Conte de l'Avent
Faire
de ses rêves des destins …
Écoute
Pitchoune cette histoire qui date d’une époque où les enfants
rentraient dans la vie active très tôt, à 12 ans pour la plupart
d’entre eux. À l’âge où tu entreras au collège, eux, ils
choisissaient ou subissaient un métier pour toute leur vie. C’était
une toute autre époque.
Il
était une fois une famille installée en bord de Loire. De
génération en génération, il s’y pratiquait un rituel de
passage, un moment particulier dans la vie des enfants. C'est à
cette occasion que se décidait l’avenir de chacun. C'est un barde
breton de la pointe de Corsen qui était un jour venu semer ici cette
curieuse cérémonie …
Quand
l'enfant quittait l’école après avoir appris l’essentiel qu’il
convenait de savoir : « Lire, Écrire, Compter », le
grand-père se chargeait du gamin lors d’une promenade
particulière. L'ancêtre emmenait le long de la rivière celui ou
celle qui allait passer à l’âge adulte. Personne dans la famille
ne lui en avait soufflé mot, l'enfant pensait aller à une partie de
pêche ou une belle balade.
L'ancien
et le jeune avaient alors une longue conversation. Des propos étaient
prononcés alors, de ceux qui n'avaient pas souvent leur place autour
de la grande table ou lors des veillées. Il y avait de la gravité
dans cette sortie, une solennité qui impressionnait immédiatement
le plus jeune. La voix du plus vieux était chargée d'émotion.
Puis,
quand le vieux avait fini de décrire son existence, la vie qu’il
avait eue le long de la Loire, il se taisait, sortait son couteau de
sa poche, le dépliait lentement et choisissait avec soin un bois
flotté de Loire. Silencieusement, devant son petit-enfant
interloqué, il creusait un bateau tout pareil à ceux qui
naviguaient alors sur la rivière.
Puis,
toujours sans dire un mot, lui qui avait tant parlé depuis le départ
de la maison de famille, il prenait une branche bien droite qu'il
fixait à la verticale de ce petit bateau de fortune. Il sortait
alors de sa poche, un joli mouchoir brodé marqué aux initiales de
celui qui allait quitter l’enfance.
L'ancien
avait construit un petit bateau de Loire, une maquette comme on
dirait aujourd’hui. Il le posait alors doucement sur le flot et
avant de le laisser filer au gré du courant et des vents, il
s'adressait à nouveau à son petit-enfant : « Ce bateau, c'est
ton destin. C’est lui qui va choisir ton devenir. Tu dois y mettre
tous tes rêves, tes espoirs, tes désirs et tes envies.
Concentre-toi ; ta vie suivra le cours de ce petit bateau ! ».
L’enfant
comprenait l’importance de cet instant. Il avait été préparé
par le long entretien qu’ils venaient d’avoir tous les deux. Il
ne prenait pas les propos de son papet à la légère. Il y avait
dans sa famille de lointaines croyances, un respect sacré pour les
manifestations naturelles. Surtout il savait comme tous les siens que
sa vie se déroulerait en bord de Loire.
L'enfant
fermait les yeux, il se concentrait du mieux qu’il pouvait. Il
savait que cette petite maquette allait décider de son futur. Il
tenait encore la main de son ancêtre au moment où celui-ci laissait
filer le petit bateau aux fantaisies de la rivière. C'est dans un
silence presque religieux que tous les yeux suivaient le trajet de la
maquette.
Jamais
la Loire ne se trompait. Bien souvent la petite embarcation allait au
fil de l’eau, emportée par le courant. Quand elle était trop loin
pour l’apercevoir encore, le grand-père et l'enfant savaient que
les dés en étaient jetés. Une fois encore, dans la famille, il y
aurait un nouveau marinier qui irait sur la rivière pour gagner sa
vie et tenter de ne pas la perdre.
D'autres
fois, plus rarement certes, il se passait des choses imprévues.
Ainsi pour cette jeune fille, un vent du sud, exceptionnellement
puissant fit traverser le petit bateau de part en part de la
rivière. Elle avait compris qu'elle tiendrait le bac, ce bateau qui
permettait aux habitants d’aller de l’autre côté dans une
époque où les ponts étaient bien moins nombreux sur la Loire.
Une
autre fois, le bateau n'alla pas bien loin. Il se brisa bien vite
contre un gros caillou au milieu de l’eau. Ni l'ancien ni son petit
fils n'y virent un mauvais présage, bien au contraire ils comprirent
le sens de ce message. L'enfant deviendrait charpentier de bord et sa
vie durant, réparerait les bateaux endommagés par les aléas de la
navigation, tout en construisant de temps en temps de magnifiques
embarcations.
Il
se dit qu'une fois, poussé par un puissant vent d'ouest, le petit
rafiot remonta le courant pour disparaître au loin. Il était allé
à l'envers de la marche ordinaire. Le grand-père comprit que son
petit fils aurait un destin très particulier. Il devint historien,
cherchant sans cesse à remonter le temps.
Une
autre fois, le petit bateau chavira et sombra immédiatement. Les
deux spectateurs eurent alors un frisson dans le dos avant que
l’enfant comprenne le sens de cet instant. Lui dont le père
s’était noyé dans la rivière, il se ferait sauveteur, consacrant
sa vie à aller au secours de ceux qui seraient en détresse.
Il
se trouva une autre maquette qui refusa de suivre le courant. Le
petit bateau resta sur le bord de la rive sans bouger. Il était en
équilibre à quelques centimètres de la berge, curieusement
immobile, pris dans un contre-courant. Le garçon concerné ouvrit le
premier-bateau lavoir de la région ; il avait compris lui
aussi, le message de la rivière.
Le
rituel se prolongea ainsi de génération en génération. Il
continue encore bien que désormais les signes soient bien plus
difficiles à décrypter. Cette famille demeure très attachée à la
Loire, elle lui a offert un chanteur, une conteuse, un écrivain et
une photographe, un peintre. Je ne saurais vous dire comment avait
réagi la petite maquette. Les signes du destin sont de plus en plus
complexes à déchiffrer et la Loire aime à garder ses mystères.
Quelle
morale dois-tu retenir de cette histoire mon cher Pitchoune ?
J’ai la faiblesse de croire encore que les rêves et les espoirs
sont plus forts que les mauvais tours du destin et les inégalités
de la naissance. Chacun peut espérer en des lendemains heureux s’il
est capable de croire en lui et s’il a la sagesse d’écouter les
anciens. Il lui suffit de suivre les signes de la nature, d’avoir
une passion au fond du cœur et la sagesse de saisir sa chance.
Perspectivement
leur.
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