Conte de l'Avent
Les
envieux ne sont pas toujours heureux.
Pitchoune,
tous les enfants ne vivent pas dans des conditions faciles. La vie
pour certains est un long combat contre l’injustice, la pauvreté
et les difficultés. Notre ami Victor a bien de la chance de vivre
avec ses parents, d’avoir une maison et de quoi se nourrir. Cette
histoire pourra peut-être lui permettre d’apprécier sa bonne
fortune et d’en user de manière plus raisonnable.
Il
était une fois une jeune fille qui, depuis la tragique disparition
de ses parents, avait la charge de subvenir aux besoins de ses six
frères et sœurs. Elle s’appelait Cosette, jeune fille qui dans
son extrême dénuement était dotée d’un immense courage. Elle
devait se débrouiller seule pour trouver de quoi faire manger ses
cadets.
Cosette
était au bord du désespoir. Les réserves laissées par les parents
avant leur mort étaient épuisées ; il lui fallait trouver de
quoi préparer l’unique repas du jour. Elle avait arpenté les
rives de la rivière, cherché dans les taillis et les bosquets,
tendu la main devant quelques personnes du voisinage, tout cela sans
le moindre résultat. Elle n’avait rien trouvé et pourtant grand
était l'appétit de ses frères et sœurs.
C'est
lorsqu'on est au plus profond du désespoir que surgit parfois une
petite clarté. La bonne fée Morgane croisa le chemin de la
pauvrette. Voyant les yeux rougis et le visage blême de la jeune
fille, la fée lui demanda ce qui la chagrinait ainsi. Cosette lui
présenta la situation sans rien exagérer ; les faits étaient
bien assez dramatiques pour ne pas en rajouter.
Cette
franchise plut à la fée Morgane dont chacun sait qu'elle est
capable de tout. La sincérité de la jeune fille toucha la dame qui
adressa pourtant une étrange requête à celle qui avait charge de
famille. Morgane, d'un air mystérieux, demanda à la jeune fille :
« J'aimerais que tu traverses la rivière ; juste en face
de là se trouve une île où il y a la plus belle oseraie de la
région. Rapporte-moi une belle brassée d'osier et je te ferai un
cadeau. »
Cosette
ne fut pas surprise de la demande : elle avait compris depuis
son malheur que les grandes personnes sont capables de toutes les
fantaisies pour le paiement d'un service. Celui-ci lui semblait bien
plus respectable que bien des propositions qui lui avaient été
faites jusqu'alors. Cette fée ne profitait pas de la situation pour
lui demander des choses extravagantes ou bien honteuses. Cette fois,
Cosette n'aurait pas à rougir de la contrepartie.
Morgane,
pour la rassurer plus encore, lui offrit une miche de pain noir et
quelques bonnes galettes pour calmer les appétits de tous les
enfants. Ils pourraient passer la nuit sans être tiraillés par des
maux de ventre. Cosette la remercia d'un grand sourire et partit
porter ce précieux repas à ses frères et sœurs.
Tôt
le lendemain matin, elle traversa la rivière par un gué : un
passage moins profond, pour atteindre cette grande île où poussent
les rejets de saule qui permettent de faire l’osier. Elle fit
grande récolte et ne s'émut même pas de voir les jeunes pousses se
transformer, par un curieux prodige, en des brins disposés à être
tressés le jour même. La fée était certainement dans le coup !
Sa
mission accomplie, Cosette revint sur la berge, là-même où elle
avait rencontré Morgane. Celle-ci sortit du trou d'un arbre creux et
se mit immédiatement en action, tressant un grand panier bien plus
vite que ne l'aurait réalisé n'importe quel artisan-maître en cet
art si ancien. La fée tendit alors le panier à Cosette en lui
disant : « Voilà qui résoudra tous les problèmes des
tiens. Chaque fois que tu voudras leur donner à manger, plonge la
main dans le panier en pensant à ce que tu aimerais y trouver ! ».
Morgane
disparut comme elle était venue, laissant Cosette à son panier et à
de nombreuses interrogations. Quel pouvait bien être le sens des
paroles de la mystérieuse dame ? Comment diable ce panier allait-il
pouvoir nourrir nourrir ses six frères et sœurs ? N'avait-elle pas
été trompée par une vaine promesse ? Les siens devaient
l'attendre, leurs ventres si vides qu'elle entendait leurs
gargouillis à travers la forêt.
Cosette
rentra dans sa masure et demanda à sa plus jeune sœur ce qu'elle
désirait manger. La petite, étonnée et incrédule, lui répondit
naïvement : « J'aimerais manger des haricots verts ! »
Cosette plongea la main dans le panier et en sortit des haricots.
Elle demanda à son petit frère à son tour d'exprimer son souhait.
Celui-ci, instruit de ce qui venait de se passer, eut une demande
plus roborative : « Je voudrais un gros poulet rôti ! ».
Aussitôt dit, aussitôt sorti du panier.
Ainsi,
chacun exprima une demande qui fut satisfaite par le panier de
Morgane. Jamais dans la maisonnette, les enfants n'avaient fait un
tel repas. Et il en fut de même chaque jour : Cosette désormais
pouvait nourrir les siens sans avoir à se soucier de trouver sa
pitance : le panier y pourvoyait amplement.
La
vie aurait pu se dérouler ainsi, la peur de la famine à jamais
repoussée, quand un soir, après le dîner, un ogre surgit dans la
cabane où vivaient les sept enfants. Il était effrayant, parlait
très fort et était si grand qu'il les terrorisa tous. Il voulait
manger et s'était emparé du plus jeune, histoire de s'ouvrir
l'appétit. Cosette, arrêtant son geste avant qu'il n'enfourne son
plus jeune frère dans son gigantesque gosier lui demanda quel mets,
plus succulent encore que ce petit garçon, il aimerait déguster.
L'Ogre
pour vorace qu'il était, n'en était pas moins un fin gourmet. Il
lui dit qu'un cuissot de sanglier serait, pour lui, un mets bien
meilleur que cet enfant qui, mangé tout cru, ne satisferait guère
sa gourmandise légendaire. Cosette sortit du panier un cuissot si
gros que le méchant monstre lâcha l'enfant …
Toute
la soirée, Cosette composa un repas gargantuesque pour ce monstrueux
visiteur, jamais rassasié, toujours plus exigeant dans ses demandes,
d'autant qu'elles étaient toujours satisfaites. Il découvrit bien
vite que du panier pouvaient surgir toutes sortes de choses, pourvu
qu’on puisse les manger ou bien les boire.
L'ogre
en parfait soudard, demanda de nombreux vins de toutes les couleurs.
Bien vite, il eut la trogne rubiconde et l'estomac tendu comme une
arbalète. C'est titubant et grognant qu'il quitta la demeure des
enfants sans oublier de partir avec le panier sous le bras. Les
enfants étaient tous si effrayés qu'aucun ne fit le moindre geste
pour s'opposer à ce terrible vol.
L'orge
avait tellement bu qu’il s'effondra, saoul comme un moine polonais,
juste à côté de la rivière, là-même où la fée était apparue.
Cosette se doutait, elle aussi, qu'avec ce qu'avait ingurgité ce
soudard, il n'irait pas bien loin. Elle l'avait suivi à distance et
sitôt le monstre ronflant comme un sonneur, elle avait récupéré
son panier précieux.
La
suite ne manque pas de sel. Cette nuit-là la rivière sortit de son
lit : elle faisait l'une de ses redoutables colères, comme il
lui en prend l'envie parfois, emportant tout sur son passage, y
compris un poivrot qui cuve son vin. Personne ne déplora la
disparition de ce monstre. L’ogre n'eut d'ailleurs pas à
souffrir : il avait tant mangé qu'il mourut sur le coup
d'hydrocution, bien puni de son immense gourmandise.
La
chose ne fut pas inutile du reste. Cosette avait assisté au trépas
du bonhomme, tout comme ses six frères et sœurs qui étaient partis
à sa suite. Chacun vit dans cette fin tragique la juste punition du
terrible péché de gourmandise.
Les
enfants en tirèrent une leçon pour eux profitable. Depuis ce jour,
ils n'usèrent qu'avec parcimonie des bienfaits du panier magique,
n'abusant jamais des victuailles qu'ils lui réclamaient, composant
au plus juste un repas équilibré et raisonnable. C'est ainsi que
jamais le pouvoir du panier de Morgane ne s'ébruita et qu'ils purent
vivre heureux et tranquilles, mangeant juste à leur faim pour ne pas
attirer de convoitises. La modération est bonne en toutes occasions
et malheur à ceux qui oublient ce précepte : la rivière ainsi
que la santé pourraient bien les rappeler à l'ordre !
Diététiquement
vôtre.
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