Mes contes de l'Avent
Pitchoune,
Victor qui ne cesse de se plaindre, devrait écouter attentivement
cette histoire. Elle est vraie. C’est un vieux monsieur qui me l’a
racontée, les larmes aux yeux, parce que c’était l’histoire de
son frère. Elle permet de penser que jamais rien n’est perdu
pourvu que la joie garde sa place dans nos cœurs.
Nous
sommes en bord de Loire pendant la seconde guerre mondiale à Saint-
Claude-de-Diray, un petit village près de Blois. Gaston est un
grand-père heureux : lors de chacune des grandes vacances, il
reçoit dans sa ferme Jean et Jacques, les deux jumeaux intrépides.
Ah, ce qu'il les aime ces petits diables ! Dès qu'il les emmène
à la pêche, ils deviennent des enfants charmants !
Jean
et Jacques n'aiment rien tant que la pêche à la barbote. Une
laitière accrochée à la ceinture, un petit scion muni d'une ligne
sommaire, ils patouillent dans l'eau pour provoquer un nuage de
sable. C'est là qu'aiment venir se réfugier les goujons et les
ablettes. Ils en prennent à plaisir, remplissent chacun une
laitière.
Gaston
retourne à la ferme, fier comme Artaban, avec un gamin dans chaque
main. C'est Eugénie, sa femme, qui va préparer la friture. Bien
que nous soyons dans le Loir-et-Cher, Eugénie a conservé, de son
pays des maisons troglodytes, la manière si particulière de
préparer les petits poissons de Loire,
À
Turquan, comme dans d'autres villages de cette région, située entre
Montsoreau et Saumur, les gourmets préparent une pâte à beignets
pour y tremper les jolis poissons d'argent avant de les faire frire.
Pour Jean et Jacques, c'est à chaque fois une fête et un festin.
Ils seraient bien incapables de dire ce qu'ils préfèrent : la
journée de pêche avec Gaston ou la succulente friture d'Eugénie.
Tout
aurait pu durer ainsi des années ; les enfants en avaient
oublié la guerre et les privations des mois passés avec leurs
parents mais hélas, le destin rattrapa Jean qui, en plein hiver, fut
terrassé par la redoutable poliomyélite. L'été suivant, c'est un
gamin malingre au regard triste qui arriva en compagnie de son
frangin.
Gaston
avait compris ce qui tracassait le plus son petit-fils. L'enfant
était si peu robuste sur ses jambes qu'il se croyait privé de son
plus grand plaisir. C'était sans compter sur Gaston dont
l'ingéniosité avait pourtant si souvent étonné ses petits-fils.
Le lendemain matin de leur arrivée, le regard malicieux et la
moustache dressée, Gaston au petit déjeuner avait dit à Jean et
Jacques : « Il vous faudra aller ramasser des vers, nous allons
à la pêche tantôt ! ».
Cette
fois, les exclamations avaient été moins bruyantes que les années
précédentes. Jacques n'osait pas exprimer sa joie et Jean
pressentait qu'il allait devoir pêcher de la berge, ce qui était
beaucoup moins drôle. Pour ne pas contrarier Gaston et sa bonne
humeur, ils se mirent à fouiller autour du tas de fumier, Jacques à
la manœuvre et Jean à l'observation, assis sur son fauteuil
roulant.
C'est
l'après-midi qu'ils se mirent en route, installés sur le tombereau
du grand -père. Gaston tenait le licol pour conduire le brave
Pompon, un beauceron puissant qui travaillait à la ferme. Jean et
Jacques, assis à l'arrière, goûtaient avec plaisir ce nouveau
mode de transport pour se rendre à la pêche. La maladie d'un des
jumeaux offrait au moins cette variation pas déplaisante aux
habitudes des années passées.
Arrivé
au bord de Loire, Gaston fit descendre son attelage par la cale juste
en face de Menars, à la pointe de la quatrième île. C'est là que
les années précédentes, ils prenaient le plus de fritures. Les
enfants voulurent descendre mais Gaston leur demanda d'attendre. Le
cheval et le tombereau entrèrent dans l'eau.
Les
jumeaux se taisaient, observant la manœuvre. Pompon mit le bout du
nez vers l'amont, juste dans le prolongement de la pointe de la
grande île. L'attelage se plaça à quelques mètres de la rive bien
parallèlement à celle-ci. Gaston serra le frein et s'assit à côté
des gamins. « C'est de là que nous allons pêcher, leur
dit-il, prenez vos scions ».
Jacques
se voyait privé lui aussi de son plaisir. ; par solidarité
avec son frère, il ne disait rien, comprenant le souci du
grand-père de ne pas blesser son frérot. C'est alors qu'ils
faisaient aller les premières coulées qu'il se passa la chose qui
resterait à jamais gravée dans leur mémoire : ce moment de
grâce qui fut pour eux le signe que rien de grave ne leur arriverait
désormais sans qu'il ne se trouve une solution ou une astuce pour y
remédier.
De
ce cadeau magnifique, ils seraient reconnaissants éternellement à
ce cher Gaston, grand-père facétieux et aimant, inventif et sage.
Toute leur vie, ils raconteraient, à qui voudrait bien les croire,
ce moment incroyable où Pompon, le brave cheval de trait, s'était
mis à remuer le sol avec ses jambes postérieures ….
Ce
dont Jean était désormais incapable , Pompon avait appris à le
faire à sa place et, scrupuleusement, patiemment, inlassablement, le
brave cheval barbotait pour attirer les goujons et les ablettes. Il
fallait entendre les rires des deux enfants mêlés à ceux du grand
père. Qui était le plus heureux des trois ? Nul ne pourra le dire …
Je
revois encore Jacques, bien des années plus tard, me raconter la
scène comme s'il y était encore. Ses yeux brillent de la même
malice sans doute que ceux de Gaston ce jour-là. Maintenant Jacques
a l'âge de son grand-père mais c'est pourtant le gamin de douze ans
qui continue à me raconter l'aventure.
« Et
puis quand le poisson venait à nous bouder, Pompon levait la queue
et laissait tomber un magnifique appât : un crottin de cheval
travailleur et costaud. Jamais nous ne fîmes plus belle pêche que
celle-là. C'est le bonheur immense de ce jour merveilleux qui donna
à Jean la force de guérir ! »
Je
le laissai à son souvenir. Jacques était toujours assis sur le
tombereau à côté de son cher vieux Gaston et de son Jean aux
frêles guiboles. Pompon remuait le sable. Ce n'était pas la Loire
qui coulait là devant moi mais les larmes du vieil homme qui se
souvenait du temps jadis. La plus belle manière de le remercier de
cet instant magnifique était de lui offrir ce récit. Moi aussi,
j’ai laissé couler quelques larmes !
Barboteusement
leur
Belle histoire, bien illustrée par notre "Chêne Rossignol" passe cheval de "Gens d'Louère"
RépondreSupprimerDD Frerot
RépondreSupprimerIl m'a semblé tout indiqué pour illustrer un récit qui est venu de Blois
Merci à vous et à l'ami Gérard