jeudi 16 mai 2024

Des gammes avec des mots.

 

L'écrit vain





Une douce assuétude, une folie furieuse, l'hypertrophie verbale d'un bouffon pitoyable, délire grapho-maniaque, chacun y ira de son appréciation pour qualifier ces bouteilles de l'amer jetées sur la vague ainsi chaque jour, depuis treize longues années. Un pensum ou une œuvre de l'éphémère et du fongible, libre à vous de juger ou d'ignorer ces écrits qui ne cherchent même plus à se graver dans le marbre ou sous le plomb d'une presse.


Chaque matin, tandis que le soleil ne cherche pas encore à percer les mystères qui l'attendent, un mot, une expression, une anecdote, glanés ici ou là s'afficheront en haut d'une page blanche. D'eux, naîtront une succession de phrases, de paragraphes qui scandent le rythme d'une pensée vagabonde. Le titre suffit à déclencher un processus qui du reste n'a guère d'importance.


Il vient parfois d'un poste de radio qui fonctionne en sourdine, qui sans le vouloir, ouvre la voie pour quelques minutes de divagation. Bien souvent, le texte n'aura strictement aucune relation avec la chronique radiophonique. Parfois tout au contraire, les inepties habituelles de la classe politique déclenchent une avalanche de mots incontrôlées.


À d'autres moments, la nuit a porté conseil. Un scénario s'est construit, boutant le sommeil exigeant alors, séance tenante, de mettre en route la machine à conte. Ce matin-là, le temps prendra une toute autre dimension, donnant toute la priorité à cette fiction du petit matin. L'intrigue ou simplement la narration se glissent ainsi entre des lignes qui se laissent elle-même surprendre par le flot de l'imaginaire.


Quoiqu'il en soit, l'urgence est grande de boucler la page, de remplir cette mission absurde que je me suis assignée et qui prend désormais toute la place. C'est seulement au point final que je peux envisager de reprendre une vie ordinaire quoique cet adjectif ne correspond guère aux curieuses habitudes de votre serviteur.


Il se peut qu'en me rasant ou bien en faisant un séjour sur ma chaise percée (éternelle source d'inspiration) une autre idée germe, devant cette fois une tentative illusoire de chanson, une faribole ou bien un poème de mirliton. Le cycle infernal reprend jusqu'à en oublier les impératifs du quotidien.


Ne pensez pas que j'en ai alors terminé avec ce travail de forçat. L'enregistrement presque quotidien pour mon heure d'émission hebdomadaire sur Ondes Bleues la Radio prend le relais. Il exige lui aussi beaucoup de temps, les mots s'ils se bousculent pour mon plus grand plaisir sur la feuille, en font tout autant dans ma bouche, se permettant même quelques facéties qui imposeront de nombreuses retouches.


Tous ces écrits vains m'accompagnent, m'obsèdent, me coupent sans doute de la vie réelle. Soyez donc indulgents en découvrant au hasard de votre pérégrination sur les réseaux, ces bouteilles à la mer ou bien à la Loire qui n'ont d'autre ambition que de vous faire passer un petit moment, si vous appartenez encore à cette catégorie en voie de disparition : le lecteur de fond.


Je dois vous avouer qu'il y a un impératif incontournable pour cet exercice matutinal. Atteindre le bas de la page sans déroger à la taille de la police. C'est cette longueur qui décourage les adeptes du texte court, des SMS ou autres messages incertains. Je me persuade que de toute façon, nous n'avons rien à lire.


Voyant le pied de page se profiler, le plus délicat est de trouver une chute, une pirouette qui tiendra la route. C'est hélas souvent mission impossible, l'écrit vain n'ayant pas toujours le sens de la formule. Les points de suspension viennent alors à mon secours, confiant la tâche, à ce lecteur hypothétique qui parviendra jusque là …


 



mercredi 15 mai 2024

Le mot de la fin.

 

La mort du temps !





En ce jour funeste, le verdict venait de tomber : la cour, conjuguant ses efforts, a décidé de tuer le temps. La décision s’impose à tous ; l’accusé est passé de mode : il a fait son temps. Il n’y a plus à revenir sur la chose :  «  Ô temps, suspends ton vol ! » aurait pu déclamer le bourreau, chargé d’ouvrir la trappe sous celui qui avait tant ponctué nos existences. Le temps révolu, il n’y avait plus aucun espoir d’envisager l’avenir, de considérer le présent et de se souvenir du passé. L'exécution à venir allait saper les bases de notre société. Mais revenons quelques instants, s’il en est encore temps, sur cette ultime page de notre histoire...


Mis au ban des accusés, pour sa défense, le temps avait présenté des arguments bien dérisoires. Son bilan était si médiocre que les jurés ne prirent pas pour argent comptant ces arguties d’une autre époque. Le temps avait bégayé, avait répété sans cesse les mêmes propos qui avaient fini par lasser l’assistance et la cour. Il revenait toujours au même point, semblant ne pas parvenir à développer sa rhétorique. Sa pensée s’ensablait dans les méandres d’une mémoire défaillante et ses arguments étaient devenus obsolètes.


L’accusation quant à elle, s’étaient montrée impitoyable.  «  Le temps nous a leurrés en prenant ses désirs pour des réalités. Le temps tourne en boucle, son cycle quotidien manque de ressort, il n’a pas réagi quand les hommes ont voulu remonter son cours. Le temps s’est étalé, sans pudeur, sans retenue. Un grain de sable étant venu s'immiscer dans son immuable répétition. Le temps refuse de regarder en arrière et fait obstacle à ceux qui veulent aller de l’avant. Il s’est fourvoyé quand il a abandonné ses aiguilles pour l’affichage numérique.»


Des experts vinrent témoigner de sa vacuité.  «  Le temps dessert les hommes, les force à courir après lui, leur impose des cadences infernales. Le temps est impitoyable pour ceux qui en manquent, bien trop généreux pour ceux qui n’ont pas la nécessité de le mesurer. Pire que tout, le temps se monnaie, fixe un barème pour son usage. Il se vend au plus offrant et ne se donne qu’à notre dernière heure ! »


Des témoins de moralité, avec empressement, osèrent affirmer que tout est relatif, que le temps dépend de notre perception des choses, qu’il ne sert à rien de l’accuser de tous nos maux. Le temps ne serait ainsi que la malheureuse victime de nos faiblesses. Quand nous prenons plaisir, nous l'abolissons, dans l’ennui, nous ne cessons de l’étirer sans fin pour prétendre avec une parfaite mauvaise foi qu’il a fini par s’arrêter.


« C’est justement le problème avec le temps : il veut toujours avoir le mot de la fin , rétorqua l’un de ses plus virulents pourfendeurs. Le temps est fondamentalement mauvais, surtout quand il est pourri ou qu’il se fait maussade. Le temps joue sur nos nerfs et affecte notre moral, fait pleuvoir des calamités sur nos têtes ». La charge était terrible mais le pauvre homme s’était trompé de temps ! Il était fait comme une grenouille dans son bocal …


« Le temps n’a jamais fait la pluie et le beau temps, répliqua, cinglant, l’avocat de la défense en une tirade dont il avait le secret. Le temps ne se mesure pas, il s’égraine, il file entre les doigts. Ne pensez pas le tuer avant de l’avoir attrapé ; ce serait encore une fois se jouer d’une illusion éternelle. Le temps est intemporel et c’est bien ce qui vous met en rage. Il se conjugue en se passant des modes et des accords !»


Malgré le talent de l’orateur le verdict tomba sans appel. Le temps était condamné ; il fallait le tuer sans autre forme de procès. Le temps ne pouvait faire appel ; sa dernière heure avait sonné et la sentence devait s’appliquer dans l’instant. Mais comment déterminer l’ultime seconde en l’absence de la collaboration de la victime ? Le temps n’avait pas l’intention de se laisser tuer sans abattre sa dernière carte.


Et voici que le temps, en un ultime soubresaut, abolit l’espace en même temps que sa propre existence. Les aiguilles s’étaient arrêtées, le tribunal disparaissait dans les limbes en un éclair fulgurant ; la fin des temps venait de s’opérer. Le temps avait échappé à la folie des hommes en se sabordant en un geste sublime. Ceux qui avaient voulu le plier à leurs désirs venaient de se perdre à tout jamais. Le temps sortait triomphant, du moins le pensait-il. Mais bien vite, il déchanta ! Sans les hommes, qui pouvait bien encore accorder la plus petite importance à son existence, égrainer des minutes qui se perdaient dans le vide ?


Le temps était de la revue. Il s’était pendu au balancier d’une franc-comtoise qui lui avait mis ses plombs dans la tête. L’anéantissement de l’humanité fut son coup de grâce. Le temps avait commis sa plus grande bourde et le glas qui sonnait au loin annonçait la nuit des temps. Finalement, Dieu ne vit pas d’un très bon œil cet ultime geste de désespoir. Sa créature la plus aboutie venait de lui faire faux bond. Le tout puissant était bien décidé à remettre les pendules à l’heure mais le jour suivant ne se leva jamais. Un vide céleste l’avait remplacé.


L’enfer aurait pu ouvrir grand ses portes. Il y aurait foule à prétendre se réchauffer à ses flammes pour l'éternité. Hélas, là aussi, tout n’était plus que poussière : le temps anéanti, plus rien de ce qui avait été ne pouvait désormais subsister. Ce récit ne parviendra jamais à son terme, le temps manquait dorénavant pour se payer le luxe d’un point final...


 


mardi 14 mai 2024

Les pommes d'amour

 

Les pommes d'amour





À l'automne nous attendons

Des pommes, la récolte

Pour la belle cargaison

Les femmes s'feront accortes


Nos épouses, toute l'année

Restent seules à la maison

Pour cette belle équipée

Elles seront nos compagnons


À la grande capitale

Nous allons par la rivière

De Montjean jusqu'au canal

Pour une aventure cavalière


À Orléans nous quittons

La belle dame Liger

Pour emprunter sans façon

La voie d'eau ordinaire


Faisons escale à Grignon

Merveilleux port du canal

Un écrin vraiment trognon

Pour escapade loin du Val


Par la forêt nous gagnons

Montargis puis le Loing

La Seine et ses ponts

Paris n'est pas si loin


Pour les dames ce voyage

Sans soucis du quotidien

Est belle fête volage

Qui leur fait grand bien


Elles oublient les privations

En faisant des emplettes

Dépensent à profusion

Tout l''argent des reinettes


Elles nous rendent ce bonheur

En sourires et baisers

Qu'elles nous font à toute heure

De la plaisante équipée


Le retour est si joyeux

Qu'il passe bien trop vite

Et nous sommes malheureux

Qu'au pays elles nous quittent


À l'automne, nous transportons

Un joli fruit défendu

À Paris nous célébrons

Le pêché et ses vertus



 

Le conte
 



lundi 13 mai 2024

Guinguette au bord de l'eau

 

Guinguette





Quatre planches et un toit

Un joli p'tit abri

Rien que pour vos émois

Jusqu'au bout de la nuit


Le plaisir de l'instant

Sous la voute étoilée

Rendez-vous des amants

Et des cœurs délaissés


Lové au bord de l'eau

Un délicat écrin

Un joli caboulot

La guinguette du coin


Quelques tables bancales

Des tabourets en bois

La musique pour le bal

Un loisir qui se boit


Le temps s'est mis au beau

La fête bat son plein

La vie nous fait cadeau

D'un merveilleux refrain


®


Un trouvère égaré

Vous invite à le suivre

Dans un monde enchanté

Qu'ici il vous livre


À la fin du dîner

Il vous tend son chapeau

Quémandant un denier

Qui remplace vos bravos


®


Pour qui l'a écouté

L'offrande s'impose

Quand beaucoup ont boudé

Celui qui indispose


Héritant du mépris

Mêlé de quolibets

Il s'en va démuni

Vers un autre troquet


®


Les noceurs trop bruyants

Ne l'ont pas écouté

Rien n'est plus important

Que leur seule volupté


Et la note à payer

Mon dieu que c'est triste

Sera celle du caf'tier

Tant pis pour l'artiste


®


Si le client est roi

Par delà l'addition

On s'demande de quoi

C'est bien là la question


La guinguette n'est plus

Ce doux lieu de plaisir

Y'a tant de malotrus

Qui n'y font que rugir



Posé au bord de l'eau

Un vulgaire cabouin

Un simple bistrot

La bouiboui des gredins


 



La guinguette n'est plus

Ce doux lieu de plaisir

Y'a tant de malotrus

Qui n'y font que rugir


Si le client est roi

Par delà l'addition

On s'demande de quoi

C'est bien là la question




La belle ritournelle que voilà

 

Un refrain





Ritournelle ou bien rengaine, il revenait sans cesse dans les chansons qui nous ont laissé une trace profonde en mémoire. Il est alors cette petite bouée qui permet de s'accrocher à un flot de paroles dont les moins attentifs finissaient par perdre le fil. C'est ainsi que par le cœur ou pour le chœur, il constituait une étape, une escale bienveillante pour continuer le chemin.


Bien des refrains nous trottent encore dans la tête sans que nous puissions les prolonger par des couplets qui au fil du temps se sont estompés, effacés ou bien perdus dans les abysses de nos mémoires. Pourtant, rien que par leur merveilleux truchement, des images reviennent à la surface, des moments agréables, des personnes aimées.


Le refrain, fidèle à son étymologie, fait réfraction dans la pensée. Par sa seule évocation, par son retour à la surface, il dévie la lumière présente pour nous plonger dans le passé. Il est porteur de bien plus d'images et de sens que les modestes mots qu'il met en musique. C'est un retour en arrière, l'abolition du temps qui passe. En cela, il fait un bien fou.


Il a aussi le privilège d'être un marqueur générationnel ou social. Les refrains qui sont partagés vous situent dans une histoire, une forme de caste musicale, de clan s'ils échappent aux succès que les radios d'alors matraquaient sans modération. Même cela du reste, en dépit de l'ironie que nous pouvons placer en eux, sont évocateurs et bienfaisants.


Le refrain est en voie de disparition. La nouvelle chanson française semble ne pas avoir l'oreille à ce leitmotiv qui revient de temps à autre à moins de choisir un mot ou une strophe pour la faire tourner en boucle à l'infini. C'est alors la forme caricaturale du refrain, celle qui renvoie à une autre valeur et au dégoût ou à la répugnance.

Pourtant, rien de plus agréable il me semble que d'écrire une chanson quand justement, c'est le refrain qui vous vient à l'esprit, qui donne le tempo et le point de départ d'une suite de couplets qui vont se faire un malin plaisir à l'éclairer plus encore. Pour ma part, c'est ainsi que sont nés les quelques textes que je qualifierais sans honte de populaires même si leur diffusion resta largement confidentielle.


Je risque le ridicule de vous citer des refrains qui ne sont jamais arrivés jusqu'à vos oreilles, mais qu'importe, ce sera l'occasion de vous les donner à découvrir grâce à ceux qui les ont mis en musique avant de me faire le cadeau de les interpréter. Le premier d'entre eux fut celui-ci qui continue de naviguer dans quelques mémoires ligériennes…


« J'ai posé ma guitare sur le fil de l'eau

J'en ai fait une gabarre qui emporte les mots. »


C'est du reste la seule chanson qui eut droit à une radio nationale. Pour un coup d'essai ce fut un coup de maître tout autant qu'un coup de rame dans l'eau.


Mes refrains d'alors se firent un malin plaisir à se faire interrogatifs. Ils formèrent ainsi une petite série que j'ai cru bon interrompre pour qu'on ne se pose pas trop de questions sur mon compte.

Où vas-tu marinier

En si bel équipage ?

Où vas-tu naviguer

Loin de ce beau rivage ?


Celui-ci fut alors complété par la plume de celui qui allait en faire une tout autre version puisque la chanson doit rester un corps vivant qui mue parfois au fil du temps. Le refrain prit alors de la bouteille et une forme plus élaborée.


Où vas-tu marinier

En si bel équipage ?

Où vas-tu naviguer

Loin de ce beau rivage ?

Toi qui as mariné

Depuis ton plus jeune âge

Rêvais à d'autres quais

Pour poser tes amarres



Un autre refrain n'a pas transformé son apparence quand il a changé de bouche. C'est donc qu'il se laissait boire sans difficulté et que nous pouvons trinquer sans difficulté avec une autre mélodie.


Que bois-tu Chalandier ?

Ton verre est tout vidé

Quel est ce doux délice

Qui te met en supplice ?


Certes la littérature ne s'en trouvera pas bouleversée et cette chanson à boire n'eut jamais le privilège de vous saouler sur les ondes. Qu'importe, quand le vin est tiré, il faut le boire !


Restons dans un domaine qui ne connaît ni la modération ni la tempérance avec un refrain qui ne cassa peut-être pas trois pattes à un canard pour la simple raison que j'évitais soigneusement de la chanter.


Tout en sifflant une bouteille

J'imagine des merveilles

Tout en vidant une chopine

Je taquine ses copines

Tout en trinquant à ta santé

Je déguste à pleine lampées

Ce nectar magnifique

Tout droit sorti d'une barrique



Après cette tournée je pris bien garde de ne pas multiplier les rimes me contentant pour les couplets de rimer avec bouchon et délice pour assouvir mon vice avec mes compagnons.


Enfin, je clos cet immodeste billet en reprenant le refrain qui me vint spontanément à l'esprit en voyant des carcasses de navires, abandonnées dans un aber.


C'est le cimetière

De nos vieux bateaux

Un petit coin de terre

Mouillé de bien peu d'eau

Une décharge honteuse

Épaves oubliées

La mort insidieuse

Des navires échoués





samedi 11 mai 2024

Bâtisseur de chimères.

 

Le tailleur de pierres d'Apremont





Il était une fois, à Apremont, un tailleur de pierres. Faute d'imagination nous le prénommerons Pierre ! Il était d'une rare dextérité. Il travaillait si vite et si bien qu'il nourrissait de grands rêves de gloire. Hélas pour lui, sa besogne sur le bord de l'Allier était des plus ingrates. Il travaillait à la va-vite pour des constructions qu'il ne voyait jamais. Il taillait sa pierre pour lui donner grossièrement la forme demandée avant que la pièce ne prît le chemin du chantier en empruntant la Loire.


En ce temps-là, les hommes avaient encore de la raison et cherchaient à rendre plus légères les cargaisons. La pierre, matériau lourd s'il en est, était pré-taillée avant que d'être livrée pour les finitions. Notre Pierre exerçait ses talents à cette besogne pratique mais si peu enthousiasmante. Ainsi allégée, la pierre pouvait descendre la Loire jusqu'à une cathédrale ou bien un château. Le transport était encore une activité dont on usait avec parcimonie ...


Pierre rêvait d'aller à son tour sur les hauteurs de ces édifices pour fignoler son ouvrage et y mettre enfin sa signature de maçon. Il aimait trop son art pour se contenter de sa tâche, il rêvait de majestueux chantiers, de chimères et de statues magnifiques. Il restait dans sa carrière à se morfondre et à maudire le sort qui l'avait fait naître au pied d'une modeste carrière.


Un beau jour, pourtant, l'occasion se présenta de quitter son trou et d'aller à la conquête de la renommée. Une commande venait d'arriver du chantier de la cathédrale d'Orléans. Non seulement, on réclamait des pierres mais il était stipulé que le chantier manquait cruellement de compagnons qualifiés. Pierre allait saisir sa chance et partir à l'aventure sur les flots de la belle dame Liger.


Hélas pour lui, la bonne fortune vint à manquer au chaland qui emportait cargaison et passagers. La Loire était haute et piégeuse. Au détour d'une boucle, un gros rocher saillait que le capitaine ne connaissait pas. Le flanc du bateau se déchira et bien vite la gabarre sombra corps et biens. Pierre, qui avait toujours eu des pierres dans ses poches n'avait, pour cette bonne raison, jamais appris à nager. Il allait périr entre Saint Benoît et Châteauneuf quand une belle fée vint à son secours. C'était notre Ondine, vous vous en seriez doutés !


Elle le tira de ce fort mauvais pas et le hissa à terre. Les fées en ce temps-là avaient plus d'un tour dans leur sac. Ondine n'avait que faire d'un seul service, il fallait qu'elle montrât toute l'étendue de ses pouvoirs. La fée sur la berge, pour réconforter Pierre qui avait cru sa dernière heure sonnée, lui proposa en sus d'exaucer l'un de ses vœux.


Pierre n'avait qu'une idée en tête, sculpter la pierre sur les tours de cette Cathédrale pour laquelle, depuis si longtemps, il n'avait de cesse de dégrossir de magnifiques pierres. Son tour allait venir de laisser sa signature pour l'éternité : un pentangle au centre duquel une flèche se brisait. Il demanda ce que dame Ondine sur-le-champ lui octroya. Pierre, par magie, se retrouva dans l'instant à l'œuvre, un burin dans une main et un marteau dans l'autre.


Mais on ne se retrouve pas ainsi à tutoyer les cieux quand jusqu'alors on travaillait dans la carrière. Pierre fut vite pris de vertige, il perdit l'équilibre et son rêve se transforma en un court et désastreux plongeon vers le sol. Quand il arriva à quelques mètres du parvis, sa vie était en sursis. Heureusement pour lui, Ondine était venue contrôler les conséquences de sa faveur. De nos jours, les fées n'ont pas pareil sens du service ; nous ne pouvons que le déplorer.


C'est dans les bras d'Ondine que Pierre finit sa chute libre. À demi-évanoui, il remercia la bonne dame et, devançant sa proposition, lui réclama immédiatement un autre vœu. On s'habitue bien vite aux miracles ; l'humain est ainsi fait que rien ne le surprend quand c'est en sa faveur que s'exprime le hasard ou la bonne fortune.


Ayant retenu la leçon du vertige, il réclama de se retrouver dans les ateliers d'un sculpteur de renom. Il travaillait pour le roi, il y avait belles et grandes statues à tailler à la gloire du Prince et de ses exploits. Pierre se mit à nouveau à l'ouvrage, avec vigueur et talent. Il fit même tant et tant que son travail fut remarqué par sa majesté en personne. Mais bien vite, les louanges tournèrent à la tempête. Pierre, artiste scrupuleux, avait laissé un petit relief là où le roi avait vilaine verrue. Immédiatement mis aux arrêts, il se retrouva bien vite sous la hache du bourreau pour crime de lèse-majesté.


Une fois encore, Ondine intervint. Pierre, il faut l'avouer, ne s'était pas tourmenté. Il attendait ce miracle avec la foi des grands naïfs et des crédules. Il se permit même une petite réflexion à sa bienfaitrice trouvant qu'elle avait quelque peu tardé. Ondine, bonne fée, ne lui en tint pas rigueur. Cependant, elle lui glissa à l'oreille qu'il serait temps de se fixer, qu'elle avait d'autres clients sur la Loire et qu'elle aimerait bien vite retourner dans sa rivière.


Pierre, bien attrapé par ses rêves de gloire, avait compris la leçon. Il lui demanda sagement de revenir en son village où femme et enfants devaient se languir de lui. Tailleur de pierres dans sa carrière il était, tailleur de pierres il resterait désormais. Ondine, ravie de n'avoir plus à surveiller cet étrange quémandeur, l'envoya bien vite à ses chers cailloux. Elle retrouva aussitôt les fonds mystérieux de la Loire et Pierre ses braves compagnons d'antan.


Il faut se contenter de son état quand celui-ci est heureux. À trop désirer la gloire, Pierre avait tutoyé les cimes et découvert leurs abysses. Il revint de cette aventure, convaincu que la grandeur n'a que faire des illusoires espoirs. Depuis, il taille ses pierres avec un plaisir incomparable et se jure de ne plus jamais envier les plus renommés que lui. Être prophète en son pays est déjà bien assez. Il est fort prétentieux de se vouloir plus que ce qu'on a obtenu de son seul talent. User d'artifice ou bien de diablerie pour gravir les échelons finit toujours par vous jouer des tours pendables !



vendredi 10 mai 2024

Ça sent le pain, sorti d'la fournée

 

Le pain, le vin, le festin

 


 





Ça sent le pain, sorti d'la fournée

Par l'p'ti mitron, qui veut l'partager

Ça sent le pain, du petit déjeuner

Des compagnons partis en tournée


Pour quelques croutons, qui seront grillés

De belles tartines à la mie dorée

Un bout de cochon : rillettes ou pâté

Même en cantine, on est rassasié

 



Ça sent le vin, tiré au pichet

Pour des gredins, qui vont s'enivrer

Ça sent le vin, vidé par lampées

Par des marins qui sont arsouillés


Dès le bouchon, des chants entonnés

Pour un Saumur, à pleine lampée

Un pe'ti Morgon, nectar plus léger

Une belle biture, le cœur enchanté

 



Ça sent le crottin, très bien affiné

Avec un Bordeaux des plus raffiné

Ça sent l'Saint-Firmin, bouquet à plein nez

Sur un plateau qu'on va déguster


Quand une pâte cuite, un peu persillée

Sous le couteau, se laisse étaler

Quelques barriques, seront vite percées

Pour le troupeau, des convives éméchés

 



Ça sent la galette trop peu farinée

Avec un crémant qui vient de sauter

Ça sent l'omelette qu'on fera flamber

Pour une fête qu'il faut célébrer


Pour ce puits d'amour, la crème fouettée

Au cœur du gâteau, vous fait saliver

Et les petits fours, sans exagérer

Sont un beau cadeau, pour les invités

 



Ça sent le pain, sorti d'la fournée

Pour un gueuleton, qu'on va engouffrer

Ça sent le vin, tiré au pichet

Pour des larrons, qui vont s'enivrer



Ça sent le crottin, très bien affiné

Avec un vin blanc des plus raffiné

Ça sent l'vacherin au goût affirmé

Avec un crémant qui vient de sauter



Sur mesure pour 

Cœur de Loire 

 Un petit clin d'œil


 

 

jeudi 9 mai 2024

Une gargouille vomit des torrents d'injures

 

Une hideuse gargouille







Une gargouille vomit des torrents d'injures

Trouvant sans doute que la vie est bien trop dure

Perchée haut dans le ciel, tout près des anges

Elle avait quelque chose qui la dérange



Assignée au vilain rôle, quelle honte

La chimère espérait qu'on lui fit un conte

Manière sans doute pour son cœur de pierre

De rejoindre l'univers de Molière



Pour lui sculpter un rôle à sa mesure

Un prosateur joua de la démesure

Afin de lui tailler un somptueux costard

À la gloire de ces insidieux racontars



Le monstre minéral d'ouvrir grand sa gueule

Lui qui aime tant à se montrer bégueule

Sa vilaine face éructa des miasmes

Se tordant de haine en de terribles spasmes



Le diable et son fidèle serviteur

Se faisaient ainsi les précieux zélateurs

D'un enfer pavé de mauvaises intentions

Par d'affreux propos et honteuses délations



Métamorphosé en un charmant troll urbain

La créature se plut à jouer le vilain

Couvrant sans cesse de jurons et d'injures

Celui qui lui avait fait bonne figure



Si bien qu'à déborder de tant d'immondices

Dans un ultime et nécessaire maléfice

Le persifleur fut mué en égoutier

Afin que sa bouche trouvât plaisant métier



À trop déborder en propos inconvenants

La langue peut se retourner contre l'intrigant

Quoique le talent fasse souvent grand défaut

À qui aime à vous déconsidérer de haut !


 

mercredi 8 mai 2024

La queue en panache

 

L’Écureuil roux




Vidéo

 

En bon hédoniste tout autant qu'esthète

La queue en panache, se savait épié

Aussi, les oreilles dressées sur la tête

Paradait pour se laisser photographier


À l'affût, un patient chasseur d'images

De ce splendide poseur fit moult clichés

Il n'est pas plus beau spectacle sous les ramages

Que cet écureuil roux au cœur de la forêt

 



Ignorant quel était son meilleur profil

Il s'offrit ainsi sous toutes les coutures

Sachant que sur un petit écran défile

Sa charmante trombine en pleine nature


Sur la vaste toile, connut tant de succès

Que son portrait fit le tour de la planète

Le bel animal, comment le lui reprocher

Réclama son droit à l'image, quelle vedette ! 

 



Le photographe soudain fort embarrassé

Se demanda comment verser ses bénéfices

Lorsque le petit rongeur lui fit remarquer

Qu'une banque à son nom remplissait cet office


Notre ami de l'inciter à la prudence

Ce spécialiste des oiseaux a remarqué

Que pour stocker leurs œufs, c'est une évidence

Un seul panier ne peut être recommandé 

 



Mit ce précieux conseil en application

À la caisse d'Épargne, ferma son guichet

Il plaça tous ses avoirs dans des actions

Chez cet éditeur nouvellement installé


Ce geste ne manqua nullement de panache

Notre entrepreneur s'en trouva conforté

Puisqu'il avait entrepris la lourde tâche

De publier l'auteur d'un étonnant livret

 



L'écureuil se montra ainsi fort avisé

Formidable fut le succès de l'ouvrage

Pour ce juteux placement défiscalisé

Il félicita le prince du cadrage



Photographies de 

Christian Beaudin


Le livret

 





Des gammes avec des mots.

  L'écrit vain Une douce assuétude, une folie furieuse, l'hypertrophie verbale d'un bouffon pitoyable, déli...