samedi 15 juillet 2023

Sa toute première femme de Loire

 

La Petite sirène des mariniers






Lorsque vous vous promenez le long des vieux quais de Loire, aujourd’hui désert de Neuvy-sur-Loire, vous tombez nez à nez avec une jolie sirène qui reste là, immobile à observer la rivière. Qui est donc cette femme énigmatique ? Gardez-vous de croire que c’est la Vouivre, nous savons qu’elle resterait cachée dans les profondeurs des eaux souterraines. Elle est là, figée à jamais dans une attente qui n’en finit pas, à l’image de toutes ces femmes de mariniers qui ne virent jamais revenir leurs époux.

La Loire par son épopée marinière fut particulièrement gourmande en vies humaines. Toutes les occasions étaient hélas susceptibles de provoquer l’irréparable : la crue, l'embâcle, la débâcle, le passage sous les ponts, la traversée de Mantelot, les rixes entre marins, les manœuvres délicates, les accidents de chargement et déchargement, la rudesse des conditions de vie … La liste est longue si bien que Maurice Genevoix, en amoureux fou de la Loire et son histoire lança une souscription pour honorer ces anonymes qui firent la richesse du Royaume.

Inaugurée le 11 septembre 1965 la Stèle à la mémoire des mariniers disparus en Loire, comme bien souvent dans le monde de la marine de Loire hérita d’un sobriquet « La Petite Sirène » qui colla parfaitement à son image. La statue en pierre réalisée par le sculpteur Hervé Mehun, posée sur une stèle surplombant une barque stylisée, peut faire penser à son homologue de Copenhague.

Cette œuvre rend hommage aux périls de la navigation passée sur la Loire. Installée sur l’ancien port ligérien de Neuvy-sur-Loire, elle se situe juste à côté de maisons de mariniers ornées d’ancres sculptées, témoins d’un riche passé.



Une souscription pour sa création




Vous n’êtes pas sans savoir que si la Loire a toujours eu la Majesté que nous lui connaissons et que nous admirons, elle a été aussi, jusqu’à la fin du siècle dernier, un élément non négligeable de l’économie des populations riveraines. Elle était « LE CHEMIN QUI MARCHE » et dès l’époque la plus reculée, a servi au transport des marchandises qui assurait la vie, non seulement des régions qui l’avoisinaient, mais encore de celles qui cédaient à la loi de grands échanges commerciaux Nord-Sud de notre pays.

Son activité, insoupçonnée à l’heure actuelle, s’étendait tout le long de son cours. Rien qu’a SAINT-RAMBERT (Loire), en 1839, on fabriquait chaque année 3 000 embarcations de 28 à 30 mètre de long, appelées Salambardes. Divers chantiers construisaient, ailleurs, d’autres bateaux avec leurs caractéristiques propres. A Neuvy-sur-Loire, vers le milieu du cours, 33 usines de poteries de la Puisaye embarquaient leurs produits. Et, à cette époque, les ustensiles ménagers étaient façonnés surtout en terre. A COMBLEUX (Loiret), il n’était pas rare de voir 300 bateaux attendant l’éclusée du canal d’Orléans. A CUNAULT (Maine et Loire), on chargeait d’énormes blocs de pierres blanches à bâtir appelés « tuffaux».
Tout s’en allait au fils du courant sur des embarcations convoyées par une corporation typique, les Mariniers de la Loire, courageux intrépides, robustes, ayant leurs caractéristiques propres, leur langage, leurs traditions, jalousement gardées, leurs coutumes, leur fierté, leurs « lettres de Noblesse » serait-on tenté de dire : Seigneurs sur l’eau nous sommes » aimaient-ils à répéter.
Parallèlement à ce trafic de marchandises qui plus tard, et en certains endroits où la douceur du courant et la largeur du fleuve le permettaient s’effectua à la voile pour la remontée, se créa un service régulier de passagers, quotidien entre certaine villes. Et les bateaux à vapeur firent leur apparition.


Plusieurs compagnies se partageaient la clientèle et Monsieur Maurice GENEVOIX cite l'incroyable chiffre de 107 000 passagers en l’année 1843 pour une seule compagnie.

La Loire vivait alors, ses rives, les villes, les bourgades étaient animées. Toute activité était axée sur « la Rivière » qui grouillait d’une vie intense. Votre ville, votre département peut-être même en ont largement bénéficié. La Loire navigable, par son activité considérable, apporta des revenus appréciables aux Mariniers et aux villes riveraines.


Mais la fréquentation du fleuve n’allait pas toujours sans périls pour les Mariniers. Combien s’en sont allés, confiants, joyeux, et ne sont pas revenus apporter à leurs foyer les deniers rudement gagnés par leur métier. La navigation était dangereuse en elle-même : en amont de Roanne, à la Digue de Pinay, ou au Perron, le passage était tellement étroit, que les malheureux qui l’empruntaient risquaient d’avoir les doigts écrasés entre l’embarcation et les roches ou, s’ils s’y engageaient dans de mauvaises conditions et par un fort courant voyaient leurs bateaux se fracasser.


Les registres paroissiaux de Saint-Just-sur-Loire fourmillent de « Morts au PERRON », par naufrage. Un faux pas, un manque d’équilibre au cours des manœuvres de la conduite des bateaux, délicates en elles-mêmes, avaient parfois comme conséquence la noyade.
Les crues étaient redoutées, où la violence du courant rendait folle l’embarcation contre une pile de pont, accident hélas fréquent.

Pouvons-nous imaginer que ce marinier, disparu en quelques années, qui ne comptait que des amis, ait pût, miné irrémédiablement, tomber dans l’oubli, sans que personne, taisant sa peine, songeât à faire un portrait fidèle, calqué sur le visage hier encore si vivant du modèle. Le souvenir s’est effacé derrière le voile de l’oubli… avec un peu d’ingratitude, et de légèreté coupable, serions-nous tenté d’écrire.
Bien peu, hélas, sont habilités à dire, comme Madame et Monsieur FRAYSSE, du Maine et Loire : « collecter les souvenirs transmis par la tradition orale, sauver de la destruction les outils, les objets façonnés ou apportés au pays par la gent marinière, a été pendant qu’il était temps encore, notre principal soucis ».
Les choses étant ainsi, nous avons pensé, et cru bon parce que nous avons été encouragés, qu’il pourrait être souhaitable de rappeler aux riverains, aux touristes, aux passant, le souvenir de ceux qui périrent en faisant leur simple métier dans la fréquentation de la Loire, du Canal, et qui les animaient autrefois d’une vie intense.

Une stèle, érigée par souscription publique, est projetée sur les rives même de la Loire, à Neuvy-sur-Loire (Nièvre), dont, autrefois, un cinquième de la population vivait du trafic de fleuve. Certain pays avaient la moitié de leur population, d’autres leurs habitants entiers, occupés à ‘activité de la Marine. Nous avons choisi ce pays, aux confins de la Nièvre et du Loiret, parce qu’il se trouve à environs demi parcours de la source à l’embouchure. Les vestiges de Marine, malgré des destructions en 1945, par la guerre, y sont encore nombreux. Ce choix est symbolique et honorera, par cette stèle du souvenir, tous les Mariniers disparus le long du fleuve, aussi bien ceux de Roanne, Nevers, La Charité, Gien, Orléans, Beaugency, Blois, que ceux de Tours, Gennes, St-Mathurin, Saumur, Nantes et St-Nazaire.

Ainsi notre Loire, fleuve royal et majestueux, d’un inutile beauté, (la Voile de la Beauté l’a-t-on appelée), servira, par cette stèle de l’oubli mélancolique pourrait-on dire, à perpétuer et honorer ceux qui, simplement mais tragiquement peut-être, ont disparu dans l’accomplissement de leur métier souvent très dur. On a la sensation, envers de tels hommes « les Mariniers de la Loire », que l’hommage que nous allons leur rendre reste encore inférieur à la reconnaissance qu’on leur doit et qu’ils méritent.


Puisse la chose pure, symbolique et modeste que nous voulons entreprendre et que nous avons à cœur de réaliser, mériter votre confiance et que nous vœux et nos efforts soient pour signifier dans un décor de mesure et d’harmonie, dans une atmosphère de sérénité et de paix, « les Mariniers Péris en Loire » faisant ainsi l’accord de l’Homme et de la Nature.

Maurice Genevoix  




Stèle

« A la mémoire des mariniers disparus en Loire » 


Article de Paul Fougerat (père de Yves) - Février 1964




Jusqu’à la fin du siècle dernier, la Loire a été la grande artère de transit commercial du Centre et de l’Ouest de la France et, par les canaux, certaines marchandises arrivaient même jusqu’à Paris.
Les marchandises les plus diverses y étaient embarquées : charbon, vin, bois, terres à faïence et à porcelaine, ardoises, tuiles, briques, ocres, pierres à bâtir, vinaigre, poteries,… et même des voyageurs la sillonnaient.

Ceux qui animaient, par leurs embarcations, le fleuve et tout le trafic qui en découlait, étaient une corporation de gens rudes, intelligents, intrépides et simples : les mariniers de la Loire.
Ces mariniers, après près de vingt siècles de présence sur le fleuve, depuis les « Nautae Ligerici » de l’époque romaine en passant par les « Marchants fréquentant la rivière de Loyre et d’autres fleuves descendant en icelle », ont disparu brutalement à tout jamais, laissant ça et là quelques souvenirs, quelques traditions ou écrits que nous recueillons avec piété.
N’est ce pas juste, n’est ce pas légitime et humain de vouloir perpétuer leur mémoire en inscrivant symboliquement dans la pierre d’une modeste stèle érigée par souscription publique, le souvenir des acteurs d’un métier perdu. Nous avions choisi de localiser symboliquement ce monument à Neuvy-sur-Loire, dont le cinquième de la population vivait du trafic du fleuve et qui se situe à peu près à mi parcours de notre Loire, aux confins des départements de la Nièvre, du Loiret et du Cher.
Neuvy possède un quai rectiligne de 585 mètres de long, construit sous Louis XVI, et c’est là, vers 1897, d’après Monsieur Roger Dion, professeur au collège de France et auteur d’une magistrale thèse sur le val de Loire, qu’urent lieu les derniers soubresauts de la marine de Loire, avec le chargement de bateaux de poterie venant de la Puisaye.

Le comité de souscription est placé sous la présidence d’honneur de Monsieur Maurice Genevoix, secrétaire perpétuel de l’Académie Française, qui se réfère souvent, dans ses ouvrages, des mariniers de la Loire. Ce comité est sous la présidence effective de Monsieur Jacques Levron, directeur départemental des archives de Seine et Oise et spécialiste de la Loire.

La stèle sera due au ciseau d’un authentique descendant de mariniers de Loire, Mr Hervé Mehun, qui tient actuellement son atelier sur une péniche de la Seine, au pont de la Concorde. L’architecte est Mr Emile Berthelot.


Source : Article paru dans "Loire et Terroir" N° 80-2012 


 


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