Conte de l'Avent
Tu
sais Pitchoune, il arrive parfois que la chance sourie à celui qui
la mérite vraiment. Il ne manque jamais alors de faire des envieux
et des jaloux. Parfois ceux-là veulent à leur tour tirer le bon
numéro. Il est rare cependant que la bonne fortune passe deux fois
dans les mêmes conditions. Écoute donc cette étrange histoire !
Il
était une fois un brave homme qui était si pauvre qu’il avait
toutes les peines du monde à nourrir sa famille. La vie l'avait fait
naître sans fortune. Il n’avait hérité que de la force de ses
bras, de son bon cœur et d'une vieille barque qu’à force
d’ingéniosité et de patience, il maintenait à flot.
Pour
gagner sa vie, il y avait la rivière. C'était une époque
poissonneuse. Sa pêche lui permettait surtout de nourrir les siens
tout en vendant ses poissons pour améliorer l’ordinaire. Sa barque
était pour lui un bien précieux, son outil de travail pour relever
quelques nasses et de faire de jolis coups de filets.
C'est
un matin de décembre, le jour de la saint Nicolas qu'il commit
l'étourderie de jeter sa vieille ancre toute rouillée à l'eau. La
veille, il avait défait la lourde chaîne pour ressouder un maillon
qui se défaisait. Pris par la nuit, il avait oublié de fixer
l'ancre à sa chaîne. Quand il s'aperçut de sa méprise, il était
trop tard, l'ancre était au fond de l’eau et sa barque allait
dériver vers les piles du pont.
Le
brave pêcheur, fou d’inquiétude ne savait pas nager, il voyait sa
dernière heure arriver. Il était aussi au désespoir car il n’avait
pas de quoi s’acheter une nouvelle ancre, pourtant indispensable à
son activité. Il se mit à implorer le bon Saint Nicolas, patron de
tous les gens qui vont sur l'eau et qui avait autrefois sauvé trois
enfants qui allaient être mangés par un ogre.
Pendant
qu’il priait avec ferveur, un vieillard surgit de nulle part, comme
par magie et, sans sembler peiner le moins du monde, plongea dans des
eaux glacés. Il remonta tendant au brave pêcheur une ancre
rutilante et argentée. L'homme dans sa barque semblait contrarié.
Il dit à celui qui était venu à son secours que ce n'était pas la
sienne, qu'il avait une ancre rouillée et toute cabossée.
Le
vieillard replongea dans la Loire pour remonter quelques instants
plus tard avec une ancre plus belle encore et cette fois dorée et
brillante. Le pêcheur répéta une fois encore sa plainte et son
refus d'accepter ce qui n'était pas à lui. Saint Nicolas, puisque
c'était lui qui était venu vers notre homme, plongea une dernière
fois et remonta avec la vieille ancre rouillée. Le pêcheur avait
enfin le sourire et se hâta d’accrocher l’ancre à sa chaîne
pour que sa barque cesse de dériver.
Saint
Nicolas le remercia de son honnêteté et lui fit cadeau des deux
premières ancres qu'il avait sorties de l'eau, l'une en argent et
l'autre en or. Le brave pêcheur vendit ce trésor et en reçut une
petite fortune. Il garda assez d'argent pour ne plus être inquiété
le reste de son âge et offrir un bel avenir à ses enfants. Il
n’oublia pas d’en donner une bonne part aux pauvres qui étaient
nombreux en ce temps lointain.
Notre
pêcheur eut la maladresse de raconter son aventure à un homme, un
client qui jusqu’alors, lui avait toujours marchandé le prix de
son poisson. L'homme était connu pour être pingre et hautain. En
d’autres circonstances, ce triste personnage ne lui aurait jamais
adressé la parole en dehors de leurs échanges commerciaux. Mais
cette fois, sa bonne fortune méritait sa considération.
Ayant
écouté l’aventure du pêcheur, le riche marchand se déguisa à
son tour en pauvre pêcheur pour aller, à bord d'une barque toute
vermoulue. Il avait dû emprunter hardes et embarcation à des
miséreux contre quelques pièces. Il avait dans l’idée de simuler
un naufrage pour que se reproduise le miracle du brave pêcheur.
Le
riche en habit de pauvre se mit à l'eau au même endroit où avait
eu lieu l'incroyable aventure du pêcheur et à son tour jeta dans
les flots une ancre qui n'était pas neuve. Il avait soigné tous les
détails pour tromper le bon Saint Nicolas ….
Sa
barque dérivant, il implora à son tour le grand Nicolas qui, malgré
l'étrange coïncidence, ne tarda pas à venir à son secours. Le
cupide expliqua sa maladresse et pria le saint homme de lui venir en
aide sinon il allait s'écraser sur les piles du pont. Nicolas
plongea immédiatement et remonta avec deux ancres : l'une en or
et l'autre en argent.
Le
marchand s'exclama que c'était pour lui jour de chance. Non
seulement, il retrouvait son ancre mais le pieux homme lui avait
retrouvé celle qu'il avait perdue l'année dernière ici même.
Nicolas, avec un étrange sourire, se félicita de ce curieux hasard
et disparut aussi mystérieusement qu'il était arrivé, n'attendant
pas des remerciements qui, de toute manière, ne lui auraient pas été
accordés.
Le
marchand cupide se frottait les mains tandis que sa barque prenait de
la vitesse et menaçait de s’écraser contre un pile du pont. Il
songea que pour éviter la catastrophe, il lui fallait prendre une
chaîne pour attacher une des deux ancres précieuses, quand il
découvrit que celle qu'il avait prise dans ses mains s’était
transformée en un vulgaire tas de sable argenté.
L'obstacle
s'approchait ; il lui fallait agir au plus vite. Il prit la
seconde, celle-ci devint poussière à son tour. Ce qu'il avait pris
pour de futures richesses n'étaient que sable et illusion. Cette
fois, une véritable prière monta de son désespoir …
Son
repentir arriva bien trop tard, la barque se fracassa et l'homme
tomba dans les flots tumultueux. Le vieux pêcheur qui avait suivi à
distance la mascarade, arriva assez vite pour repêcher le méchant
homme. Tout penaud celui-ci le remercia et une fois à terre s’en
retourna la tête basse sous les moqueries de tous ceux qui avaient
assisté à la farce.
Il
eut ensuite des revers de fortune, multiplia les mauvaises affaires
et se retrouva bientôt aussi pauvre que l’avait été autre fois
le pêcheur. Celui-ci eut pitié de lui et lui accorda tous les jours
un bol de soupe et un morceau de pain. Quant à lui donner de
l’argent, il n’en était pas question, la charité a des limites
et il n’est pas bon de venir en aide à celui qui a voulu tromper
le ciel.
Tu
vois Pitchoune, cette histoire porte les croyances d’autrefois,
elle met en scène Saint Nicolas. Elle a pourtant le mérite de nous
faire comprendre qu’il ne sert à rien d’envier son voisin. La
jalousie et la cupidité sont pourtant des défauts qui animent plus
que jamais les humains. Fais en sorte que jamais notre petit Victor
ne soit touché par ces affreux travers. Je compte sur toi pour qu’il
devienne un gars bien.
Moralement
vôtre.
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