Les
chemins de la vie.
Mon
petit Pitchoune, la nature nous donne souvent bien des leçons que
nous ne sommes pas capable de regarder ni même de comprendre. Écoute
cette histoire et fait en sorte que notre ami Victor puisse à
nouveau voir passer les saumons quand il sera plus vieux.
Il
était une fois un bébé saumon, petit Tacon qui vécut le début de
son âge dans les eaux proches des sources de l'Allier. Il fut le
fruit des dernières amours d'un mâle et d'une femelle qui bravèrent
tous les pièges pour s'en aller, ultime geste d'amour ; donner la
vie en perdant la leur. Car telle est la destinée des poissons
migrateurs. Ils font un grand chemin pour perpétuer l’espèce tout
en achevant leur existence. La vie est le plus beau cadeau qui soit !
Notre
petit Tacon ignorait bien naïvement toutes les vicissitudes qu'il
devrait affronter au fil de ces deux voyages. Il ne se souciait que
de vivre des trois années d'insouciance au fil d'une onde claire. Il
vivait comme un poisson de rivière, se faisait les dents sur de plus
petits que lui car telle est la dure loi de la nature.
Tacon
et Truitelle vécurent de jeux et de chasses, de bonds joyeux et de
ronds dans l'eau. Ils aimaient paresser dans des contre-courants,
bien au chaud contre des pierres au soleil. Ils s'étaient jurés de
ne jamais se quitter. Leur amour se jouait des leurs différences
comme de l’opinion de leurs voisins. Ils ignoraient alors que Tacon
subirait le mystérieux appel du large.
Cela
arriva soudainement un petit matin. Il sentit en lui des
métamorphoses puissantes et un besoin impérieux de changer d'eau.
Son corps se modifiait, il devinait en lui une force impérieuse. Il
fit part à son amie la truite de ce désir irrépressible de voyage.
Elle l'aimait, elle était prête à le suivre jusqu'au bout du monde
s'il le fallait pour ses beaux yeux.
Ils
attentèrent la première montée des eaux pour filer plus vite au
gré de l'eau qui coule. L'instinct de celui qui désormais devenait
un saumon le poussait à descendre le fleuve. Il ignorait alors que
les humains lui avaient posé de bâtons dans les nageoires !
Saumon
et Truite ne tardèrent pas à trouver grande et étrange
construction de béton en travers de leur route. Ils apprirent de la
bouche de vieilles carpes qui coinçaient la bulle dans les parages
que ceux qui allaient debout sur les pattes postérieures appelaient
cela un barrage. Ils en croiseront d'autres au cours de leur périple,
grands ou plus petits.
À
chaque fois, il fallait trouver une voie de passage, une astuce
imaginée par ces curieux individus qui pensent à la place des
poissons. Ici, un ascenseur, là une rampe, ailleurs une déviation
sans signalisation. Il fallait se fier au petit bonheur la chance
pour aller de l'autre côté du mur. Les risques étaient grands d'y
laisser sa vie.
Ils
connurent d'autres contrariétés. D’étranges retenues d’eau
signalaient des lieux où les eaux étaient plus chaudes et
laissaient une curieuse impression, une radiation subtile à l'ombre
de tours gigantesques qui envoyaient d'étranges signaux de fumée
dans le ciel. Saumon et Truite avaient un curieux pressentiment,
cette fumée ne leur disait rien qui vaille … Mais on ne se fait
pas toujours fumer avec des copeaux de bois !
Ils
passèrent sans encombre ces fontaines du diable, ces lieux malsains
qui sont la fierté de ceux qui méprisent la nature et insultent
l'avenir. Les deux poissons eurent quatre passages délicats, ils en
eurent à chaque fois des frissons sur la nageoire caudale. Nous
tairons ici, ces villes condamnées à la gloire posthume quand tôt
ou tard surviendra ce qui ne devrait jamais arriver …
Ils
affrontèrent aussi bien souvent des lieux étranges, des objets
insolites que les animaux debout utilisaient pour traverser le
fleuve. Il y avait à chaque fois des remous, des dénivelés, des
pierres et des objets improbables tous plus tranchants les uns que
les autres. Les abords de ces ponts, puisque c'est ainsi qu'ils
nomment ces édifices, étaient de véritables coupe-ouïes.
L'amour
sans doute leur donna des ailes. Ils survolèrent tous ces
chausses-trappes et arrivèrent enfin au bout du voyage, c'est du
moins ce que pensait la truite. L'eau changeait de nature, un petit
goût iodé venait se mêler aux parfums habituels qui les
accompagnaient depuis leur enfance.
Saumon
ne semblait quant à lui nullement inquiet, sa métamorphose le
préparait à ce changement de bain. La Truite ne voyait pas d'un bon
œil ce qui se tramait là. C'est le sel de la vie que de devoir
affronter bien des dangers. Pour l'amour de son Saumon, la belle
avait surmonté tant de dangers. Mais cette fois, elle se sentait
prise au piège, l'eau était salée, elle trouvait bien trop épicée
la note à payer.
Comment
faire ? Laisser partir son Saumon de cœur, nager loin d'ici,
vivre de nouvelles amours ? Jamais de la vie, elle passerait ce
nouveau défi. Elle lui avait jurer de le suivre au bout du monde,
c'était le moment de tenir parole. Elle se fit, au prix de bien des
nausées à cette eau étrange qu'elle ne trouvait pas assez douce à
son goût.
C'est
ainsi que depuis, un saumon et une truite vécurent leur union dans
l'Océan. Un jour ou l'autre, ils reviendront en leur Loire quand
notre Saumon sentira ce besoin impérieux d’achever sa destinée
dans ses eaux natales. La truite a deviné que cette échéance
approche, son compagnon se fait bougon. Qu'arrivera-t-il au cour de
ce nouveau et périlleux voyage ? Réussiront-ils une fois de plus à
vaincre les obstacles des hommes pour donner à leur tour de
nouvelles vies ?
De
cette nouvelle aventure, vous n'en saurons rien. Écartons-nous sur
la pointe des pieds. Cette nouvelle épopée restera leur secret,
leur chant d’amour. Il faut savoir rester à notre place. C'est
ainsi, Pitchoune que se finit cette histoire... En queue de poisson !
Saumonièrement
vôtre.
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