samedi 16 décembre 2017

L’avenir au fil des flots.

Conte de l'Avent
Faire de ses rêves des destins …



Écoute Pitchoune cette histoire qui date d’une époque où les enfants rentraient dans la vie active très tôt, à 12 ans pour la plupart d’entre eux. À l’âge où tu entreras au collège, eux, ils choisissaient ou subissaient un métier pour toute leur vie. C’était une toute autre époque.

Il était une fois une famille installée en bord de Loire. De génération en génération, il s’y pratiquait un rituel de passage, un moment particulier dans la vie des enfants. C'est à cette occasion que se décidait l’avenir de chacun. C'est un barde breton de la pointe de Corsen qui était un jour venu semer ici cette curieuse cérémonie …

Quand l'enfant quittait l’école après avoir appris l’essentiel qu’il convenait de savoir : « Lire, Écrire, Compter », le grand-père se chargeait du gamin lors d’une promenade particulière. L'ancêtre emmenait le long de la rivière celui ou celle qui allait passer à l’âge adulte. Personne dans la famille ne lui en avait soufflé mot, l'enfant pensait aller à une partie de pêche ou une belle balade.

L'ancien et le jeune avaient alors une longue conversation. Des propos étaient prononcés alors, de ceux qui n'avaient pas souvent leur place autour de la grande table ou lors des veillées. Il y avait de la gravité dans cette sortie, une solennité qui impressionnait immédiatement le plus jeune. La voix du plus vieux était chargée d'émotion.

Puis, quand le vieux avait fini de décrire son existence, la vie qu’il avait eue le long de la Loire, il se taisait, sortait son couteau de sa poche, le dépliait lentement et choisissait avec soin un bois flotté de Loire. Silencieusement, devant son petit-enfant interloqué, il creusait un bateau tout pareil à ceux qui naviguaient alors sur la rivière.

Puis, toujours sans dire un mot, lui qui avait tant parlé depuis le départ de la maison de famille, il prenait une branche bien droite qu'il fixait à la verticale de ce petit bateau de fortune. Il sortait alors de sa poche, un joli mouchoir brodé marqué aux initiales de celui qui allait quitter l’enfance.
L'ancien avait construit un petit bateau de Loire, une maquette comme on dirait aujourd’hui. Il le posait alors doucement sur le flot et avant de le laisser filer au gré du courant et des vents, il s'adressait à nouveau à son petit-enfant : « Ce bateau, c'est ton destin. C’est lui qui va choisir ton devenir. Tu dois y mettre tous tes rêves, tes espoirs, tes désirs et tes envies. Concentre-toi ; ta vie suivra le cours de ce petit bateau ! ».

L’enfant comprenait l’importance de cet instant. Il avait été préparé par le long entretien qu’ils venaient d’avoir tous les deux. Il ne prenait pas les propos de son papet à la légère. Il y avait dans sa famille de lointaines croyances, un respect sacré pour les manifestations naturelles. Surtout il savait comme tous les siens que sa vie se déroulerait en bord de Loire.
L'enfant fermait les yeux, il se concentrait du mieux qu’il pouvait. Il savait que cette petite maquette allait décider de son futur. Il tenait encore la main de son ancêtre au moment où celui-ci laissait filer le petit bateau aux fantaisies de la rivière. C'est dans un silence presque religieux que tous les yeux suivaient le trajet de la maquette.

Jamais la Loire ne se trompait. Bien souvent la petite embarcation allait au fil de l’eau, emportée par le courant. Quand elle était trop loin pour l’apercevoir encore, le grand-père et l'enfant savaient que les dés en étaient jetés. Une fois encore, dans la famille, il y aurait un nouveau marinier qui irait sur la rivière pour gagner sa vie et tenter de ne pas la perdre.

D'autres fois, plus rarement certes, il se passait des choses imprévues. Ainsi pour cette jeune fille, un vent du sud, exceptionnellement puissant fit traverser le petit bateau de part en part de la rivière. Elle avait compris qu'elle tiendrait le bac, ce bateau qui permettait aux habitants d’aller de l’autre côté dans une époque où les ponts étaient bien moins nombreux sur la Loire.

Une autre fois, le bateau n'alla pas bien loin. Il se brisa bien vite contre un gros caillou au milieu de l’eau. Ni l'ancien ni son petit fils n'y virent un mauvais présage, bien au contraire ils comprirent le sens de ce message. L'enfant deviendrait charpentier de bord et sa vie durant, réparerait les bateaux endommagés par les aléas de la navigation, tout en construisant de temps en temps de magnifiques embarcations.

Il se dit qu'une fois, poussé par un puissant vent d'ouest, le petit rafiot remonta le courant pour disparaître au loin. Il était allé à l'envers de la marche ordinaire. Le grand-père comprit que son petit fils aurait un destin très particulier. Il devint historien, cherchant sans cesse à remonter le temps.

Une autre fois, le petit bateau chavira et sombra immédiatement. Les deux spectateurs eurent alors un frisson dans le dos avant que l’enfant comprenne le sens de cet instant. Lui dont le père s’était noyé dans la rivière, il se ferait sauveteur, consacrant sa vie à aller au secours de ceux qui seraient en détresse.

Il se trouva une autre maquette qui refusa de suivre le courant. Le petit bateau resta sur le bord de la rive sans bouger. Il était en équilibre à quelques centimètres de la berge, curieusement immobile, pris dans un contre-courant. Le garçon concerné ouvrit le premier-bateau lavoir de la région ; il avait compris lui aussi, le message de la rivière.

Le rituel se prolongea ainsi de génération en génération. Il continue encore bien que désormais les signes soient bien plus difficiles à décrypter. Cette famille demeure très attachée à la Loire, elle lui a offert un chanteur, une conteuse, un écrivain et une photographe, un peintre. Je ne saurais vous dire comment avait réagi la petite maquette. Les signes du destin sont de plus en plus complexes à déchiffrer et la Loire aime à garder ses mystères.

Quelle morale dois-tu retenir de cette histoire mon cher Pitchoune ? J’ai la faiblesse de croire encore que les rêves et les espoirs sont plus forts que les mauvais tours du destin et les inégalités de la naissance. Chacun peut espérer en des lendemains heureux s’il est capable de croire en lui et s’il a la sagesse d’écouter les anciens. Il lui suffit de suivre les signes de la nature, d’avoir une passion au fond du cœur et la sagesse de saisir sa chance.

Perspectivement leur.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...