mardi 18 juillet 2023

FdL : La Loire de Maurice Genevoix

La Loire de Maurice Genevoix




Nul mieux que Maurice Genevoix a personnifié la Loire, faisant d'elle son héroïne, sa compagne, sa confidente, son inspiratrice. Yves ne pouvait que puiser dans les écrits de cet auteur qu'il défendit ardemment, dont il partagea la passion et qui fut son modèle au point de vivre dans la maison du frère de académicien.

La plus belle femme de Loire est la Loire elle-même puisqu'elle est ainsi comprise, ressentie, aimée d'une passion charnelle qui n'exclut naturellement pas les colères, les emportements, les craintes, corollaires des relations passionnelles. Laissez-vous donc emporter par ces déclarations d'amour à une rivière du grand Maurice Genevoix, Prince des Ligériens et amant de la Dame Lige

La Loire en été, lorsqu'elle est épuisée par le soleil, étouffée par le sable.

L'été, la Loire est basse entre ses vastes grèves. Toute l'eau de Loire s'en est allée, roulant des sables vers la mer. Depuis longtemps elle ne coule presque plus. Et cependant elle baisse toujours. Tout ce sable qu'elle entraînait, le voilà qui s'arrête, qui se dénude par larges bancs, laissant voir des andains parallèles comme sur une prairie fauchée.

Une prairie moite encore, aux creux d'un vert marécageux, mais qui sèche et se dore, et se brûle au soleil, poudreuse, dévorée de lumière, tremblante sous la vibration torride de l'espace. Même aux places où l'eau rôde encore, on sent sous sa langueur glissante la grève immense qui la boit. A travers un glacis bleuâtre elle transparaît au loin, rosissante. Elle pousse vers la lumière de minces langues couleur de flamme. Il ne reste plus guère, entre les rives où crissent sous de fauves chardons les sauterelles ivres de chaleur, parmi les étendues de sable désertiques, qu'un chenal épuisé qui sinue et se traîne, çà et là des mouilles endormies, plus vertes que des mares, d'un étrange vert acide où fermentent des mousses, où des algues emmêlent un épais nonchaloir, où des bulles montent des profondeurs en efflorescences opalines, mollement balancées dans cette touffeur tiède et verte, dans cette gelée gonflée d'une millénaire fécondité.

La Loire au moment des grandes crues

La Loire couleur de boue charriait des moutons d'écume, d'une pâleur sale sur la teinte plus lourde des eaux. Le ciel semblait refléter la Loire, boueux comme elle, engluant à ses nuées la clarté pauvre qui sourdait d'en haut. Le vent soufflait toujours : on le voyait accourir de loin, par grandes risées venues du sud-ouest.

Elles chassaient les moutons devant elles, les culbutaient en houle confuse de troupeau, éparpillaient autour d'eux de laineux flocons d'écume. Et la pluie qui tombait les criblait de ses gouttes, y creusait comme des trous d'éponge, les faisait enfin s'écrouler, mollement, sur l'eau pesante. Des remous se creusaient en spirales tourbillonnantes ; et la nappe entière des eaux tournait jusqu'à la rive lointaine. C'était un bruit égal et soutenu, sans sursauts, sans accalmies. Par moments il s'enflait davantage, par moments semblait s'affaisser, mais toujours à lente courbe, à rythme tranquille et fort, amplement. Chaque parcelle de l'espace bruissait immensément ; cela coulait avec l'eau tournoyante, glissait avec le vol des nuages, tremblait dans l'air avec l'ondée.

 

L'épopée des crues.

 


 

Tous, ils regardaient le fleuve. Ils voyaient les eaux dévaler d'un seul bloc, glisser d'une effrayante vitesse entre l'épaulement des levées. Elles luisaient, sous le ciel blanchissant ; de rares bouchons d'écume les tachaient encore ; des remous les creusaient çà et là ; et des branches emmêlées descendaient avec elles, pareilles à des buissons flottants. Mais toutes ces choses passaient comme à travers un songe, entraînées sitôt apparues, dans le branle énorme du courant.

Ils ne voyaient plus rien que cette masse d'eaux luisantes, que cette force allant son chemin, cette espère de bélier qui fonçait immensément sous l'étreinte chétive des levées. 


Les levées n'étaient plus que des barrières d'enfants, si dérisoires, si minces qu'ils en détournaient leurs yeux. Elles-mêmes, par endroits, s'écartaient de la Loire, fuyaient loin dans les terres et lui laissaient la place. La Loire les rejoignait déjà, couvrant les champs d'une nappe loqueteuse qu'on voyait glisser très vite, ramper autour des îlots émergés, ronger leurs bords et bientôt les dissoudre. Depuis longtemps, les rauches avaient disparu. Derrière elles, les têtes rondes des osiers traçaient encore une frange de souples feuillages qui pourtant éclatait peu à peu, perdait ses grains comme un collier rompu. Les pieds des aulnes étaient dans l'eau ; les échalas des vignes, au-dessus des ceps immergés, pointillaient l'eau de hachures parallèles. L'eau coulait à plein flot dans les grands bois d'amont.

Et la Loire avait monté encore, englouti là-bas les têtes des osiers, effacé les lignes d'échalas, isolé les grands arbres des bois en submergeant les taillis à leurs pieds. Sur cette rive, la lande avait toute disparu, cachée sous un linceul d'eaux plates, mouvantes à peine et plombées de livides reflets.

Il ne pleuvait plus ; le vent était tombé soudain ; et dans l'air immobile, presque prostré, la clameur de la Loire, maintenant, s'entendait seule : non plus le bruit du flot poussant le flot, ni le choc du courant lancé contre les rives, mais une clameur bestiale, une bramée grandissante et qui semblait sortir d'une monstrueuse poitrine, sans fin.

Dans la nuit commençante, les eaux éployaient leur immensité blême. Des grandes épaves glissaient, ténébreuses, des troncs d'arbres vagues, des meules de paille, des bêtes noyées aux formes molles et terribles. Deux lourdes choses paraissaient vers l'amont. qui tournoyaient lentement, côte-à-côte : c'étaient deux vaches, aux flancs gonflés, aux pattes raidies.

Elles passèrent, grotesques et macabres, avec un lent tournoiement de baudruches. Longtemps, longtemps elles demeurèrent visibles dans la pâleur blafarde de la nuit. Et les hommes se penchaient au bord de la levée, les suivaient d'un farouche regard, cependant que la Loire, à leurs pieds, tout près d'eux, leur jetait au visage son interminable clameur, le monstrueux grondement de sa victoire.


 

Sur la pêche :


Peut-être, enfin, comme les patients pêcheurs au long de leurs veilles nocturnes, solitaires, méditatives, sentirons-nous jusque dans nos fibres le mystère du monde fluvial, les spires des remous au soleil, leur tiède poussée, la montée des surgeons glacés venus des lointaines profondeurs, des rivières inconnues roulant et bruissant dans des ténèbres éternelles.

Et puissions-nous, comme eux encore lorsqu'ils lèvent leurs nasses d'osier, lorsque ayant halé sur le sable les mailles de leur "grand filet" ils empoignent à pleines mains et jettent dans les mannes béantes de beaux poissons fleuris de nageoires rouges, puissions-nous ravir à la Loire de beaux secrets étincelants!"

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