vendredi 22 décembre 2017

La dinde et la bûche …



Conte de l'Avent à couteau tiré.



Il était une fois une dinde amoureuse d'un chapon. La pauvre demoiselle avait beau jouer de ses attraits, le fier poulet émasculé ne lui accordait aucun regard. La dinde en perdait son latin et se pensait victime d’un étrange maléfice. Elle, à la crête brillante, au regard de braise et aux formes dodues, comment pouvait-elle se trouver ignorée de la sorte ?

Elle confia son dépit amoureux à un bûcheron du voisinage, homme simple et un peu rustre. La solitude et la rudesse de son métier avaient fait de lui un grand naïf. Notre forestier, en homme de la nature ne fut pas surpris qu'une dinde vînt vers lui pour lui l’interroger. La belle se sentit en confiance car dans l’instant, le bûcheron s’en prenait à coups de hache à un vénérable châtaignier. Les gallinacés ne goûtent guère la fréquentation des marrons en cette période de l'année !

La conversation entre l'homme des bois et la belle prit un tour aimable. Nos deux personnages se trouvèrent des points communs, des passions qu'ils partageaient. La dinde adorait la musique et tout particulièrement la scie musicale, à laquelle elle s'adonnait en amatrice. Le bûcheron, touché par ce clin d'œil de l'histoire, avoua alors qu'il aimait quant à lui, jouer de la cabrette.

La volaille vit dans cet aveu, l’assurance d’avoir affaire à une homme simple. Qu’il jouât d’un instrument sans bec n'était pas pour lui déplaire ; quelle délicatesse de sa part ! De plus il lui confia qu’il était végétarien, ce qui l’autorisa à poser la question qui la tourmentait tant : « Comment se fait-il que ce Chapon ne regarde jamais les dames ? »

Le bûcheron fut fort ennuyé. Comment expliquer à une dinde le sort que subissait les chapons au moment des fêtes. Jamais un animal ne pouvait être en mesure d'imaginer que les humains fussent à ce point cruels. Priver un être sans défense, de sa virilité, pour qu’il s'engraisse et vienne garnir la table du réveillon, voilà qui dépasse la compréhension animale ! Il inventa une fable pour justifier l'indifférence du castrat.

Ne sachant par quel bout prendre la chose, il agit par association d'idées. Auprès de lui, fruit de son labeur, quelques belles bûches s’entassaient. Il en offrit une à la dame en lui servant une menterie qui venait de lui passer par l'esprit. «  Ma belle demoiselle, votre chapon est un timide, doublé d'un maladroit qui n'a pas osé céder à vos avances pour un prétexte terre à terre. Quand on est de basse-cour, on aime à se percher pour dominer une dame de sa condition. Cela vaut aussi bien pour les gallinacés que pour les hommes ... »

La dinde le crut quoiqu’il terminât sa longue tirade d’un retentissant rôt. La dame avait mordu à la fable, le bûcheron s’enhardit à lui servir des fariboles. Le chapon est sujet à presbytie, ce qui lui impose de prendre de la hauteur pour s'adresser à ses pairs. Que le chapon fût ainsi qualifié de presbyte, la demoiselle ne pouvait en rien mesurer l'ironie qui perçait dans ce propos.

C'est ainsi qu'elle s'en revint dans sa basse-cour, une bûche sous son aile, persuadée que ce promontoire lui permettrait d’obtenir ce qu'elle désirait le plus au monde. Le chapon ne resterait pas de bois quand elle lui offrirait ce perchoir. C'est le cœur battant qu'elle rentra en son poulailler où l'attendait de pied ferme une paysanne armée d'un couteau effilé. La dinde ne vit pas arriver le coup fatal, elle rendit son dernier soupir !

Elle fut promptement plumée et ébouillantée, la dame avait le repas de Noël à préparer. Notre cuisinière aperçut la bûche qui traînait sur le sol. Se souvenant que c’était la dinde qui portait ce rondin, elle ne se formalisa pas de l'incongruité de la chose. Bien au contraire, c'est de cette coïncidence que lui vint l’idée d’un dessert original pour accompagner la dégustation de la dinde.

Ainsi explique-t-on cette lointaine tradition de manger, les jours de fête, une dinde ainsi qu'un gâteau en forme de bûche. Si vous voyez sur cette pâtisserie, une scie et un nain au visage coloré, c'est en souvenir du bûcheron qui n'était pas bien grand ! Je ne vous ai servi que la pure vérité. Il arrive parfois que par des voies détournées, un chapon finisse par engendrer une belle descendance. La sienne fut pâtissière. C'est bien la preuve qu'il ne faut s'étonner de rien. C'est ce qu'on appelle la magie de Noël.

Nativement vôtre.

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