Conte de l'Avent
L’enfant
et le chat en zinc.
Il
était une fois, Victor, un curieux garçon qui vivait dans une
maison en bois quand tous ses camarades étaient bien à l’abri
dans leurs murs de béton. Lui, il s’en moquait, il savait qu’il
disposait de tout le confort et qu’il y était très bien. Il était
entouré de l’affection de ses parents et d’étranges animaux de
compagnie. Il y avait trente-deux escargots, sept poissons et un chat
: Anonymus le préféré du garçon. Toute sa ménagerie avait une
particularité : elle était en zinc mais n’allez pas imaginer
que c’étaient des sculptures ; ces animaux étaient vivants
….
C’est
son père qui en était le créateur. Il avait trouvé le secret pour
transformer la matière en êtres vivants. Le zinc dans lequel
étaient fabriqués ces personnages venait de la cathédrale, à
proximité de la reine des gargouilles, une hideuse créature qui
représentait un dragon à tête de sorcière. C’est par la magie
de cette proximité que les animaux sortis des mains du sculpteur
prenaient vie immédiatement.
Anonymus
et Victor étaient devenus inséparables. Partout où l’enfant
allait, son chat le suivait. Mais comment faire comprendre ce miracle
aux gens ? ils ont perdu depuis si longtemps leur âme d’enfant.
Victor devait le cacher, prendre bien soin de le dissimuler à ses
camarades comme aux grandes personnes.
C’eût
été facile si Anonymus y avait mis du sien, mais le diable de chat
n’en faisait qu’à sa tête et aimait à se sauver …
C’est
ainsi que tout a commencé. Un jour qu'il avait échappé à la
surveillance de Victor, ce coquin, ce fripon de chat décida d’aller
traîner ses griffes du côté de la cathédrale. L’escapade
n’aurait pas tourné au drame si l’animal n’avait croisé les
pas de La Malice, l’illustre appariteur épiscopal. L’homme
faisait sa tournée d’inspection des toits et Anonymus le suivit à
pas de velours, déjouant sa légendaire vigilance .
Le
Bedeau alla contrôler le grand bourdon et le chat s’autorisa une
petite fantaisie. Alors qu’il passait devant la terrible
gargouille, il eut une envie pressante. Quelle idée eut ce chat ?
Nul ne le saura jamais, Anonymus, depuis, s’est toujours refusé à
expliquer son forfait. Toujours est-il que prenant sa vessie pour une
citerne, le chat eut l’intention de pourfendre le dragon en lui
pissant dessus.
Le
mal était fait : la gargouille, humiliée et trempée et
surtout la sorcière, dans une colère noire, usa de ses pouvoirs
maléfiques pour jeter un sort, pour envoyer un terrible châtiment,
non pas au chat mais à son petit maître. Elle eût été plus
avisée de pourfendre le véritable responsable : le sculpteur,
mais celui-ci avait assez de détracteurs en la place, il n’était
pas besoin de l’accabler d’avantage ! Puis s’en prendre à son
fils était sans aucun doute la plus effroyable vengeance qu’elle
pouvait imaginer.
En
quelques jours, la santé du garçon défaillit. Victor ne mangeait
plus, il perdait progressivement le sommeil, il souffrait
affreusement de la tête. Bientôt son ventre le tortilla ; un
lymphome lui était venu à la base du cou ; il était si faible
qu’il fallut consulter. Les médecins locaux se perdirent en
conjectures à moins qu’ils ne voulussent point révéler la
terrible nouvelle : Victor avait une leucémie.
Il
lui fallut se rendre à la capitale pour apprendre le fin mot de
l’histoire. C’est à deux pas de Notre-Dame-de-Paris, que les
professeurs de l'hôpital Trousseau annoncèrent la terrible nouvelle
à Victor et à ses parents. Il faut avouer qu’en matière de
malédictions de gargouilles, ils étaient plus habitués que leurs
collègues provinciaux.
Mais
que faire pour éradiquer le mal ? Il n’y avait qu’une
solution :on enferma Victor dans une bulle, un vaste cube
transparent aseptisé dans lequel ne pouvaient pénétrer que des
visiteurs et les infirmières habillés en cosmonautes. Il fallait
faire la chasse aux microbes : la sorcière avait affaibli son
système immunitaire.
La
malédiction le condamnait à vivre le reste de son âge dans cette
prison. Victor ne pouvait accepter cette idée. Il lui fallait
vaincre le dragon et la sorcière, briser la bulle, retrouver sa
santé et sa joie de vivre. Mais comment faire ? Il réclama à sa
mère une baguette de pain. C’est parce que la boulangère du
quartier lui donnait toujours une chouquette quand il était enfant
qu’il la prenait pour une gentille fée. Mais la baguette
parisienne n’eut aucun effet.
Victor
ne s’arrêta pas à cet échec. Il fit appel à un des hommes les
plus forts de cette Planète : monsieur Teddy Riner en personne.
Le géant débonnaire lui demanda ce qu’il voulait, Victor le pria
de briser sa bulle. Le combat fut gigantesque : le judoka usa de
toutes ses prises pour vaincre le monstre de plastique. À bout de
forces, le champion s’avoua vaincu : il n’avait pu terrasser
la maladie et son hideuse coquille.
Victor
n’était pas triste ; bien au contraire, il avait beaucoup ri.
Ce combat l’avait distrait. Il avait retrouvé le sourire et
Monsieur Riner était heureux de ce résultat. Il lui promit de
revenir le voir quand il aurait recouvré sa liberté et sa santé.
Mais en attendant, il fallait trouver une autre idée.
On
dit souvent qu’il faut soigner le mal par le mal. L’expression
ici n’avait guère de valeur mais elle donna une curieuse idée à
Victor. Le responsable de sa maladie était Anonymus dont
l'espièglerie avait conduit ici son petit maître. Il était
persuadé que seul, son brave chat allait le sortir de sa bulle. Mais
comment le faire venir dans cette bulle ? Il fallait déjouer la
surveillance des infirmières.
C’est
son père qui se fit son complice. Il cacha Anonymus dans sa bouche.
Ce jour-là, il arriva à l’hôpital avec une drôle de voix. Il
était enroué, parlait du nez et quand on l’interrogeait, il
répondait en toute honnêteté : « J’ai un chat dans la
gorge ! » Ainsi, il franchit tous les obstacles sans mentir et,
arrivé devant son fils, fit sortir le gentil matou.
Victor
n’avait jamais été aussi heureux. Il fit au félin un grand
câlin, un des ces câlins qui vous redonnent le moral. Le chat
ronronnait de bonheur. L’enfant lui glissa à l’oreille son vœu
le plus cher : « S’il te plaît, mon gentil chat, brise
ma bulle que je rentre à la maison ! ». Aussitôt les poils se
redressèrent sur le dos d’Anonymus, la bête cracha et bondit sur
la bulle. La bataille, cette fois, tourna à l’avantage de
l’animal. Il déchira la redoutable bulle de ses griffes en zinc.
Victor était libre ; Victor était guéri.
Il
retrouva sa maison de bois, ses chers parents, enfin soulagés, et
son école. Cependant quelque chose avait changé dans son existence.
Ses animaux en zinc étaient figés pour l’éternité. Ils avaient
cessé de vivre comme vous et moi. Ils s’étaient tous regroupés
pour donner leur force vitale à leur petit Victor qu’ils aimaient
tant. L’enfant avait compris le message : il lui fallait
cesser de croire aux chimères pour passer à l’âge d’adulte. La
maladie l’avait fait grandir, sa guérison le ramenait dans le
monde réel.
Cependant,
il gardait dans sa tête son imaginaire. Il serait artiste et depuis
il est revenu à ses peintures sur des panneaux en zinc. Bon sang ne
saurait mentir et, cette fois, il était bon, croyez-moi. La
malédiction de la gargouille n’était plus qu’un vilain et
lointain souvenir.
Zinguement
sien
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire