mercredi 26 juillet 2023

Femmes de Loire : Marguerite de Navarre

 

Les Femmes de lettres




Nous l'avons constaté, seule la chanson peut rendre hommage aux humbles et aux femmes anonymes. Entrer en littérature, ce n'est pas donné aux femmes du peuple, du moins dans les époques sur lesquelles portent nos recherches. Quelles soient poétesses ou romancières, qu'elles tiennent une correspondance épistolaires ou bien un récit de voyage, elles ne sont pas très nombreuses à être entrées en postérité. C'est là la marque d'une société patriarcale qui confinait la femme dans le rôle de la séductrice mais certes pas dans celui de la narratrice, témoin de son temps.


Il nous faudra donc chercher plus attentivement pour mettre en lumière ces dames qui ont sillonné la rivière ou qui se sont inspirées de sa merveilleuse présence. Loin de la vie de château, le voyage n'était pas une sinécure. C'est ainsi qu'elles rendent compte d'un monde pour le moins pittoresque, souvent étonnant, parfois violent, grossier ou bien rude. Nous sommes loin de l'image d'Épinal, la vie quotidienne en bord de Loire n'était pas de tout repos. Pour les femmes, il faut ajouter aux vicissitudes de l'existence, les pressions peuvent ont à subir de la part de compagnons qui ne sont pas des parangons de vertus. C'est sans doute ce qui rend plus difficile de trouver trace d'écrits féminins sur un monde qui n'est pas tendre.


Marguerite de Navarre

 




Marguerite de Navarre, appelée également Marguerite d’Angoulême ou Marguerite d'Alençon, est la fille de Louise de Savoie et du comte Charles d'Angoulême,. Elle est la sœur aînée de François Ier. Elle se marie deux fois. En 1509, elle épouse Charles IV, duc d'Alençon. Elle devient alors duchesse d'Alençon, mais continue de vivre à la Cour, auprès de son frère François. Charles IV décède en 1525. Deux ans après, elle se remarie avec le roi de Navarre, Henri II d'Albret. Par ce second mariage, elle devient donc reine de Navarre. Leur fille Jeanne III d'Albret naît en 1529. À la mort de François Ier, elle se retire dans le château de Nérac. Elle décède e 1549.

Amie des lettres, des sciences et des arts, protectrice des persécutés, proscrits et autres victimes de la Sorbonne, du Parlement et de l'intolérance de l'époque, la reine de Navarre vit arriver auprès d'elle les plus grands esprits de son temps. Ouverte aux idées nouvelles (elle soutint notamment l'université de Bourges où étudiait Calvin), elle joue à la cour de France un rôle politique et moral important : elle protège des écrivains comme Marot ou Rabelais en butte aux poursuites de la Sorbonne. Rabelais, qui éprouvait à son égard un mélange de fascination et d'effroi, la surnommait la Dame à la Licorne.



Un texte qui évoque une batelière





Au port à Coulon près de Niort, il y avait une batelière, qui jour et nuit ne faisait que passer chacun. Advint que deux cordeliers dudit Niort, passèrent la rivière tous seuls avec elle. Et pource que ce passage est un des plus longs qui soit en France, pour la garder d’ennuyer vinrent à la prier d’amours : à quoi elle fit telle réponse qu’elle devait. Mais eux qui pour le travail du chemin n’étaient lassés, ni pour froideur de l’eau refroidis, ni aussi pour le refus de la femme honteux, se délibérèrent de la prendre tous deux par la force : ou si elle se plaignait la jeter dans la rivière. Elle aussi sage et fine, qu’ils étaient fous et malicieux, leur dit : « Je ne suis pas si mal gracieuse que j’en fais le semblant, mais je veux vous prier de m’octroyer deux choses, et puis vous connaîtrez que j’ai meilleure envie de vous obéir, que vous n’avez de me prier. » Les cordeliers lui jurèrent par leur bon saint François, qu’elle ne leur saurait demander chose qu’ils ne lui octroyassent, pour avoir ce qu’ils désiraient d’elle. « Je vous requiers premièrement, dit-elle, que vous me juriez et promettiez,que jamais à homme vivant nul de vous ne déclarera notre affaire » : ce qu’ils lui promirent très volontiers.


Ainsi leur dit : « Que l’un après l’autre veuille prendre son plaisir de moi, car j’aurais trop de honte, que tous deux me vissiez ensemble : regardez lequel me veut avoir la première. » Ils trouvèrent très juste sa requête, et accorda le plus jeune que le vieux commencerait : et en approchant d’une petite île, elle dit au beau-père le jeune : « Dites là vos oraisons, jusques à cequ’aie mené votre compagnon ici devant en une autre île : et si à son retour il se loue de moi,nous le laisserons ici, et nous en irons ensemble. »


Le jeune sauta dedans l’île, attendant le retour de son compagnon, lequel la batelière mena en autre : et quand ils furent au bord, faisant semblant d’attacher son bateau, lui dit : « Mon ami regardez en quel lieu nous nous mettrons. » Le beau-père entra en l’île pour chercher l’endroit qui lui serait plus à propos : mais sitôt qu’elle le vità terre, donna un coup de pied contre un arbre, et se retira avec son bateau dedans la rivière,laissant ces deux beaux-pères aux déserts, auxquels elle cria tant qu’elle put : « Attendez messieurs,que l’Ange de Dieu vous vienne consoler, car de moi n’aurez aujourd’hui autre chose qui vous puisse plaire. »


Ces deux pauvres cordeliers connaissant la tromperie, se mirent à genoux sur le bord de l’eau la priant ne leur faire cette honte, et que si elle les voulait doucement mener au port, ils lui promettaient de ne lui demander rien. Et s’en allant toujours leur disait : « Je serais folle si après avoir échappé de vos mains, je m’y remettais. » Et en retournant au village appelé son mari, etceux de la justice, pour venir prendre ces deux loups enragés, dont par la grâce de Dieu elle avait échappé de leurs dents. Eux et la justice s’y en allèrent si bien accompagnés, qu’il n’y demeura ni grand ni petit, qui ne voulut avoir part au plaisir de cette chasse.


Ces pauvres fratres voyant venir si grande compagnie se cachèrent chacun dans son île, comme Adam quand il se vit devant la face de Dieu. La honte mit leur péché devant leurs yeux, et la crainte d’être punis les faisait trembler si fort qu’ils étaient demi morts. Mais cela ne les garda d’être pris et menés prisonniers, qui ne fut pas sans être moqués et hués d’hommes et de femmes. Les uns disaient : « Ces beaux-pères nous prêchent chasteté, et puis la veulent ôter à nos femmes. » Le mari disait : « Ils n’osent toucher l’argent la main nue, et veulent bien manier les cuisses des femmes, qui sont plus dangereuses. » Les autres disaient : « Sont sépulcres par dehors blanchis, et dedans pleins de morts et de pourriture. »


Et une autre criait : « A leurs fruits connaissez-vous quels arbres sont. » Croyez que tous les passages, que l’Ecriture dit contre les hypocrites, furent là allégués contre les pauvres prisonniers :lesquels par le moyen du gardien furent recoux et délivrés, qui en grande diligence les vint demander, assurant ceux de la justice qu’il en ferait plus grande punition que les séculiers n’en sauraient faire. Et pour satisfaire à partie, protesta qu’ils diraient tant de suffrages et prières qu’on les voudrait charger. Par quoi le juge accorda sa requête et lui donna les prisonniers, qui furent si bien chapitrés du gardien (qui était homme de bien) que oncques puis ne passèrent rivière sans faire le signe de la croix, et se recommander à Dieu.


Marguerite a écrit une multitude de textes, des contes, des poèmes, des pièces. Le texte ci-dessus est un conte qui naturellement ne se déroule pas sur la Loire mais la Sèvre Nantaise. Elle trouve sa place ici, alors qu'elle fut une grande voyageuse, changeant souvent de résidence, parce qu'elle séjourna à Ambroise auprès de son frère le Roi.

 


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