mercredi 12 juillet 2023

Les péages sur la Loire

 

Histoire de la communauté des Marchands




La « barrière de péage » de Champtoceaux


Il fut un temps où naviguer sur la Loire, relevait du défi tant celle-ci était couverte de péages, au passage des ponts, devant les châteaux et les abbayes. Chacun voulant tirer profit de la prospérité du commerce fluvial. Le tribut de la Loire en somme avec le règne de l’arbitraire et de l’abus de pouvoir.

La confrérie des marchands n’eut de cesse de se battre par tous les moyens pour supprimer ce qui pesait gravement sur la liberté du commerce et les finances des voituriers. Avec l’appui du roi, le plus souvent, ce fut une longue bataille qui n’était pas forcément à armes égales. Mais revenons tout d’abord sur l’origine des péages.

Le droit romain prévoyait un impôt prélevé sur le transport des marchandises ; le péage vectigal. Les sommes reçues étaient destinées à l’entretien des voies navigables et des voies terrestres. Elles finançaient également une surveillance qui permettait de lutter contre les actes de piraterie. Le droit au péage relevait des prérogatives régaliennes du Prince, les Fermiers en étaient chargés localement et naturellement, certains en abusaient largement.

Cette règle fut maintenue dans les Gaules post romaines jusqu’à ce que les Comtés, forts de leur nouvelle puissance et de leur droit héréditaire s’octroyèrent le prélèvement des péages. Le Compte remplaçant le Pince, il devint péager et confiait la taxation aux Fermiers qui devinrent Généraux ultérieurement.

L’arbitraire fut alors la règle. On ne comptait plus les saisies de marchandises quand il y avait litige entre un marinier et un Fermier. La multiplication des péages ; à chaque fief son bureau de taxation, transforma la navigation en périlleuse aventure fiscale. Car sur l’eau, les voituriers étaient proies plus captives que sur terre et ne pouvaient guère échapper au péage.

Le Roi lui-même usa de ce revenu en créant des péages à son compte. Sur la Loire, il fit grande ponction à Jargeau sur les marchandises chargées ou déchargées afin de construire la tour de Cepoy. Le Pont d’Orléans fut reconstruit après le siège de 1429 par un péage royal sur les marchandises transportées entre Decize et Amboise. Tout est bon quand on veut faire de l’argent …

Le Roi en agissant ainsi vit les bénéfices qu’il pouvait tirer de la chose et se mit en tête avec le soutien du parlement d’obtenir le monopole des péages sur les rivières. Le péage tente de rentrer à partir des lettres de patente de Philippe de Vallois en 1338 dans le champ du droit régalien. Cependant les abus seront nombreux et l’application de ce principe très compliquée à mettre en place.

L’usage du péage seigneurial correspond alors à l’état du pouvoir. Périodes troubles, pouvoir faible et ils reviennent en nombre et inversement quand le roi étend sa puissance sur le territoire. Il n’y a donc pas de situation unique à ce sujet mais une grande variété de cas de figure au fil des époques.

Des ordonnances d’interdiction des péages privés furent prises par le roi Jean à son retour des prisons anglaises vers 1360. La communauté des marchands pesa de toute son influence pour obtenir quand la situation le permettait leur respect. Il fallut plus de deux siècles pour parvenir à faire prévaloir les droits des marchands à ne pas tomber sous la coupe arbitraire des seigneurs locaux.


Cette mesure était vitale pour le commerce car c’était par la Loire que voyageaient le sel, les épices, les oranges les cuirs les laines d’Espagne, les poissons salés et les métaux du Portugal, les draps et les toiles des Flandres, les étoffes de Champagne, les ardoises d’Angers et de tant d’autres produits, tous nécessaires à la prospérité du Royaume.


Nous pouvons établir une liste des péages qui sont maintenus au commencement du XV°siècle avec ce document qui atteste que les marchands n’étaient pas au bout de leur peine.

suite


Notre époque, qu'on pense moderne, n'a pas tout inventé, loin de là ! Les péages autoroutiers ne sont que le pendant récent de pratiques ancestrales. Notre Loire fut, elle aussi, le terrain de jeux et de chasse des gourmands et des faquins, des abbés et des nobliaux qui vivaient sur le dos des braves gens.

De Roanne à Nantes, sur la Loire et ses affluents, il y eut jusqu'à deux cents péages, cette charmante institution qui permettait de taxer celui qui souhaitait mettre le pied de l'autre côté. Ils étaient les héritiers du péage vectigal romain qui avait dans sa conception autant d'avantages que d'inconvénients. Ce prélèvement sur le transport des marchandises était alors destiné à l'entretien des voies navigables tout autant qu'il devait permettre d'assurer la sécurité des biens et des passagers.

Les abus ne manquèrent naturellement pas en cette époque lointaine et il y avait souvent bien loin entre les bonnes intentions et la triste réalité. Rançon, racket, rapine, détournement ont toujours été des activités humaines. Nous devrions cesser de nous en étonner puisque cette histoire va vous rappeler que l'homme n'a jamais vu d'un bon œil la libre circulation des siens et biens !

Quand la couronne suppléa après bien des années de trouble au droit romain, le péage devint droit régalien, établi par le Prince et à son profit. Hélas, le Roi en la circonstance n'était pas maître  d'un territoire bien loin d'être un royaume, d'autres s'attribuèrent bien vite ce privilège commode qui remplit la bourse sans fournir le plus petit effort ! On oublia bien sûr la contre-partie historique de l'entretien, de la sûreté des voies sujettes à cette belle grivèlerie ….

Partout le long de la rivière, il fallait débourser pour une multitude de raisons en différents lieux. Le commerce ne pouvait échapper à l'impôt sauvage qui faisait les beaux jours de nos « Fermiers », inspecteurs du trésor sans pitié agissant pour le compte des propriétaires du péage. Des « pancartes » en fer blanc, installées sur la rive, établissaient la liste exhaustive des taxations et le montant de celles-ci. Il n'était pas question de sortir du cadre fixé par ce document coutumier.

La fantaisie, les dérogations, les exemptions, les absurdités étaient toutes aussi courantes que nos niches fiscales d'aujourd'hui. Tous ne payaient pas le tribut, les particularités étaient si variées qu'il fallait sans doute embaucher un marinier d'affaires pour passer, autant faire se peut, au travers des mailles de ce filet crochu.

Ici, si vous déclarez transporter du vinaigre, vous aurez droit à la taxe forfaitaire alors que si vous affirmez n'avoir que du « vin aigre » vous étiez libéré du fardeau financier. Là, si vous ôtez votre chapeau, vous serez libéré de la taxe qui ne tombera que sur la tête des mariniers couverts. Si vous transportez des ardoises, un genou à terre et une ardoise à l'eau suffisent à n'en point laisser au péage. Dans le cas contraire, il faut payer deniers sur l'ongle …

Nos législateurs ont dû s'inspirer des curiosités de l'époque pour établir le code des impôts. Les exonérations étaient innombrables, les ecclésiastiques s'offrant la meilleure part. Charité chrétienne commence toujours par soi-même. Les Juifs avaient eux aussi quelques privilèges sauf au péage de Lutz et Bich où la mort ne les exonérait même pas du paiement.

Chevaliers, nobles, sergents, écoliers, clercs n'étaient pas tenus à l'acquit du péage. Les marchands qui se rendaient aux grandes foires profitaient eux aussi d'un privilège provisoire quand seuls nos pauvres mariniers, devaient vider leurs bourses devant ces passages funestes.

La fantaisie se trouvait également dans les innombrables motifs de paiement. Si celui qui transporte des cordes échappe au péage, il se voit soudain devoir son sujet à l'obole s'il y a un homme à pendre dans la prison du coin. La femme qui s'en va retrouver son mari n'aura rien à payer si elle porte ostensiblement son oreiller. Dans le cas contraire, il lui faudra débourser quatre deniers. Si un tonneau est en travers du bateau, le montant sera doublé. …

Les exonérations ont dû être décrétées par un haut fonctionnaire sorti de l'une de nos grandes écoles. L'arbitraire y règle en maître absolu. Toutes les marchandises allant vers la cour du Roy échappaient à la taxe, on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même. Les monnayés étaient exempts de péage ainsi que les charbonniers, les fabricants de soie et les marchands d'armes (une corporation qui a toujours su tirer son épingle du jeu).

Par contre, des privilèges semblaient plus compréhensibles. Ainsi, celui qui transportait son héritage n'avait nul péage à acquitter. Il rejoignait alors celui qui travaillait pour les hôpitaux ou qui ravitaillait une contrée soumise à la famine. Les prévaricateurs ont parfois un cœur !

Ils ont beaucoup d'imagination pour soutirer toujours plus de deniers à ceux qui n'échappent pas à leur fantaisie. Ainsi la liste est longue des droits qui valaient imposition. Droit de voilage pour le bateau arrivant à la voile, droit d'arrivage pour celui qui vient décharger, droit de neufvage pour celui qui a un navire neuf, droit de branlage, obligation faite au marinier de s'arrêter pour attendre la visite du receveur ….

Nous voyons avec bonheur que l'imagination n'a jamais manqué dans ce domaine étrange de la taxe et du prélèvement sur les biens d'autrui. L'histoire n'est pas nouvelle et n'a aucune raison de cesser. À moins que nous ne fassions comme nos amis les bateliers qui très tôt se sont regroupés sur toute la longueur de la Loire au sein de la confrérie des marchands fréquentant la rivière de la Loire et des fleuves descendants en icelle.

L'union fait la force et pendant près d'un millénaire cette confrérie n'a eu de cesse de combattre l'iniquité des péages, de défendre chacun de ses membres, d'attaquer les fermiers abusifs, les péages illégaux jusqu'à obtenir finalement gain de cause, la liberté du commerce sur la Loire. Ce combat, s'il fut long, n'en restera pas moins exemplaire !

La complexité des péages de Loire et de ses affluents ressemble à notre droit fiscal actuel. Il y avait les péages liés aux treize grandes villes : Decize – Nevers – Moulin - La Charité – Jargeau – Orléans – Tours – Chinon – Saumur – Ponts de Cé – Angers – Laval – Nantes. Puis il y avait les péages des particuliers : ecclésiastiques qui correspondent aux grandes abbayes, ils sont une bonne quinzaine auxquels il faut ajouter les péages des laïques, châtelains et autres seigneurs. Ainsi, à certains endroits, il pouvait y avoir trois péages différents.

Les marchandises assujetties au péage sont multiples, chaque endroit établit une liste et des conditions qui sont souvent risibles. Les critères à eux seuls sont une source de moquerie. Le péage est en fait un terme générique qui regroupe plusieurs droits à payer :

  • Droit de Vicomté ou de Prévôté : un droit de passage pour une région donnée

  • Droit de passe-port : un prélèvement sur les bateaux passants

  • Droit d’entrée en France : un paiement quand on quitte la Bretagne

  • Droit de passe-debout : un tribut sur l’alcool

  • Droit de cloison : taxe demandée par les villes pour entretenir leurs murailles

  • Droit d’aide : imposition sur les voituriers

  • Droit de pontenage pour passer un pont

  • Droit de voillage : taxe sur les bateaux remontant à la voile

  • Droit d’arrivage pour les bateaux venant décharger dans un port

  • Droit de neufvage, une sorte de vignette sur les bateaux neufs

  • Différents droits en fonction de la nature de la marchandise

  • Droit de Truhage, un prélèvement au passage de l’alcool

  • Droit de branlage pour faire obligation aux mariniers de s’arrêter au péage

  • ...


Vous pouvez apprécier l'inventivité des percepteurs. Pour autant, il y a une multitude de privilèges, d’exonérations, de conditions pour échapper au droit. Ajoutons que certains péages se payaient en nature, d’autres en monnaie et vous aurez une idée des tracas du transport. L’arbitraire, l’injustice, l’iniquité, la cupidité gouvernent les péages. C’est donc un sujet d’une si grande complexité qu’il est bien compliqué d’en saisir la réalité effective.





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