jeudi 30 novembre 2017

« Mon étoile est ici, aide-moi ! »


Mes Contes de l'Avent



J’allais au bord de l’eau quand je vis un étrange petit garçon, un enfant assis sur le sol, une tablette à la main, un casque sur les oreilles et des vêtements de marque à la toute dernière mode. Il lançait d’une main distraite, tout occupé qu’il était à son écran, des cailloux dans la rivière. Je m’approchai de lui et, en dépit de son casque, je lui racontai une histoire …

L’enfant-roi ne m'écoutait pas. Il continuait à jouer, parfaitement affairé à tuer des monstres dans un décor absurde. Sans m'en laisser conter je poursuivais ma vaine tentative de le toucher, de le sortir de son monde virtuel pour qu'il ose s’aventurer dans l’imaginaire. Je suis têtu, on me le reproche bien assez, pourtant cette fois, mon obstination allait trouver une curieuse récompense.

Durant mon récit, tandis que l’enfant restait les yeux rivés à son écran, une petite voix que je n’oublierai jamais s’adressa à moi : «  Tu es un curieux vieux bonhomme, toi ! Tu parles une langue que les enfants ne comprennent pas toujours, tu emploies des mots trop savants pour eux mais tu as le désir de les changer ! Tu ne supportes pas de les voir tels que les autres adultes les ont faits : enfants-rois qui font toujours ce qu’ils veulent ! »

Je n’en revenais pas. Si l’enfant ne m’écoutait pas, son petit pantin qui traînait là, abandonné sur l’herbe, avait entendu mon histoire, compris mon propos et pensait que je devais continuer malgré l’indifférence de son petit maître. Le conte en empruntant les voies de la fiction pourrait peut-être modifier l’attitude de l’enfant pourvu que j’insiste longuement et ne me désespère pas. Le pantin me sourit, se glissa sur les genoux de l’enfant et me demanda de continuer mon histoire.

J’hésitai longuement. N’avais-je pas été victime d’une hallucination ? Je n’oublierai jamais ce moment d’une incroyable intensité. Il y avait comme une fièvre dans l’expression du pantin, un désir de voir changer son compagnon humain, une impérieuse envie de le retrouver tel qu’il l’avait connu quand on l’avait confié à lui. «  Continue, continue, il n’y a que toi qui puisses m’entendre. Continue et, un moment ou un autre, Victor cessera d’être ce mur d’indifférence ! »

Je poursuivis donc mon récit. Le pantin, lui aussi, tentait d’attirer l’attention de Victor. Il y parvenait quelquefois. L’enfant ne semblant nullement étonné qu’un pantin puisse ainsi lui chatouiller les pieds ou bien lui tirer les cheveux. Petit à petit, Victor modifia son comportement. Lui qui ne m’avait pas encore vu, me jeta quelques brefs regards. Le pantin ne se décourageait pas : il continuait ses pitreries pour sortir Victor de son effroyable machine.

Petit à petit, le miracle eut lieu. Victoire levait la tête, nous souriait enfin, retrouvait un visage enfantin. Il n’avait sans doute rien entendu de ma première histoire ; il retira son casque au milieu de la seconde quand Pitchoun, puisque tel était le nom du pantin de bois, essaya de le lui ôter. Pitchoun lui glissa à l’oreille «  Écoute ce monsieur, il te raconte une belle histoire ! »

Victor daigna m’adresser la parole. Il avait un gros défaut de langue : il bégayait de manière incroyable, il accrochait chaque mot, il se reprenait, ne parvenait pas à trouver ses mots. Pitchoune m’avait prévenu : il fallait le laisser faire, ne pas chercher à l’aider. L’écouter avec attention pour lui donner confiance.

Victor me demanda de poursuivre. Mon histoire lui plaisait. Le pantin dans le dos de l’enfant pointa son pouce en l’air. Quel curieux personnage que ce petit être en bois ! Je continuai donc tout en sollicitant fréquemment l’enfant. Je l’interrogeais, lui demandais de se rappeler un personnage ou une action. Il participait à l’histoire et plus il participait, mieux il parlait. Ses yeux brillaient, sa crinière blonde flottait au vent. Il y avait quelque chose du Petit Prince chez ce gamin redevenu un enfant. À la fin de ma seconde histoire, je lui fis part de cette remarque.

Victor éclata de rire ; un rire en cristal, un rire réjouissant et communicatif. «  Tu es fou ! Je ne suis pas le Petit Prince, Je ne viens d’aucune étoile lointaine et je n’ai jamais vu de mouton. Je suis l’enfant roi de la planète Terre, mon étoile est ici et elle est bien malade. Aide-moi à faire un monde plus heureux ! »

Victor prit dans ses mains son pantin et cessa de me parler. C’est désormais à lui qu’il s’adressait, sérieusement, profondément. Il ne bégayait plus du tout, il avait l’air grave. «  Tu vois, mon pauvre Pitchoun, je t’avais oublié parce que les adultes ont cru que je ne voulais plus jouer avec toi quand j’ai réclamé une tablette pour leur faire plaisir. Mais c’est avec toi que j’ai construit mes rêves, que j’ai inventé des aventures, que j’ai voyagé dans le temps. Mais pour eux, il fallait que je sois toujours occupé et un enfant qui rêve est forcément un enfant qui s’ennuie. »

Le pantin hochait la tête. Il mit sa petite main dans celle de Victor. Des larmes coulaient de ses yeux de bois. Pitchoun se cala tendrement contre le cou du gamin. Victor était heureux, il avait retrouvé la légèreté et insouciance de l’enfance. Il ne singeait plus l’adulte ; il ne cherchait plus à imiter une grande personne.

«  Ce monsieur pourrait tous nous aider à rester des enfants s’il abandonnait sa langue trop compliquée, ses phrases trop longues, ses expressions de vieil instituteur. Les enfants ont besoin qu’on leur raconte des histoires, ils en ont toujours besoin. Mais les adultes sont bien trop occupés désormais pour leur consacrer du temps. Ils les laissent devant un écran, les abandonnent à leur sort, les privent de leur enfance. »

Je ne pouvais rester à l’écouter sans rien faire. Je devais lui montrer ma présence, lui signifier que je comprenais qu’il s’adressait à moi. Je saisis l’autre main du pantin tout en m’asseyant à ses côtés. Sottement j’étais resté debout devant lui, sans doute pour marquer une stupide supériorité, pour refuser symboliquement d’être à son niveau ou pour éviter les allusions scabreuses dans une société où un adulte ne peut plus discuter avec un enfant qu’il ne connaît pas.

Victor parla encore à son pantin. « Le vieux monsieur commence à comprendre. C’est aux enfants qu’il doit consacrer son énergie. Il va retravailler ses contes, les simplifier, les écrire pour nous, les enfants. Il doit arrêter de croire que les adultes sont capables de le comprendre. Tu vas partir avec lui, il te posera sur son bureau pour se souvenir de moi. Grâce à toi, je serai son personnage. C’est à moi qu'il racontera une histoire pour me permettre de grandir loin des des folies de ce monde qui ne sait plus où il va ! »

J’étais moi aussi en larmes, Victor m’avait ouvert les yeux, m’avait montré le chemin. S’il y a le plus petit espoir de changer le monde, c’est aux enfants qu’il faut s’adresser. J’allais reprendre mes textes, modifier le vocabulaire et alléger le contenu. Pitchoun serait pour moi un correcteur impitoyable, un guide exigeant. Il était l’ami de la gentille fée de mes songes.

Je me levai et j’acceptai le cadeau de Victor. Je lui faisais ainsi promesse de me mettre au travail. Le petit pantin se glissa discrètement dans l’une des poches de mon sac à dos, là où se trouve l’ordinateur qui ne me quitte jamais. J’avais compris ma nouvelle mission.

Je n’avais pas fait trois pas que je me retournai pour adresser un dernier signe de main à Victor. Il s’était à nouveau déguisé en enfant roi, le casque vissé sur les oreilles et la tablette à la main. Il me fit un clin d’œil complice avant de me saluer d’un grand éclat de rire ...

Tendrement sien. Na !


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...