonner lorsqu'il entendit une vache beugler dans la prairie voisine. Il félicita son épouse pour son obstination et ne chercha pas à comprendre comme elle avait agi. Ce que femme veut, elle finit toujours par l'obtenir, cette maxime lui suffisait amplement et lui permettait de ne pas se tracasser outre mesure.


La vie reprit son cours normal, lui a la pêche, elle aux filets, à la traite et désormais au billig. Les recettes du reste étaient meilleures, Bonnaventure ajoutant à la vente des poissons celles de ses galettes qui faisaient un tabac surtout avec du sirop d'érable. Si l'on prétend que l'appétit vient en mangeant, en la circonstance pour elle, se fut en améliorant singulièrement l'ordinaire. Elle se dit qu'elle pourrait doubler les bénéfices avec une autre bête. Ni une ni deux, elle se rendit derechef auprès du Rocher avec de nouvelles paroles.


Ô mon généreux Honguédo

Le bienheureux génie des eaux

Ma vache s'ennuie dans la campagne

Accorde-lui une compagne


Une fois encore, peu sourcilleux sur la versification, Honguédo céda d'autant plus facilement à la demande de la dame que celle-ci ne s'était pas montrée ingrate et chaque jour avait déposé une galette au pied du Rocher en guise de remerciement. Pensant doubler la mise, la puissance tutélaire de l'Anse-à-Beaufils réalisa ce nouveau souhait.


Avec deux laitières, notre bretonne exilée ajouta à sa proposition marchande une crème fraîche à vous damner. Cette fois les bénéfices s'envolèrent tandis que Bonnaventure prit l'habitude de partir à la pêche qu'un jour sur deux. Il entendait profiter un peu de l'existence tandis que sa chère femme mettait vraiment les bouchées doubles. Cette dernière se rendant compte de la tournure des choses, songea que deux bêtes n'y suffiraient pas si son homme devenait véritablement cossard. C'est ainsi qu'elle remit le couvert avec l'hôte du domaine sous la Roche Percée.


Ô admirable bienfaiteur

Deux ne suffisent plus à faire mon beurre

C'est tout un troupeau qu'il me faut

Sans oublier quelques veaux…


Il y eu un bruit énorme, un coup de tabac sur la baie tandis que Bonnavenure surgit, inquiet de voir ainsi son épouse, allongé sur la prairie au pied de la Roche Percée. Il la secoua, certain qu'elle avait fait un malaise. La pauvrette s'était endormie avec ses rêves bovins et ses insomnies chroniques. En se levant elle chercha autour d'elle ses vaches ce qui convainquit le pêcheur que sa Francinette avait perdu la tête.


De retour dans leur modeste cabane, elle lui narra son rêve. L'homme se moqua gentiment de sa compagne, la réconforta avec tout ce qu'il était en mesure de lui offrir : son affection, sa tendresse et son amour. Ce qui se passa alors ne nous regarde pas tandis qu'au dehors, la tempête couvrit le tumulte domestique.


Au petit matin, le paysage avait été bouleversé par l'énorme déferlement des vagues. Sur la rive, la barque du pêcheur avait été emportée tandis que sur la grève, miraculés d'un naufrage, se trouvaient une vache et son veau parmi les débris de l'épave d'une goélette de la Royale. Le génie de la Roche Percée avait sans doute entendu le rêve de la gentille Francinette, elle avait désormais ce qu'elle désirait vraiment.


Son Bonnaventure se mit sans tarder à récupérer les débris épars pour construire un solide bateau, non plus pour pêcher mais pour établir le premier service fluvial régulier entre Québec, Gaspé, Percé et la Baie des Chaleurs. Quant à Francinette, elle fit des galettes pour son homme et bien vite pour le premier enfant né de cette nuit où leur existence bascula.


Honguédo en bon génie n'avait pas fait les choses à moitié. Le veau s'avéra être un mâle si bien que petit à petit, il y eut quelques vaches sur l'Anse-de-Bonfils. Avec les galettes et la navette, la famille qui ne cessa de s'agrandir avait de quoi se retourner mais ne manquait jamais l'occasion de porter une offrande au pied de la Roche Percée. Jamais on se saura qui en fut le véritable bénéficiaire mais ceci n'a strictement aucune importance.


À contre-vent.


Ce récit a été recueilli en son temps par Eugène Achard, né en 1884 dans le Puy de Dôme et parti vivre son existence et sa passion des histoires à Montréal. Il y enseigna, écrivit beaucoup pour la jeunesse et récolta les contes de la belle province. Je me suis permis de reprendre l'un des récits qu'il a collectés afin d'honorer la mémoire de ce grand littérateur décédé en 1976.


 

lundi 22 avril 2024

Il était une fois Combleux

 

Combleux et Rosalie 

 


 

Elle s'appelle Rosalie. Cette gamine est la seconde fille d'un couple de paysans. L'homme travaille la vigne, la femme élève des chèvres. Rosalie a de la chance : son père accepte de l'envoyer à l'école paroissiale. Elle va y apprendre à lire : un privilège à l'époque pour les filles, que les familles préfèrent habituellement garder à la maison.


Rosalie est vive, indépendante ; elle aime par-dessus tout la Loire et le canal. Elle voue une amitié secrète au père Léon, un batelier du canal qui vit dans une petite cabane quand il n'est pas sur sa flûte berrichonne.


Léon a enseigné à la gamine le secret des plantes ; on le dit un peu sorcier. Il lui a surtout transmis le virus de la navigation. Un jour où le bonhomme devait livrer des fûts à Orléans, il l'a prise sur sa péniche pour franchir l'écluse et plonger dans la rivière. La gamine n'oubliera jamais ce grand moment. Elle se jure de naviguer à son tour ….


Quand Rosalie atteint ses douze ans, le temps est venu de la mettre au travail. Elle a de la chance : la mère Victoire, qui tient l'Auberge de la Marine, cherche une jeune servante ; elle apprécie la gamine qu'elle connaît un peu. Après bien des hésitations, dues à la réputation des mariniers qui fréquentent l'auberge, les parents de Rosalie acceptent.


La Petiote, comme l'appellent les mariniers, fait des merveilles. Elle court partout, sert des chopines, débarrasse les tables. Elle est appréciée de tous et gare à celui qui s'aventurerait à lui manquer de respect, la mère Victoire veille et ne s'en laisserait pas compter.


Rosalie grandit, elle devient une belle jeune femme qui a beaucoup de succès parmi les gars qui vont sur l'eau. Quant à elle, elle n'a d'yeux que pour les mariniers, son rêve étant de faire un grand voyage un jour …


C'est François, un bel Angevin qui eut sa préférence. Ils se plurent, ils se marièrent. François était secret : il ne lui disait pas tout. Il vivait surtout de faux-saunage : le trafic du sel. La gabelle avait disparu mais le sel était toujours autant taxé. Il allait le chercher en Bretagne pour le livrer en Anjou.


Un jour, il fut surprit par des gabelous à bord de leur patache. Il plongea pour leur échapper, ne revint jamais à la surface. Son corps fut repêché quinze jours plus tard, enterré dans une fosse commune. Rosalie apprit le malheur de la bouche d'un compagnon de son homme qui avait assisté à distance au drame. Elle était veuve avant d'avoir été vraiment épouse.


Rosalie avait vécu auparavant bien des misères. Elle avait connu le terrible embâcle de 1789. La Loire et le canal pris par les glaces durant cinq semaines. Une horreur ! Puis était survenu le redoux et pire que tout, la débâcle ou la resserre comme disent les mariniers. Une vague gigantesque avait tout noyé, tout détruit ; bateaux, hangars, maisons.


Rosalie pensait avoir connu le pire. Il lui fallait refaire sa vie. C'est vers un autre marinier qu'elle jeta son dévolu ; encore un gars de la Loire d'en bas, un natif de Montjean : Élie. Il était avisé, marinier courageux et travailleur. À force d'économie, Elie était devenu voiturier, il naviguait pour son propre compte.


Il acheta un champ de pommiers sur pied . La récolte fut excellente. Il chargea son chaland et remonta jusqu'à Combleux en train de bateaux. Là, le train se disloqua et chacun remonta le canal à son rythme. Élie demanda à Rosalie de l'accompagner, enfin, elle allait naviguer !


Ce furent les seuls moments de joie et de bonheur pour elle. Rosalie était libre, elle allait sur l'eau comme elle l'avait toujours espéré, enfant. Elle repensait à son vieil ami Léon, elle saluait les femmes qui étaient à l'ouvrage dans les lavoirs. Elle montait à la capitale. Durant quelques jours elle vendit des pommes avant que de pouvoir, l'espace d'une seule journée, flâner dans les rues de cette grande ville.


Puis ce fut le retour de son unique navigation. Elie avait négocié un fret pour le retour : des fûts vides pour faire vieillir le vinaigre chez Dessaux. Rosalie se voyait faire ainsi chaque année ce merveilleux voyage ; il lui fallut déchanter. La roue avait tourné : les vapeurs prirent la place des chalands avant que le chemin de fer ne mette tout le monde sur la terre ferme.


Elle ne ferait jamais ce grand et long trajet sur la Loire dont elle avait toujours rêvé , elle resta à jamais attachée à son quai de Combleux qui bientôt se dépeupla. Elle connut des inondations terribles, des drames, des malheurs mais jamais, ô grand jamais, elle ne cessa d'aimer la Loire, de l'admirer et de lui vouer une vénération sans faille.


Rosalie était enfin de la rivière et du canal. Elle avait grandi dans cet écrin merveilleux : son village de Combleux, la perle de l'Orléanais. Elle continua à travailler à l'Auberge de la Marine, là où l'esprit du vent de Galerne souffle à tout jamais. Poussez la porte de l'établissement et humez cet atmosphère unique. Ici, la Loire renoue avec son glorieux passé et si vous fermez les yeux, vous pouvez retrouver Rosalie, Victoire et tous les mariniers d'alors ! 


 



dimanche 21 avril 2024

Pour tutoyer les anges

 

L’arbre aux oiseaux





Il était une fois un enfant, Victor qui pour beaucoup n’avait pas toute sa tête. Pour communiquer, il sifflait si merveilleusement qu’il se faisait comprendre des humains. Mais plus encore, il avait trouvé en lui la capacité de s’entretenir avec les oiseaux qui aimaient tous sa compagnie.


Victor avait un arbre fétiche, un magnifique chêne, vénérable et majestueux, noueux et puissant sous lequel il avait l’habitude de converser avec ses amis ailés. Les gens d’alentours respectaient ce rendez-vous. De rares personnes se signaient à ce spectacle, pensant y voir la marque du démon. D’autres tout au contraire, à genoux, les mains jointes, se persuadaient de voir la volonté du très grand.


Victor s’amusait de ces deux attitudes, marques tangibles de toute les superstitions. Il savait qu’il n’y avait nulle magie ni sorcellerie dans son pouvoir, simplement le fruit d’un patient apprentissage. Les oiseaux et lui s’étaient mutuellement apprivoisés, avaient appris à se comprendre et à se faire confiance. Ni Dieu ni Diable dans ce pouvoir, mais simplement l’expression d’un cœur pur.


Nous étions en bord de Loire, du côté de La Charité-sur-Loire là où, jadis, selon la légende, la mère de Jésus en personne vint faire offrande miraculeuse à trois braves moines en étalant son manteau devant l’autel de l'abbaye. Aussitôt le vêtement se remplit de pièces d’or tandis que Marie allait rendre la vue à un aveugle… C’est ainsi que la cité devint un passage du grand pèlerinage de Saint Jacques.


Victor savait l’histoire mais ne s’en souciait guère. Lui, se contentait des petites bêtes de la création qui volent en toute liberté. Il était heureux ainsi et ne demandait rien de plus.


Un jour, le monde de Victor s’écroula. Des bûcherons à la demande d’un charpentier de marine, vinrent abattre le vieux chêne. Destiné à devenir un bateau, durant quelques années, ces planches, branches, racines furent mises à sécher. Victor se lamenta, pleura beaucoup puis invita ses amis ailés à se disperser pour choisir d’autres perchoirs.


Victor prit une nouvelle habitude. Il désirait assister à la transformation en bateau de son ami l’arbre. Il ne se passait pas un jour sans qu'il visitât Sébastien, le charpentier naval de La Charité. Il le saluait de quelques coups de sifflets brefs et stridents auxquels l’artisan répondait par un roulement de langue à sa manière. Victor, d’une petite mélodie interrogative, demandait chaque jour si l’artisan allait se mettre à l’ouvrage. L’homme répondait d’un long sifflement de dénégation en remuant la tête. Victor s’en allait alors rejoindre les oiseaux, un peu plus loin.


Un jour, le menuisier lui répondit de deux coups brefs et joyeux. Le bois était sec à point, le temps était venu d’en faire le plus beau et le plus aérien des bateaux. Sébastien, était réputé pour construire des embarcations légères, étroites, maniables et particulièrement adapté pour filer remonter au vent.


De ce jour, Victor assista à toutes les étapes de la construction. Lorsque l’artisan avait besoin de son aide, deux petits coups stridents entre ses dents invitaient le garçon à lui donner un coup de main. Victor se précipitait à son aide. Une incroyable complicité s’établit entre eux. Sébastien et Victor se comprenaient, tout simplement en sifflant.


Les différentes étapes de la fabrication confirmaient à chaque fois l'habileté du menuisier et sa capacité à façonner une embarcation conçue pour la navigation à la voile. Victor caressait le bois, appréciant la douceur des courbes, la solidité des emboîtements. Chaque jour, en fin de journée, il quittait son ami d’un sifflement admiratif qui flattait toujours le menuisier.


Un jour, le bateau fut prêt. Sébastien le gréa, lui installa un mât, haut et fin, l’équipa d’une grande voile rouge et carrée. Elle semblait de taille disproportionnée pour ce petit fûtreau mais là était la volonté de son constructeur. Il espérait que son bateau remonte le puissant courant sans la moindre difficulté par la seule force du vent.


Victor instinctivement savait qu’il avait accompagné la naissance d’un bateau extraordinaire. Il exprima à Sébastien son admiration d’une longue conversation sifflée. Il lui fit alors une requête que son ami ne saurait lui refuser. Le menuisier l’accepta de bon cœur. Victor était le plus heureux des garçons..


C’est lui qui eut l’honneur d’étrenner «  Icare » le beau coursier. Ils attendirent un jour de grand vent du nord-ouest pour le baptiser en passant sous le pont de La Charité. Une folie pour les mariniers du pays !


Ce jour-là, Victor embarqua, calme, certain de son succès. Il plaça Icare le nez face au courant, hissa la voile et l'étarqua solidement. Le bateau répondait à merveille, il remonta les flots avec une formidable aisance. Le garçon se mit à siffler de toutes ses forces. Des rives, tous les oiseaux vinrent se poser sur le bateau. Les uns sur la vergue, d’autres sur le mât, certains sur les écoutes ou les bordées.


L’enfant riait aux éclats. Tous ses amis déployèrent leurs ailes, les agitèrent frénétiquement. Le bateau ne glissait plus sur la Loire, il prit de la hauteur, il s’envola et franchit le redoutable pont non pas sous les arches mais au-dessus de son tablier. Il prit encore de la hauteur et disparut dans le ciel. Jamais on ne revit Victor ni son bateau.


Cette histoire restera longtemps confidentielle. Il n’était pas question de raconter pareille chose au risque de passer pour un affabulateur. Elle se confia de bouche à oreilles dans le secret des veillées nivernaises et berrichonnes quand quelques « causeux » venaient distraire la compagnie. Puis les années passèrent et beaucoup oublièrent l’aventure de Victor.


Quand en 1929, il fut décidé au ministère de la Marine d’installer à La Charité-sur-Loire une base d’hydravions sur la rivière canalisée par un duit, personne ne fut outre mesure surpris. Dans les esprits des gens du pays, la relation avec le miracle de Victor était évidente.


Prenez bien garde si vous remontez la Loire à la voile de ne pas siffler sur un fûtreau construit au bec d’Allier. Vous pourriez bien tutoyer les anges …

 


samedi 20 avril 2024

La Capitainerie de Meung-sur-Loire

 

En son bistroquet





Quand la tête vous tourne et vacille

Et que la raison part en vrille

Vous n'avez plus besoin de vous en faire

Denis vous conduira en enfer


Dépourvu de tenue et d'honneur

Pour amuser les consommateurs

Un diable sort d'une lucarne magique

Avec ses farces drolatiques


Vous serez tour à tour son jouet

Sa petite chose, son farfadet

Fera de vous une andouille

Tout autant que son arsouille


Sans cesse se montrera sans pitié

Ses grimaces vous seront destinées

À l'affut du flagrant délire

Provoquant des éclats de rire


Pourtant faudra vite pardonner

Ce luron mal intentionné

Comment pourriez-vous lui en vouloir

Lui qui vous invite à son comptoir ?


Ne vous pensez pas sa victime

Vous qui devenez son intime

Être du nombre des heureux élus

Mérite bien ce moment farfelu !


Il vous paiera alors sa tournée

Tel un humoriste confirmé

Faisant de sa Capitainerie

Le théâtre de ses comédies


Pas moyen de sauter au plafond

La Loire, splendide toile de fond

Offre un décor grandeur nature

Au prince de la tablature


Point n'est besoin de vous présenter

L'enchanteur de toutes nos soirées

Avec lui c'est toujours en chanson

Que le garçon présente l'addition


Jehan de Meung lui souffle des quatrains

Gaston Couté lui donne la main

On ne peut être mieux adoubé

Que par ces poètes célébrés




N'hésitez pas

Contactez Denis et Claire

vendredi 19 avril 2024

J'aime le vin d'ici : notre bon petit gris ...

 

Que bois-tu Chalandier ?





Que bois-tu Chalandier ?

Ton verre est tout vidé

Quel est ce doux délice

Qui te met en supplice ?


J'aime le vin d'ici

Notre bon petit gris

Tout autant les blancs

Qui viennent d'Orléans

Les rosés au pichet

Les rouges pour trinquer


Je bois pour le plaisir

Tu n'as qu'à me l'offrir

Je trinque par passion

De la dégustation

Je goûte la douceur

De ces vins les meilleurs


Je chante des chansons

Qui sortent du bouchon

Ces airs sont si joyeux

Que nous sommes heureux

De boire un autre verre

La tête à l'envers


Je m'endors en chemin

Quand je cuve mon vin

J'ai dormi tout mon saoul

D'avoir été trop saoul

Avec d'autres trimards

Qui aiment le pinard


Quand je boirai de l'eau

Je ne s'rai pas très beau

Tout au fond de la Loire

Au bout de mon histoire

Avec la gueul' de bois

Et les deux bras en croix 

•••


 

jeudi 18 avril 2024

Des mots qui chantent

 

Un livret qui chante …




Si vous tendez l'oreille

En parcourant ses pages

Il n'aura pas son pareil

Pour sortir de la marge


Si vous prenez votre temps

En feuilletant ce livret

Il se peut qu'à contre-temps

Une chanson vous soit donnée


Si vous sortez des courants

Et des tendances de l'heure

Le temps de quelques instants

Vous deviendrez un chanteur


Si vous acceptez l'invite

De ces trois curieux larrons

Vous vous mettrez bien vite

À leur beau diapason


Si vous leur donnez la main

Dans ces modestes pages

Entre couplets et refrains

Vous partirez en voyage


Si vous entrez dans leur jeu

En décryptant la portée

En compagnie de ces gueux

Vous vous mettrez à chanter


Si vous lisez leurs fadaises

Au doux pays des songes

Vous serez « ben bénaises »

En croyant leurs mensonges


Si vous tombez en enfance

Par la magie des contes

Faites donc créance

À celui qui raconte


Si vous perdez la tête

En essayant d'y croire

Faites aussi la fête

Sur notre belle Loire


Si vous achetez l'objet

Vous ne pourrez qu'en jouir

Vous deviendrez son jouet

Pour votre plus grand plaisir 

•••


 

Quelle drôle d'idée.



Mais qu'est-ce qui passe par la tête de ce curieux personnage et de ses complices pour que le coup ne lui rende nullement service ? Sortir un livret de chansons, un recueil de textes à lire, activité totalement dépassée qui demande bien trop d'efforts alors que n'importe qui désormais y va de sa prétention insidieuse à devenir auteur en quête d'hypothétiques lecteurs…


Cet individu infréquentable y va donc lui aussi de sa production en se permettant une curieuse fantaisie puisque dans ce livre, il est question de chansons, de contes et de fariboles. Tout ce qui est passé de mode, n'intéresse plus personne comme le dit si bien un élu, responsable culturel d'une commune du Loiret, est là, exposé dans un ouvrage de 160 pages.


Il lui a fallu la complicité de ses acolytes, musiciens et chanteurs pour vous proposer un document à rebours de l'air du temps, des tendances actuelles et des préoccupations de l'époque. C'est à croire qu'il le fait exprès pour se casser le nez en nous brisant les oreilles avec des compositions qui échappent aux canons contemporains.


Une récente étude universitaire affirme que la grande tendance de la chanson est d'aller vers des textes de plus en plus simples, usant d'un lexique réduit et abusant de répétitions incessantes. Non seulement il nous propose des écrits fastidieux, mais plus encore, il se refuse à user de ce « Je » qui fait le succès des nombrilistes de toutes obédiences.


Quant aux thèmes développés et non étalés, il se permet de nous mener en bateau sur l'eau douce ou salée tout en trinquant à notre santé alors que ce qui séduit désormais est bien plus terre à terre, violent et provocateur. C'est à croire qu'il a rassemblé tous les éléments pour connaître un bide, un flop, un insuccès fracassant.


Pire encore, les chansons sont introduites par le récit de leur naissance, les circonstances qui ont prévalu à leur écriture. Une volonté d'expliquer ce dont tout le monde désormais se moque. Puis, comme si ça ne suffisait pas, il complète ce désolant tableau en adjoignant les contes ou récits qui ont précédé ou suivi l'écriture de ces pensums, de quoi servir de puissant somnifère dans les chaumières.


Les partitions viennent ajouter une note discordante, ne mettant pas ce livret à la portée du commun des mortels. Nombreux sont ceux qui prendront leurs jambes à leur cou en prenant la clef des chants. Comble de prétention et de maladresse, l'auteur a encore adjoint des fariboles de sa plume pour alourdir un peu plus ce qui devient un requiem pour un enterrement de première classe.


La pompe funèbre de cet ouvrage se double d'une modernité factice, semblant vouloir leurrer les acheteurs potentiels. Pas moins de quarante QR code renvoient le lecteur à la possibilité d'écouter la chanson ou le récit, leur suggérant sans doute qu'ils ne sont pas en mesure de faire l'effort de la lecture. C'est humiliant et désolant à la fois.


Que vous dire de plus pour vous dissuader définitivement de faire l'acquisition de ce recueil qui ne laissera pas le moindre souvenir dans les productions littéraires et musicales hexagonales ? En premier lieu que ces furieux n'ont pas mis un seul terme en anglais, ce qui les vouent à croupir dans une nation dont la culture est en berne. Secondairement, ils se sont évertués à proposer une langue châtiée, sans grossièreté ni vulgarité tout en usant d'un lexique soutenu, une hérésie de nos jours.


Ajoutons pour enfoncer le clou, que le sus dit Bonimenteur n'a pas choisi une maison d'édition ayant pignon sur rue et pour ajouter à la difficulté, l'insupportable bonhomme se refuse à jouer les représentants de commerce. C'est donc le départ, un coup d'épée dans l'eau que ce « Des mots qui chantent » par « Les Souffleurs de vent » qui ne fera sans doute pas grand bruit dans le Landerneau ligérien.


 

mercredi 17 avril 2024

Souffler n’est pas jouer

Sur un air d’accordéon





Fabre, en bon forgeron qu'il était, disposait d’un soufflet gigantesque qu’il fallait actionner avec une longue et pesante chaîne. Sa forge produisait un vacarme épouvantable qui effrayait d’autant plus les enfants du village que l’artisan, un véritable colosse, frappait comme un sourd sur son enclume. Tout près de son atelier, la terre tremblait, le tonnerre ne cessait de faire tressaillir les passants.


L'artisan avait besoin d’un assistant, un souffleur de vent pour que le charbon entre en incandescence. C’est un enfant qui était ainsi attaché à ce rude labeur. Cyril, pauvre gamin devait à la fois supporter une chaleur digne des portes de l’enfer et un bruit à vous damner. Il dépérissait à vue d’œil et avait une tristesse dans le regard qui en disait long sur le calvaire qu’il subissait.


Fabre n’était pourtant pas un mauvais bougre mais il ignorait tout des droits de l’enfant, de la vie au grand air et des charmes de la nature. Il avait lui aussi passé sa jeunesse à actionner le terrible soufflet de son père puis était passé de l’autre côté pour manier le marteau sans jamais sortir de cet espace clos et bruyant, de cet antre de Satan.


Son jeune assistant n’entendait pas rester attaché toute sa jeunesse à ce travail de forçat. Il avait dans la tête des envies d’évasion, des désirs de jeu et de grands espaces. Il en fit part un jour au maître du feu qui s’emporta à cette idée saugrenue. « Souffler n’est pas jouer petit drôle. Tire sur la chaîne et laisse donc tes rêves de liberté ! »


L’enfant avait baissé la tête et s’était remis à l’ouvrage. Mais dans son esprit, il était désormais clair qu’il devait trouver une échappatoire, une porte de sortie à son calvaire. Un jour, la destinée lui sourit par le truchement d’une jeune enfant qui jouait un peu plus loin, de l’autre côté de la ruelle. La petite fille avait un drôle de jouet en bois, un petit piano miniature comme il s’en faisait alors.


Malgré le vacarme de la forge, le gamin parvint à saisir quelques sons épars. Il était conquis par ce qu’il percevait et n’eut de cesse que de désirer accéder à ce jouet. Il fut patient. La gamine avait la chance d’être née sous une bonne étoile, elle avait tout ce qu’elle voulait et se lassa bien vite de ce petit instrument qu’elle abandonna un soir devant le pas de sa porte, oubliant négligemment de le ranger.


Cyril, le servant du soufflet, profita de la nuit pour aller quérir cet objet qu’il cacha dans un recoin de la forge. Le gamin avait une idée en tête, une drôle de pensée lui ayant traversé l’esprit en percevant quelques notes jouées par la voisine. Il se mit à réfléchir, lui qui avait tout le temps pour ça, attaché qu’il était à ce poste de travail si rébarbatif et répétitif.


Il sacrifia de nombreuses heures de sommeil pour réaliser son projet, en cachette naturellement du forgeron qui n’était pas homme à tolérer la moindre fantaisie. Le gamin observa attentivement le jouet, chercha à en comprendre le fonctionnement, échafauda des hypothèses, se mit au travail pour lui apporter d’étranges modifications. Il avait désormais une idée fixe, une intuition soufflée par la providence.


Il voulait se libérer de son esclavage sournois. Il avait entrevu une petite lucarne, un espace de ciel bleu et de mélodie. C’est ainsi qu’il franchit le pas et osa modifier l’instrument de torture qui faisait de lui un galérien du vent. Il équipa son soufflet, par un habile procédé, de ce petit instrument qu’il avait considérablement modifié. D’une main, il actionna la lourde chaîne, de l’autre, il appuya sur les touches du petit clavier.


Le miracle eut lieu. Le maudit soufflet était devenu mélodieux. Au matin quand le forgeron revint dans son atelier, il découvrit atterré la transformation. L’homme n’était pas de nature à supporter pareille fantaisie. Il remonta vertement les bretelles de son apprenti. Le gamin s’était préparé à pareille réaction et sans y accorder la plus petite importance, se mit en action. Le forgeron, le souffle coupé, tomba immédiatement sous le charme des notes qui désormais remplaçaient l’affreux essoufflement asthmatique de son ventilateur mécanique. La bête se transforma en mélomane, la musique adoucit même les êtres les plus rustres. Il se mit à frapper l’enclume en cadence, pour souligner les mélodies du gamin.


Dans la ruelle, un attroupement se fit, le vacarme habituel avait changé totalement de nature. Il se passait quelque chose d’incroyable dans l’atelier du forgeron. Un curieux, plus hardi que les autres s’aventura dans l’atelier pour demander le nom de cet étrange chose. Le gamin, qui auparavant ne se serait jamais aventuré à parler devant un visiteur, dit fièrement : « Le piano à bretelles ! ».


L’accordéon venait de voir le jour. Il fallut naturellement bien des transformations encore pour que l’instrument quitte la forge et mette le feu à toutes les pistes de danse. Mais c’est bien le petit Cyrill Demian qui fut à l’origine de cette invention extraordinaire. Nous étions en 1829 et de ce jour, les souffleurs de vent allaient pouvoir réjouir le bon peuple.


 

Un écureuil s'éprit d'une taupe

  Amours énantiotropes Un écureuil s'éprit d'une taupe Comble d'un amour énantiotrope Lui perché sur son gra...