Conte de L'Avent.
Tu
as remarqué mon cher Pitchoune comment Victor ne cesse
de se voir offrir jeux et gadgets électroniques, téléphone et
objets inutiles. Il est prisonnier de ce monde virtuel qui le prive
de son imaginaire. Écoute Pitchoune ce récit d’un autre temps et
fais en sorte de convaincre ses proches de changer de comportement à
son égard.
Il
était une fois une famille de vignerons en bord de Loire. Nous
sommes en 1851 et un enfant vient de naître. Son père et sa mère
se réjouissent de ce premier né qu’ils appellent Herman, un
prénom qui se donnait à cette époque. Ces gens ont un peu de bien,
c’est ainsi qu’Herman à six ans a l’immense privilège d’aller
à l’école pour deux sous par jour ainsi qu’une bûche de bois
durant l’hiver pour le poêle de la classe unique.
Herman
était un enfant intelligent qui apprit très vite à lire et y
trouva un immense plaisir. Il fut un élève brillant qui passa avec
succès son certificat de fin d’études. Son maître aurait aimé
qu’il poursuive ses études mais ses parents voulaient qu’il se
mette bien vite au travail. Il avait 12 ans et la besogne ne manquait
pas à la vignerie.
Pour
le récompenser de son brillant succès, ses parents décidèrent
d’aller à la grande ville voisine, acheter pour la première fois
de leur vie, un étrange présent, un beau cadeau : un livre. Ils
furent attirés par un détail, une similitude avec leur enfant et le
lui offrirent avec émotion.
Herman
ne tarda pas à lire ce roman. Il ne le quitta pas, le lut d’une
traite, emporté par l’émotion et l’histoire fabuleuse qu’il
racontait. Il ne l’eut pas terminé qu’il replongea à nouveau
dans une seconde lecture, exalté par cette aventure hors du commun.
Quand
il l’acheva une seconde fois, sa décision était prise. Il posa le
livre et alla voir ses parents pour leur annoncer qu’il ne serait
jamais vigneron. Il avait trouvé le métier qu’il désirait faire,
il serait pêcheur de Loire. Il se trouvait que non loin de là, un
vieux bonhomme avait l’intention de transmettre ses secrets et son
matériel à celui qui voudrait prendre sa suite. En une année,
Herman apprit mieux que quiconque tous les secrets de la rivière et
de la pêche.
Herman devint bien vite le meilleur pêcheur
professionnel de toute la Loire. Mais, quoi qu'il attrapât, il était
désormais perpétuellement insatisfait. Il avait beau remonter des
filets pleins de belles prises, être le plus réputé des pêcheurs,
il avait le regard fiévreux et une étrange bouderie au coin des
lèvres.
On
le devinait porteur d'une quête intérieure, d'une exaltation qui le
prenait surtout en avril. Durant deux mois, il était dans un état
de transe qui inquiétait ses amis, rendait sa fréquentation
impossible. Il passait ses journées entières à la pêche, comme
s'il attendait quelque prise exceptionnelle, un poisson magnifique et
sans doute imaginaire.
Puis
le mois de mai passé, Herman retombait dans un silence lourd et
pénible qui contrastait avec son agitation précédente. Finalement,
il était tout aussi infréquentable dans sa période de traque que
lorsqu'il se renfermait dans son monde intérieur. Plus personne ne
pouvait le supporter : il vivait seul parmi ses filets et ses
bateaux, ses nasses et sa chère rivière. Il n’avait pas trouvé
épouse, il faut dire qu’il sentait toujours le poisson !
Au
fil des années, il avait coupé tout lien avec ses semblables, ne
conservant que le commerce des restaurateurs qui venaient lui acheter
ses prises, toujours exceptionnelles. Herman passait pour un loup
solitaire, un ermite des berges. Il y avait pourtant dans ses yeux
une lumière qui ne trompait pas ceux qui savent observer. On pouvait
dire qu'il était habité, qu'il avait une formidable force
intérieure .
Puis,
un jour tout bascula. Herman changea de vie, abandonna la pêche et
son mutisme. Il alla enfin vers les autres ; il était radieux,
habité d'une nouvelle passion, celle-ci moins inquiétante. Herman
se fit prosateur, il prit la plume pour écrire des anecdotes qu'il
avait glanées lors de ses interminables sorties sur la rivière, ses
heures passées à observer les flots. Il écrivit ses histoires de
pêche, il raconta le secret des poissons migrateurs, les mœurs des
carnassiers, le comportement des petits poissons à friture, la
majesté de dame carpe.
Herman
racontait des histoires qui ravissaient les gosses du pays. Il avait
eu la chance de trouver une oreille attentive en celle du responsable
du journal local qui lui accorda une rubrique une fois par semaine,
un récit qui enchantait aussi tous les lecteurs. Il l’avait
intitulé « La Boîte à pêche ! » un titre qui tomba un
jour dans les mains du petit Maurice Genevoix qui en fit à son tour
bel usage.
Pourtant,
lui dont la vie sociale avait changé du tout au tout, se refusait
toujours à satisfaire la curiosité de ceux qui s'enquéraient du
mystère de son changement d'attitude. Il esquissait alors un
sourire, changeait de conversation ou bien se contentait d'une
pirouette. « J'ai bien assez pêché, j'ai pris tous les
poissons qu'il me fallait et même celui dont je rêvais ! »
Puis il souriait benoîtement et s'en allait ...
Rares
étaient ceux qui fréquentaient la maison de l'ancien pêcheur.
C'était sa chasse gardée, son antre, son terrier. Personne du reste
ne pouvait pénétrer dans son atelier, là où autrefois il rangeait
son embarcation : « Le Pequod », ses nasses, son matériel
et tous ses filets de pêche. C'est désormais dans ce local qu'il
couchait sur le papier les histoires qu'il ne manquait pas de livrer
en temps et en heure à l'imprimerie pour l'édition du dimanche.
Herman
rendit son dernier soupir, la plume à la main. Il venait de mettre
un point final à son ultime récit. Comme l'imprimeur ne reçut pas
à temps le texte, dans la région on s'inquiéta et des amis de
l'ancien pêcheur vinrent forcer sa porte. Ils le découvrirent la
tête penchée sur son bureau, le regard tourné vers un grand
poisson naturalisé, accroché au mur, face à son écritoire. Ce
n'était pas n'importe quel poisson, il était gigantesque : un
énorme esturgeon comme il en remontait encore alors dans notre Loire
: 3 mètres 81 de long, 400 kg environ.
Au
mur, juste en dessus du poisson, un livre était lui aussi encadré :
« Moby Dick » d'Herman Melville ! » Il ne fallut
pas bien longtemps à ses proches pour enfin élucider le mystère de
toute une vie. Herman, avait été marqué par un livre qui avait
bouleversé son existence. Voilà donc ce grand mystère, ce livre
qui lui avait fait tourner le dos à la vigne pour se faire pêcheur.
Mais
là où nul n'avait trouvé d'explication à son comportement,
l'esturgeon apportait une éclatante réponse, un aveu incroyable.
Face aux amis du défunt, il y avait un grand esturgeon albinos.
Herman avait passé une grande partie de son existence à attendre
son Moby Dick à lui. Faute de cachalot en Loire, notre pêcheur
avait durant sa vie professionnelle, rêvé d'un grand poisson blanc.
Puis sa quête satisfaite, il était passé à autre chose sans
jamais dévoiler son rêve de gosse.
Quelques
lettrés comprirent alors pourquoi les bateaux de Herman s'étaient
tous appelés « Le Pequod ». Un livre avait décidé de
son parcours professionnel, de sa passion, de sa vie. Une fois son
grand esturgeon albinos attrapé, il pouvait passer à autre chose,
ce qu’il fit avec la même ferveur.
Pitchoune,
nous devrions offrir des livres à notre ami Victor. Il trouvera
peut-être dans l’un d’eux un rêve qui lui fera lever le nez de
sa tablette, grandir enfin et devenir un homme avec un rêve dans le
cœur. Rien n’est plus beau qu’un livre, c’est le plus
formidable des cadeaux. Puissent tous les parents retenir cette
leçon, elle vaut pour Victor comme pour leurs rejetons. Herman avait
trouvé sa voie, d’autres passions sont encore à cueillir dans les
livres.
Romanesquement
sien.
Achetez un livre
C'est le plus beau cadeau qui soit
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