Conte de l'Avent
Ali
Gros Bras ... Et
les quarante haleurs.
Victor,
il est parfois amusant de puiser dans la tradition pour trouver une
nouvelle source d’inspiration, on appelle ça un pastiche. J’ai
repris le célèbre conte Arabe : Ali Baba et les quarante voleurs,
qui contrairement à ce qu’on affirme souvent ne fait pas partie
des contes des mille et une nuit pour évoquer un aspect de la marine
de Loire du temps où les hommes tiraient les bateaux de la berge
pour remonter le courant.
Il était une fois, une troupe de gaillards qui faisait métier de
haleurs. Ils tiraient des trains de bateaux lourdement chargés quand
le vent venait à manquer. C’était un travail difficile, pénible
et bien mal payé. Ils marchaient avec un harnais autour du buste
auquel était attaché une corde en chanvre, ils remplaçaient les
chevaux qui ne pouvaient être utiliser sur une rive trop
irrégulière. C’étaient eux les bêtes de somme (
animaux utilisés par les humains pour porter des charges lourdes)
Ali
est le chef d’une belle bande de gredins
(bandits), connue sur toute la rivière. Ali est très fort,
il a de gros muscles et tout le monde sur la Loire le surnomme Ali
Gros Bras ! Sa méchante troupe est composée de quarante costauds,
des hommes disposé à tous les mauvais coups avec leur chef.
Ali
déplore que les haleurs soient mal considérés. Ils ont intérêt à
se regrouper pour être respectés. Ali négocie seul le prix de la
course avec les marchands pour tous ses camarades. Il est dur en
affaires. Des dix huit livres, le prix habituel donné aux haleurs,
la bande obtint rapidement vingt livres et beaucoup plus pour le
voyage et bien des avantages lors des escales (les arrêts
prolongés durant le trajet).
Ali
et sa bande terrorise les braves gens. Ils dissuadent les mariniers
des sapines : ces bateaux qui font le voyage uniquement dans le sens
du courant avant d’être déchirés à Nantes (détruites
pour faire du bois de charpente et de chauffage) de se louer à la
bricole (halage) pour leur retour à pied. Sur le chemin de
halage on croise ainsi des gens ayant une grosse bosse sur la tête
ou bien un œil au beurre noir.
Ali
et sa bande veulent profiter de leur avantage pour augmenter les
bénéficies. Ils montent un stratagème (un plan) pour se
faire plus d’argent encore. Qu’importe s’ils deviennent ainsi
des brigands de grand chemin, l’argent justifie souvent les
procédés les plus discutables.
Ali
Gros-Bras et ses quarante haleurs organisent un commerce plus
lucratif (qui rapporte plus) . Comme il ne fallait qu’une
trentaine d’hommes pour remonter un train de bateaux (convoi
de plusieurs bateaux accrochés les uns aux autres à la queue
leu-leu) . Le chef ingénieux occupe les bras inutiles à une besogne
parfaite pour s'enrichir.
Quand
le train de bateaux que la bande tire transporte de quoi attiser
les convoitises (donner
envie), la troupe s'arrange pour être là au bon moment. Elle
emporte le contrat faute de rivaux et prépare son larcin
(vol) . Les haleurs inoccupés prenent les devants pour planter dans
la Loire des « rotrous » ; ces bâtons de marine
ou bourdes, cassés en « bournayant » (manœuvre qui
consiste à planter un baton dans l’eau pour modifier la
trajectoire du bateau) fichés solidement dans le sable. Bien sûr,
ils cassaient eux-même de jolis bâtons bien solides et les
plantaient au milieu du chenal (partie navigable) . Ils
dépassaient à peine, étaient assez aiguisés pour faire grands
dégâts dans une coque de navire
À
proximité de la zone piégée par leurs collègues, les haleurs
accélèrent le pas pour donner vitesse et force au convoi. Quand
tout se déroule suivant leur plan, le bateau de tête vient se
déchirer sur le piège tendu. Le naufrage est inévitable. Les
haleurs se font sauveteurs, assomment maladroitement l'équipage et
emportent tout ce qui peut se revendre même après un bref passage
dans l'eau.
La
bande organise tout un réseau de charriots pour transporter son
butin dans une grotte creusée à même le tuffeau de Touraine
(pierre friable facile à travailler) . Ils conservent les objets
volés quelque temps à l'abri avant que d'en faire commerce
discrètement. Il y a en cet endroit un vrai trésor.
Hélas
pour Ali Gros-Bras et les siens, il y avait en ce temps-là une
marchandise qui demandait une surveillance très sévère. S'ils
mirent la main sur des cargaisons de sel, ce fut dans le même temps
ce qui les enrichit et les perdit. On ne touche pas impunément à ce
qui profite au roi ! Ils en feraient amèrement l'expérience. Tous
les gabelous (soldat du sel) de la rivière poursuivirent la
bande. Ils ne tardèrent pas à découvrir leur cachette
Lors d'un guet-apens organisé conjointement par les gabelous et les
dragons du roi, Ali Gros-Bras et sa troupe tombèrent dans une
souricière. La faute était trop grande et la colère des mariniers
tout comme celle de la justice était si forte, que la vilaine bande
ne devait en réchapper. C'est au bout d'une corde de chanvre qu'ils
achevèrent leur ultime voyage ; ils furent pendus comme cela se
faisait à l’époque.
Ali
Gros et ses quarante haleurs avaient terrorisé durant une brève
époque les bords de Loire. La paix put revenir sur cette belle
rivière. De cette triste histoire, mon brave Victor, on doit se
souvenir que désormais par superstition, marins et mariniers
cessèrent de faire des nœuds de pendus sur leurs bateaux et
passèrent maîtres dans l’art de faire des nœuds marins.
Pastichement
vôtre.
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