Bal
en Sologne
Mes Contes de l'Avent
Écoute,
mon cher Pitchoune, cette histoire que j’ai eu le bonheur d’écrire
avec un garçon cloué sur son fauteuil roulant. Je lui avais proposé
de faire de son handicap le point de départ d’un conte. Nous avons
passé de délicieux instants lors de la création de ce récit.
J’aimerais que bien d’autres enfants, frappés par de tels
problèmes, puissent les dépasser dans leur imaginaire, un peu comme
notre ami Victor, qui ne parvient pas à maîtriser ses mots qui se
bousculent dans sa bouche.
Il
était une fois un garçon sur son fauteuil roulant électrique. Il
roulait tout doucement vers un château en briques tout au bord de
l'étang quelque part en Sologne. La brume prêtait à cette
bâtisse un aspect fantomatique ! Quelques lumières échappées des
grandes portes-fenêtres lui donnaient un aspect de phare breton au
bord d’un grand étang embrumé.
Dans le lointain, une meute de
chasse à courre laissait entendre les abois lugubres des chiens en
pleine curée. C'était donc le râle d'un vieux cerf qui lui avait
glacé le sang, voici quelques minutes et l'avait conduit à
emprunter cette allée si mystérieuse. Le hasard est souvent un
compagnon étrange.
Le
froid, la nuit, l’angoisse de l’inconnu lui donnaient envie de
rebrousser chemin. Que ce décor paraissait sinistre ! Quelque
chose pourtant l'attirait mystérieusement comme si la vieille
bâtisse aux volets claquants lui faisait signe. L’enfant avait le
sentiment d' une présence énigmatique dans ces murs abandonnés,
d'un appel qui s’adressait à lui. Plus il avançait sur son
fauteuil, plus il lui semblait deviner quelques notes de musique
assourdies.
L’enfant
ferma les yeux pour mieux se laisser pénétrer par la mélodie. Il
en oubliait ses craintes et son angoisse. Il se préoccupait pour sa
mère, qui, à cette heure si tardive, devait être folle
d'inquiétude ! Alors qu’il était perdu dans ses pensées, son
fauteuil à l’arrêt devant les gravillons de la cour du château,
il sursauta ! Une douce main se glissa dans la sienne et une voix
suave et mélodieuse lui murmura : « Maxence, ferme les yeux
et suis-moi ! Je t’attendais, je te connais. Fais-moi confiance, je
ne te veux aucun mal, bien au contraire… »
Envoûté,
Maxence, puisqu’il s’appelait effectivement ainsi, obéit à
celle qui ne pouvait être qu’une gentille fée. Ils avançaient
tous deux, tranquillement, lentement. Leurs pas crissaient sur les
graviers. Mais quel était cet étrange mystère, ce miracle que
l’enfant n'osait croire : « Il marchait ». Il avait
oublié son fauteuil roulant, il ne ressentait plus ses horribles
douleurs ; son corps meurtri s’était soudainement réparé…
Ils entrèrent dans la grande salle du château ; il y avait une
foule chamarrée, bruyante, joyeuse.
Maxence
ressent le frottement des grandes robes des dames emportées par la
danse. Sa cavalière lui demande d'ouvrir les yeux. Devant lui de
gentils marquis portant perruque et bas de soie, de belles duchesses
avec leurs plus beaux atours. Un orchestre mène la danse, les
musiciens sont des animaux jouant des instruments à corde.
Il
découvre son reflet dans une glace fixée contre le mur et se
reconnaît à peine. Il porte un bel habit de valet, de jolis rubans
enserrent ses mollets. Contrairement à tous les autres danseurs, il
porte des cheveux longs, attachés en queue de cheval. Il détonne
dans cette noble assemblée où tous les hommes portent perruque.
Mais la femme qui est à son bras est la plus belle de toutes. Il le
devine dans le regard envieux des muscadins.
Sa
fée lui propose de danser le menuet. Maxence accepte alors qu’il
ignore tout de cette danse d'un autre temps. Miraculeusement, ses
pieds suivent la cadence et il se livre aux étranges arabesques
savantes de la chorégraphie. À chaque fois que le couple se salue
d’une profonde révérence, sa belle cavalière lui sourit et lui
glisse à l'oreille des mots tendres.
La
soirée est alors un tourbillon de danse, de champagne et de chastes
baisers. Le jour commence à poindre au loin. Les premiers danseurs
quittent à la hâte le château, emportés par des attelages surgis
de nulle part. Maxence s'interroge vraiment quand un couple est
emporté par un immense cygne noir volant dans les airs en traînant
un carrosse en forme de citrouille ...
Il
y a autant de magie que de maléfices autour de lui. Un autre couple
se transforme, sous ses yeux ahuris, en vulgaires rats des champs.
Puis, c'est la débandade. Les uns s'envolent, devenant alors des
chauves-souris quand d'autres se métamorphosent en araignées ou
bien en vipères. La belle cavalière et lui restent les seuls
humains au milieu de cette ménagerie.
Les
musiciens ont aussi disparu, volatilisés, sans pour autant que leur
musique se soit tue. Le soleil est maintenant levé ; la brume
enveloppe l'étang et la campagne environnante. Le couple danse
encore, sans éprouver la moindre fatigue ; la fée est
éblouissante, radieuse, elle l'embrasse dans le cou. Maxence a
l'impression que ce n'est pas possible tout ça, qu’il va se
réveiller en sursaut et se retrouver avec son corps souffreteux,
malingre et impotent.
Mais
non, le miracle se poursuit, il n'y a plus que les deux danseurs au
monde. Sa cavalière le prend à nouveau par la main pour le mener à
l'étage. Elle rit aux éclats, elle devient de plus en plus câline.
Elle le conduit dans sa chambre. Cette fois, il en est certain, le
songe va se terminer, le retour au réel sera douloureux, il désire
si fort rester au pays des merveilles.
Soudain,
il se rend à l'évidence. Il a traversé le miroir, il a pénétré
dans un autre monde, il vit émerveillé dans un ailleurs d'où il
ne veut plus repartir. Sa princesse est bien réelle, il la touche,
il la serre tout contre lui. Elle frissonne, elle s'abandonne, ils
s’aiment tendrement.
Qu'importe
si tout cela ne peut être ou que vous ne puissiez le croire. Je suis
le valet de pied d'une duchesse, d'une reine, d'une fée. Elle m'aime
comme moi je l'aime. Nous nous retrouvons toutes les nuits pour
danser parmi des hôtes improbables qui redeviendront vermisseaux et
pauvres bêtes à la fin du bal.
Qu’importe
que tout ceci ne fut que chimère, songe né dans les brumes de
Sologne ! Vous pouvez bien prétendre que cette nuit magnifique
ne fut qu’un instant d'égarement, le fruit de l’inconscient. La
réalité se moque bien de ce que vous pouvez croire : elle est
tout autre, plus belle, si extraordinaire !
La
danseuse de Maxence vit à tout jamais dans son imaginaire. Point
n'est besoin pour lui de rompre le lien avec sa conscience, sa
réalité de garçon cabossé par la vie. Il sait désormais qu’il
peut l'inviter à tout instant, la solliciter quand il n'en peut plus
de sa pauvre condition. Son imagination la fait apparaître, il se
retrouve à nouveau dans ce délicieux bal, dansant au bras de sa
fée. Il suffit d’un coup de baguette magique pour qu’elle
surgisse et transforme son existence, le temps d’une douce pensée
qui embellit son présent.
Puissiez-vous,
vous les enfants, avoir aussi dans vos rêves, un ailleurs
merveilleux qui surgit quand le présent se fait un peu plus triste.
Il suffit de prendre la main de Pitchoune ou bien d’un autre petit
pantin et de fermer très fort les yeux.
Miraculeusement
sien.
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