vendredi 8 décembre 2017

Sous le sabot d'un cheval …



Conte à rebours



Vous autres les enfants, vous pensez naïvement que les contes sont toujours porteurs de la même morale. Il se peut pourtant que la vie propose des surprises et ne se contente pas de la belle bergère et du prince charmant. Pitchoune, tu expliqueras à Victor que l’existence ce n’est pas souvent comme les histoires du monde merveilleux de Disney.

Il était une fois une très vieille femme, ni reine, ni belle, ni riche, ni douée de pouvoirs magiques. Elle allait par les chemins confectionner des brassées de luzerne pour les lapins, des fagots pour le feu, des bouquets de fleurs sauvages pour les donner à qui les lui demandait. Elle était courbée par l'effort, tremblante et fragile. Elle n'avait ni amis ni famille et la vie, pour elle, s'achevait dans la peine et la misère.

Il était aussi un vieil homme, ni prince, ni fort, ni particulièrement adroit, ni même capable de prodiges. Il vivait de rapines, détroussait un peu les gens de bien, blasphémait plus souvent qu'à son tour et avait la fâcheuse manie de mentir plus encore qu'un arracheur de dents. Il buvait au-delà du raisonnable, sentait mauvais des pieds et de la bouche. Sa vie s’achevait ainsi dans la débauche, la malhonnêteté et la crasse.

Voilà deux personnages qui sont habituellement les comparses des contes ordinaires. La vieille avait tout d’une sorcière ; elle avait été belle, mais c’était il y a si longtemps. Les malheurs qui s’étaient abattus sur elle l’avaient rendue ainsi. Le vieux était pire qu’un démon : personnage rebutant, il était de ceux qu’on qualifie de gibier de potence, un gredin qu’il est préférable d’éviter.

C'est avec eux pourtant qu'il me faut poursuivre le récit. Le métier de conteur n'est pas simple dans pareil cas ; vous qui m’écoutez, vous ne pourrez vous identifier à ces deux curieux héros. Mais la vie est ainsi faite que la beauté et la jeunesse passent et que la richesse n’est pas promise à tout le monde. Ne pas l’accepter, c’est se préparer à bien des déboires !
Madeleine, la vieille, était d’une immense gentillesse. Vous pouviez toquer à sa porte, elle vous gratifiait toujours d’un sourire et d’un petit gâteau. Quant au vieux Gaston, ses turpitudes l’avaient conduit sur le mauvais chemin. Les uns appellent cela destinée, d'autres la loterie de la vie. N’oubliez pourtant pas que c’est votre libre arbitre qui vous fera choisir votre avenir, même si le sort ne vous est pas favorable ; il vous appartiendra toujours de choisir le droit chemin.

C'est le vieux Gaston qui, un jour, trouva sous le sabot d'un cheval, un fer en or, incrusté de diamants. Quand la fortune vous sourit soudainement alors que, depuis si longtemps, elle vous avait tourné le dos, il arrive parfois qu'elle trouble la tête et déstabilise le plus solide des coquins. Le vieux ne sut que faire de ce présent de la bonne fortune. Il en était gêné et même, il faut l'avouer, quelque peu surpris par ce qu'il lui arrivait au crépuscule de sa vie, d’autant qu’il ne méritait nullement pareil cadeau de la chance.

Lui qui avait passé une bonne partie de son existence à couper les jarrets et vider des bourses jamais très opulentes, se retrouvait soudainement avec un trésor pour lequel il n'avait commis aucun forfait, pas la plus petite mauvaise action. Il y avait de quoi y perdre la face et mourir -ce qui ne saurait tarder pour lui-en odeur d'honorabilité et cela, il s'y refusait catégoriquement. Il tenait à garder sa mauvaise réputation !

Il n'était plus temps pour lui de jouir de cette offrande magique. Les carottes étaient cuites : la mort lui tendait les bras, il le savait. Il se souvint alors, qu'autrefois, il avait été marié avec une brave femme. Il l’avait rendue si malheureuse, qu'elle avait fini par le mettre à la porte. Les coups, les rebuffades, les humiliations avaient eu raison de la patience de Madeleine. Gaston, alors dans la force de l'âge, sans aucun scrupule, avait abandonné sa femme sans lui laisser de quoi vivre.

Gaston prit alors la seule bonne décision de son existence. Sa brave Madeleine, c’est à elle qu’il ferait ce cadeau, lui offrirait ce trésor pour le prix de tout le mal qu’il lui avait fait. Appelons ça le remords , le repentir ou bien le réveil de la conscience… qu'importe, le vieux se mit en route pour retrouver sa femme et lui demander pardon.

Madeleine n'avait pas bougé ; elle était restée dans ce qui leur servait de demeure : une humble masure, pauvre maisonnette ouverte à tous les vents, qui tenait encore debout par miracle. Madeleine avait supporté ces années de solitude sans jamais se plaindre, sans tendre la main devant les beaux messieurs et les belles dames. Elle n’avait jamais dit de mal du méchant Gaston qui l’avait abandonnée.

Quand elle le vit arriver au loin, vieilli tout comme elle, misérable plus encore par son apparence que par son âme, Madeleine eut pitié. Elle ignorait sans doute que son état à elle, était plus misérable encore, que sa santé pâtissait encore des coups, assénés autrefois par le méchant qui avait vécu à ses côtés. Madeleine devait avoir encore un peu d'affection pour celui qu'elle avait choisi en dépit des avertissements de tous les siens.

Gaston approcha et, sans un mot, tendit le fer à cheval incrusté de diamants à la vieille femme. Il s'en alla aussitôt sans se retourner, en fuyant au plus vite ce lieu chargé de tant de souvenirs. Madeleine ne s'y trompait pas ; elle voyait ses épaules se soulever, ses mains se porter à son visage. Le Gaston, cet homme dur, pleurait. C'était là, la première véritable marque d'affection qu'il lui eût jamais montrée. Il était bien tard !

L'homme marcha longtemps ainsi, le corps agité d’une convulsion étrange que provoque le chagrin. Madeleine le suivait des yeux ; elle n'en revenait pas qu'il puisse ainsi marquer sa compassion, exprimer son repentir sur la fin de sa vie. Elle ne croyait pas si bien dire : tout au bout du chemin, le Gaston s'effondra, foudroyé par la mort qui avait attendu son heure.

Le bandit, le pitoyable chenapan, était passé de vie à trépas après sa seule bonne action. Il n'eut pourtant pas d'enterrement à l'église : le curé avait refusé la sépulture chrétienne à ce mécréant notoire, ce triste sire, ce maudit gredin ! Madeleine ne s'en offusqua guère, elle savait que son homme n'avait eu que la monnaie de toutes les pièces volées au cours de son existence lamentable.

Le fer à cheval incrusté de diamants lui brûlait les doigts. C'était le cadeau du Diable, la tentation du Malin. Il était trop tard pour elle aussi ! Profiter d'une richesse tardive, d'un mieux-être qui la tuerait à coup sûr, à quoi bon ? Elle se mit en chemin pour aller trouver dans la grande ville voisine un jeune couple qui ressemblerait au sien à l'époque.

Elle observa longuement les comportements des uns et des autres, de ceux qui vivaient à la lisière de la grande ville. Elle remarqua un homme qui ressemblait à son Gaston quand il était jeune. Il buvait tout comme lui, avait la main leste et le verbe haut. Sa femme était encore belle : elle n'avait pas subi les outrages de cette vie de chien qui allait bientôt faner sa beauté.

Madeleine s'approcha et sans rien dire, elle aussi, fit offrande de ce trésor mystérieux. Elle partit courbée mais heureuse. Si ses épaules se secouaient elles aussi, c'était de rire. Elle venait de sortir ce couple des griffes d’un destin tragique. Elle lui permettait une vie plus belle que celle qu’elle avait connue avec son Gaston. Laissons-la à ses illusions : l'argent ne fait ni le bonheur ni les honnêtes gens.

Quand elle arriva dans sa masure, elle se coucha. Elle était lasse, fatiguée comme jamais. Elle sentit le poids des années sur ses épaules et dans son cœur. Elle pensa que son heure était venue. Elle ferma les yeux ; elle s'abandonnait à cette fin qui était toute proche, elle en était certaine … Quand elle se réveilla, elle sentit une présence à ses côtés. Elle s'étonna, tâta ce corps robuste et ferme qui reposait là. Elle ouvrit les yeux. Son Gaston d’antan ! C’était bien le gars qui lui avait tant plu autrefois. Il était juste à côté d'elle, jeune et beau et gentil. Il lui soufflait des mots d'amour dans l'oreille, lui promettant de l'aimer toute sa vie. Madeleine vit alors son reflet dans le petit miroir de la chambre.

Elle aussi avait retrouvé son apparence d'alors. Elle était plus belle même ; c'est du moins ce qu'il lui sembla dans ce vieux miroir dépoli. Sur la table de la cuisine, trois fers à chevaux, incrustés de diamants, étaient posés et, s'enfuyant par la cheminée, un drôle de personnage : un Bonimenteur qui lui fit un clin d'œil avant de disparaître. Il sera une fois, un couple de braves gens qui allaient vivre heureux une autre vie. Ils l'avaient bien méritée ; la première avait été épouvantable.

Réincarnement leur.

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