samedi 9 décembre 2017

Les deux ancres …


Conte de l'Avent



Tu sais Pitchoune, il arrive parfois que la chance sourie à celui qui la mérite vraiment. Il ne manque jamais alors de faire des envieux et des jaloux. Parfois ceux-là veulent à leur tour tirer le bon numéro. Il est rare cependant que la bonne fortune passe deux fois dans les mêmes conditions. Écoute donc cette étrange histoire !

Il était une fois un brave homme qui était si pauvre qu’il avait toutes les peines du monde à nourrir sa famille. La vie l'avait fait naître sans fortune. Il n’avait hérité que de la force de ses bras, de son bon cœur et d'une vieille barque qu’à force d’ingéniosité et de patience, il maintenait à flot.

Pour gagner sa vie, il y avait la rivière. C'était une époque poissonneuse. Sa pêche lui permettait surtout de nourrir les siens tout en vendant ses poissons pour améliorer l’ordinaire. Sa barque était pour lui un bien précieux, son outil de travail pour relever quelques nasses et de faire de jolis coups de filets.

C'est un matin de décembre, le jour de la saint Nicolas qu'il commit l'étourderie de jeter sa vieille ancre toute rouillée à l'eau. La veille, il avait défait la lourde chaîne pour ressouder un maillon qui se défaisait. Pris par la nuit, il avait oublié de fixer l'ancre à sa chaîne. Quand il s'aperçut de sa méprise, il était trop tard, l'ancre était au fond de l’eau et sa barque allait dériver vers les piles du pont.

Le brave pêcheur, fou d’inquiétude ne savait pas nager, il voyait sa dernière heure arriver. Il était aussi au désespoir car il n’avait pas de quoi s’acheter une nouvelle ancre, pourtant indispensable à son activité. Il se mit à implorer le bon Saint Nicolas, patron de tous les gens qui vont sur l'eau et qui avait autrefois sauvé trois enfants qui allaient être mangés par un ogre.

Pendant qu’il priait avec ferveur, un vieillard surgit de nulle part, comme par magie et, sans sembler peiner le moins du monde, plongea dans des eaux glacés. Il remonta tendant au brave pêcheur une ancre rutilante et argentée. L'homme dans sa barque semblait contrarié. Il dit à celui qui était venu à son secours que ce n'était pas la sienne, qu'il avait une ancre rouillée et toute cabossée.

Le vieillard replongea dans la Loire pour remonter quelques instants plus tard avec une ancre plus belle encore et cette fois dorée et brillante. Le pêcheur répéta une fois encore sa plainte et son refus d'accepter ce qui n'était pas à lui. Saint Nicolas, puisque c'était lui qui était venu vers notre homme, plongea une dernière fois et remonta avec la vieille ancre rouillée. Le pêcheur avait enfin le sourire et se hâta d’accrocher l’ancre à sa chaîne pour que sa barque cesse de dériver.

Saint Nicolas le remercia de son honnêteté et lui fit cadeau des deux premières ancres qu'il avait sorties de l'eau, l'une en argent et l'autre en or. Le brave pêcheur vendit ce trésor et en reçut une petite fortune. Il garda assez d'argent pour ne plus être inquiété le reste de son âge et offrir un bel avenir à ses enfants. Il n’oublia pas d’en donner une bonne part aux pauvres qui étaient nombreux en ce temps lointain.

Notre pêcheur eut la maladresse de raconter son aventure à un homme, un client qui jusqu’alors, lui avait toujours marchandé le prix de son poisson. L'homme était connu pour être pingre et hautain. En d’autres circonstances, ce triste personnage ne lui aurait jamais adressé la parole en dehors de leurs échanges commerciaux. Mais cette fois, sa bonne fortune méritait sa considération.

Ayant écouté l’aventure du pêcheur, le riche marchand se déguisa à son tour en pauvre pêcheur pour aller, à bord d'une barque toute vermoulue. Il avait dû emprunter hardes et embarcation à des miséreux contre quelques pièces. Il avait dans l’idée de simuler un naufrage pour que se reproduise le miracle du brave pêcheur.

Le riche en habit de pauvre se mit à l'eau au même endroit où avait eu lieu l'incroyable aventure du pêcheur et à son tour jeta dans les flots une ancre qui n'était pas neuve. Il avait soigné tous les détails pour tromper le bon Saint Nicolas ….

Sa barque dérivant, il implora à son tour le grand Nicolas qui, malgré l'étrange coïncidence, ne tarda pas à venir à son secours. Le cupide expliqua sa maladresse et pria le saint homme de lui venir en aide sinon il allait s'écraser sur les piles du pont. Nicolas plongea immédiatement et remonta avec deux ancres : l'une en or et l'autre en argent.

Le marchand s'exclama que c'était pour lui jour de chance. Non seulement, il retrouvait son ancre mais le pieux homme lui avait retrouvé celle qu'il avait perdue l'année dernière ici même. Nicolas, avec un étrange sourire, se félicita de ce curieux hasard et disparut aussi mystérieusement qu'il était arrivé, n'attendant pas des remerciements qui, de toute manière, ne lui auraient pas été accordés.

Le marchand cupide se frottait les mains tandis que sa barque prenait de la vitesse et menaçait de s’écraser contre un pile du pont. Il songea que pour éviter la catastrophe, il lui fallait prendre une chaîne pour attacher une des deux ancres précieuses, quand il découvrit que celle qu'il avait prise dans ses mains s’était transformée en un vulgaire tas de sable argenté.

L'obstacle s'approchait ; il lui fallait agir au plus vite. Il prit la seconde, celle-ci devint poussière à son tour. Ce qu'il avait pris pour de futures richesses n'étaient que sable et illusion. Cette fois, une véritable prière monta de son désespoir …

Son repentir arriva bien trop tard, la barque se fracassa et l'homme tomba dans les flots tumultueux. Le vieux pêcheur qui avait suivi à distance la mascarade, arriva assez vite pour repêcher le méchant homme. Tout penaud celui-ci le remercia et une fois à terre s’en retourna la tête basse sous les moqueries de tous ceux qui avaient assisté à la farce.

Il eut ensuite des revers de fortune, multiplia les mauvaises affaires et se retrouva bientôt aussi pauvre que l’avait été autre fois le pêcheur. Celui-ci eut pitié de lui et lui accorda tous les jours un bol de soupe et un morceau de pain. Quant à lui donner de l’argent, il n’en était pas question, la charité a des limites et il n’est pas bon de venir en aide à celui qui a voulu tromper le ciel.

Tu vois Pitchoune, cette histoire porte les croyances d’autrefois, elle met en scène Saint Nicolas. Elle a pourtant le mérite de nous faire comprendre qu’il ne sert à rien d’envier son voisin. La jalousie et la cupidité sont pourtant des défauts qui animent plus que jamais les humains. Fais en sorte que jamais notre petit Victor ne soit touché par ces affreux travers. Je compte sur toi pour qu’il devienne un gars bien.

Moralement vôtre.

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