Conte de l'Avent pour leur mettre la puce à l’oreille
Mon
petit Pitchoune, c’est bientôt Noël, la merveilleuse fête des
enfants, le temps des cadeaux qui arrivent du ciel. Prends bien garde
de ne pas te laisser emporter par le flot des présents, l’avalanche
des propositions, le climat absurde qui entoure une célébration qui
a perdu toute mesure. Écoute bien cette histoire, elle te mettra
peut-être la puce à l'oreille. Tu sais, dans le monde des adultes,
les bons sentiments ne sont jamais gratuits !
Il
était une fois un vieux bonhomme habillé de rouge à qui l’on
avait donné mission de réjouir les enfants. Au tout début, il
avait pris le relais du bon Saint Nicolas, un autre gentil
personnage, généreux et prodigue qui avait l’incroyable défaut
d’être flanqué du père Fouettard, son homologue qui venait punir
les enfants qui n’avaient pas été sages.
Ceux
qui tiraient les ficelles de la fête désiraient abandonner l’idée
de la contrepartie. Point de conditions pour accorder tout ce qu’ils
désirent à des enfants devenus roi de ce Monde. Le père Noël
obtint l’exclusivité et dut se mettre au travail pour réussir sa
tournée. Au début, c’était assez facile, la hotte avait une
taille raisonnable, les enfants se contentaient d’un seul jouet et
ils étaient heureux.
Puis,
le volume transporté augmentant de manière incroyable, le brave
vieux dut faire appel à une armée de suppléants pour servir tous
les gamins en temps et en heure. Le petit personnel ne manquait pas :
pour un travail saisonnier, il est facile de trouver des volontaires,
d’autant qu’ils se voyaient tous remettre un habit fort seyant
qui ne passait pas inaperçu.
Les
choses se gâtèrent quand l’homme à la pelisse rouge dut établir
des contrats d’intérim durant tout le mois de décembre. On le
réclamait partout, pour une animation, un défilé, des
photographies, des opérations de promotion, une balade sur la Loire.
Il avait beau déléguer, il ne savait plus où donner de la barbe
blanche. C’était l’enfer !
Pire
que tout, il lui fallut installer un immense élevage de rennes dans
sa Scandinavie lointaine. Non seulement, il lui fallait régler
l’approvisionnement en fourrage tout l’hiver mais en plus, il y
avait des problèmes sanitaires qui se firent jour dans son écurie.
Hélas pour lui, le cahier des charges était formel, la livraison
devait avoir lieu par traîneaux magiques tirés par des cervidés au
risque de se trouver attaquée pour concurrence déloyale par les
différentes messageries à commencer par Chronopost, très
sourcilleuse sur ce dossier.
C’est
ainsi qu’il se trouva aux prises avec une pandémie de puces ; le
renne était un terrain d’accueil particulier apprécié par ces
parasites. Au début, personne n’y prit garde à commencer par
notre vieillard cacochyme, chaque expédition risquait pourtant
d’être contaminée. Petit à petit, le phénomène s’amplifia,
et les puces s’insinuaient dans presque tous les cadeaux.
On
n’avait pas perçu les risques induits par cette intrusion
insidieuse. Les puces se firent chevaux de Troie, elles envahirent
nos maisons, s’installèrent dans presque tous les éléments de la
demeure : téléphones, télévision, aspirateur, jouets, robots,
ordinateurs, livres pour enfants, tablettes étaient contaminés. Les
maisons étaient entrées dans l’ère de la domotique.
Le
père Noël et ses complices savaient tout ce qu'il se passait, se
vivait dans les familles. Pire même, ils anticipaient désormais les
désirs, connaissaient les envies, n’avaient plus besoin de
recevoir la fameuse lettre au Père Noël. Les consciences étaient
sous contrôle, les loisirs régentés, les activités humaines sous
surveillance. Le système était si parfait que le Père Noël se dit
que le prochain Noël serait le dernier de la vieille procédure.
L’année
prochaine, il abandonnera les rennes dans la forêt norvégienne, il
cessera d’employer des partenaires, il gérera sa prochaine
distribution de manière totalement numérique. La planète entière
est sous son contrôle. Il a même obtenu les numéros des cartes
bancaires des parents : désormais, il prélève le montant des
jouets sans en avertir les pauvres gens. Noël devient pour eux une
charge financière énorme, une dépense inconsidérée qui met en
danger le budget familial.
Les
enfants, inconscients des enjeux économiques, continuent d’exiger
toujours plus. Ils ignorent ce qu'il se trame : personne n’ose
leur expliquer la nouvelle donne économique de cette fête devenue
folle. Je brise ici la loi du silence pour vous avertir d’exercer
la plus grande vigilance s'il en est encore temps. Vos parents sont
débordés, dépassés, incapables de percevoir le danger.
Exigez,
puisque vous êtes les rois de la fête, l’anéantissement des
puces, débarrassez vos chambres et même les maisons, de ces espions
à la solde d’un vieux bonhomme qui a vendu son âme au diable.
Réclamez des jouets traditionnels, des jouets qui ne vont pas tomber
en panne avant le prochain Noël sous les ordres de puces maléfiques.
Retrouvez la mesure et les objets simples sans informatique.
N’oubliez
pas que l’affreux bonhomme a désormais le code bancaire de vos
parents ; il vous pousse à en demander toujours plus pour
engraisser la compagnie de ses innombrables complices.C’est à vous
de revenir à la raison ! Seuls les enfants en sont capables. Je
compte sur vous ; la magie de Noël n’a pas besoin de puces et
de montagnes de jouets qui seront vite délaissés. Noël se passe
dans les cœurs, vous en avez un plus gros que vos parents.
Cervidément
sien.
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