Conte de l'Avent
L'onde
de choc !
Mon
cher Victor, quand je t’ai rencontré la première fois, tu jetais
des cailloux dans l’eau. Écoute cette histoire, j’espère que tu
oublieras cette mauvaise habitude. Ton pantin, ce cher Pitchoune dont
tu m’as si gentiment confié la garde te salue, il a aimé ce récit
que je lui ai soufflé à l’oreille.
Il
était une fois une famille qui vivait en bord de canal et de Loire.
Leurs ancêtres avaient été bateliers ou mariniers. Il en restait
un profond amour de l’eau, des poissons et de la nature. C’est
ainsi que les enfants étaient élevés dans le respect des cours
d’eau. C’est Rohan, le dernier représentant de cette tradition
qui me confia ce récit que je me fais un plaisir de t’offrir.
Rohan
me raconta que lorsqu’un enfant jetait un caillou dans l'eau, pour
jouer ou bien passer le temps, il se trouvait toujours un aîné
pour venir lui recommander gentiment de cesser ce geste
inconséquent. Le plus vieux disait alors au plus jeune « Tu
sais, si tu jettes ainsi des cailloux dans l'eau et si chacun de nous
fait la même chose, il va y avoir au fond un tas si gros, que jamais
plus les bateaux ne pourront naviguer sur ici ! » L'enfant,
attentif, comprenait le message. Plus tard, à son tour, il reprenait
cette remarque à son compte pour que les cailloux restent sur le
chemin de halage ou en bord de rive.
Rohan, ce jour-là se promène au bord d’un canal tenant par la
main Aima, sa petite fille. Le père et la fille aiment ces
promenades durant lesquelles ils observent les oiseaux, les fleurs et
se racontent quelques secrets comme le font souvent les papas avec
leurs filles. En face d’eux arrivent une mère tirant par le bras
un petit garçon qui traîne la jambe. (C’est une expression
pour dire qu’il n’était pas très content de marcher).
La
mère n’a aucun regard pour son garçon. Elle téléphone, elle
semble très occupée par sa conversation. Son garçon s’ennuie, il
aimerait que sa mère lui parle, il a rempli ses poches de cailloux
et tous les vingt pas environ, il en jette un dans le canal d’un
geste de dépit plus que par jeu. Il semble triste, Aima en a la
certitude.
Quand
il arrive près d’eux, Aima sourit au garçon, le regarde droit
dans les yeux et lui dit la célèbre phrase familiale : « Tu
sais, si tu jettes ainsi des cailloux dans l'eau et si chacun de nous
fait la même chose, il va y avoir au fond un tas si gros, que jamais
plus les bateaux ne pourront naviguer ici ! » Le garçon qui
était sur le point de jeter un caillou le laisse tomber. Il tend la
main vers Aima.
La
mère poursuit son chemin, insensible à ceux qui sont près d’elle,
elle communique avec un interlocuteur lointain. Elle entraîne son
garçon plus loin en le tirant pas le bras. Aima et lui ne peuvent se
donner la main. Il suit sa mère, toujours en grande conversation
avec la terre entière. Au bout d’une cinquantaine de pas, la mère
surprise de n’entendre plus de « Ploufs » se retourne
enfin vers son fils.
L’enfant
lui tourne le dos, il marche à reculons, regardant toujours la
petite fille qui lui fait un grand signe de la main. La femme,
furieuse coupe son téléphone, elle s’adresse à la gamine d’un
ton peu aimable : « Que veux-tu à mon fils toi ? » Aima,
tout sourire, lui répond « Rien madame. Il avait simplement
envie que quelqu’un s’adresse à lui parce que vous ne vous
occupez pas de lui ! »
S’en
était trop pour la mégère (mauvaise femme) qui se tourne
alors vers Rohan : « Faites donc taire cette enfant mal élevée
monsieur ! ». La femme de colère donnant un grand coup de pied
dans un caillou qui finit sa course dans l’eau. Alors Rohan de lui
dire à son tour la phrase rituelle de sa famille : « Tu
sais, si tu jettes ainsi des cailloux dans l'eau et si chacun de nous
fait la même chose, il va y avoir au fond un tas si gros, que jamais
plus les bateaux ne pourront naviguer ici ! »
Le
garçon et Aima éclatent de rire. La femme s’étrangle de colère.
Dans sa fureur, elle jette son téléphone à l’eau alors que
justement il venait de sonner. Sa sonnerie est le croassement d’une
grenouille. La femme surprise réalise enfin sa stupidité. Elle rit
à son tour, prend son garçon dans les bras et l’embrasse.
Rohan
s’approche d’elle et lui souffle à l’oreille : « Je suis
heureux de vous voir réagir ainsi. Il n’y a rien de plus important
que de causer avec ses enfants. Acceptez donc que je vous offre à
boire dans cette guinguette (un bistrot provisoire au bord de
l’eau, durant l’été). La femme accepte et les deux enfants
sautent de joie.
Rohan
et la femme discutèrent longtemps tandis que Aima et Pierre, car tel
était son prénom jouèrent au bord de l’eau. Aima apprit bien des
secrets à Pierre qui n’avait jamais été aussi heureux. Nadège,
sa mère, se prit d’amitié et même un peu plus pour Rohan et
jamais ne remplaça ce téléphone qui la coupait autrefois des gens
qui l’entouraient.
De
cette histoire mon petit Victor, tu dois retenir une chose tout
simple. Personne n’est plus important que celui ou celle qui est
juste à côté de toi. Et si tu vois quelqu’un lancer un caillou
dans l’eau, n’oublie jamais de lui dire avec un grand sourire :
« Tu sais, si tu jettes ainsi des cailloux dans l'eau et
si chacun de nous fait la même chose, il va y avoir au fond un tas
si gros, que jamais plus les bateaux ne pourront naviguer ici ! »
Lapidairement
vôtre
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