Conte de l'Avent
Le
maître et le renard
Pitchoune,
tu sais mon attachement à la lecture et mon désir de faire de ce
cher Victor un petit lecteur. Écoute cette histoire et tâche de la
lui faire comprendre bien mieux que je ne puis le faire. Les enfants
ne perçoivent pas toujours le sens de sens caché d’un récit. Tu
sauras, toi, son ami, lui ouvrir les yeux et le cœur.
Il
était un homme qui aimait les animaux. Sa passion était telle qu'il
lui fallait vivre entouré de ces petits êtres dont le silence
permet de croire qu’ils apprécient votre fréquentation. Pour le
maître, il ne faisait aucun doute que toutes les soins qu’il leur
accordait, le confort qu’il leur offrait rendaient la vie heureuse
à ses petits compagnons.
Les
animaux domestiques se satisfont tant bien que mal de cette vie parmi
les hommes. De génération en génération, ils ont accepté les
règles d’un jeu fixé par les humains. Pour les animaux sauvages,
il en va tout autrement. Ceux qui, soudainement, sont confrontés à
cette vie enchaînée ou bien encagée sont
tristes dans leur prison dorée.
Le
maître ne comprenait pas pourquoi son invité ne lui montrait aucune
marque d’affection. Pour lui, l’animal faisait preuve
d’ingratitude. Il ne comprenait pas la dureté du traitement qu’il
lui imposait. C’est un renard qui lui ouvrit les yeux. L’animal
était magnifique, le regard pétillant, le pelage brillant, le corps
musclé et élancé. Un jour il fut pris
au piège et que, par chance, ce n’était pas une de ces mâchoires
métalliques qui blesse gravement celui qui se trouve prisonnier d’un
étreinte souvent mortelle.
Le
renard était tombé dans une fosse, il n’en pouvait ressortir et
c’est entravé et humilié qui fut livré au maître. L’homme se
réjouit de ce magnifique cadeau de la nature. Il avait toujours rêvé
de cet animal dont tous les fabulistes vantent la ruse et
l’intelligence et dont le pelage est d’une beauté sublime. Il se
faisait fort de devenir son ami, pensant trouver auprès de lui une
affection digne de celle d’un brave chien.
Le
renard accepta un temps de jouer ce rôle. Il avait compris du
premier coup d’œil que celui qui se prétendait son maître
n’était pas homme méchant. Il consentit donc à quelques
grimaces, singeant le chien qui ne cessait de traîner aux pieds de
son geôlier. Il fit en tout point comme le gentil corniaud, levant
la patte pour le saluer, remuant de la queue à son approche et se
couchant à ses pieds, le regard éperdument reconnaissant.
Le
maître était aux anges. Il délaissa le vieux corniaud qui, en
dépit de son amitié sincère et non feinte, reçut coups de pied
aux fesses avant que d’être chassé de la maison. L’homme
n’avait plus d’affection que pour le renard et ses simagrées
parfaites. Il relâcha sa vigilance, pensant l’avoir totalement
réduit à la domesticité.
Le
renard n’était plus attaché : il pouvait aller librement
dans la demeure. Il avait gagné la première bataille mais était
encore loin de se voir ouvrir les portes de la liberté. Le maître,
suspicieux de nature, gardait sa demeure close, n’ouvrait jamais
de fenêtre en la présence de l’un de ses otages.
Le
renard comprit que la supercherie ne lui permettrait pas d’aller
plus loin ; il lui aurait fallu changer son fusil d’épaule si
l’animal avait été chasseur mais pour l’heure il était proie.
C’est alors qu’il se souvint des fables de Jean de La Fontaine
que lui lisait son maître où ses congénères sont fourbes, rusés,
princes de la rouerie et de la dissimulation. Il allait se mettre en
demeure de lui donner raison.
Il
chercha dans l’une de ces fables sont inspiration. C’est une
histoire d’oiseau prisonnier dans une cage magnifique qui lui donna
la clef qu’il cherchait. L’oiseau avait demandé à son Prince
d’aller donner des ses nouvelles dans une forêt magique. Quand ses
congénères apprirent que le Prince le tenait entravé dans une
cage, l’un d’eux tomba de l’arbre en simulant la mort. Le
Prince ne comprit rien à ce message et le transmit à son oiseau.
Celui-ci fit dans l’instant le mort et fut ainsi libéré quand le
Prince voulut l’enterrer.
Le
renard écouta le récit sans broncher. Le maître lisait bien ;
il se plaisait à lui offrir ainsi une histoire chaque soir. Il ne
fallait pas éveiller sa méfiance. Le renard laissa passer quelques
jours, demeura docile et bienveillant vis-à-vis de celui qui le
gardait dans sa demeure. Puis progressivement, il se mit à boiter, à
geindre, à se porter plus mal de jour en jour.
Le
maître, au désespoir, fit venir un vétérinaire qui ne sut
expliquer le mal dont souffrait l’animal. Son état empira jusqu’à
le conduire au trépas. Il s’étendit raide, simulant à merveille
la mort. Le maître eut un chagrin immense, renard dut se contenir
pour ne pas céder à la sensiblerie. Il s’était malgré tout
attaché à ce brave homme.
Il
garda intacte sa détermination et c’est dans les bras d’un
maître en larmes qu’il sortit enfin de cette maudite prison.
L’homme avança, gémissant et reniflant pour s’approcher de la
forêt où il avait l'intention d’enterrer son ami. Renard, sentant
l’humus et entendant le bruissement des feuilles agitées par le
vent, sut que son heure était venue. Tel Lazare, il ressuscita
d’entre les morts, sauta des bras de l’homme éberlué et
incrédule avant que de filer tout droit vers la forêt voisine.
Ayant
mis assez de distance entre lui et son ancien maître, Renard se
tourna vers lui et lui déclara que la liberté n’avait pas de
prix, que rien ne pouvait la remplacer. Il remercia celui qui l’avait
si bien traité tout en le privant de ce qu’il avait de plus
précieux au monde et lui fit ce commentaire qui devrait servir de
leçon à tous les enfants du monde.
« Je
vous remercie surtout, mon ancien maître, de m’avoir lu chaque
soir des histoires. C’est dans les livres que j’ai découvert la
sagesse et la réflexion ; c’est grâce à eux que j’ai
trouvé le stratagème qui me vaut d’être enfin libre aujourd’hui
! »
Puissiez-vous,
les enfants, vous souvenir de cette morale. C’est dans les livres
et nulle part ailleurs que vous trouverez les clefs de votre destin.
Gardez-vous de croire aux belles paroles, aux promesses de confort ou
bien aux illusions de la richesse. La liberté seule doit mener vos
pas et aucun maître, aucun gourou, aucun prédicateur ne peut vous
l’offrir. Façonnez-vous seuls votre destinée, lisez et pensez par
vous-mêmes !
Librement
sien.
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