Conte de l'Avent
Un
nouveau chapitre
Il
était une fois une petite fille qui, quoique princesse, n'était pas
heureuse. Il y avait quelque chose qui lui restait en travers de la
gorge, un désir qu'elle devait refouler en dépit de sa noblesse et
de tous les présents dont les sujets de son père pouvaient la
couvrir. C'est, comme dans bien des cas, ce qui se refuse à vous qui
devient la chose la plus importante au monde. Leana avait une
contrariété immense, un chagrin sans pareil qui l'empêchait de
bien grandir.
Son
père, le Prince en son domaine, était un passionné de chasse à
courre. Il n'avait que ce but dans la vie : courir les forêts
de Sologne et traquer le grand cerf avec sa redoutable meute de
chiens courants. Le château où vivait Leana était un véritable
chenil, les chiens y avaient toute liberté d'aller et venir dans
toutes les pièces de la grande et belle demeure de briques.
Non
seulement, il régnait dans ce château une odeur épouvantable mais
encore nombre d'activités y étaient impossibles du fait de la
présence permanente des animaux. Leana avait un secret au cœur, une
envie de tendresse et de douceur qu'elle ne pouvait trouver auprès
de ce père soudard et hobereau mais plus encore avec ces chiens
agressifs et querelleurs.
Leana
avait un désir qu'elle ne pouvait demander à son père d'exaucer.
Elle savait qu'il s'y opposerait farouchement. Il n'était pas homme
à se laisser attendrir, fût-ce par sa petite fille qui était
pourtant « la prunelle de ses yeux », comme il aimait à
le dire, sans jamais véritablement prouver la véracité de cette
affirmation de pure forme.
La
petite princesse s'assombrissait de jour en jour. Elle était
malheureuse ; il lui manquait un véritable ami. Elle allait
comme une âme en peine dans cette vaste demeure où les aboiements
couvraient tout autre bruit. Ni chants ni musique dans ce triste
manoir solognot. Leana se mit à manifester des troubles de la
parole. Elle était de plus en plus enrouée.
Bientôt
sa voix se fit grave, profonde, caverneuse. Le Prince s'en inquiéta
un peu avant que de se remettre en chasse, indifférent à sa chère
fille. Cependant, les jours passant, la pauvrette perdit totalement
l'usage de la parole. Elle était aphone. Elle se raclait sans cesse
la gorge jusqu'à en saigner. C'était particulièrement préoccupant.
La
petite ne mangeait plus, elle perdait ses forces. Il fallut l'aliter.
Elle était au plus mal. Cette fois, le Prince dut se résoudre à
agir, au risque de voir partir sa petite Princesse. Il fit venir tous
les médecins du pays. Ceux-ci demeurèrent interdits devant ce mal
curieux et sans explication. Il fallait pourtant agir avant qu'il ne
soit trop tard.
Le
Prince pensa alors mander des apothicaires renommés, des herboristes
réputés. Hélas, pas plus les uns que les autres ne trouvèrent
d'explications et surtout de remèdes. La petite s'éteignait. Cette
fois, le Prince renonça à ses croyances et alla quérir une vieille
femme, sorcière de son état, qui vivait dans une masure au fond des
bois.
La
vieille femme arriva toute courbée ; elle connaissait bien
Leana qui était la seule du château à lui sourire et à lui dire
bonjour quand elle la croisait dans les bois. À son approche, les
chiens se taisaient ; ils fuyaient sa présence ; il
sortirent tous du château la queue basse et les oreilles tombantes.
Elle
entra dans la chambre de Leana et ne chercha pas à l'examiner.
Directement la vieille femme vint lui parler à l'oreille. « Ma
chère petite, tu es bien malheureuse et tu t'es mise gravement en
danger. Je sais ce que tu désires le plus au monde, ton corps a
parlé à ta place : tu as voulu un chat et c'est dans ta gorge
que tu l'as caché car ton père n'aurait jamais accepté un tel
animal à cause de ses chiens.
Retrouve
la parole et ose lui demander ce que tu n'as jamais pu lui dire par
crainte de son refus. Ton état est tel qu'il comprendra la stupidité
de son égoïsme : il t'accordera ce merveilleux compagnon si
doux et discret. Les chiens de la meute iront dans un chenil car
telle devrait être leur place. »
Leana
ouvrit les yeux, elle avait des larmes qui perlaient. À bout de
force elle dit à la vieille sorcière « Merci madame ! »
La vieille aussi fut très émue : c'est la première fois que
quelqu'un l'appelait ainsi. Elle n'avait droit qu'à « La
vieille » ou bien « La Birette ». Jamais on ne lui
parlait avec respect et gentillesse.
Leana
recouvra des forces quand elle osa demander à son père ce
compagnon qu'elle voulait depuis si longtemps. Le château reprit une
allure convenable ; les chiens étaient partis pour laisser
place à un merveilleux petit chat qui fit le bonheur de la petite
Princesse. Quant à la vieille femme, elle fut hébergée au château
et passa ses dernières années à faire des robes de princesse pour
la gentille Leana qui était devenue son amie.
Les
enfants, si vous avez quelque chose à demander à vos parents, ne le
gardez pas au fond de vous jusqu'à vous en rendre malade, osez
prendre la parole sans faire ni caprice ni colère. Il suffit parfois
d'un peu de gentillesse pour que le ciel cesse de s'assombrir. Leana
est heureuse avec son chat et c'est bien là la plus belle fin qui
soit.
Chatmotement
sien.
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