vendredi 1 décembre 2017

Le petit Meaulnes



Bal en Sologne

Mes Contes de l'Avent



Écoute, mon cher Pitchoune, cette histoire que j’ai eu le bonheur d’écrire avec un garçon cloué sur son fauteuil roulant. Je lui avais proposé de faire de son handicap le point de départ d’un conte. Nous avons passé de délicieux instants lors de la création de ce récit. J’aimerais que bien d’autres enfants, frappés par de tels problèmes, puissent les dépasser dans leur imaginaire, un peu comme notre ami Victor, qui ne parvient pas à maîtriser ses mots qui se bousculent dans sa bouche.

Il était une fois un garçon sur son fauteuil roulant électrique. Il roulait tout doucement vers un château en briques tout au bord de l'étang quelque part en Sologne. La brume prêtait à cette bâtisse un aspect fantomatique ! Quelques lumières échappées des grandes portes-fenêtres lui donnaient un aspect de phare breton au bord d’un grand étang embrumé.

Dans le lointain, une meute de chasse à courre laissait entendre les abois lugubres des chiens en pleine curée. C'était donc le râle d'un vieux cerf qui lui avait glacé le sang, voici quelques minutes et l'avait conduit à emprunter cette allée si mystérieuse. Le hasard est souvent un compagnon étrange.

Le froid, la nuit, l’angoisse de l’inconnu lui donnaient envie de rebrousser chemin. Que ce décor paraissait sinistre ! Quelque chose pourtant l'attirait mystérieusement comme si la vieille bâtisse aux volets claquants lui faisait signe. L’enfant avait le sentiment d' une présence énigmatique dans ces murs abandonnés, d'un appel qui s’adressait à lui. Plus il avançait sur son fauteuil, plus il lui semblait deviner quelques notes de musique assourdies.

L’enfant ferma les yeux pour mieux se laisser pénétrer par la mélodie. Il en oubliait ses craintes et son angoisse. Il se préoccupait pour sa mère, qui, à cette heure si tardive, devait être folle d'inquiétude ! Alors qu’il était perdu dans ses pensées, son fauteuil à l’arrêt devant les gravillons de la cour du château, il sursauta ! Une douce main se glissa dans la sienne et une voix suave et mélodieuse lui murmura : « Maxence, ferme les yeux et suis-moi ! Je t’attendais, je te connais. Fais-moi confiance, je ne te veux aucun mal, bien au contraire… »

Envoûté, Maxence, puisqu’il s’appelait effectivement ainsi, obéit à celle qui ne pouvait être qu’une gentille fée. Ils avançaient tous deux, tranquillement, lentement. Leurs pas crissaient sur les graviers. Mais quel était cet étrange mystère, ce miracle que l’enfant n'osait croire : « Il marchait ». Il avait oublié son fauteuil roulant, il ne ressentait plus ses horribles douleurs ; son corps meurtri s’était soudainement réparé… Ils entrèrent dans la grande salle du château ; il y avait une foule chamarrée, bruyante, joyeuse.

Maxence ressent le frottement des grandes robes des dames emportées par la danse. Sa cavalière lui demande d'ouvrir les yeux. Devant lui de gentils marquis portant perruque et bas de soie, de belles duchesses avec leurs plus beaux atours. Un orchestre mène la danse, les musiciens sont des animaux jouant des instruments à corde.

Il découvre son reflet dans une glace fixée contre le mur et se reconnaît à peine. Il porte un bel habit de valet, de jolis rubans enserrent ses mollets. Contrairement à tous les autres danseurs, il porte des cheveux longs, attachés en queue de cheval. Il détonne dans cette noble assemblée où tous les hommes portent perruque. Mais la femme qui est à son bras est la plus belle de toutes. Il le devine dans le regard envieux des muscadins.

Sa fée lui propose de danser le menuet. Maxence accepte alors qu’il ignore tout de cette danse d'un autre temps. Miraculeusement, ses pieds suivent la cadence et il se livre aux étranges arabesques savantes de la chorégraphie. À chaque fois que le couple se salue d’une profonde révérence, sa belle cavalière lui sourit et lui glisse à l'oreille des mots tendres.

La soirée est alors un tourbillon de danse, de champagne et de chastes baisers. Le jour commence à poindre au loin. Les premiers danseurs quittent à la hâte le château, emportés par des attelages surgis de nulle part. Maxence s'interroge vraiment quand un couple est emporté par un immense cygne noir volant dans les airs en traînant un carrosse en forme de citrouille ...

Il y a autant de magie que de maléfices autour de lui. Un autre couple se transforme, sous ses yeux ahuris, en vulgaires rats des champs. Puis, c'est la débandade. Les uns s'envolent, devenant alors des chauves-souris quand d'autres se métamorphosent en araignées ou bien en vipères. La belle cavalière et lui restent les seuls humains au milieu de cette ménagerie.
Les musiciens ont aussi disparu, volatilisés, sans pour autant que leur musique se soit tue. Le soleil est maintenant levé ; la brume enveloppe l'étang et la campagne environnante. Le couple danse encore, sans éprouver la moindre fatigue ; la fée est éblouissante, radieuse, elle l'embrasse dans le cou. Maxence a l'impression que ce n'est pas possible tout ça, qu’il va se réveiller en sursaut et se retrouver avec son corps souffreteux, malingre et impotent.

Mais non, le miracle se poursuit, il n'y a plus que les deux danseurs au monde. Sa cavalière le prend à nouveau par la main pour le mener à l'étage. Elle rit aux éclats, elle devient de plus en plus câline. Elle le conduit dans sa chambre. Cette fois, il en est certain, le songe va se terminer, le retour au réel sera douloureux, il désire si fort rester au pays des merveilles.

Soudain, il se rend à l'évidence. Il a traversé le miroir, il a pénétré dans un autre monde, il vit émerveillé dans un ailleurs d'où il ne veut plus repartir. Sa princesse est bien réelle, il la touche, il la serre tout contre lui. Elle frissonne, elle s'abandonne, ils s’aiment tendrement.

Qu'importe si tout cela ne peut être ou que vous ne puissiez le croire. Je suis le valet de pied d'une duchesse, d'une reine, d'une fée. Elle m'aime comme moi je l'aime. Nous nous retrouvons toutes les nuits pour danser parmi des hôtes improbables qui redeviendront vermisseaux et pauvres bêtes à la fin du bal.

Qu’importe que tout ceci ne fut que chimère, songe né dans les brumes de Sologne ! Vous pouvez bien prétendre que cette nuit magnifique ne fut qu’un instant d'égarement, le fruit de l’inconscient. La réalité se moque bien de ce que vous pouvez croire : elle est tout autre, plus belle, si extraordinaire !

La danseuse de Maxence vit à tout jamais dans son imaginaire. Point n'est besoin pour lui de rompre le lien avec sa conscience, sa réalité de garçon cabossé par la vie. Il sait désormais qu’il peut l'inviter à tout instant, la solliciter quand il n'en peut plus de sa pauvre condition. Son imagination la fait apparaître, il se retrouve à nouveau dans ce délicieux bal, dansant au bras de sa fée. Il suffit d’un coup de baguette magique pour qu’elle surgisse et transforme son existence, le temps d’une douce pensée qui embellit son présent.

Puissiez-vous, vous les enfants, avoir aussi dans vos rêves, un ailleurs merveilleux qui surgit quand le présent se fait un peu plus triste. Il suffit de prendre la main de Pitchoune ou bien d’un autre petit pantin et de fermer très fort les yeux.

Miraculeusement sien.

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