jeudi 14 décembre 2017

Une histoire vieille comme le monde.


Conte de l'Avent
Pour qu'il retourne en sa maison.




Mon petit Pitchoune, il est des légendes qu'on retrouve de par le monde et qui appartiennent au patrimoine de l'humanité. C’était en un temps où les hommes donnaient de l'importance à la nourriture, connaissaient la faim et la peur du lendemain. Si ces angoisses existent toujours sur notre planète, les agapes de Noël ne sont que gaspillage honteux tandis que d’autres, ailleurs meurent de faim. Puisse cette histoire rappeler les humains à plus de mesure et de fraternité !

Nous retrouvons une femme et ses quatre enfants dans une petite masure au bord d'une rivière. Le mari est parti depuis de longs mois, courir l'aventure pour rapporter aux siens de quoi les nourrir. L'absence est plus longue qu'à l'habitude pour la famille du marin ; les réserves manquent cruellement et la femme ignore de quoi sera fait le repas du lendemain.

Jeanne fouille les placards à la recherche de maigres restes. Elle sait pourtant qu'il n'y a plus rien. Elle espère un miracle :quelque chose oublié dans un recoin. Dehors il fait si froid que le seul espoir de trouver un peu de pitance n'existe plus que dans sa demeure. Les animaux de la basse-cour ont tous déserté le poulailler pour finir dans l'assiette. Il ne subsiste qu'une vieille cane, adorée des enfants qui s'est réfugiée dans la masure.

Plus aucune réserve, Jeanne remue de fond en comble le petit espace vital où se pressent ses quatre enfants et la vieille cane. Sa recherche est vaine pourtant il n’est pas question de sacrifier la cane si chère aux petits. Que vont-ils devenir ? Et leur père qui ne revient toujours pas ! Elle finit par découvrir tout au fond de la maie, un peu de farine : un mélange incertain de froment et de sarrasin, de châtaigne et de seigle ; ce qui est tombé là en s’échappant des sacs d’autrefois. C'est son dernier recours. Que faire de si peu ?

Dans le désespoir le plus noir, il arrive souvent un signe du destin, un petit miracle qui permet de croire encore que la vie ne demande qu'à continuer. Dans un recoin de la pièce, la vénérable cane s'est blottie. Bien que ce ne soit pas du tout la saison la plus propice, la brave bête vient de pondre un œuf, un bel œuf qui va sauver Jeanne et ses enfants pour un jour encore, un jour de plus à espérer le miracle.

La femme remercie le ciel, la cane et la Providence. Elle prend un récipient , y verse son mélange de farines dans lequel elle creuse un puits pour y casser l'œuf miraculeux. Puis elle mouille de très peu d'eau cette mixture afin d'en faire une pâte épaisse ; elle n'a plus de lait depuis si longtemps… Il n'y a pas davantage de levure ni de fruits. Elle ne peut faire ni pain ni gâteau.

Jeanne se demande ce qu'elle peut tirer de cette mélasse brune. Heureusement pour elle, il lui reste encore quelques bûches et un maigre feu maintient un peu de chaleur dans la pièce. Elle attrape une poêle qu'elle pose sur le feu. Un petit bloc de saindoux lui permet de graisser son ustensile. Elle glisse une louche de son mélange et la magie culinaire opère.

Une petite galette fine se forme. Elle est si fine que Jeanne pense qu'elle va se déchirer. Ce n'est qu'une dentelle fragile, décorée de quelques trous, disséminés ici ou là. Il faut qu'elle pense dans l'instant à la meilleure façon de sauver ce qui apparaît sous ses yeux, si fragile, si incertain. Elle observe que la face contre le feu noircit bien vite quand l'autre côté reste pâle et ne semble pas cuit. Que faire ?

Jeanne pense alors très fort à son mari. Elle veut de toutes ses forces qu'il s'en retourne, qu'il revienne à la maison pour l'aider et apporter de quoi survivre une fois encore. Elle en est là de ses réflexions quand la porte s'ouvre : c'est son homme. Son marin s'en est revenu. Elle est tout à sa joie sans oublier cependant ce qui est là sur le feu. Les mots tournent dans sa tête, le bonheur indicible aussi. Il s'en est retourné… voilà la solution !

Jeanne a la révélation. Elle prend une spatule et retourne sa galette, délicatement, simplement. La petite galette se laisse faire sans se briser. Elle cuit sur l'autre face de manière uniforme et Jeanne peut offrir ce trésor à l'appétit de l'aînée. Elle embrasse son homme et recommence l'opération. Elle y a juste de quoi faire cinq autres petites galettes plates avant de tomber dans les bras de son homme.

Les enfants se contentent de la galette et du retour de leur père, ils vont se coucher, l'homme prend sa femme dans ses bras, la gourmande avec plaisir, s’en retourne enfin dans le secret de leur chambre. Leur appétit l'un de l'autre est si grand, si puissant. C'est seulement quand leurs corps sont repus que le marin raconte son périple et montre à sa chère Jeanne le pécule rapporté de si loin. Ils sont sauvés pour cette fois encore. Jeanne, quant à elle, sait qu'elle va pouvoir offrir sa recette à ses voisines ...

Depuis ce jour, quand une femme de marin espère le retour de son homme, elle aussi, essaie de se concilier la divine Providence en préparant des galettes plates. Elle retourne tendrement sa galette, pour que revienne celui qui est attendu. Nulle femme de marin n'aurait la prétention de faire sauter la précieuse crêpe ni d'avoir une pièce en or dans la main pour réaliser ce prodige. La nourriture est bien plus précieuse que les richesses de ce monde qui se refusent souvent aux pauvres gens.

Le vœu le plus cher pour les gens simples est le retour de celui qui est attendu ; la richesse est une espérance sans humanité. Revenons aux valeurs essentielles : ne faisons plus sauter les crêpes et les galettes au risque de les faire tomber. Retournons-les délicatement en pensant simplement à ceux que nous aimerions voir revenir. C'est la seule morale de mon histoire...

Crêpement vôtre.

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